Ce texte est un « article presslib’ » (*)
J’ai expliqué dans La banque, le consultant naïf et le régulateur que je rédige en ce moment un article à paraître dans la revue anthropologique Terrain où je relate mon expérience de dix-huit ans dans le monde de la finance. Voici, en avant-première, un autre extrait de ce texte.
Je posais donc ma candidature à des postes dans des domaines financiers jouant un rôle-clé dans la concentration des richesses mais sur lesquels il n’existe que très peu de documentation écrite en raison du flou que leurs participants préfèrent maintenir sur la nature exacte de leurs activités. J’ai ainsi travaillé en 2004 dans le secteur « subprime » du prêt automobile où le prêteur tire parti du fait que l’emprunteur a un besoin impératif d’un véhicule mais a un lourd passif quant à sa capacité à rembourser les crédits qu’il réclame. Les sommes exigées n’ont alors qu’un rapport lointain avec la valeur objective du véhicule et résultent plutôt d’une optimisation : étant donnée la situation financière de l’emprunteur, quelle est la somme maximale que l’on peut exiger de lui au fil des mois sans l’acculer à faire défaut ? Lorsque la manœuvre échoue, le véhicule est saisi et vendu par l’intermédiaire d’une salle des ventes dont la firme est également le propriétaire. Un collègue – extrêmement sympathique au demeurant – m’avait pris en amitié et nous déjeunions tous les jours ensemble. Il m’informait du progrès d’un de ses projets chouchou : compléter nos activités par un réseau de boutiques « Payday », en français : « jour de paie ». S’adressant principalement aux immigrés, mais aussi à la portion la plus démunie de la population blanche américaine – les assistés et les militaires en particulier – les boutiques « Payday » vous prêtent des petites sommes en échange d’un débit automatique sur votre compte qui aura lieu le jour où votre paie vous sera versée. La commission perçue est faible en termes absolus, étant à la même échelle que le prêt consenti, mais elle est gigantesque en termes relatifs, représentant un taux annualisé allant de 400 % à 2.000 % dans certains cas. On comptait en 2007 que dans 75 % des cas l’emprunteur était obligé de renouveler son emprunt.
Après que j’ai quitté la firme, j’ouvris un fichier que mon compagnon de déjeuner m’avait transmis dans les toutes premières semaines de mon emploi et que, faute de temps, je n’avais eu l’occasion de consulter précédemment. Ma première surprise fut de constater qu’il s’agissait d’une décision de justice. Ma seconde surprise fut de découvrir dans les attendus, les noms familiers d’employés de la firme. Le jugement portait sur un trafic d’armes et faisait état de menaces dont diverses personnes avaient fait l’objet. Je découvrais ainsi que celui qui m’avait traité en ami en avait été véritablement un, ayant immédiatement cherché à m’avertir d’un risque que je courais et dont je n’avais pas soupçonné l’existence.
À l’autre pôle du mécanisme de concentration des richesses : du côté cette fois des exploiteurs et non des exploités, j’ai travaillé de 1998 à 1999 dans une firme spécialisée dans les pensions « non-conventionnelles » pour dirigeants d’entreprise. Les plans qui sont appliqués tirent parti de différentes failles dans le système fiscal américain, par exemple la non-taxation du capital des polices d’assurance. Dans une formule très populaire aux États-Unis, la COLI, pour Corporate-Owned Life Insurance, assurance-vie dont la compagnie est propriétaire, une firme assure sur la vie ses employés à leur insu et sans que leur famille n’en soit informée ; quand les bénéfices tombent à l’occasion du décès, ils sont utilisés comme compléments dans les pensions des dirigeants de l’entreprise. La COLI est plus connue sous son sobriquet de « janitor insurance » : l’assurance-vie du concierge. En réponse à l’indignation du public devant de telles pratiques, une loi fut votée aux États-Unis en 2006 qui oblige désormais les compagnies à informer et à obtenir le consentement des employés pour lesquels elles contractent une assurance-vie dont leurs proches ne bénéficieront pas.
Bien sûr, dans des cas comme ces deux derniers, et malgré ma neutralité affichée, ma formation d’anthropologue et mon zèle peut-être un peu trop voyant à tenter de comprendre le fonctionnement précis de la firme générèrent la suspicion et mon emploi fut de courte durée.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
67 réponses à “« Amoralité » ou immoralité ?”
