« Tout ce qui m’arrange, rien de ce qui me dérange »

Antoine nous propose ces jours-ci dans ses commentaires, une justification des thèses du libertarien Robert Nozick (1938-2002). Le philosophe américain était loin d’être un imbécile mais on ne peut pas laisser défendre ses thèses sans répondre.

Il y a là un a priori chez Nozick (récent à l’échelle de l’histoire humaine) que le point focal doit être l’individu et non la société humaine. Puisque Nozick se réclame d’Aristote, il faut noter tout de suite que cet a priori va à l’encontre d’Aristote quand celui-ci rappelle que l’homme est un animal politique, autrement dit social. Le point focal doit être au contraire l’homme au sein d’un ensemble organisé. Le débat peut alors porter sur le pour et le contre de telle ou telle forme d’organisation.

C’est là que les libertariens prennent le monde à l’envers : le point de vue de l’individu ne peut être envisagé qu’une fois la société définie comme son cadre. Hegel écrit : « Le principe des États modernes a cette puissance et cette profondeur extrêmes de laisser le principe de la subjectivité s’accomplir jusqu’à l’extrémité de la particularité personnelle autonome et en même temps de le ramener à l’unité substantielle et ainsi de maintenir cette unité dans ce principe lui-même » (Hegel, Philosophie du Droit, VI).

La critique des Quakers par Hegel se fonde sur cela : accepter de l’État ce qui vous arrange sur le plan privé (qu’il vous protège) tout en refusant de participer à l’effort collectif qui le permet (la défense du territoire). Antigone est le prototype de ces « faux jetons » qui font prévaloir le privé (le devoir de sépulture envers un frère) sur le public (la trahison par Polynice de la communauté), tout en acceptant de la société tout ce qu’elle lui offre.

Le « minimum d’État » des libertariens peut se résumer ainsi : « Tout ce qui m’arrange, rien de ce qui me dérange ». C’est un peu court comme système de gouvernement.

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130 réponses à “« Tout ce qui m’arrange, rien de ce qui me dérange »”

  1. Avatar de Jérémie
    Jérémie

     » Il ne suffit pas non plus d’avoir moins la prétention d’œuvrer pour le « bien-être » pour paraître moins faire la bête « 

  2. Avatar de ghost dog
    ghost dog

    Ce post me fait penser à un excellent roman d’un auteur américain que j’adore Brett Easton Ellis :

    « American Psycho » décrit le quotidien d’un trader à la fin des années 80 qui se révèle au fil des pages être un dangeureux psychopathe qui assassine et torture dans une violence de plus en plus crescendo d’abord un homeless puis des prostituées.

    Je considère ce roman comme la critique la plus radicale, la plus originale (sous cette forme, le roman) du néolibéralisme et de ses conséquences.

    Patrick Batman n’a aucun sentiment, il n’a aucune relation avec ses semblables, les rapports sociaux dans sa « sphère » ayant perdu tout sens. Les gens n’ont plus de prénoms, ils sont des marques de costumes ou d’accessoires.

    Les rapports humains qu’il entretient avec ses semblables sont tellements superficiels qu’il est impossible pour un individu d’être un « sujet ». Batman est une coquille vide, il remplit son corps d’euphorisants ou de tranquilisants. Il fonctionne.

    Il y’a des trouvailles hallucinantes, la meilleure étant la soirée d’haloween où Batman se déguise en « psychopathe » avec un écriteau dans le dos  » j’assassine des femmes » et le doigt d’une de ses victimes comme broche.

    Il se ballade dans la soirée et tous les participants le félicitent de son costume…à son grand désespoir car il souhaite se faire arrêter.

    Tout cela pour dire que l’individualisme forcené est une impasse pour…les individus eux-même !

    Et que réduire le lien social à une lutte d’intérêts n’a au fond qu’un seul but : ne pas remettre en cause les inégalités socio-économiques et permettre aux dominants de reproduire génération après génération une structure qui défende LEURS intérêts.

