Billet invité. François Leclerc et moi avons correspondu à propos de ce billet relatif aux dark pools. En gros, mon opinion à leur sujet est beaucoup plus positive que la sienne telle qu’exprimée ici : j’y vois en particulier une protection des investisseurs à long terme contre les spéculateurs à court terme. Le passage des criées aux marchés électroniques allait automatiquement créer des failles dans lesquelles s’engouffreraient les spéculateurs, pénalisant les investisseurs « sérieux ». J’aurais énormément à dire sur la Bourse en tant que telle mais si nous admettons que son existence en tant que marché secondaire des actions est valide, les dark pools me paraissent constituer dans l’ensemble un moyen de protéger son fonctionnement contre les dévoiements. J’interviendrai éventuellement dans la discussion pour expliciter mon point de vue.
LES MAUVAIS JOUEURS ET LES TRICHEURS
Vous aimez l’« algo trading », ou le « high-frequency trading », les programmes informatiques de transaction boursière à très grande vitesse, vous adorerez les « dark pools » (littéralement, les « groupements sombres ») ! La presse financière commence à se pencher dessus, les organismes de régulation financière se disent qu’ils devraient bien en faire autant. On a l’impression, à nouveau, de lire l’histoire des CDS, ces instruments financiers destinés initialement à s’assurer contre le défaut éventuel d’un organisme émetteur de crédit, avant d’avoir été dévoyés pour alimenter le Grand Casino, ce moloch insatiable, sur l’autel de la créativité des marchés.
Initialement, les « dark pools », dont il faut sans doute déplorer que le nom désormais communément employé évoque fâcheusement des eaux glauques, avaient également des ambitions raisonnables. Nés à la suite d’un changement de règles boursières, en 2006, dans le cadre de l’apparition d’ATS (Alternative Trading Systems), également dénommés « crossing networks » (littéralement : réseaux se croisant). Deux grands et chers disparus en ont été les précurseurs : Merrill Lynch et Lehman Brothers. Il s’agissait pour eux de répondre à leurs propres besoins et à la demande des gros investisseurs (« jumbo traders » aux Etats-Unis), notamment ceux que l’on appelle les « institutionnels », qui souhaitaient acheter et vendre de gros blocs d’actions dans une situation plus discrète quant à leurs opérations que directement via les systèmes boursiers. En créant, avant le passage des ordres dans le cadre de ceux-ci, un échelon antérieur favorable à leurs transactions. Afin de se prémunir contre les évolutions intempestives des cours, notamment à cause des prédateurs veillant avec des programmes informatiques d’achat et de vente ultra rapides ! De diminuer également les frais, ainsi que d’accroître leur anonymat. Sommes toutes, c’étaient au départ de simples innocents instruments de la technique boursière, adaptés à l’évolution des marchés, visant à empêcher que des intrus ne viennent se placer dans votre sillage, entravant votre propre marge de manœuvre. La taille moyenne des transactions sur New York Stock Exchange est en effet de 300 actions, alors qu’un ordre passé au sein d’une dark pool peut atteindre 55.000 actions.
Mais, de même manière que l’on considère que les programmes électroniques ultra rapides d’achat et de vente de valeurs (« flash orders ») faussent le jeu du marché, on s’interroge à propos des « dark pools ». La part grandissante qu’ils prennent dans les transactions de valeurs remet pratiquement en cause le processus de formation public des prix de celles-ci. Car les prix avant transaction (« pre-trade prices ») qui sont disponibles dans le cadre des dark pools ne sont pas visibles du commun des intervenants en bourse, ni même de ceux qui ont accès au dark pool mais sont étrangers à la transaction proprement dite.
Plus sournoisement, il semblerait bien que les dark pools soient utilisés par des opérateurs d’«algo trading » afin d’opérer en toute discrétion, dévoyant totalement les intentions initiales ayant présidé à leur création, réalisant à très grande vitesse un très grand nombre de petites transactions. Jeremy Grant, le journaliste du Financial Times qui couvre le sujet, le révèle dans un article du 27 juillet dernier, faisant état des réserves exprimées par TMX, la bourse canadienne, qui réfléchit néanmoins à la création de son propre dark pool afin de faire face à une concurrence montante.