Paul, Grignon ou pas Grignon, si Socrate « coince » un banquier (et Socrate n`est pas le seul a le faire, et de loin) je
n`y suis pour rien.
@ Alfeel
Concernant le procès Well Fargo VS Well Fargo
Voici les liens:
Article de fox news du 10.07.2009
http://www.foxbusiness.com/story/markets/al-lewis-wells-fargo-bank-sues/
Article repris dans le blog de Pierre Jovanovic en date du 14-16 juillet 2009
http://www.jovanovic.com
Je crois que dans le cas présent il n’est pas question de gagner du temps, mais plutôt de s’y retrouver dans cet immense merdier de prêts titrisés !
Paul vous dites : « …..la méthode démocratique que j’ai choisie pour signaler mon désaccord total »………….
depuis quand choisi-t-on individuellement un « méthode démocratique »?
recette pour une imposture réussie :
prétendre qu’on a Socrate pour maître, alors qu’on a servi les banquiers pendant vingt ans
Diogène Laërce dit de Socrate :
Quelquefois il jetait les yeux sur la multitude des choses qui se vendaient à l’enchère,
en pensant en lui-même : Que de choses dont je n’ai pas besoin !
Il récitait souvent ces vers :
« L’argent et la pourpre sont plutôt des ornements pour le théâtre que des choses nécessaires
à la vie. »
Il méprisa généreusement Archélaüs de Macédoine, Scopas de Cranon, et Euryloque de Larisse, refusa leur argent, et ne daigna pas même profiter des invitations qu’ils lui firent de les aller voir.
Lors même que Socrate souffrait la faim, il ne put se résoudre à devenir flatteur.
Pas de chance que Natixis http://monnaie.wikispaces.com/file/view/Natixis022009.pdf dise la même chose que Socrate 🙂
Je cite
» Une autre façon de se persuader de cette discontinuité est de regarder le
multiplicateur monétaire. Il mesure la quantité de monnaie (M1) dans l’économie en
rapport à la monnaie banque centrale (la base monétaire).
Alors que les banques européennes génèrent habituellement 4800 euros à partir
de 1000 euros de monnaie banque centrale (multiplicateur moyen de 4,8), la
capacité de création monétaire des banques est tombée à 3500 euros depuis
Lehman (graphique 10), ce qui traduit non seulement la hausse des réserves
volontaires auprès de la banque centrale, mais aussi une plus forte propension des
agents privés à détenir de la monnaie fiduciaire (graphique 11), signe de défiance.
Pour que la masse monétaire augmente avec l’assouplissement quantitatif, le
multiplicateur doit retrouver une valeur normale. «
@ ar.blanc
Croyez-vous vraiment que Socrate dirait la même chose que Natixis ?
@ candide
Vous avez raison, j’aurais dû écrire : « la méthode démocratique que j’ai choisie unanimement pour signaler mon désaccord total ».
Comment réellement moraliser ce qu’il y a de plus bas ou pulsionnel en l’homme ? En voulant continuellement rejeter en l’autre ou en nous tout ce qui pourrait mieux réfréner cela ? Et à chaque fois on ne comprend toujours rien à rien et on recommence à fonctionner très machinalement comme auparavant d’où ce léger petit rebond passager en bourse.
Le meilleur exemple de leur comportement est celui d’un organisme mort, sans âme, sans vie, dont les grosses cellules cancéreuses contaminent de plus en plus le monde pour le seul bénéfice supplémentaire de quelqu’uns.
Comment décrire et dessiner à l’avance un tel monde, un tel état intérieur ou extérieur plus ou moins faussement rassurant à voir pour tous, plus moral, plus responsable, l’histoire celle que nous préférons d’abord faire voir et entendre à une société.
@Bob
on ne parle pas à proprement parlé d’escroquerie quand les personnes dupées le sont volontairement et en toute connaissance de cause ou en ayant au moins tous les moyens pour savoir « à quel sauce ils sont mangés ». Il n’y a là que bêtise.
@ Paul , difficile de faire coïncider l’adverbe « unanimement » avec un singulier…..du moins à ma connaissance….
pour revenir au débat sur la morale,l’a-moralité,l’immoralité ……il s’agit de nous faire accoucher de quoi (maieus)?
