Un très mauvais climat

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Son nom est le Borowitz Report et son édition du 16 juillet s’intitule Goldman Sachs en pourparlers en vue d’acheter le Département du Trésor (le Ministère des Finances américain). Dans ce rapport, Borowitz explique l’offre de Goldman Sachs comme faisant partie d’un effort de rationalisation : « Nous avons déjà tant d’employés en commun ! » Et le porte-parole de la firme ajoute : « Le plus difficile pour nous en ce moment, c’est de déterminer la partie que nous ne possédons pas encore ! »

C’est une plaisanterie bien entendu mais ce genre de plaisanteries fleurissent en ce moment aux États-Unis. Certains plaisantent, d’autres se fâchent, comme Matt Taibbi dans son article devenu fameux dans Rolling Stone Magazine, d’autres encore s’énervent, se départissent, comme on dit, de leur flegme légendaire, comme Paul Krugman.

Un petit rappel : un extrait de The Great American Bubble Machine, l’article de Matt Taibbi publié dans le numéro de juillet 2009 de Rolling Stone :

« … et que rendit en échange Goldman Sachs au peuple des États-Unis en 2008 ?

Quatorze millions de dollars.

Voilà ce que la firme a payé en taxes en 2008, un taux d’imposition effectif d’exactement, oui : vous lisez bien, un pourcent. La banque a versé la même année dix milliards de dollars en rémunérations et privilèges et déclaré un profit de deux milliards de dollars – et elle a pourtant payé au fisc moins d’un tiers de la somme qu’elle a déversé cette année-là sur son P-DG Lloyd Blankfein, qui récolta 42,9 millions de dollars.

[…] Voilà le monde où nous vivons aujourd’hui. Et dans ce monde, certains sont obligés de suivre les règles tandis que d’autres reçoivent une note du sur-gé les dispensant de devoirs jusqu’à la fin des temps, avec en cadeau, dix milliards de dollars dans une enveloppe en papier kraft pour avoir de quoi s’acheter à déjeuner ».

Un extrait maintenant de l’éditorial de Krugman publié le 17 juillet dans le New York Times et intitulé The Joy of Sachs (un jeu de mots sur le titre d’un livre – illustré – qui fit scandale en 1972 : « The Joy of Sex »).

… Goldman a fait ses bénéfices en nous prenant nous, nous les autres, pour des imbéciles.

Et Wall Street y trouve un encouragement à perpétuer ce genre de petits jeux.

Les bonus gigantesques que Goldman s’apprête à distribuer prouvent que les vedettes de l’industrie financière opèrent toujours de la même manière : pile, ils gagnent, face, les autres perdent ».

Tout cela crée un très mauvais climat. Cela signifie la chose suivante : cela signifie que le peuple américain, dont on imaginait que son admiration pour la réussite financière ne se démentirait jamais n’apprécie en réalité plus guère le genre de fanfaronnades consistant pour Goldman Sachs à annoncer triomphalement que ses employés gagneront 642.000 dollars en moyenne en 2009, dans un pays où le taux de chômage frise les 10 %, non pas que le fossé entre les privilégiés et les autres se soit trop creusé – des écarts énormes entre nantis et « sous-privilégiés » (underprivileged) n’ont jamais constitué dans ce pays un obstacle insurmontable à l’identification du gagne-petit au multimillionnaire – mais du fait que la réussite du milieu financier n’apparait plus aujourd’hui fondée sur l’effort mais uniquement sur l’artifice : trop de brume artificielle cette fois-ci, beaucoup trop d’effets de miroir…

Bien sûr, des îlots de prospérité se recréent, grâce aux commissions colossales que génère la liquidation de l’ancien système à l’agonie, primes touchées par ceux qui furent responsables de sa perte et qui apparaissent encore une fois récompensés – contre toute logique et contre toute justice. La fin sans gloire d’une classe corrompue, tuée par ses propres excès est un spectacle affligeant. Mais que dire d’autre ? Et surtout, pourquoi s’énerver ?

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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92 réponses à “Un très mauvais climat”

  1. Avatar de Jérémie
    Jérémie

    @ Boukovski
    « Ce système que vous n’aimez pas, ne va pas disparaître au sens où vous l’entendez.  »

    Mais qui aimerait encore soutenir plus longtemps ce système de nos jours ?

    Rien ne dure tout passe que savons nous vraiment du futur, de quoi sera fait demain ? Même les civilisations les plus obstinés les plus folles et qui n’ont jamais voulu disparaître, finiront elles aussi par disparaître comme tant d’autres avant elles et quand bien même nous nous montrerons encore peu capables de l’accepter, avec courage sans armes
    ni bagages, sans non plus s’en retourner davantage pour voir plus de ruines encore.

    « Il va se transformer en autre chose, qui correspondra à un nouvel équilibré. »

    Que savons nous vraiment de ce qui va advenir nous autres petits humains à l’échelle de l’histoire ce n’est pas non plus avec davantage de transformistes que ce nouvel équilibré apparent tiendra bien longtemps.

    « C’est un processus sans fin et c’est parfait ainsi. »

    “ Il est impossible d’être de simples observateurs car vos pensées et actions ont un effet sur ce qu’est cette civilisation et contribuent à ce qu’elle est. »

    Bien sur que si. Folle présomption de l’homme moderne se croyant encore tout puissant et immortel s’imaginant même pouvoir indéfiniment laver le cerveau des hommes le faire indéfiniment croire, à l’autre qu’il en sera toujours ainsi, pouvoir continuellement travestir le système quel vain processus de mort, sans fin faussement durable.

    Cessez donc de rêver, vos pensées et vos actions n’auront pas toujours autant d’effet sur les autres, sur le monde
    pas plus que le simple moustique devant la tempête. Lao Tseu disait pourquoi vouloir toujours se sentir utile
    à quoi que ce soit et cela même à certaines périodes.

    « Sur d’autres blogs j’ai lu des contributions de personnes admettant éprouver une “joie mauvaise” devant les effondrements en cours.  »

    Quelle joie mauvaise à éprouver la fin de Babybone de cette folle civilisation commerciale ? Ne devriez-vous pas plutôt vous faire soigner que de vouloir priver plus longtemps cette joie tant attendu pour tant de personnes rendus si malheureuses par tant de fausses valeurs de vie.

    « Comme si par un processus d’identification, par projection, le “système” était tenu responsable du mal-être, de l’ennui ou des problèmes de leurs vies (je ne dis pas que c’est votre cas). C’est une illusion comme celle que vous dénoncez.

    Comme si par un processus de lavage de cerveau, ce « système  » devrait être toujours tenu responsable de rien, surtout concernant tant d’êtres complétement écoeurés et dépités ( je ne dis pas non plus que c’est déjà votre cas).
    Et oui ce n’est pas toujours pour mieux vivre dans l’illusion béate d’une société, que certains font le choix parfois plus courageux et humain de mieux vivre aux cotés des plus mals lotis.

  2. […] Bien sûr, des îlots de prospérité se recréent, grâce aux commissions colossales que génère la liquidation de l’ancien système à l’agonie, primes touchées par ceux qui furent responsables de sa perte et qui apparaissent encore une fois récompensés – contre toute logique et contre toute justice. La fin sans gloire d’une classe corrompue, tuée par ses propres excès est un spectacle affligeant. Mais que dire d’autre ? Et surtout, pourquoi s’énerver ? Le Blog de Paul Jorion […]

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