Ces structures sont donc réservées à d’heureux élus, c’est-à-dire à ceux qui disposent de fortes surfaces financières et jouent gros. Autant dire aux « VIP » de la finance, qui ne veulent pas être traités comme des petits boursicoteurs et disposer des indispensables « back stage » permettant d’accéder aux coulisses lors des concerts, sans lesquels on est déchu. On peut aussi les comparer à des magasins réservés aux dignitaires, des sortes de tribunes d’honneur aux courses, offrant la meilleure vue sur la compétition, ainsi que la meilleure opportunité de faire des paris. Elles poussent depuis peu comme des champignons, et la liste de leurs principaux commanditaires recoupe sans surprise celle des plus grands noms de la finance bancaire internationale : Goldman Sachs, Crédit Suisse, CitiGroup, Bank of America (depuis son absorption de Merrill Lynch), Morgan Stanley…
Aux Etats-Unis, d’après l’agence Reuters, il y aurait déjà 40 dark pools, qui effectueraient 9% des transactions. Selon l’International Herald Tribune, 18% des transactions devraient y être effectuées en 2010. Le mouvement ne fait que commencer en Europe, depuis l’adoption de la directive Marché d’instruments financiers (MIF), entrée en vigueur le 1er novembre 2007. BNP Paribas et la Société Générale n’ont pas été en reste d’initiative à ce propos (plateforme Turquoise). Concurrencées sur leur marché, les bourses s’y mettent également : Nyse Euronext a déjà lancé Smartpool. Deutsche Börse et le London Stock Exchange y viennent. Certaines Dark Pools américaines interviennent déjà sur les marchés européens, comme Euro Millenium. Une autre, BATS Europe, à vocation pan européenne, a été crée il y a quelques mois par son papa texan. D’après le Financial Times, il y aurait actuellement 13 dark pools fonctionnant en Europe.
A remarquer le modèle économique original de BATS, qui gère environ 4% du marché des 100 valeurs du FTSE (l’indice britannique Financial Times Stock Exchange), qui risque de faire école : les traders qui apportent des ordres sont rémunérés tandis que ceux qui ensuite y réagissent doivent payer des frais !
Mais que font donc les régulateurs ? Mary Schapiro, la patronne de la SEC vient de tirer le premier, « elle a ouvert une boîte de vers » a déclaré Larry Tabb, responsable de TABB Group, une société américaine spécialisée dans l’étude des instruments électronique de marché ( http://www.tabbgroup.com ). De fait, la transparence du marché, cet alpha et omega de la finance, en prend un sacré coup. Mary Shapiro a dénoncé un « manque de transparence pouvant potentiellement miner la confiance du public dans les marchés des valeurs », précisant « le manque d’informations fiables peut entraîner des interrogations et des doutes à propos des fluctuations du marché ». Reste à savoir ce qui sera effectivement décidé, après étude de la situation telle que commandée à ses services.
Après avoir rencontré Mary Shapiro à Washington, Charlie McCreevy, le commissaire européens chargé des marchés, a déclaré au Financial Times : « Nous estimons devoir regarder nous aussi et de manière urgente cette affaire. La manière la plus appropriée de le faire est d’y procéder dans le cadre de l’examen prévu par la directive MIF ». Charlie McCreevy ne passant pas pour un régulateur né de la finance, trouvera-t-il matière à observations, après ce passage devant le Committee of European Securities Regulators (CESR) ? Les dark pools avaient bénéficié d’un statut privilégié et d’exemptions à certaines règles générales dans le cadre de la directive, celles-ci vont-elles être remises en question, les tuant dans l’œuf ou presque ? Il est peu probable qu’elles soient à ce point contraignantes.
Voilà ce que le Journal des Finances, édité à Paris, considère à ce propos : « Face à ces changements, il existe un certain nombre de questions, voire d’inquiétudes qui méritent d’être soulevées. D’abord, la multiplication des pôles de transactions ne risque-t-elle pas de réduire la liquidité ? (…) En outre, une régulation à deux vitesses est à craindre. En effet, un fonds spéculatif qui voit son ordre exécuté sur un dark pool comme Nyfix Euro Millenium risque d’être moins surveillé qu’un fonds français passant ses ordres sur Euronext Paris. Le régulateur aura-t-il les moyens de surveiller tous ces nouveaux pôles de liquidité ? ».