Pour ce qui est du crédit je pense que personne n’a vraiment compris ! Tant que l’on considère et que l’on fait en sorte que ce soit le seul moyen pour pouvoir travailler on maintiendra la rente pour les plus riches et on leur fera des courbettes. On continue et on oblige même les banques à prêter aux plus pauvres mais cela finit par les asservir à vie. Le bénéfice de leur travail ne leur reviendra jamais et ira au « remboursement » de l’investissement qui n’est en fait qu’une image puisque l’investissement réel est par exemple les outils de travail et non l’argent.
@Bob: « Il y a tout de même quelque chose de totalement incompréhensible dans la situation actuelle, à moins que tous ces types soient adeptes de thèses millénaristes et que pensant la fin du monde proche ils aient décidé de s’envoyer en l’air une dernière fois avant le Big Bang leurs conduite est totalement suicidaire. »
La fin du système (de n’importe quel système) ne provient pas de ces comportements. Ces derniers n’apparaissent d’ailleurs comme idiots que parce que le système s’écroule (ces comportements existent depuis toujours, souvent au grand bénéfice de ceux qui les appliquent). C’est comme dire que la chute de l’Empire romain est dûe à la corruption des moeurs (moeurs qui auraient été purs dans un passé mythique, à l’époque de la république romaine par exemple) ou que l’Empire aztèque s’est effondré à cause de l’ineptie religieuse de ses dirigeants. Les causes de la mort des systèmes est beaucoup plus pragmatique, ils atteignent des obstacles tangibles insurmontables. Aujourd’hui, c’est peut-être l’informatique qui a causé la perte du capitalisme en rendant possible une bulle financière indigérable par les Etats (contrairement aux précédentes).
PS: sur les supposés moeurs purs de la République : http://www.empereurs-romains.net/empret21a.htm#9
sur le causes de la chute de Rome, une hypothèse que j’aime bien, l’usage intensif du plomb : http://www.empereurs-romains.net/empret27b.htm#15 (d’autres hypothèses: la sécheresse et aussi déjà un effondrement de l’économie et de la finance)
@ Jean-Baptiste
On peut voir les choses ainsi en effet;
En fait les vrais responsables de la crise ce sont les pauvres!!
S’ils avaient été moins bêtes tout marcherai encore comme sur des roulettes, c’est vrai il n’avaient qu’a pas prendre de crédits vu qu’ils y comprennent rien.
Admettons, mais dans ce cas la consommation se serait écroulée depuis longtemps et le résultat serait à peu près identique. Sans consommation pas de capitalisme.
Je crois également qu’on oblige pas les banques à prêter aux pauvres, elles recherchent cette clientèle très lucrative, elles ont mêmes des organismes ad hoc pour eux : Cete…. Fina… et compagnie avec de jolis crédits spécialement étudiés pour eux et des taux défiant toute concurrence à 20% et plus.
En complement de mes questions sur la fatalite des « loopholes »:
http://baselinescenario.com/2009/08/08/filling-the-financial-regulatory-void/
et en particulier, en echo a « apparaîtra comme […] le triomphe de la Raison » : The administration’s proposal appears to portray the financial crisis as nothing more than an accident of reasoning. »
Bonsoir à Tous,
Puisque l’on mentionne de Paul Grignon… : La vidéo Money as Debt existe maintenant dans une nouvelle version complètement nouvelle intitulée : Money as Debt II Promises Unleashed. Apriori, cette version corrige l’erreur des travaux précédents sur la création monétaire, (avec la fameuse polémique!) et élargie l’analyse du problème intrinsèque de notre système monétaire.
Le document est sur Youtube:
(http://www.youtube.com/watch?v=_doYllBk5No&feature=PlayList&p=879A14495D29C64F&index=0&playnext=1)
à Betov.
Votre angle de vue éthologiste me paraît très éclairant. Faut prendre du recul, ce que vous faites. A quand un éthologe dans ce blog ?
(dans quel billet « Rage » que vous citez a-t-il parlé du sport de haut niveau ? Ca m’intéresse. Merci.)
à Serge [23:55]
Aurait-il l’idée de séduire une héritière ? … Tant d’idées étranges !
Qu’en pense le fan d’éthologie [23:09] ?
