Ce texte est un « article presslib’ » (*)
J’ai à peu près déballé mes livres, et ma nièce Muriel a couvert les murs d’étagères faisant chacune deux mètres quarante, ce qui me permet d’un regard une approche quantitative de mes intérêts.
L’un de vous, il y a une semaine ou deux se plaignait que l’on parle de relativité restreinte « sur un blog consacré à l’économie » et j’avais répondu un peu sèchement que la seule règle était qu’on était libre de parler ici de ce qui me semblait intéressant (ce serait assez dictatorial si mon blog était le seul dans Landerneau mais ce n’est heureusement pas le cas). Alors, mauvaise nouvelle pour cette personne : la philosophie des sciences vient en premier – 3,3 mètres (à vue de nez, je ne vais pas m’emparer d’un centimètre !).
Je vais continuer, parce que tout cela me surprend un peu aussi : je me découvre moi-même en voyant ces longueurs d’étagères. Numéro deux : finance – 2,4 mètres (très technique !). Numéro trois (bon sang ne peut mentir), anthropologie – 2,2 mètres, mais, et cela en dit long sur ce qui m’apparaît personnellement comme l’âge d’or de ma discipline : XVIIIe et XIXe siècles essentiellement. Ensuite, pensée économique – 1,8 mètres ; Hegel – 1,2 mètres ; mathématiques – 1 mètre. Je n’ai encore déballé ni la linguistique, ni la psychanalyse mais on dépassera le mètre là aussi.
Quels livres m’ont le plus manqué ? Si j’en juge par ceux sur lesquels je me suis à nouveau jeté : « La querelle des futurs contingents (Louvain 1465 – 1475) » de Léon Baudry (Vrin 1950) et « Le complexe significabile » d’Hubert Élie (Vrin 1937).
La logique et la linguistique scolastiques : rien à voir avec la crise, me direz-vous. À première vue sans doute, mais ne préjugeons de rien, je vous tiendrai informés !
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
65 réponses à “Ce qui m’intéresse (une approche quantitative)”
Vive l’amour de la sagesse du savoir et des découvertes sans fin…
La science et l’histoire des sciences.
Quel beau sujet, je vous comprends Mr Jorion.
Et quand on s’intéresse d’un peu plus près à cette discipline ou plutôt ces disciplines (les sciences), on se rend compte à quel point le politique, le religieux, l’économique et le militaire ont influencé le savoir « officiel ». Et c’est encore le cas aujourd’hui…malheureusement…
La hauteur des piles, et la diversité des domaines, expliquent pourquoi un cerveau individuel (de politicien, d’ ingénieur, de trader, de stratège militaire ou même de philosophe), ne peut qu’ exceptionnellement saisir cette crise dans toutes ses dimensions. A supposer qu’ il la saisisse, il ne peut rien en faire, car il ne peut être compris.
Mais, un cerveau collectif peut faire tout celà.
Quel linéaire de poésie ?
Qu’importe ? « L’oeuvre d’art à venir, c’est la construction d’une vie passionnante. » écrivait Vaneigem.
Dis, allez, Rimbaud, ça n’est pas une vanne ?
Non, » La poésie est toujours quelque part. Vient-elle à déserter les arts, on voit mieux qu’elle réside avant tout dans les gestes, dans un style de vie, dans une recherche de ce style. Partout réprimée, cette poésie-là fleurit partout. Brutalement refoulée, elle reparaît dans la violence. Elle consacre les émeutes, épouse la révolte, anime les grandes fêtes sociales avant que les bureaucrates l’assignent à résidence dans la culture hagiographique. »
http://arikel.free.fr/aides/vaneigem/traite-20.html
Vérifiez la solidité de vos étagères.
belle bibliothéque tout de même surtout si vous avez pris soins de virer l’inutile. La mienne est toujours dans les carton, chez ma mère :))))) . j’avais réussi a remplir 20 mètres linéaire, a mon age c’est deja pas mal. Par contre la littérature psychanalitique a la plus grand place. Comme quoi !
