Billet invité.
A l’époque de Kipling, on appelait « Grand Jeu » l’ensemble des luttes diplomatiques et militaires que l’Empire Russe et Britannique se livraient aux confins de leur frontières : en Afghanistan. C’est cette expression que le « géo-stratège » américain Zbigniew Brzezinski a sans aucun doute en tête quand il écrit en 1997 Le grand échiquier (The Grand Chessboard) alors qu’il cherche à attirer l’attention sur l’Eurasie comme étant la région sur laquelle les Etats-Unis devaient dès ce moment porter leurs efforts : la Chine y est considérée comme la puissance montante, respectable mais à guider et en quelque sorte à tenir par la main, l’Europe et la Russie ne sont plus considérées que comme déclinantes ou pour longtemps périphériques, le Moyen-Orient ne compte déjà plus pour grand’chose. Emmanuel Todd qui avait analysé de près l’ouvrage dans Après l’Empire (2002) – que l’on serait inspiré de relire aujourd’hui – , notait par exemple que pas une seule mention n’était faite à Israël. Evidemment, on était encore dans l’ère Clinton, les années Bush sont passées par là depuis, et les aspirations de Mr. Brzezinski ne peuvent plus trouver à s’épancher de la même manière. Tout simplement parce que les Etats-Unis n’ont plus les moyens de décider à quel jeu on joue. C’est sur un Grand Damier que se joue maintenant la partie.
Notes éparses sur le jeu de Gô
Extraites de Scott A. Boorman, The Protracted Game (1969, Oxford University Press), référence à De la Guerre Prolongée, de Mao (1938), (trad. sous le titre loufoque Gô et Mao, Seuil, 1972).
• Gô : nom japonais sous lequel on connaît en Occident un jeu en réalité à l’origine chinois : wei-ch’i (prononcer : oueï-chi), pratiqué depuis au moins la dynastie Han (200 av. JC).
• « Le commencement d’une partie est pratiquement incompréhensible pour celui qui ne l’a pas étudié à fond. Les deux joueurs ont l’air de placer leurs hommes au hasard, tantôt dans un coin du damier, tantôt dans un autre ; on dirait qu’ils cherchent à former de jolis dessins plutôt qu’à se tourner mutuellement. Ce n’est qu’après la mise en place de bon nombre de pions que l’objet de la partie commence à apparaître : alors on s’aperçoit petit à petit que les pions qui semblaient avoir été joués sans but offensif ni défensif étaient tous utiles, et qu’ils avaient été placés dès le départ pour servir d’avant-postes de territoires que l’on prévoyait de constituer autour d’eux, ou de postes d’observation pour harceler l’ennemi. » (p. 30)
• « Dans la plupart des parties entre joueurs d’habileté comparable, la fin de la partie est consacrée à des expansions et consolidations mineures, non à de grandes opérations d’anéantissement ; et, les deux camps terminent généralement la partie avec un volume substantiel de territoire et de pierres à leur crédit. En revanche, lorsqu’un maître rencontre un novice, même un novice bénéficiant au départ de la supériorité procurée par un handicap important, le résultat probable est une déroute complète du joueur le plus faible. De grandes batailles d’anéantissement se déroulent tout au long de la fin de partie, bien plus que, par exemple, aux échecs. » (p. 120-121)
• « Le temps est long, et la grille est vaste. »
• « Erreur de débutant : essayer de dominer le damier tout entier. » (p. 118)
• « Le but du joueur ne doit pas être d’écraser son adversaire, mais bien plutôt de maximiser son avantage ou ses moyens. »
• « Un joueur ne peut tenir pour certaine l’existence d’un front sûr ou d’un arrière protégé. »
• « Déterminer quelles sont les régions du damier les plus importantes à contrôler et quelle stratégie opérationnelle de base il faut adopter pour atteindre les objectifs fixés. » (p. 89)
• « Ne pas revenir en arrière pour corriger ses coups. » (p. 136)
• « Tout point a une valeur a priori égale à celle d’un autre tant qu’il n’est pas prouvé qu’il peut apporter sa contribution à la formation d’un territoire. Concrètement, on ne doit disputer le contrôle d’un point que dans la mesure où il garantit une contre-valeur en territoire. » (p. 180)
22 réponses à “Le grand jeu, par Nikademus”
Ajouter à celà que la Terre est plate,
mais dans un espace à cinq dimensions, …
Ou va-t-on ?