    De ce point de vue la théorie de Nozick fait de lui un bon chien de garde…

  3. Avatar de Boukovski
    Boukovski

    @ antoine

    « En quoi dans ce cas d’espèce la magistrate en question devrait-elle faire l’impasse sur ses croyances personnelles dans la mesure ou ceci ne change rien au bon exercice de sa mission? »

    Exemple périlleux quoique révélateur finalement. Ce qui fonde la justice n’est pas seulement l’énoncé d’une règle de droit qu’un pouvoir régalien peut imposer. Ce qui la fonde c’est aussi sa légitimité à énoncer cette règle. Et la légitimité c’est ce qui est perçu comme tel.

    Cette règle peut-elle être perçue comme légitime (par ceux qui ne sont pas musulmans dans votre exemmple) si celle qui la dit affiche tout en la disant ses croyances personnelles ?

  4. Avatar de Moi
    Moi

    @antoine: « C’est quelque chose de radicalement “autre” qui n’avait pas été “prévu”par l’Histoire. »

    Désolé, je pense le contraire. Etat de nature ou Empire, les rapports de forces seront toujours là. Nozick veut juste changer l’oppression de l’Etat hégélien par l’oppression directe des individus entre eux.

    Prenons le cas concret de votre magistrate voilée dans une société sans Etat. Les justiciables choisiront leur arbitre et dans une société chrétienne american-style, ils choisiront un arbitre non-voilé (ou régleront l’affaire entre eux par la négociation, voire à la façon de l’ordalie moyenageuse). Dans les faits, cela ne changerait donc rien pour la magistrate voilée.

    « Les parties du procès en conflit devraient-elles avoir leur mot à dire, alors que quoi qu’il arrive la justice sera rendue? »

    Ah bon, la magistrate a son mot à dire mais pas les parties en conflit? Vous voilà bien hégélien tout à coup. 🙂

  5. Avatar de antoine
    antoine

    Juste un truc: je parlais de Nozick pour répondre à une question de « Moi » qui voulait des précisions, et PAS des libertariens. En fait le problème est que le courant est profondément divisé. Ne pas le voir, c’est manquer autant de « failles ». Certes c’est un auteur « libertarien » et classé parmi les « libertariens », mais RIEN à voir avec Rothbard, Friedman, Hayek, Rand, Gauthier (autre libertarien extrêmement intéressant qui a une approche contractualiste fondée sur une forme plus élaborée d’égoïsme rationnel, à la Hobbes) ou l’Ecole de Chicago, à qui il pose plus de problèmes théoriques qu’autre chose.

    Tous les débats contemporains se tiennent à l’intérieur de l’opposition Rawls (la version la plus sophistiquée du point de vue « hegelien » et démocratique de Paul)/ Nozick (la présentation la plus radicale d’un nouveau type de régime qui prétend être supérieur à la démocratie et ce à tous points de vue). Chacun des deux pôles, en réaction, a suscité d’autres tentatives de clarification (Walzer, Dworkin…) Je dirais qu’en fonction des problèmes, on peut être attiré par l’une ou l’autre solution. le plus difficile étant de rester cohérent.
    Notez qu’il n’y a pas UN français (et pourtant on a ça dans le sang pour ainsi dire!). Et que ca en dit long sur l’état de délabrement de cette branche pourtant fondamentale.

    cf. au passage, pour ceux que ca intéresse, P. Strawson fournit un argument transcendantal en faveur de l’institution de la propriété privée (on n’ a pas dit « de quoi », hein…), fondé sur une analyse linguistique assez intéressante.

  6. Avatar de Moi
    Moi

    @ghost dog : « Et que réduire le lien social à une lutte d’intérêts n’a au fond qu’un seul but »

    L’objectif n’est pas tout à fait là, il va de soi que le lien social comporte toujours une lutte d’intérêts. Il faut préciser: « réduire le lien social à une lutte d’intérêts INDIVIDUELS ». Et là, évidemment, les plus faibles se font pigeonner car sans s’associer ils n’ont pas la force de défendre leurs intérêts.

  7. Avatar de Bob
    Bob

    @ Ton vieux copain Michel

    Je n’ai jamais compris pourquoi la ferme des animaux est considéré comme un pamphlet anticommuniste.
    Moi j’y ai vu une critique du pouvoir qui fonctionne également très bien avec le capitalisme.