Comme dans le secteur des Hedge funds, les Dark Pools existantes font le gros dos, leurs commanditaires se font petits, et déclarent accepter des réformes, mais s’opposer à une « sur réglementation ». Cela s’appelle faire la part du feu où l’on ne s’y connaît pas ! Par curiosité, allez donc vous promener sur ce forum consacré au sujet :
http://www.darkpooltraders.com/vb/view.php?pg=home
34 réponses à “L’actualité de la crise : Les mauvais joueurs et les tricheurs, par François Leclerc”
Ma science est pour le moins récente et sommaire en matière de technique boursière ! Je me suis référé, pour cette analyse qui s’inscrit dans le cadre de la chronique de l’actualité de la crise, aux derniers évènements relatés par la presse, principalement le Financial Times.
Paul Jorion m’a rappelé les auspices sous lesquelles les dark pools étaient nées, que j’ignorais. Et je me suis efforcé de mieux mettre en perspective un point de vue initial qui était pour le moins abrupt.
Mais à l’arrivée, ce n’est pas moi qui met en cause les dark pools, ce sont bien Mary Shapiro et Charlie McCreevy. J’y ai, il est est vrai, rajouté quelques commentaires ou formules de mon cru qui instruisent à charge.
Tout les points de vue à propos de cette question seront naturellement les bienvenus.
Goldman Now Dominating Dark Pool Trading; Who Is Sigma X? by Tyler Durden
… it is surprising to discover that a vast majority of the pools are in fact controlled by the very same recipients of TARP funding
http://zerohedge.blogspot.com/2009/06/goldman-now-dominating-dark-pool.html
J’aimerais savoir comment monsieur Jorion justifie son « optimisme » puisque tous les moyens dits « de contrôle » sont tôt ou tard utilisés comme des moyens de manipulation. Un peu comme si chez Renault on usinait les pièces avec des pieds à coulisse.
@ P. Jorion
« j’y vois en particulier une protection des investisseurs à long terme contre les spéculateurs à court terme. » Si ces dark pools permettent cela elles constitueraient un progrès.
Pourriez vous expliquer aux néophytes ce qui leur confèrerait cette vertu ?
L’aspect quantitatif souligné par François Leclerc : « La part grandissante qu’ils prennent dans les transactions de valeurs remet pratiquement en cause le processus de formation public des prix de celles-ci. » reste inquiètante.
Merci de bien vouloir développer votre optimisme que je souhaite partager (mais ignare en cette matière comme en bien d’autres j’ai besoin de confronter le détail des divergences de point de vue chez les connaisseurs.)
D’avance merci.
[…] Plus: Blog de Paul Jorion » L'actualité de la crise : Les mauvais … Share and […]
L interret évident est de transformer une perte non imposable dans l univers A, en un gain non imposable dans l univers B, avec effet de levier…Le gain revient sous forme de crédit accordé pour tel achat de tel joyau vendu a prix bradé (because perte…)
Le truc qui cloche dans le joli tableau et qui doit alerter l observateur, c est la persistance de la capacité a emprunter de ceux qui rachètent tout ce qui est demantelé, quand parait il, il n y a plus de crédit…
C est probablement un gigantesque transfert de richesse qui s opère sous nos yeux.
L argent des particuliers est stérilisé et n a pas d’ influence sur les prix dont les variations apparaissent aléatoires même a court terme.
C est un symptôme de la disparition de l argent tel que nous le concevions.
Le nouvelle richesse ne devrait plus se mesurer en euros mais en capacité a emprunter. L’ utilisation de cette capacité pourrait être taxée en tant que richesse, ce qui permettrait de rétablir la concurence entre les petits (pas d’ accès aux paradis fiscaux, ni aux dark pools) et les grands dans le contrôle des prix des actifs, vendus dans la grande braderie due al assèchement organisé du crédit.
Ces instruments vont achever le malade.