« Le temps est long, et la grille est vaste. » Le temps nous est désormais compté et la grille est en réalité bien petite et fragile…
Quelques sites sur le Go:
http://www.go-paris.org/NB_article_17.php
http://agepoly.epfl.ch/igc/histoire.html
http://jeudego.org/
http://www.gokgs.com/
http://idn7.free.fr/v25/index/presentation/histoire
http://pagesperso-orange.fr/qualiconsult/go.htm
http://www.eurasie.eu/mots-jeu-de-go-m131-p1.html
« Intelligence artificielle vs jeu de Go »:
http://blog.oxiane.com/2009/07/31/lesprit-du-jeu-de-go-defie-la-force-de-la-machine-12/
http://www.imaginascience.com/actualites/accueil_actualites.php?action=fullnews&showcomments=1&id=237
Merci Nikamedus pour ce post.
J’avais lu ce livre en 1974 ; la guerre du Vietnam allait s’achever par la défaite du joueur de poker (on ne pouvait même pas les qualifier de joueur d’échecs comme les Russes) contre les joueurs de go…sans que les gens comprennent vraiment ce qui était en train de se passer (encerclement des vlles par les campagnes etc…). Et puis dans un contexte totalement différent toujpours la même approche des USA : je tire, je bombarde et puis éventuellement je discute… même impasse, même échec : l’Afghanistan aujourd’hui. Marc Ferro a fait un commentaire éclairant sur cette tactique du bombardement massif qu’utilisent les Américains et même lors de la Libération de la France.
Je recommande ce livre passionnant (avec bien sûr la lecture de Sun Tse) qui éclaire aussi la montée du joueur chinois décrit dans ce blog.
Et juste pour le plaisir puisque ce blog parle de culture aussi : lisez Kim de Kipling (où l’on parle du Grand Jeu).
Le problème des USA n’est pas vraiment le bombardement massif. C’est plutôt qu’ils ne peuvent pas utiliser le bombardement massif parce qu’en face ils ont toute une population. En résumé, ils n’ont pas une armée préparée aux conflits asymétriques. Par contre, le bombardement massif est très adapté avec une grosse armée conventionnelle en face (comme les allemands et les japonais ont pû le constater).
Le livre de Sun Tseu l’art de la guerre est mal traduit dans l’expression « tao ».
Ce n’est pas la météo, le ciel, le climat, etc….
C’est un autre concept : celui de forces invisibles émanent d’un monde invisible au commun des mortels.
On ne peut pas comprendre Sun Tseu sans cette notion.
il y a fondamentalement deux types de jeux :
les jeux de systemes (echec) et les jeux de positions (dames ) ,rares sont les jeux qui combinent position et systeme comme le go ou le rugby .il y a aussi des jeux de hasard à contrainte variable (poker texas holden,dominos ou mah jong) ou contrainte forte (scrabble duplicate ,bridge ,tarot) ou les probabilités de tirage qui sont stratégique supplantent alors la puissance tactique inrinsèque de chaque joueur.
l’écconomie semble être un jeu de positions inifnies dans un systeme fermé avec des joueurs passant leur temps à bluffer au lieu de jouer vraiment : ce n’est pas viable ,il va falloir inventer de nouveaux mouvements (comme le roque en en echec) pour que cela ne diverge plus .
ps: le grand jeu fut aussi un mouvement rémois de type dadaiste/surrealiste .
pps : lire « la ville est un échiquier » de John Brunner un roman sf basé sur le deroulement d’une partie d’échec .->
ppps : les systemes controlent les flux ,en matiere urbaine ,deux visions s’affrontent la priorité induite (anglosaxon) et la priorité forcée (latin) .Un rond point sert à distribuer les flux chez les anglais et il sert à faire ralentir chez les français .Les asiatiques mélangent tracés rectilignes « à l’américaine » et constructiions anarchiques « à la napolitaine » .
pppps : les flux d’informations financieres obéiront à des regles urbaines asiatiques .