  8. Avatar de Moi
    Moi

    @Bob: « Moi j’y ai vu une critique du pouvoir qui fonctionne également très bien avec le capitalisme. »

    Dans le livre, c’est la situation de départ avec les fermiers aux commandes. Et l’objectif est de montrer que la situation d’arrivée avec les cochons est identique (voire pire). Autrement dit, communistes (cochons) et capitalistes (fermiers), chou vert et vert chou. 🙂

  9. Avatar de antoine
    antoine

    @ Moi.
    L’Empire est une chose, la Cite une autre, l’Etat encore une autre, et le Canevas encore autre chose.
    Quel rapport avec l’état de nature? L’état de nature n’existe pas. C’est bien la peine que je me sois pris la tete à tout expliquer…
    « Nozick veut juste changer l’oppression de l’Etat hégélien par l’oppression directe des individus entre eux… si vous le dites. Il faut aborder les choses sereinement. Nozick essaie de trouver un meilleur mode de gouvernement. Libre à vous de penser que le contrat n’est pas rempli. Mais présenter les choses ainsi me semble relativement « partial » et « injuste » du point de vue des intentions mêmes de l’auteur. Pour ma part, par exemple, je trouve que le concept de contrainte connexe est une idee extraordinaire qui suffirait à elle seule, intégrée à la théorie démocratique « des gentils » (puisqu’il y a les mechants et les gentils si je comprend bien), de refonder en profondeur la théorie de la responsabilité (et ca vaudrait aussi pour les banquiers). Mais il y aurait des tonnes d’autres exemples de « bon » usage qu’on pourrait faire des intuitions de Nozick.

    Mon cas concret etait dans une société ACTUELLE. Et en tant que justiciable les citoyens n’ont rien à dire sur la question (on ne choisit pas son magistrat). Et quand bien même, ce n’est pas comme ça que les choses se passent dans le canevas ( mais je reconnais que c’est l ‘une des parties les plus difficiles). Reste que quand bien même ca ferait une énorme différence. Remplacez « femme voilée » par « femme tout court ». Et demandez vous si l’origine et la modalité de l’exclusion ne fait pas de différence du point de vue du vécu. Tout est dans la nature du lien, de la relation, dans l’intersubjectivité, et pour le coup, en bon hégélien, je dirais que les conditions et modalités du refus de reconnaissance font une énorme différence. Je suppose que votre réponse n’est pas très éloignée de celles qu’auraient donné les hommes détenant le monopole sur cette fonction (on continue comme avant parce que « pour nous » ca ne change rien… ben voyons).
    (Le fait de soupçonner qu’une magistrate, parce qu’elle est voilée, serait susceptible de ne pas aller dans le sens de vos intérêts, alors qu’elle ne fait qu’appliquer la loi, donc de mettre en cause implicitement sa partialité pour cette raison même, n’est pas permis dans le canevas non plus. On choisit dans certaines limites entre différents codes, mais pas son magistrat… il en va autrement pour les avocats).

    Si ca ne fait pas de différence, alors ça ne devrait vous poser aucun problème… Maintenant étendons ça à toutes les sphères de la vie sociale… vous parviendrez au canevas, et encore une fois, ca ne fera « aucune différence » (quoique apparemment si) 🙂
    Bref ceci pour montrer le lien entre « communautariens » et Nozick. Je me garderai bien de donner mon avis sur la question.

  10. Avatar de ghost dog
    ghost dog

    @moi,

    yep ! merci pour la précision…en même temps ce concept d’intérêt me chiffonne…parce qu’il est sous-tendu par cette idée d’un individu fondamentalement égoïste…et qui décide …de le rester !

    c’est de la philo politique mais aussi …morale ! Alors il est où l’espace qui prend en compte la capacité de l’individu à refuser de se laisser guider par son seul égoïsme…ou intérêt individuel. hein Moi :°)

    Y’a pas un penseur de philo politique qui a réfléchit à un système qui prendrait en compte des individus fondamentalement égoïste mais dont l’humanité enrichit par le contact à l’autre leur donnerait la volonté de développer de l’empathie ?