« Ce qu’il y a d’emmerdant dans la morale, c’est que c’est toujours celle des autres » disait mon pote Léo en 68.
Son « ni dieu, ni maitre » libertaire ne pouvait créer que ce vertige entre le singulier fondateur de LA morale et le pluriel despotique de la complexification, l’anti-chambre anthropique de l’ultime Kao.
« Anarchie in UK » »No future » qu’ils disaient en 77 mes actuels banquiers quinquas de la City… De bons prévisionnistes! Non?
De la moralité et de son corollaire, l’immoralité, toutes deux du domaine de « Dieu »et du « jugement », dernier ou non, nous sommes passé à l’ammoralité « luciférienne » et « mathématique » du dieu Fric celui qui absout sans « confessions » et « sans jugement » toutes les fautes terrestres.
Merci pour votre confession unanime monsieur Jorion.
Dieu vous le pardonne!!!???…..
Geithner Asks Congress to Increase Federal Debt Limit
By COREY BOLES and MICHAEL R. CRITTENDEN
Washington — U.S. Treasury Secretary Timothy Geithner asked Congress to increase the $12.1 trillion debt limit on Friday, saying it is « critically important » that they act in the next two months.
Mr. Geithner, in a letter to U.S. lawmakers, said that the Treasury projects that the current debt limit could be reached as early mid-October. Increasing the limit is important to instilling confidence in global investors, Mr. Geithner said.
The Treasury didn’t request a specific increase in the letter.
« It is critically important that Congress act before the limit is reached so that citizens and investors here and around the world can remain confident that the United States will always meet its obligations, » Mr. Geithner said in a letter to lawmakers.
Mr. Geithner said the that it is « clearly a moment in our history » that requires support from both Democrats and Republicans for the increase.
« Congress has never failed to raise the debt limit when necessary, » Mr. Geithner said.
The non-partisan Congressional Budget Office said Thursday the federal government’s budget deficit reached $1.3 trillion through the first ten months of fiscal 2009, on track to reach a record high of $1.8 trillion for the 12-month period.
Le FMI va-t-il faire un commentaire sur ce sujet ?
@Belgo-belge:
« Rage » parle de sport de haut niveau dans son avant-dernier billet sur AgoraVox:
« Il peut aussi passer par la force de la productivité (temps de travail ou organisation), la solidité des règles équilibrées encadrant le travail, la qualité de vie dans les entreprises, la qualité de l’encadrement et de la préparation des sportifs de haut niveau, et même encore par bon nombres d’autres voies donnant à la France un « attrait » par sa qualité globale de vie. »
J’aime beaucoup les interventions de Rage, mais je dois avouer que mon estomac a fait un tour, lorsque j’ai lu cela, puisque, justement, il n’y aura aucun espoir pour une « humanité raisonnable », tant que la compétition sportive sera mise en avant (comme une caricature gratuite de la dominance sociale, le salaire du footballeur impliquant celui du directeur de banque, par l’absurde justification du « tout le monde ne peut pas le faire »).
Ce que Rage dit réellement dans cette phrase, c’est que, sans les absurdité criminelles de la dominance sociale, le monde serait bien triste. Un peu comme un flic qui dirait « sans la grande délinquance, on s’ennuierait ferme »… Lamentable.
@ Pierre : Anarchiste par l’inné et l’acquis , je récuse Léo Ferré , ce merveilleux poète et fabuleux salaud amoral et immoral , qui a planqué ses revenus à Monaco !
Il était monégasque !!
@ Paul Jorion,
donc,…
suite à la modération de ma précédente « réponse » à cet article, je reviens sur mes propos :
Les exemples que vous donnez dans cet article font état du cynisme amoral ou immoral entretenu par les acteurs financiers et économiques aux Etats-Unis. Ils témoignent de la très mauvaise qualité du dialogue « moral » qui existe entre les habitants de cette même nation.
Je disais, dans le commentaire que vous avez modéré, que je comprends les actes désespérés des mêmes « pauvres » qui en France sont représentés par la classe ouvrière de plus en plus déclassée et qui sont victimes de la même absence de valeurs morales communes.
J’ai peut-être dit que je cautionnais ou soutenais ces actions qui consistent à mettre le feu à des entreprises, ou bien « kidnapper » des cadres.