Merci Nikamedus pour ce post. (bis)
Il m’apporte un éclairage fort intéressant sur le rapport à la réalité qu’ont les asiatiques en général et les chinois en particulier, très différent de celui de nos esprits occidentaux, pourtant pétris de rationalisme. Et au delà du rapport c’est de la prise sur le réel lui même dont il est question. Serions nous des joueurs novices confrontés à des grand maitres?
Gurdjieff signalait que le plus grand défaut des occidentaux c’est la crédulité. Il avait vu le monté des idéologies de masse, du marketing, des économies basées sur la taille.
L’asiatique a été momentanément perverti par cette notion de philosophie de masse.
Toute l’habileté du japonais est de se différencier dans une multitude non massifiée.
D’où peut être l’importance en matière économique d’étudier les vols locaux d’oiseaux migrateurs comme les étourneaux pour en déduire des comportements financiers.
Lorsqu’un joueur pose une pierre sur le goban, celle-ci a quatre « libertés » : les quatre lignes, avec leur point d’intersection, qui partent de l’intersection sur laquelle la pierre est posée. La pierre est dite « vivante » tant qu’il lui reste au moins une liberté (une liberté = un point d’intersection contigüe). Lorsqu’une pierre a perdu ses quatre libertés (ses quatre libertés sont occupées par les pierres de l’adversaire) elle est capturée par l’adversaire. Si une pierre a quatre libertés, deux pierres reliées entre elles par la même liberté ont donc six libertés, trois reliées ensemble en ont huit, etc… c’est une logique de réseau. Plus le réseau s’étend plus il « vit ». Les pierres reliées entre elles forment un groupe. Le groupe est impossible à éliminer s’il contient au moins deux « yeux », c’est-à-dire deux libertés. Il est pratiquement impossible de ne pas construire au moins un groupe vivant même tout petit (avec deux « yeux ») de sorte qu’aucun des deux adversaires ne meure jamais.
Le but du jeu est de mieux vivre que l’adversaire c’est-à-dire, par la pose successive de pierres de définir des territoires de plus en plus vastes, cette construction se faisant dans un espace clos et toujours au détriment de l’adversaire. C’est celui qui occupe le mieux l’espace qui est déclaré gagnant (chaque joueur compte le nombre des libertés vacantes délimitées par ses territoires).
La première phase de la partie est la pose de pierres sur un goban désert (si les joueurs sont de même niveau). C’est la conquête de l’espace. Etape très subtile car chaque pierre posée rayonne littéralement bien au-delà de ses points de connexion immédiats. Chaque pierre posée définit les grandes lignes de ce que seront les futurs territoires. Les territoires des adversaires se bâtissent ainsi les uns contre les autres. Ils prennent forme par le contact avec l’autre, c’est-à-dire par le combat, à distance ou rapproché.
La seconde phase est une phase de combats rapprochés (on prend les pierres de l’adversaire quand le combat est gagné) où il faut voir les coups d’avance le plus loin possible pour comprendre les options possibles. Le joueur doit être capable de spatialiser dans son esprit les conséquences de chaque coup (coup = une pose de pierre), chaque coup créant chaque fois une bifurcation entre différents possibles.
Bref, un jeu dont les règles sont simplissimes, très rapides à assimiler. Un jeu extraordinairement esthétique (une dimension spatiale fascinante qui le rend très cérébral mais sans aucun intellectualisme), à la fois stratégique et tactique, sans haine et sans agressivité.
Le joueur qui perd la maîtrise de son espace intérieur perd à tous les coups : son esprit, occupé par ses démons intérieurs (ou un excès d’imagination), ne « voit » plus le jeu. Il y a de bons clubs à Paris, faciles d’accès.
A lire :
Le Maître ou le tournoi de go
de Yasunari Kawabata
Jouez au Go.
C’est (en toute subjectivité, certe) le meilleur jeu du monde 😉
http://radio-succube.over-blog.com/article-34109958.html
L’allégorie du jeu de go pour décrire la situation actuelle renvoie bien entendu à l’approche chinoise de la stratégie telle qu’on la constate déjà sur le terrain, monétaire, alimentaire, minier, pétrolier, forestier, industriel (y compris via le développent grandissant des technologies « vertes » en Chine même).