    Je dis ça parce que je vois pas en quoi Rawls remet en cause le sacro-saint principe anthropologique utilitariste de l’homme fondamentalement égoïste. Genre c’est tranché, circulez y’a rien à voir…

    désolée de cette intervention un peu cavalière…je compte sur Antoine pour y remettre bon ordre…:°)

    Merci à lui en passant pour sa pédagogie et de nous faire partager ses connaissances.

  11. Avatar de Ton vieux copain Michel
    Ton vieux copain Michel

    Le problème, c’est qu’en l’absence d’un Etat, on ne voit pas très bien quelle instance imposerait des limites. L’auto-régulation est un leurre. C’est frappant chez Milton Friedman, pour qui tout rapport humain est une sorte de contrat entre parties librement consentantes. Mais sur le marché du travail, s’il n’y avait pas un salaire minimum garanti par l’Etat, n’importe quel salarié accepterait quasiment de crever de faim pour avoir du travail et survivre. Les apparences seraient sauves: il y aurait contrat entre parties librement consentantes et pourtant l’une des parties serait radicalement lésée, d’autant plus lésée qu’elle aurait accepté une condition inhumaine au nom de la liberté définie par celui qui la lui impose. On n’en est pas loin mais s’il n’y avait pas d’Etat, ce serait encore pire.

  12. Avatar de Bob
    Bob

    @ Moi dit

    Entièrement d’accord avec vous, c’est pourquoi cet ouvrage n’est pas spécialement anticommuniste mais renvoit les deux systèmes dos à dos.

  13. Avatar de Jérémie
    Jérémie

    Tout ce qui pourrait me cacher plus longtemps m’arrange bien évidemment.

    Ce que nous devons d’abord voir et penser de l’homme, dépend surtout de son statut matériel.

    L’homme marchand pense et s’exprime pareillement comme autrui c’est l’individualisme collectif.

    La réussite de l’individualisme, c’est la place très haute que l’on occupe fièrement loin de l’homme.

    Dans une communauté d’intérêts, il y a danger dès qu’un membre devient trop puissant. [Jules Mazarin]

    Dans la sécheresse on découvre les bonnes sources ; dans la détresse, les bons amis. [Proverbe chinois]

    Quelle est la voix que nous devrions toujours suivre en société pour mieux nous cacher encore.

    Dans la richesse vous avez beaucoup d’ami(e)s flatteurs ; dans l’épreuve, bien peu sont là.

    Et plus ils deviennent individuellement riches et plus le monde s’en désole et en souffre.

    Fort heureusement, chaque réussite est l’échec d’autre chose. [Jacques Prévert]

    L’homme solitaire pense seul et crée des nouvelles valeurs pour la communauté. [Albert Einstein]

    Dans tout capitaliste ou socialiste je peux voir encore un homme qui se cache.

    La seule réussite d’un seul, n’apporte pas toujours plus de joie à une société.

    Les livres du libéralisme comme du socialisme ne font du bien qu’un temps.

  14. Avatar de Mathieu
    Mathieu

    @Ton vieux copain Michel dit :
    29 juillet 2009 à 18:23

    C’est exactement le constat de Philippe Van Parijs pour transformer la liberté abstraite ou purement contractuelle des libertariens (ce qui compte c’est que la règle ait été respectée, pas là où on arrive) à la notion de liberté réelle qui demande beaucoup plus (et en particulier, l’éducation, la santé, l’intégrité physique, et, last but not least, une allocation inconditionelle, sorte de une position de repli qui permet de ne pas devoir accepter n’importe quoi comme emploi/travail/activité). Très loin des libertariens donc, mais en partant des prémisses qui y ressemblent linguistiquement beaucoup.

  15. Avatar de Aurélien
    Aurélien

    Bonjour,

    lecteur plus que commentateur des textes et des discussions de votre blogue, je me décide à apporter une petite idée, un petit point de vue sur cette question.