La bourse?
On dirait un cancereux du poumon qui fume en cachette.
Plus la bourse monte plus il devient risqué d’y investir surtout qu’elle ne semble pas prendre en compte la réalité économique
Paul Jorion parlait des primes et des bonus des grandes banques américaines comme d’une dernière opportunité de récupérer du liquide avant de fermer boutique.Mais ce n’est apparemment pas le cas il reste encore une belle opportinité si les banques réussissent a créer une nouvelle bulle sur les actions(c’est déja fait) elles peuvent profiter a la fois de leurs positions sur la bulle induite sur les matières premières ainsi que d’un éventuel crack a la baisse sur lesquelles elle peuvent rapidement prendre des positions short.
Donc tout va bien pour elles tant qu’il y a un peu de liquidité sur les marchés action . Mais il me semble que la sélection naturelle va etre impitoyable car déja il y a surtout les banques sur ces marchés.
Et pendant ce temps l’économie réelle ne pourra ni faire appel aux banques qui n’ont plus confiances en l’économie réelle et préfèrent tenter leur chance au jeux ni aux états qui sont endéttés comme jamais et qui vont etre privés de recettes fiscales l’an prochain.
…. et dans le même temps on lit ça dans la presse quotidienne pour que les « veaux » continuent à aller é l’abattoir sans broncher !!!!!!
http://www.lefigaro.fr/economie/2009/08/01/04001-20090801ARTFIG00132-le-pire-est-passe-pour-l-economie-americaine-.php
Le PIB américain ca revient un peu a peser un malade pour voir si il est en bonne santé
On a gavé le malade de liquide pour qu’il atteigne son poid de forme ca marche en effet mais il n’est pas pret de faire les JO.
On en est plus a vouloir relancer l’économie on veut juste attirer les capitaux par tous les moyens soit en disant que notre économie est meilleure situation que prévue , soit en disant que les autres sont plus mal en point que nous.
@ jumperjolly
Mais si, ça va beaucoup mieux aux États-Unis. Peut-être pas dans l’immobilier, mais la Bourse, certainement (en bas à droite).
« Les deux piliers de la richesse »
Plus je recherche bassement à m’enrichir et plus j’incarne comme un autre la faillite morale d’une société.
Manipulated Government GDP Statistics Report is Just Plain Wrong, by: Dr Martenson
http://www.marketoracle.co.uk/Article12444.html
Si je comprends bien vos positions – qui ne me semblent pas si opposées :
Les black pools, à l’ère de transactions qui se passent en quelques millisecondes (cf. le déplacement d’Euronext de Paris à Londres pour améliorer « l’efficacité » des transactions avec la City) , si elles vont directement contre l’esprit de transparence du libre-marché (en restant conceptuellement dans le systême actuel) qui voudrait qu’il n’y ait pas de passe-droit, permettaient en pratique à leur création de ralentir la ronde folle des logiciels de trading et des milliers de suceurs de roue (qui certes, amélioraient les volumes d’échanges, au grand bénéfice des banques, sans toutefois participer en quoi que ce soit à la création de valeur et augmentant fortement la volatilité en amplifiant les variations des cours) .
Seulement, avec la rapide augmentation du volume de ces black pools au sein du marché (9 % , ce sont déjà de sacrés volumes si je ne m’abuse) , de nombreux nouveaux entrants se font jour avec la ferme intention d’exploiter les possibilités économiques de la manière la plus pragmatique : grâce à l’absence complète de toute régulation, qui facilite le détournement de l’objectif moral premier assigné à ce « nouvel » instrument.
En ce sens, on a l’impression à vous lire que vous partagez ici deux visions chronologiquement séparées :
Mr Jorion, vous connaissez les black pools, et il semble que leur objectif premier soit effectivement vertueux, mais aussi que cet objectif soit pour le moment rempli de manière satisfaisante. L’instrument est utile, si l’objectif poursuivi est l’amélioration de la stabilité des pris du marché.