Elle consiste concrètement à s’engouffrer dans tous les vides que l’adversaire a crée soit parce que ce dernier s’est montré intransigeant voire menaçant ou encore exploiteur, ce qui montre que l’adversaire s’épuise en concentrant toute son énergie mentale ou physique sur des champs de bataille ou d’intervention réels ou virtuels bien délimités où il s’enlise dans une attitude de confrontation directe ou tout au moins menaçante. Une autre similitude de la configuration actuelle avec le jeu de go étant que les ressources matérielles disponibles sont limitées tout comme les pions dont disposent les joueurs en début de partie.
Mais la similitude avec le go s’arrête là car à la différence du dit jeu, la partie qui se déroule sous nos yeux n’a ni règles bien définies ni seulement deux joueurs. Ou plutôt les règles en vigueur constituent des enjeux du jeu lui-même. Pour l’heure les deux joueurs qui comptent sont Etats-Unis et Chine mais les autres pièces de jeu ne restent pas inertes, puisqu’il s’agit aussi d’humains de chair et de sang et dotés d’intelligence. Quant à l’économie matérielle conditionnant la durée du jeu elle va résulter des règles qui apparaîtront au fur et à mesure de l’évolution de la grande crise en cours. Et ces règles elles-mêmes, au delà de l’influence qu’elles auront sur l’économie du jeu, renouvelleront aussi son intelligence, sa perception. Autant dire que l’évolution du jeu qui se profile n’aura rien de linéaire.
Dans la meilleure des hypothèses le véritable enjeu de la partie pourrait être tout simplement la continuation du jeu. Les adversaires en présence ne seraient plus alors quelque partie de l’humanité contre une autre luttant pour l’accaparement des richesses et l’exploitation de ses habitants, mais les humains se retrouvant face à eux-mêmes, chacun à part soi et dans le regard des autres. Ceux-ci auraient fini par prendre conscience que le terrain sur lequel devraient désormais se déployer leurs énergies et leurs intelligences n’est autre que celui de leur fragile humanité. Cahin-caha, l’aventure humaine pourrait se poursuivre.
Je ne peux évaluer les moyens humains, matériels et monétaires que l’Europe des 27 a consacré, consacre et consacrera à aider les Etats-Unis à s’enliser dans les combats frontaux inutiles en Irak et Afghanistan, mais s’ils étaient utilisés à investir le vide sidéral laissé en Afrique et ce en aidant les populations à sortir de leur actuelle misère, je crois qu’ils auraient conquis un vaste territoire, non pas par la contrainte mais par la sympathie acquise.
PS: Les Chinois entrent en force en Afrique mais leurs manières peu affables font qu’ils sont encore plus mal ressentis (par les populations) que les anciennes puissances coloniales.
« PS: Les Chinois entrent en force en Afrique mais leurs manières peu affables font qu’ils sont encore plus mal ressentis (par les populations) que les anciennes puissances coloniales. »
D’où tirez-vous cette information? Expérience concrète ou ouï-dire? Je n’ai pas encore entendu parler d’émeutes anti-chinoises, ce qui serait pour le moins le cas s’ils étaient « encore plus mal ressentis que les anciennes puissances coloniales ».
@ Moi
À Alger il y a eu il n’y a pas longtemps des émeutes anti-chinoises:
« 4 août, 2009 Heurts entre Algériens et Chinois dans un quartier d’Alger »
http://ffs1963.unblog.fr/tag/emeutes/
En 2005 on en parlait déjà:
http://www.afrik.com/article8335.html
J’ai par ailleurs un ami qui a passé l’année 2008 au Gabon et qui m’a parlé de tensions de plus en plus grandes entre la population locale et les chinois qui sont installés dans ce pays.
Bonsoir tout le monde
Merci pour cet excellent billet, la grille est grande et la plupart des commentateurs à la hauteur
Tout de Gô
Joueur de Go depuis des annees, je suis ravi (et surpris) de revoir apparaitre un tel interet sur ce site…quelques infos de plus pour les curieux qui aimerait « sentir » la beaute de ce jeu au dela des regles qui ont ete expliques.
une vielle video introductive
http://www.dailymotion.com/video/x19ubl_presentation-du-jeu-de-go_shortfilms
Ou pour aller plus loin, les brillants commentaires de Fan Hui…meme si vous comprendrez pas tout, vous pourrez peut etre sentir la dynamique du jeu, l’importance des formes, de l’intiative, les styles de jeu, etc…
ou une autre video, pour voir la complexite que cela peut entrainer
GoTV 000envoyé par bbv95. –
h.