    Je voudrais repartir de ce qui est exemplifié dans votre texte à travers la figure d’Antigone.
    Il me semble que les Modernes, d’une certaine manière à la suite des Anciens, ont toujours pensé la société comme ne pouvant être qu’un « objet » de « gouvernement ». Une société, infiniment plastique, parce que néanmoins faite d’individus, sous les forces de « gouvernement ».

    Pourtant Antigone démontre autre chose, qui est justement le fait qu’une société génère des formes politiques et de gouvernement, sans pour autant leur abandonner son devenir non plus que l’ensemble de sa régulation. Si vous me passez l’hypostase, je crois que la plasticité d’un société est certes une réalité, mais le plus souvent très relative, et que par ailleurs considérer que ceux qui placent plus haut que les règles politiques certaines règles toutes aussi sociales, quoique moindrement publiques, ne font pas autre chose que ramener la chose publique à sa place.

    Je donnerai un exemple personnel:
    dans mes montagnes natales, je me souviens d’un « jeu », d’une question que nous nous posions souvent entre petits garçons et jeunes adolescents. Une question régulière, un test, un dilemme auquel pourtant une seule réponse correcte était attendue:
    « Si quelqu’un tue quelqu’un de ta famille, qu’est-ce que tu fais ? »
    La seule réponse correcte à nos yeux étant bien sûr: « je le tue ». Tout en sachant déjà qu’il s’agissait non seulement d’un interdit grave, mais également que la loi (en tout cas quelque chose) voulait se charger de régler le problème à notre place.

    Il n’est pas dit aujourd’hui que ce soit cette option que mes camarades et moi choisissions. Néanmoins, en y repensant, je trouve ce même genre de conflit dans la société de mes montagnes, et ses petits villages, qui plaçaient le devenir de leurs grandes familles locales bien avant et plus haut que toute considération politique plus globale, et situaient la source de la Loi tout autant dans un ensemble non-dit et non-écrit, une société, que dans la législation réelle.

    Peut-être cela apportera-t-il de l’intérêt à cette discussion, ou du moins une petite historiette…

    Merci de vos textes et discussions toujours très intéressants, clairs, et ô combien pertinents pour donner à comprendre ce qui se trame dans la transparence financière.

  16. Avatar de Bertrand
    Bertrand

    @Ton vieux copain Michel :

    « Le problème, c’est qu’en l’absence d’un Etat, on ne voit pas très bien quelle instance imposerait des limites. L’auto-régulation est un leurre. C’est frappant chez Milton Friedman, pour qui tout rapport humain est une sorte de contrat entre parties librement consentantes. »

    Alors nos vies valent plus que leurs contrats !

    Et c’est encore plus frappant chez David Friedman qui ira jusqu’à donner une légitimité « anarcho-capitaliste » à l’Islande de l’an 1000, parce que cet exemple historique donne une légitimité à une communauté régie par des contrats réels et tacites plutôt qu’un Etat organisé, tandis que la réalité était déjà une ploutocratie où régnait la loi du plus fort !

  17. Avatar de Ton vieux copain Michel
    Ton vieux copain Michel

    @ Moi

    Il s’agit tout de même d’une critique du socialisme ou du communisme, car la logique de la fable repose sur le principe d’égalité que certains protagonistes vont amender et édulcorer par la suite avec des tas d’exceptions et de cas particuliers. Si l’on devait écrire une fable du même type sur le capitalisme, il faudrait partir d’autre chose, du mythe de l’auto-régulation par exemple.

  18. Avatar de antoine
    antoine

    @ Boukovski
    La légitimité ou l’acceptation sociale de la peine n’ont rien à voir avec la justice ou l’injustice d’une décision. De même la justification de la peine n’a rien à voir avec la justification de l’institution judiciaire en tant que telle. Les deux peuvent être justifiés pour des raisons différentes (disons un argument déontique pour l un et un argument conséquentialiste pour l’autre, par exemple).
    Mais on ne voit pas en quoi, à l’inverse, sachant cet état du droit, les justiciables d’une confession X ou Y ne seraient pas tenté de perdre leur confiance dans l’impartialité du système judiciaire, ce qui a autant d’implications en terme de légitimité…
    (Auriez vous osé donner la même réponse s’il s’était agi de « femmes » et non de « femmes voilées » dans l’ exemple cité ;-)? Auriez vous utilisé la « légitimité » pour signer un chèque en blanc aux pires attitudes, qui violent manifestement les règles de respect mutuel entre égaux… pour le coup là, on n’est vraiment dans le « je prend ce qui m’arrange ». Prenons l’exemple d’une infirmière ou d’une doctoresse alors…). Cette légitimité n’est pas à gagner par le magistrat mais elle lui est DUE par les justiciables et NON NÉGOCIABLE dans une démocratie. Il n’y a pas à conquérir le cœur des condamnés.