Bon, si c’est le cas, je veux bien m’excuser d’avoir tenu ces propos sous couvert d’anonymat facile, mais je m’excuse du bout des lèvres seulement parce que ça coince quelque part, proximité de MOLEX oblige.
Je ne veux pas justifier l’injustifiable, et d’ailleurs, en tant qu’enseignant en lutte contre les « réformes » de notre ministre précédent, je n’ai jamais défendu les désobéisseurs, car la démocratie représentative s’était prononcée.
Je ne veux pas justifier l’injustifiable mais je note, en vous lisant, que certains acteurs économiques et financiers n’ont pas les mêmes égards que moi, je n’apprends rien à personne, et que les abus amoraux ou immoraux dont ils font preuve sont de nature à créer des situations explosives dont nous avons quelques avant-goûts.
Rendez-vous à la rentrée sociale.
Je n’aime pas faire des commentaires longs car ils alourdissent les blogs, mais ici c’est exceptionnel.
Etrange comme ce concept de moralité revient dans les périodes de crise comme la nôtre. Un peu comme si on se demandait si il était moral qu’un Staline trucide des millions d’innocents. La réponse est évidente et ne mérite pas plus de 2 secondes de réflexion: non, point barre!
Ce qui est intéressant, c’est le pourquoi de cette question: pourquoi diable continuons nous à nous insurger, à pousser des cris d’orfraie en observant les agissement des grands argentiers, petits financiers magouilleurs ou vulgaires filous en col blanc qui semblent avoir perfectionné leur art à des sommets inégalés ? Nous savons que ces agissements ne sont pas guidés par la morale, or nous sommes choqués dès qu’une différence trop grande intervient entre ce que la morale voudrait et les faits.
Je me demande s’il ne faut pas aller chercher la réponse dans Montesquieu. Il nous explique très clairement que dans nos régimes démocratiques, c’est la vertu qui est le principe cardinal nécessaire à son maintien et à l’exercice correct du pouvoir. L’absence de cette vertu est (devrait être?) donc le principal objet de la surveillance populaire, garant en dernier ressort du système.
Mais naturellement, le monde de la finance est tout sauf démocratique. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un système politique, mais s’il fallait l’y comparer je serai assez enclin à le comparer à un despotisme SDF (sans despote fixe 🙂 ) , les grands seigneurs se battant encore pour s’asseoir sur le trône. Or Montesquieu, encore lui, nous explique que c’est la crainte qui est le principe fondamental de ce système. Pourquoi, dès lors, demander à ce despote d’être moral? C’est la meilleure façon de se retrouver dos au mur avec un bandeau sur les yeux, ou sa version moderne: au chômage sans indemnités!
Je ne crois pas à l’a-moralité, car la morale est universelle et peut s’appliquer à tout. En revanche, elle ne prime pas partout et peut être quantité négligeable dans bien des domaines. Si vous voulez changer cela dans tel ou tel domaine, il faut avant tout mettre en place un système où l’intérêt du système même serait d’être moral, car sinon aucune loi, aucune bonne résolution ne saurait brider l’énergie débordante de nos facétieux argentiers… Où l’on redécouvre l’intérêt de la séparation des pouvoirs et de leur contrôle réciproque….
Sacré Montesquieu, il avait tout compris celui là…
@Tchita:
Ce que tu dis est parfaitement illustré par la célèbre expérience éthologique sur les rats, à l’univ. de Nancy. (je ne sais pas comment définir un lien. Google: « Nancy éthologie rats »…).
Les rats aussi, avaient tout compris depuis la nuit des temps.
@Betov:
Rigolote, cette histoire de rats…
Par contre je ne suis pas certain qu’on puisse faire un parallèle très pertinent avec la société humaine dès lors que nous nous plaçons dans un cadre où nous tentons – même imparfaitement – d’établir des règles de fonctionnement qui s’éloignent de ce qu’on pourrait résumer par la loi du plus fort, ou la loi du « par ici les bonnes croquettes maintenant que t’es bien crevé par tes 2 fois 1.5m en apnée et pas moi… ».
Si les rats qui plongent s’étaient mis d’accord pour flanquer une pâtée à plusieurs aux non transporteurs avant de plonger, ça changerait sans doute la donne…
@ Tchita : Pour avoir souvent cité Montesquieu pratiquement dans les mêmes termes et la même finalité que vous , sur tous ( 3 , n’exagérons rien ) les blogs que je fréquente depuis deux ans , je signe avec vous .