« La vie est une partie de Go dont les règles ont été inutilement compliquées ». Proverbe chinois
@ Moi,
désolé de vous contredire mais tous les stratèges militaires sont finalement tombés d’accord pour dire que les bombardement massifs du Reich n’ont pas vraiment servi. Sans parler du crime que fut Dresde, l’industrie allemande s’est enterrée (« merci » Speer) et les Allemands ne se sont pas soulevés… comment l’auraient ils pu d’ailleurs. Autre exemple Royan ou le Havre rasés par les bombes mais les garnisons allemandes ne se sont rendues que le 8 mai. Quand les Nazis ont bombardé Londres idem : pas de résultats – militaires… ni sur le moral.
La prise de Berlin, c’est l’armée russe et pas les bombes. Idem pour le débarquement en Normandie . Tout montre que l’asymétrie ne s’applique pas de cette façon ; oui il peut y avoir asymétrie souvent mais pas ainsi.
Pour finir Hiroshima et Nagasaki sont bien sûr des contre-exemples mais là il y a une escalade terrifante.
Donc selon moi, seule une armée conventionnelle peut gagner contre une autre – sauf usage de la bombe atomique.
PS -sur le Go : c’est le seul jeu qui résiste aux ordinateurs…
Les jeux, ce sont des réductions symboliques. Le go n’est pas un mauvais modèle, mais imaginez-le avec de l’espace pour 6.000.000.000 pièces, et en plus le fait que ces pièces puissent changer de couleur à tout instant à leur propre initiative, ou ne pas le faire par manque d’initiative. Comble de bonheur… les stratèges qui essaient d’organiser des territoires sont beaucoup plus que deux, même si les américains ont réussi pendant un temps à organiser une bipolarité « Nous et nos ‘amis » vs tous les autres, et qu’ils veulent encore y arriver.
Le but du livre cité, extrêmement intéressant en effet (ce que ne laisse pas supposer son titre en français), était d’étudier la guerre de libération sino-japonaise et de démontrer qu’elle avait été menée comme une partie de wei-ch’i.
Boorman, c’est là où son ouvrage est fin et subtil, savait bien que personne, surtout pas le commandement communiste chinois de l’époque, est assez sot pour croire qu’une guerre n’est qu’un jeu. Mais dans la mesure où ce commandement était composé de lettrés adeptes du jeu, qu’il leur arrivait d’employer dans leurs écrits (notamment Mao) des métaphores tirées du jeu, que le jeu finalement révèle une culture: c’est-à-dire une façon d’envisager le monde; il a démontré qu’en étudiant ce jeu on empruntait une passerelle pour comprendre une stratégie globale, qui cette fois avait été gagnante.
Il ne s’agissait donc pas d’utiliser le jeu comme « une allégorie pour décrire une situation », pour contredire là Pierre-Yves avec qui je suis si souvent d’accord, mais d’un moyen heuristique de comprendre et un moyen pratique d’anticiper et d’agir. Sinon on rentrerait dans les limitations qu’il a raison de souligner. Comme à la guerre dont parlait Clausewitz, pour réfuter définitivement les élucubrations pseudo-systématisantes et à prétentions mathématiques de certains de ses prédécesseurs: la matière dont il s’agit est humaine, elle agit et réagit.
Les Chinois jouent donc depuis plus de deux mille ans. On peut considérer qu’ils sont maîtres.
Les Américains ont peut-être commencé à comprendre à quel jeu on joue mais, aussi intelligent que soit Mr. Obama, il ne peut être encore que novice (aura-t-il assez d’un, de deux mandats, de toute une vie pour progresser ?)
Les Européens ne jouent pas, c’est évident.
Mais on ne parle encore là que de gouvernants, tant que les peuples se laissent traiter comme des pions.