Mr Leclerc, vous découvrez les black pools, et de votre oeil exterieur (du mien aussi, à vrai dire) votre perception est celle d’une répétition de ce que les CDS ont provoqué, c’est à dire la transformation d’un instrument (qui jouait son rôle, et qui semble, à en croire Paul Jorion, le jouer toujours dans le cas des black pools) par accroissement des volumes passant par ce qui devient un marché dérivé à part entière, sans aucune supervision externe ni quelque transparence que ce soit, avec des échanges de gré à gré.
On se retrouve encore et toujours dans le problème de la nature fondamentalement prédatrice du capitalisme, qui, en poussant systématiquement les outils et instruments à leur efficacité économique maximale, et en nécessitant un accroissement permanent des marchés à disposition (fût-ce par création ou détournement de marchés initialement extérieurs à cette logique, on pourrait parler du marché du CO2 tout juste crée aux US, ou ici les black pools) , ne peut se satisfaire (toujours dans l’hypothèse d’un conservation du systême, postures B ou C) d’une régulation à minima. Ce qui pouvait être aisément justifié il y a cent ans ne peut plus l’être à l’heure où nos connaissances nous permettent de réfuter (ne serait-ce que par le caractère fini des ressources naturelles) l’idée de course à l’efficacité économique maximale qu’avait (avec un immense succès, et pendant plusieurs siècles) insufflée la création européenne du capitalisme.
PS : sinon, à titre anecdotique, le Daily Show s’est payé Geithner, qui depuis février n’arrive pas à vendre sa maison. Il faut dire que celui-ci essaye de la vendre au prix qu’il l’avait payée en 2004 ! Le genre d’anecdotes sur la vie privée de leurs dirigeants que les médias américains n’hésitent pas à pointer (pour le meilleur comme pour le pire) . Du coup, j’ai traduit et sous-titré la séquence pour les francophones, elle vaut son pesant de cacahuètes :
http://moktaramablog.over-blog.com/article-34467822.html
@ Moktarama
Je me reconnais dans votre vision du débat. Reste à savoir si c’est également le cas de Paul Jorion ! En me relisant, j’ai toutefois frappé un peu fort avec mon titre (les mauvais joueurs et les tricheurs), ne laissant pas de place pour les bons élèves. Les titres, c’est toujours par là que le malheur arrive !
Bonjour,
connaissant un peu le fonctionnement de ces dark pools, voici ce que je peux en dire :
A Paris, beaucoup de sociétés de gestion s’intéressent à ces pools de liquidité pour des raisons pratiques. Avec la directive MIF, les sociétés de gestion de taille respectables sont obligés d’avoir à recours à des tables de négociations qui vont traiter les ordres des gérants d’OPCVM et déterminer quel broker sera choisi pour l’exécution de tel ordre.
L’avantage pour une table de négo d’avoir recours aux dark pools, c’est la rapidité. Si vous avez 100 000 TOTAL à vendre, vous envoyez l’ordre dans le dark pool et si la contrepartie est disponible, l’ordre sera automatique « matché » (c’est à dire exécuté). L’avantage est évident : vous n’avez pas besoin de communiquer votre intérêt à différents brokers pour qu’ils trouvent la contrepartie (qu’elle soit naturelle, c’est à dire qu’ils ont un autre client souhaitant faire l’opération inverse ou dite de « facilité, où le broker gère la position en échange d’une prime sur le prix proposé pour l’exécution de l’ordre). Et comme François Leclerc l’a dit, cela permet un anonymat et évite que l’intérêt circule sur toute la place (ce qui peut être très utile si vous souhaitez acquérir 300 000 ESSILOR qui dispose d’une liquidité bien plus faible que TOTAL).
J’insiste sur un point, la transparence n’est pas si faible que cela. Le prix est dans la très grande majorité des cas, sauf instruction contraire (ordre à cours limité), déterminé par le mid-price, c’est à dire le prix d’équilibre entre la meilleure offre et la meilleure demande. Ces outils ne permettent pas de cacher des informations importantes.
C’est que beaucoup de firmes financières s’intéressent à ces produits car ils constituent des poches de liquidité et permettent de trouver de la contrepartie pour traiter des ordres significatifs. CAR LA GRANDE FORCE D’UN DARK POOL, C’EST DE FAIRE L’IMPASSE SUR LE BROKER AFIN QUE LES INTERVENANTS BUYSIDE (institutionnels, société de gestions, etc.) SOIENT MIS DIRECTEMENT EN CONTACT PARTOUT SUR LA PLANÈTE.
