L’instabilité des marchés est-elle une fatalité ? par Jean-Paul Vignal

Billet invité.

L’INSTABILITE DES MARCHES EST-ELLE UNE FATALITE ?

J’ai lu avec intérêt le commentaire de Marianne à propos du passage de Paul Jorion sur France Inter aux côtés de Jacques Attali. Je trouve formidable que deux personnes qui ont leur crédibilité disent clairement que la crise actuelle n’est pas vraiment une crise du libéralisme et de l’économie de marché qui, quand elle est « fluide », reste suivant la formule célèbre, le moins mauvais des systèmes économiques, mais résulte essentiellement d’une dérive sans précédent du système financier qui, au lieu de servir l’économie réelle, la pille et la rançonne sans vergogne, poussant même l’indécence jusqu’à se verser des bonus sur les sommes mendiées auprès des contribuables pour compenser ses folies.

Elle est aussi la conséquence presque mécanique, d’une part d’une confiance naïve et perverse dans l’efficacité de la soi-disant main magique du marché, qui conduit forcement au monopole ou, au mieux, aux oligopoles visqueux de nos cours d’économie. La croyance « corolaire » des politiques dans le fait que la maximisation du profit de chaque entreprise peut servir l’intérêt collectif, et les privatisations/confiscations de services jadis publics qu’elle a entrainées, n’ont bien sûr rien arrangé. L’optimisation des gains individuels n’est pas incompatible avec l’intérêt général, mais ce dernier ne peut être servi que lorsqu’il existe des règles qui limitent la liberté d’action des acteurs de base lorsque la poursuite de leur intérêt personnel dessert l’intérêt général. Les organismes biologiques fonctionnent de cette façon et peuvent gérer l’incroyable complexité qu’est un être vivant sans y consacrer trop de leurs précieuses ressources. Il devrait être évident pour des gens de bon sens et de bonne volonté que quand on décide que la règle d’or globale du système devient de fait la maximisation du profit financier « local », le système ne peut que finir par imploser dans une terrible foire d’empoigne.

Concernant la spéculation, il serait sans doute opportun d’essayer de mieux comprendre le lien entre « l’instantanéité » croissante des marchés que permettent les NTIC, et l’instabilité structurelle des cours. Il est en effet fort probable que la création du village financier mondial, qui travaille de plus en plus en instantané 24/24 et 7/7, constitue la source principale de l’hyperinstabilité des marchés. Les opérateurs dominants, les financiers contrepartistes, – tout comme la masse des petits joueurs/investisseurs qui spéculent sur Internet –, étant rémunérés sur les écarts de cours et/ou le nombre de transactions, ont une tendance naturelle à multiplier les transactions dès que les cours bougent. Les réactions étant instantanées, les dérives sont très rapides, et ne peuvent que s’amplifier, chacun espérant gagner toujours plus, – ou compenser ses pertes –, quand les écarts s’amplifient. Si les contrepartistes étaient des « assureurs », – si possibles paritaires, comme l’étaient jadis les caisses de stabilisation de certains produits tropicaux –, et rémunérés quand le prix est stable, cette instantanéité des marchés pourrait à l’inverse être mise à profit pour ramener très vite les prix au point d’équilibre, comme le font les commandes électroniques des avions modernes instables « by design » tels que le Rafale.

Le débat n’est pas anodin: le monde réel a besoin de stabilité et de visibilité pour opérer à son efficacité maximum, alors que le monde financier a besoin de mouvement brownien pour bien vivre. La solution ne peut donc être que politique, et si possible globale, il faut le dire. Mais sans se faire trop d’illusions sur ce point : la fraude et le parasitisme font partie de nos modes de fonctionnement, et ont souvent, d’ailleurs, un rôle de régulation socialement utile.

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63 réponses à “L’instabilité des marchés est-elle une fatalité ? par Jean-Paul Vignal”

  1. Avatar de iGor milhit

    @ Lobscure

    Dans le genre d’article superchouette du non moins génial LeTemps, j’ai beaucoup aimé Et le plomb devint or dans lequel on apprend que Crédit Suisse a lié l’obtention de bonus à la performance des « actifs pourris », ce qui aurait permis de faire reprendre 17% à ces dits actifs… bel exploit! Quand les insolvables deviennent solvables? Quand les invendables ont un prix? Et de se poser la question si les « actifs pourris » mis en quarantaine dans la BNS ont eux aussi repris des couleurs…

  2. Avatar de Jean-Paul Vignal
    Jean-Paul Vignal

    Personne ne conteste l’importance de la finance. Son fonctionnement n’est sans doute pas idéal, mais qui a vraiment envie ou besoin qu’il le soit ? Pour rester simple, il semble qu’il y a deux problèmes :

    – dans le vieux conflit qui oppose depuis toujours le monarque qui gouverne au financier qui lui prête de l’argent, le monarque a depuis une vingtaine d’années baissé pavillon au nom d’un libéralisme très avancé, mais au sens biologique du terme. Le financier, tout joyeux de l’aubaine, et pas gêné par l’odeur, en a tellement profité qu’il s’est pris les pieds dans le tapis et a tout perdu. Le monarque, qui ne peut pas vivre sans son financier, a alors décidé dans sa grande sagesse de mettre des générations de contribuables à contribution pour remettre le financier à flots. Sans aller jusqu’à mettre le financier au pain sec et à l’eau, ce qui ne serait pas mieux, il serait bon qu’il en profite pour reprendre la main, et remettre un peu le financier à sa place : celui de gestionnaire de risque, et non plus de dealer de risques.

    – la folie financière qui a conduit à l’effondrement résulte principalement du fait que des comportements marginaux qui avaient une justification tant qu’ils le restaient, « profondeur » des marchés oblige, sont devenus la règle. Quand les mouvements virtuels représentent plusieurs dizaines de fois les transactions réelles, on devrait se poser des questions au lieu de s’esbaudir sur les merveilles que permet d’accomplir Internet en transformant tout le monde en joueur au casino boursier sur tout, partout, 24/24 et 7/7.

    Je reste convaincu que ce serait un bon préalable, concret, pas trop utopique, de revenir à un système de régulation qui n’encouragerait ni à multiplier les transactions ni à provoquer des variations de cours pour des raisons qui n’ont qu’un lointain rapport avec l ‘offre et la demande.

    1. Avatar de JM Bouquery
      JM Bouquery

      Toute demande, fut elle du monarque (est il respectable ? ), est elle sainte ? Toute offre est elle saine (sous tous aspects du mot ) ? Le cours stable, comme dans la fable d’Esope, pourra être la meilleure ou la pire des choses.
      (Idem pour les taux d’intérêt qui défrayent aussi cette chronique et les voisines, sans ce purgatoire effacer le temps ouvrira vers l’enfer autant et plus que vers le paradis)
      Peut on oser rappeller que morale ou management n’ont guère de sens qu’en « situation », que sinon bons sentiments ou principes relèvent trop du nominalisme, sont proprement fumet sans chair. ne retiennent pas le citoyen.
      jm

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