Tarzan ajouterait que Montesquieu citait aussi comme mode d’exercice du pouvoir l’aristocratie dont la condition première serait l’honneur . Je redoute que tous les « experts » de ce siècle ne se comportent en fait comme des aristocrates sans honneur . Je n’ai jamais apprécié que deux aristocrates : De Gaulle , qui s’en est allé dans l’honneur et sans decorum quand il s’est senti désavoué; et Oscar Wilde qui écrivait que » dans une démocratie réussie , tous les citoyens étaient des aristocrates « .
Quoi qu’il en soit , Montesquieu et quelques anglais de l’époque avaient donné les clés : démocratie ,constitution , un homme -une voix , séparation DES pouvoirs ,force soumise au droit ( arma cedant togae) mandats limités dans le temps … Je suis sur qu’aujourd’hui ils ajouteraient RIC ( Referendum d’Initiative Citoyenne) pour rendre les clés de la cité aux citoyens trahis par la majorité des pouvoirs en place , et qu’ils s’offusqueraient des armées de métier .
La moralité , ça s’inculque , ça se construit , ça se protège . Au niveau individuel ça se cultive comme une plante quand on a la chance d’en avoir été dépositaire ou héritier . Au niveau collectif c’est la même chose et je ne connais pas encore de meilleur outil que la démocratie et la garantie de l’expression des libertés telles qu’évoquées par les lumières du XVIII ème siècle …et celles d’avant j’en suis bien d’accord !
Mais pour qu’elle vive ou survive , il faut se réapproprier les trois pouvoirs fondamentaux que le pouvoir financier et économique ont phagocités . Par les actions locales , les liens internationaux , le vote …ou par la violence si l’abjection continue . Dans ce mouvement je verrais bien avec Michel SERRES que la nature et le vivant deviennent un sujet de DROIT .
L’amoralité , comme l’immoralité , c’est la mort de l’autre mais c’est aussi la mort de tous sur un navire sans canots de sauvetage .
@ Juan Nessy
Mon premier mouvement en parlant du mode de fonctionnement du monde financier a été de parler de l’aristocratie au sens de Montesquieu mais je me suis ravisé car l’honneur n’y est certainement pas la valeur fondamentale! D’où ce « despotisme sans despote » qui me convient à peine mieux.
A dire vrai je me demande si ce que nous vivons ne sort pas quelque peu du modèle classique établi à cette époque. Si on identifie un système politique aux valeurs qui en font le socle, c’est sans doute la crainte et l’avarice qui forment la base du nôtre, d’où le despotisme que j’invoque. Toutefois, le pouvoir n’est pas détenu par un individu particulier mais par une classe supérieure dont certains intérêts (le maintien du système) convergent et sur d’autres points s’affrontent (qui aura la plus grosse part?).
Ce qui est fascinant c’est la cohérence avec laquelle cette classe agit. Je ne crois nullement à une fumeuse théorie du complot qui voudrait qu’une société secrète tire les rênes en coulisse. Toutefois, je crois qu’un des axiomes de base de la théorie humaniste n’est que partiellement vrai et que c’est de là que proviennent beaucoup de nos actuels déboires. Il est sous-entendu que tous les hommes naissent égaux et avec des modes de pensée équivalent, au moins au départ. De ce fait, chaque homme possède une étincelle de raison qui le fait rentrer dans un cadre que l’on peut définir et structurer en système politique. Ne vous êtes vous jamais demandé comment diable tel ou tel dictateur/PDG/chef religieux pouvait conduire son peuple/entreprise/congrégation dans l’abîme sans remord ni hésitation? Ne vous êtes vous jamais projeté à sa place en en arrivant à cette ahurissante constatation que jamais vous n’auriez pu prendre ces décisions?
Et si cet axiome de la raison universelle admettait des exceptions? Si parmi nous vivaient des humains dont la perception de l’autre était à ce point atrophiée que la raison qui se fonde sur la reconnaissance des intérêts des uns et des autres en serait absente? Ces êtres seraient supérieurement adaptés à un environnement concurrentiel comme le nôtre, car ils n’hésiteraient pas à mentir, tricher, voire plus (meurtre, guerre…). Ils en prendraient petit à petit les postes clés, par un processus que Darwin ne renierait sans doute pas (nul besoin de concertation ou de complot, je le répète). A ce stade, ils seraient les idoles qu’on présenterait à la masse populaire, l’influençant selon un modèle qui conduirait à toujours plus d’individualisme (car c’est la seule philosophie à leur portée, les autres n’existant que vaguement dans leur système de pensée).