Tout le monde joue, Nikademus. En tirant des ficelles, ou en se trouvant au bout d’une ficelle. La nature des ficelles peut être très différente, matérielle voire même psychologique, et les voir peut être difficulté par les écrans de fumée produits par plusieurs de ceux qui tirent des ficelles en quantité, mais elles son bien la du moment que pour agir (et donc au moins vivre) on ait besoin de plus d’information que celle qu’on produit soi-même.
Vous n’êtes pas capable ou ne voulez pas discerner la nature des ficelles utilisés par les européens… faut croire que tout ce qui c’est passé ces dernières années autour de l’adoption de la « Constitution Européenne », en dernier lieu le « Traître de Lisbonne » qui entre précisément en vigueur aujourd’hui… n’a été rien du tout. Sacrés écrans de fumées.
Je ne peux qu’être d’accord avec votre approche du go comme « moyen heuristique de comprendre et un moyen pratique d’anticiper et d’agir. » Egalement pour dire que ce jeu révèle une culture et une façon d’envisager le monde. »
A vrai dire si me suis focalisé sur ses limitations c’est dans la perspective plus large de l’avenir de l’humanité, car au jeu de go comme au jeu d’échec il s’agit toujours de remporter une victoire sur un adversaire, or avec cette crise que traverse l’humanité le principal adversaire ce n’est pas l’autre mais d’abord nous-mêmes, l’ensemble de l’humanité qui se trouve confrontée à des défis qui concernent tous les humains.
L’approche chinoise de l’efficacité procède d’une vision régulatrice du monde, d’où il découle un rapport à l’espace et au temps particuliers. Mais cela comporte une limite qui est que la symbolisation se rapporte à un monde unique :
la seule réalité possible est toujours celle de l’ordre existant, immanent, auquel il s’agit toujours de s’adapter au mieux, ce qui fait sa force en cas situation conflictuelle ou d’évolution rapide, mais à plus long terme aussi sa faiblesse dans le sens où elle n’ouvre pas au nouvel épistémé nécessaire pour sortir du cadre. D’où l’indispensable nécessité du retour à Aristote pour penser les mondes possibles, seule façon de nous extraire du cadre trop étroit du jeu du monde. Et Dieu sait si les chinois aiment le jeu.
Ceci dit, il se peut fort bien que chemin faisant, les manoeuvres chinoises d’abord vouées à maintenir et renforcer une puissance proprement chinoise rejoignent quelque part l’intérêt commun de l’humanité, comme lorsque la Chine interdit la spéculation sur les marchés dérivés.
Pour prendre l’ascendant dans la configuration actuelle du monde les chinois sont effectivement de bons joueurs.
La grande différence entre les chinois et nous c’est que là où nos dirigeants et hommes d’affaires continuaient sur leur lancée de l’économie expansive et prédatrice, y compris par la voie virtuelle de l’industrie financière, les décideurs chinois s’emparaient de nos méthodes et outils de développement pour faire la même chose, mais eux sans se faire d’illusion sur la possibilité de continuer indéfiniment puisqu’il ne s’agit pour eux que d’un processus, celui de l’économie, pareil à tout autre processus, avec ses phases de début, de développement, de transition, puis de mutation.
D’emblée les chinois ont interprété la mondialisation comme une tendance porteuse de leurs objectifs propres. Il n’y ont pas vu une marche vers un progrès infini avec une foi aveugle dévolu au marché et ses modèles artéfactuels.
Plus particulièrement en temps de crise, ce qui fait tout l’intérêt de l’approche chinoise de la stratégie, c’est qu’elle permet d’avoir une vision indissolublement globale et locale des choses. De cette approche le go est particulièrement révélateur en tant qu’il symbolise visuellement — que ce soit sur un « terrain » de jeu bien réel ou en pensée, des configurations diverses des forces en présence, et les moyens de les aborder avec souplesse, mais n’oublions pas les autres pensées-pratiques comme L’art de la guerre de Sun T’seu, le Yi King, les traités de médecine chinoise, les arts martiaux, lesquels ont tout autant contribué à la formation de cette approche chinoise de la stratégie.
Nous n’ignorons certes pas l’approche systémique mais c’est une approche scientifique récente qui trop souvent n’intègre pas le facteur humain en tant que facteur décisionnel actif.