Et oui, si vous êtes une table de négo et que vous avez des contrats avec une dizaine de brokers, vous n’avez finalement accès qu’à une petite partie de la liquidité disponible via les clients de ces brokers. Grâce aux dark pool, des milliers d’intervenants sont reliés entre eux dans l’anonymat le plus complet et « cross » leurs ordres de manière plus rapide avec plus de liquidité qu’en ayant recours à un broker classique n’utilisant pas de dark pool.
Ce qui est un peu flou, c’est que les façons de traiter sur le marché se mutliplient, ce qui va à l’encontre de ce besoin d’accès au plus de liquidité possible. Ainsi, vous pouvez traiter des actions TOTAL sur euronext, via des dérivés, sur un dark pool, ou via des placements privés si vous êtes un actionnaire important.
Pour terminer, les chiffres que vous indiquez sont faux, je vous assure que la part des dark pool en Europe dans l’ensemble des transactions est déjà bien plus élevée que vous ne l’imaginez. La preuve :
http://www.chi-x.co.uk/home/home.asp
@ Homard
Je vous remercie pour cet éclairage « in situ ». Vous faites comprendre à la fois l’intérêt que représentent les dark pools pour les intervenants importants et leurs inconvénients: un accès à la « liquidité » pouvant se faire au détriment des plus petits intervenants (à force de prendre des parts du marché boursier) et un bouleversement dans le processus de formation des prix.
Après la bataille de l’eau lourde de la deuxième guerre mondiale, voici venu le temps de celle de la liquidité ! D’autant plus qu’au fur et à mesure que les dark pools se multiplient, ils se partagent aussi entre eux le marché…
J’avais donné mes sources à propos des parts de marché montantes des dark pools aux Etats-Unis et en Europe. Merci de votre contribution additive.
Poursuivant mes petites investigations, je me suis rendu compte que l’utilisation des méthodes du « high-frequency trading » semblaient être répandues au sein des dark pools, tout du moins dans certaines. Comment, en effet, résister à la discrétion qu’elles procurent ? On y trouverait même, à la manoeuvre, les grands opérateurs du marché. Comme on ne prête qu’aux riches, on parle bien entendu de Goldman Sachs, qui a acquis aux Etats-Unis le statut d’ennemi public numéro 1.
@ François Leclerc
Oui, vous avez tout à fait raison.
Concernant le high frequency trading, c’est avant tout une question de rapidité plutôt qu’une question de discrétion qui explique le recours aux dark pools. Voici pourquoi :
Imaginez la société X qui fait partie d’un indice tel que le CAC 40 ou le DAX 30. La liquidité de ce titre est dans la moyenne des valeurs de ces 2 indices. Admettons qu’il faut 20 min pour acheter l’équivalent de 1 million d’euros de titres de cette société (scénario conforme avec la réalité même si la liquidité n’est pas constante et qu’elle peut fortement varier) sans trop peser sur le cours (c’est à dire maximum 30% volume, « tiers volume » dans le jargon boursier).
Une information parait sur votre Reuters Xtra300 ou votre Bloomberg (exemple fictif) : la société X annonce que son partenariat avec Y est finalement signé, ce qui ouvre des perspectives à la société X dans le domaine du transport.
Si vous pratiquez du trading à haute fréquence, alors vous avez peu de temps pour acquérir suffisamment de titres de manière à ce que la performance générée soit significative. Tout l’intérêt du dark pool apparait alors : si jamais des ordres de vente sont en attente sur le titre X, vous serez immédiatement exécuté pour votre quantité au mid-price ! Ce qui signifie que n’aurez pas besoin d’attendre 20 minutes pour acheter vos titres sur le marché sans faire trop s’envoler le titre, sachant que vous n’êtes pas le seul à acheter précipitemment.