Ne serait-ce pas là le grain de sable qui grippe la machine humaniste et que nous devrions d’abord corriger? Car comment établir un système stable dans lequel certains individus s’affranchiraient des règles communément admises? Comment y parvenir quand le gendarme qui devrait veiller au grain est lui même une des premières cibles, un peu comme le sida infectant le système immunitaire?
La folie et le mal s’adaptent eux aussi…
Note: entre 1 et 3% de la population (le chiffre est faux dans l’absolu(0.5%? 5%?), l’ordre de grandeur lui est correct) répond aux critères médicaux qui définissent la psychopathie. La frange de cette population qui devient tueur en série (et donc se fait attraper) est tout à fait marginale. Que deviennent les autres?
@ Tchita:
Je n’ai pas trouvé de grande différence(s) entre la dominance naturelle animale et la dominance sociale. La seule que j’ai pu observer est le fait que les dominants humains ont inventé un système de caste (habillement, langage, origine sociale – qui, elle, existe aussi embrionnairement chez les primates… -), qui forme, en quelque sorte, un moyen assez habile qu’ont trouvé ces dominants pour ne pas s’entretuer.
Une autre différence vient de l’aspect quantitatif du groupe soumis à la dominance. La dominance naturelle tend vers la scission au delà de 20 individus (pour la simple raison que, par exemple, deux reproducteurs ne peuvent pas passer leur vies à combattre pour une suprématie inutile), alors que la dominance sociale n’a pour limite quantitative que le monde globalisé.
J’ai beaucoup ris, récemment, en entendant un directeur de SCOP dire qu’au delà de 20 salariés, il faudrait mettre au point un autre type de structure d’entreprise, parce que, au delà de 20, se forment des « sous-groupes ». Comme quoi, on peut très bien être un dominant naturel n’importe où…
PS. Tu as peut-être lu rapidement cette histoire « des trois groupes » (dominants / dominés / indifférents). C’est ce troisième groupe qui montre la porte de sortie à l’humanité, en ne travaillant pas pour les dominants… des anarchistes, quoi. 🙂
@Betov : L’anarchisme n’est certainement pas indifférent ! Il dit simplement » fais toi toi même » . Quand il s’allie au » connais toi toi même » de la pensée socratique , il donne alors ( avec Montesquieu mais ne personnalisons pas trop ) la voie pour un homme plus libre dans une société plus juste .
Sur la relation dominants /dominés , je préfère la vision « receveur / donneur » exprimée dans les concepts P2L ( Lien et Loi ) de Meyer YFRAH , car elle exprime mieux les qualités intrinsèques de chacun et leurs risques de dérives potentiels respectifs ( sur-protecteur ,pousseur ,gourou , dictateur pour le donneur // petit protégé ,traîneur,disciple asservi,hors la loi pour le receveur ).
Si j’en crois d’ailleurs ce type d’approche, la meilleure façon de ramener à la raison des » dictateurs » serait ( pour autant qu’ils aient les qualité pour être des « puissants ») de leur refaire appréhender correctement le futur qui est leur relation au temps préférentielle . Reste à savoir qui sont et où se nichent vraiment les » dictateurs » .
A faire des rapprochements entre économie et relations humaines , on pourrait aussi rappeler ( pour tenter de l’enterrer j’espère ) Eric BERNE et son analyse transactionnelle ( » je me suis enrichi à son contact » « j’ai passé un marché avec elle « » j’accorde du prix à votre avis « ….).
Pour revenir à la morale , je reste fidèle à la définition de Kant : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité ,aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une FIN ,et jamais simplement comme un MOYEN » .
C’est aussi ce qui fait la différence entre Démocratie et Tyrannie ou Aristocratie .
Bonjour!
Pouvez-vous illustrer d’exemples l’ »ab-usure » -400 à 2000% dites-vous- du système Payday
que vous évoquez? J’ai du mal à comprendre!