  19. Avatar de Bob
    Bob

    @ Ton vieux copain Michel

     » En l’absence d’un État, on ne voit pas très bien quelle instance imposerait des limites  »

    La conscience de chacun de sa dignité d’homme, devrait déjà imposer beaucoup de limites. Des siècles de soumission à l’autorité nous a bien formaté.
    Lorsque j’observe mon chat, je suis toujours sidéré par la relation qu’il a su établir avec moi « d’affectueuse distance » toujours digne, jamais servile le type même de contrat librement consenti.

    Mais sur le fond je suis d’accord avec vous, dans l’état actuel, l’auto régulation est un leurre.

  20. Avatar de Bob
    Bob

    Ton vieux copain Michel

    : » Il s’agit tout de même d’une critique du socialisme ou du communisme, car la logique de la fable repose sur le principe
    d’égalité que certains protagonistes vont amender et édulcorer par la suite avec des tas d’exceptions et de cas particuliers. Si l’on devait écrire une fable du même type sur le capitalisme, il faudrait partir d’autre chose, du mythe de l’auto-régulation par exemple. »

    Sauf erreur de ma part, l’égalité est aussi un principe de base de notre république et que je sache nous sommes encore sous régime capitaliste. Or tout le monde peut constater qu’en matière de fable celle de Lafontaine: » selon que vous serez puissant ou misérable…….. » s’applique encore très bien de nos jours. Nous sommes loin des idéaux de 1789 me semble t-il, c’est en cela que je trouve que ce pamphlet s’applique très bien aux deux systèmes.

  21. Avatar de Moi
    Moi

    @antoine :

    « L’Empire est une chose, la Cite une autre, l’Etat encore une autre, et le Canevas encore autre chose.
    Quel rapport avec l’état de nature? L’état de nature n’existe pas.  »

    Désolé, j’aurais dû donner une définition de ce qu’est l’état de nature. Pour moi, l’Empire, la Cite le Canevas, ou l’Etat, c’est toujours l’état de nature sous plusieurs formes. L’état de nature est la réalité, ce qui existe. La réalité c’est que tous les hommes, depuis toujours, naissent dans un groupe (au minimum une famille) car aucun homme n’est apparu spontanément (sauf Adam et Eve, mais personne n’y croit). Autrement dit, le groupe est l’état de nature et peu importe la forme qu’il prend on ne sort jamais de cet état de nature sauf, de manière éphémère, à ce qu’il y ait une guerre atomique et un seul survivant ou que tel Robinson on échoue sur une île déserte.
    Au passage, petite question vicieuse : si l’état de nature n’existe pas, pourquoi les libertariens l’utilisent-ils continuellement dans leur argumentation? (les philosophes du contrat social croyaient en l’existence de ce qu’ils appelaient « état de nature », bien qu’ils ne se référent pas tous par là à la même chose, sans quoi ils ne l’auraient bien entendu pas utilisé dans leur argumentation)

    « Mon cas concret etait dans une société ACTUELLE. Et en tant que justiciable les citoyens n’ont rien à dire sur la question (on ne choisit pas son magistrat) »

    Où voulez-vous en venir? Si votre objectif est de décrire la société actuelle, la magistrate n’a rien non plus à dire et le débat est fini. Au départ, vous parlez d’une situation qui n’est pas actuelle (une magistrate pouvant exposer ses croyances religieuses dans un cadre libertarien: « vous etes plutôt libertarien si vous pensez que les magistrates musulmanes devraient pouvoir porter le voile pendant l’audience si elles le souhaitent ») et puis ensuite lorsqu’on vous dit que dans le cadre que vous imaginez cela ne se passerait ainsi, vous rétorquez que votre cas était dans une société actuelle. Bigre. Au passage, je signale que Nozick agit continuellement de la sorte, toujours à passer de la situation actuelle à un cadre théorique selon les besoins de l’argumentation. Il s’agit là de techniques de sophistes.