Si vous êtes exécutés 30 secondes après la parution de l’information, vous aurez un prix très avantageux et quand le particulier apprendra seulement l’existence de l’information, 30 minutes plus tard, vous serez déjà en train de vendre…
Résultat de l’opération : un gain de 4% en 30 minutes, phénomène très courant sur les marchés quand vous avez les bons outils à votre disposition !
Une précision importante cependant : le high frequency trading n’est pas vraiment assimilable à ce que je viens de décrire. En réalité, le trading de haute fréquence est plutôt l’oeuvre de systèmes de trading qui ont la faculté d’intervenir très rapidement sur le marché pour profiter d’écarts de cours (arbitrage), d’une poussée de volatilité, ou encore de combats d’algorithmes dans les carnets d’ordres des valeurs, ce qui provoque des décalages parfois significatifs alors qu’un nombre très faible de titres a été traité.
Pour aller dans le sens de jumperjolly dit : Il paraît qu’on est en train d’assister à la fin de la crise…: Vendredi-31 août on pouvait lire sur http://fr.biz.yahoo.com/31072009/290/la-recession-s-attenue-mais-la-consommation-chute-aux-etats.html : « La récession vit ses dernière heures. Les chiffres d’aujourd’hui montrent que les lueurs d’espoirs recommencent à briller et que l’économie a fini par prendre le chemin de la reprise », a estimé Chris Rupkey, chef économiste de Bank of Tokyo-Mitsubishi à New York. »
Eh oui, vous avez bien lu: « La récession vit ses dernière heures ».
Moktarama? François Leclerc, et Homard,merci de la clarté de vos explications.
Il a souvent été fait état ces temps derniers de l’utilisation de programmes destinés à manipuler les cours.
J’avais compris que les algorithmes idoines et les puces permettant un trading à grande vitesse et haute fréquence n’y étaient pas pour rien.
S’agit-il selon vous d’une rumeur « conspirationniste » oubien la manipulation des cours (valeurs et indices) est elle une réalité avérée?
@ Homard
Merci de vos explications complémentaires. Mais comme rien n’est simple en ce bas monde (à qui le dites-vous), il semble bien qu’il y ait plusieurs types de dark pools. On peut d’ailleurs se demander s’il ne va pas falloir créer des agrégateurs de dark pools, s’ils continuent à se multiplier. A moins qu’un processus de concentration soit inévitable à terme !
De la même manière, il y a plusieurs types de high frequency trading: une chose est d’utiliser la technologie pour accélérer une importante transaction, une autre est de s’en servir pour de très nombreuses petites transactions. N’est ce pas ? C’est à ce dernier cas que je faisais référence.
des dark pools…ça doit grouiller d’éminences grises ces trucs-là, non ?
@ François Leclerc
Les agrégateurs de dark pools existent déjà, on les appelle des meta dark pools.
Et comme vous dites, il faut s’attendre à des concentrations ou au mininum à la multiplication de la mise en place de passerelle entre les différentes solutions afin d’accéder au maximum de liquidité.
Concernant le 2e point, je ne suis pas suffisamment informé sur cette question mais je pense qu’en effet le trading à haute fréquence, à base de multiples petites transactions, est tout à fait compatible avec l’utilisation d’un dark pool.
Le plus gros hedge fund de la planète, Renaissance Technologies de Jim Simons, a largement recours au trading de haute fréquence. Le problème, c’est que la technologie qu’il a développé avec les cerveaux les plus brillants qu’il a déniché dans les universités américaines est jalousement gardée à l’abri des regards indiscrets. Je ne peux donc vous dire, étant loin de mon domaine de spécialité, si les automates de trading utilisent fréquemment des dark pools ou si les transactions multiples sont passées directement sur le marché via un accès direct.
Ce qui est sûr, c’est que l’écart s’accroit de plus en plus entre particuliers et professionnels. Et même entre les professionnels, le fossé devient de plus en plus large.
Si je comprends, ces dark pools sont véritablement des bourses alternatives. Seul ce qui ne peut être « matché » (pour bien parler français) dans le dark pool se retrouve sur l’open market.
Dès lors, il me semble qu’ils prennent les parts de marché des bourses elles-même. Ces bourses ne vont-elles dès lors pas réagir et organiser ces dark pools directement, plutôt que de laisser ce business à ces opérateurs alternatifs? Elles me semblent effectivement mieux placées pour ça. Cela entérinerait publiquement cette modification des règles en vigueur sur les marchés.