    « on continue comme avant parce que “pour nous” ca ne change rien… ben voyons »

    Ce que je voulais dire c’est que dans un cadre libertarien de culture chrétienne comme dans le cadre actuel, la magistrate voilée y serait exclue. Donc que l’exclusion ou pas de la magistrate voilée ne dépend pas du cadre politique (libertarien, totalitaire, démocratique, peu importe) mais des valeurs collectives. Le jour où dans notre société, le musulman ne sera pas considéré comme l’Autre, le voile ne posera pas problème pour devenir magistrate et cela même si la forme de l’Etat ne change pas.

    « Le fait de soupçonner qu’une magistrate, parce qu’elle est voilée, serait susceptible de ne pas aller dans le sens de vos intérêts, alors qu’elle ne fait qu’appliquer la loi »

    La loi ne s’applique pas aussi aisément que cela, justement. Il y a de l’interprétation, de la subjectivité, de l’humain. Sans quoi il n’y aurait pas de magistrat, mais un programme informatique dans lequel on met les données du conflit en input, qui les passerait à la moulinette de la loi et qui sortirait la sentence directement sur l’imprimante.
    Enfin, bon, tous les avocats savent qu’il vaut mieux avoir tel ou tel juge pour telle ou telle affaire. Et qu’il n’y a pas plus égalité devant la loi selon que vous soyez pauvre ou riche, blanc ou noir, etc (je parle évidemment de la situation ACTUELLE, pas de la théorie).

    Précisons enfin que je ne parle pas de MES intérêts. Sans quoi j’aurais pour ma part tendance à choisir la magistrate voilée. 🙂

  22. Avatar de Moi
    Moi

    @ghost dog : « Y’a pas un penseur de philo politique qui a réfléchit à un système qui prendrait en compte des individus fondamentalement égoïste mais dont l’humanité enrichit par le contact à l’autre leur donnerait la volonté de développer de l’empathie ? »

    Oh, vous savez, l’empathie n’est pas dénuée d’égoïsme. Pourquoi pensez-vous que l’on écrase fébrilement l’araignée et qu’on s’apitoie sur le koala… 🙂

    Plus sérieusement, j’ai lu il y a quelque temps des recherches intéressantes sur la coopération. En résumé, la conclusion était qu’elle ne s’oppose pas à l’intéret égoïste mais le sert. C’est pourquoi nous vivons en meute. C’est juste que certains veulent profiter des avantages de la coopération (globalement positifs) sans en subir les inconvénients.

  23. Avatar de iGor milhit

    pour cette question de l’intérêt égoïste, j’ai apprécié la lecture de:
    Frédéric Lordon. – L’intérêt souverain, une manière de s’opposer à l’utilitarisme sans pour autant croire à l’illusion de l’action désintéressée.

  24. Avatar de Boukovski
    Boukovski

    @ antoine

    Dans la pratique, il ne peut y avoir de justice sans acceptation sociale de la peine (par le plus grand nombre s’entend). Sinon, ce n’est plus de la « justice » mais autre chose (en tout cas pas une démocratie) .Si vous avez des contre-exemples… La justice est une fonction sociale et non un simple mécanisme abstrait et désincarné de distribution de peines. Elle concoure à réguler la société. Sans acceptation de l’institution, pas de légitimité. Les déçus feront leur justice eux-même. Sans légitimité, pas de régulation. Sans légitimité de l’institution, pas de légitimité de la décision de justice. Une décision de justice inique sera opérante si la société dans son ensemble continue de lui reconnaître cette légitimité (ex: affaire d’Outreau).