Cela semble-t-il plausible aux experts du domaine?
@ Homard
vous dites :
« Si vous êtes exécutés 30 secondes après la parution de l’information, vous aurez un prix très avantageux et quand le particulier apprendra seulement l’existence de l’information, 30 minutes plus tard, vous serez déjà en train de vendre…
Résultat de l’opération : un gain de 4% en 30 minutes, phénomène très courant sur les marchés quand vous avez les bons outils à votre disposition ! »
je suis béa d’admiration devant tant de cynisme….de la part des « utilisateurs » de ce sytème
En fait, si on change d’échelle de regard sur le monde, les humains sont en train de se faire dépasser par les machines/ordinateurs dont ils deviennent petit à petit les serviteurs, au lieu de l’inverse !
Ces histoires de darkpools, ce n’est pas simplement des moyens plus rapide et plus efficaces de faire fructifier son argent, c’est la supériorité de la machine sur l’humain (broker) …
Sachant que d’ici 20 à 50 ans l’IA aura atteint son seuil critique …
Concernant l’écart s’accroissant entre professionnels et particuliers, lire:
http://www.nytimes.com/2009/08/03/opinion/03krugman.html?_r=1
L’un d’entre vous aurait il l’amabilité d’éclairer ma lanterne sur la réalité ou fiction d’une manipulation des cours de bourses aboutissant à cette exubérance actuelle des indices ?
@ Mathieu
Les bourses (NYSE-Euronext, etc.) ont déjà développé leurs propres dark pool, sentant la menace des opérateurs alternatifs. Voici comment un ordre classique peut être exécuté :
Vous devez acheter 100 000 Sanofi dans la journée. En tant que négociateur, vous n’allez pas prendre de risque et vous décidez de traiter la moitié de l’ordre immédiatement, vous rentrez un ordre de 50 000 titres dans le dark pool et les 50 000 titres restant seront traités au fil de l’eau sur le marché afin de se prémunir d’une baisse des cours qui risquerait d’énerver le gérant si jamais vous avez tout traité rapidement. Sachez que toutes les stratégies sont possibles. La référence pour un ordre, c’est le VWAP (cours moyen pondéré par les volumes sur la période considéré). Si vous battez le VWAP, vous avez bien fait votre boulot.
@ »il »
Cynisme, sans doute, mais ce n’est que la réalité. Et encore, cette dernière est souvent bien pire que ce que vous pouvez imaginer.
Un bon conseil : si vous souhaitez investir en bourse, oubliez les OPCVM. Vous auriez peur de la façon dont ils sont gérés et ce qu’en font parfois certaines sociétés de gestion. Mieux vaut acheter un tracker.
Précision pour François Leclerc :
Il faut savoir qu’aux Etats-Unis, il est arrivé dans le passé que 10% du volume de l’ensemble du marché actions soit concentré sur seulement 3 valeurs : Bank Of America, Citigroup et une autre banque.
Pourquoi ? Et bien parce que les hedge funds spécialisés dans le trading à haute fréquence avaient jeté leur dévolu sur ces valeurs en mulitpliant les transactions.
On estime que d’ici à l’année prochaine, 50% du volume total aux Etats-Unis sera généré par ce type de trading.
Il suffit de jeter un coup d’oeil sur certains articles traitant des nouvelles techniques de transaction pour se rendre compte qu’il s’agit d’une nouvelle science, pareille à la dynamique des fluides: la science de la liquidité (en environnement prédateur et hostile). Je n’y comprends strictement rien mais ça a quelque chose de fascinant.
http://gset.gs.com/cgi-bin/upload.dll/file.pdf?z0312210az857cafcecd19472ab5857c4c29c4607d
http://gset.gs.com/gset/education/thought.asp
Dans sa dernière chronique, Jacques Attali appelle à une véritable révolution politique ! Jacques Attali se prononce même pour la nationalisation des banques ! Lisez cet article :
http://www.slate.fr/story/8747/banques-le-triomphe-des-coupables-par-jacques-attali