    Une « Femme voilée » qui rend la justice est un cas de figure différent de « femme » qui rend la justice. L’exposé d’une croyance religieuse n’est pas une manifestation neutre. Une croyance religieuse donne une interprétation de la réalité, qui peut déboucher sur une manière particulière de gérer la société, qui peut ne pas plaire à toute la société. La manifestation d’un genre (masculin, féminin) n’a aucune prétention de cette sorte et sera donc certainement acceptée sans difficulté par les justiciables.

    Le problème n’existe plus si la société dans son ensemble continue de reconnaître comme légitime une institution alors même qu’elle sert de tribune à tel ou tel courant religieux. C’est donc surtout une question pratique et non philosophique: qu’est-ce qu’une société à un instant donné est prête à accepter dans ce domaine ?.

  25. Avatar de iGor milhit

    d’autre part, quand il s’agit d’une « femme voilée », avez-vous pensé à la version chrétienne?

  26. Avatar de ghost dog
    ghost dog

    @IGor

    Merci pour la réf à Lordon, j’ai lu avec bcp de plaisir ses interventions sur son blog, dans le Diplo et même son petit bouquin sur la crise ! il a un style vraiment hilarant et très dynamique ! (son intervention chez ACRIMED ne manquait pas de piquant !).

    Grâce à vous , je vais découvrir son travail philosophique.

    Bonne soirée,

  27. Avatar de iGor milhit

    @ ghost dog

    c’est un peu mon plaisir que de glisser une référence ici, un lien par-là…
    Quand Lordon philosophe, il le fait avec son Spinoza à côté de lui… comme par exemple ce livre collectif, dont on trouve l’intro sur le site du journal du MAUSS : Un devenir spinoziste des sciences sociales ?

    j’avais aussi trouvé au moyen d’un fameux logiciel de P2P un .pdf de Lordon intitulé « Revenir à Spinoza
    dans la conjoncture intellectuelle présente » dont la lecture m’avait passablement intéressé. une défense intelligente d’une vision structuraliste, en opposition à la religion de la responsabilité individuelle.
    je vous l’envoie volontiers, soit par l’intermédiaire de M. Jorion (s’il le veut bien), ou plus directement si vous me donnez une adresse à l’adresse suivante:
    igormilhit@bluewin.ch

  28. Avatar de iGor milhit

    et il y a déjà pas mal de temps quelqu’un avait donné ici le lien vers une vidéo d’une conférence de Lordon et de Orléan invités par les Ars Industrialis: Conférence de Frédéric Lordon au théâtre de La Colline le 28 mars 2009 dans le cadre des débats : Le désir en économie et économie du désir organisés par Ars Industrialis, conférence dans laquelle Lordon fait passablement référence à son côté philosophe et son intérêt (si, si 😉 ) pour Spinoza.

    voilà, c’est tout pour ce soir…

  29. Avatar de logique
    logique

    M’enfin il veut peut être dire que nos société sont actuellement aux mains de quelsques d’individus, qui se foutent de la société et qui ne pensent qu’as leur porpres individualité, sortent de narcissisme mélangé a une volonté de puissance et de pouvoir ?

  30. Avatar de Amadou Kebe
    Amadou Kebe

    Je viens de commencer la lecture de « La grande transformation » de Karl Polanyi. Sa thèse est que « l’idée d’un marché s’ajustant lui même était purement utopique » (page 22).

    Polanyi rappelle que le principe du gain comme justification de l’action et du comportement a remplacé le principe de subsistance. De plus, le gain nécessite une organisation sociale basé sur le modèle du marché qui suppose un système autorégulateur de marchés. Selon lui, le marché autorégulateur est à l’origine de la création de l’Etat libéral.
    Ainsi, Polanyi conclut que « la dislocation provoquée par un pareil dispositif doit briser les relations humaines et menacer d’anéantir l’habitat naturel de l’homme » (page 70).

    Par ailleurs, Polanyi met en lumière 3 principes qui ont servi de base solide à la société :
    – le principe de réciprocité qui exige une organisation sociale basé sur le modèle de la symétrie
    – le principe de redistribution nécessitant une organisation sociale fondé sur le modèle de la centralité
    – le principe de l’administration domestique avec une organisation sociale s’appuyant sur modèle de l’autarcie

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