Je post juste par nostalgie. J’attends moi aussi patiement d’avoir de nouveau la place pour débaler tous ces cartons est les ranger comme vous par thémes.
M’enfin cela ne m’empèche pas de haîr la grammaire et l’horthographe. Beaucoup s’en sont rendu compte. Mais je trouve qu’il faut aussi avoir quelque faiblesse l’histoire de voir lesquels auront la faiblesse de s’en servir.
Encore bravo pour le blog.
Confusion de Mrs Jorion.
Serge demoulin,
http://pogue.blogs.nytimes.com/2009/07/17/some-e-books-are-more-equal-than-others/
Notez les livres en question, le petit coup de pouce du sort.
Il y a un beau proverbe créole qui dit : Papier i refuse pas l’encre.Les choses inutiles qui ont été imprimés ne servent qu’a faire exploser les bibliothéques des belles personnes.Suedoises ou pas , ( je parlais des bibliothéques)
Et pourtant , jeter un livre est pour moi un arrache coeur.J’ai fait un rêve …demain vous allez nous annoncer Alexandre Vialatte : 7mètres 50..On arrête pas le progrés , il s’arrête de lui même.
Merci Paul Jorion pour votre blog.
Woooahhh, tant de livres…
Mais ouf, côté mathématiques, je vous bats :)))
le livre est un outil de la plus haute technologie… il se transforme en haltères plus souvent qu’on ne l’imagine… ça n’enlève rien au plaisir, bien au contraire. les livres exigent aussi des talents de jardinier (désherbage) et de ménage (poussière).
une autre qualité des livres, c’est qu’ils savent m’arracher de l’écran, je leur en suis très reconnaissant, si, si…
c’est très complet et équilibré l’amour des livres
et une bonne collection de livre vous met face aux choix de classements, et l’on constate que classer ce n’est pas anodin, pas neutre, et qu’il y a toujours un peu d’arbitraire ici ou là, surtout aux abords des frontières…
Paul Jorion dit:
« La logique et la linguistique scolastiques : rien à voir avec la crise, me direz-vous. À première vue sans doute, mais ne préjugeons de rien, je vous tiendrai informés ! »
Enfin…depuis le temps que ça rôde,
j’espère un petit détour chez Pierre Legendre,
anthropologue « dogmaticien », qui a beaucoup à faire savoir sur le sujet et sur…le sujet.
Comment votre approche quantitative correspond elle à votre approche qualitative ? un peu, beaucoup, passionnément … ?
Quelle mine ! et bien vraiment merci de partager tout cela avec nous !
Moralité : qui est dépourvu d’un rayon « art du bricolage » doit disposer d’une nièce Muriel pour installer sa bibliothèque ! -:)
Tout le drame de notre sinistre époque est contenu dans le détail quantitatif de votre bibliothéque ce n’est pas tant de quantité que de qualité dont il doit s’agir, des singes savants ne valent rien, qu’ils avalent le dalloz, le vidal, ou les philosophes ou encore le botin,ça peut revenir au même, tout dépend des liens, des associations qu’ils feront ensuite, et au service de qui ou de quoi eles seront offertes,la pertinence des liens c’est cela la vraie intelligence, l’action par excellence…
Ici, un mètre linéaire de livres de Paul Jorion, à part ça … 🙂
Non, plus de 350 livres, des classiques (philo, lettres, psy), moins tout ce que j’ai revendu à Gibert Jeunes.
Hobsbawm, l’âge des extrèmes cotoye minima moralia et Serge Leclerc.
L
Suffit-il de donner le linéaire occupé par vos diverses disciplines pour démontrer lesquelles ont le plus de « poids » ? ;-))
OK, je vais faire pareil avec ma garde-robe, cependant j’ai remarqué que ce sont les robes qui prennent le moins de place qui ont le plus de succès ;-))
@ Nedat béatrice
Hélas, je n’ai jamais été assez riche pour acheter des livres que je ne lirais pas ensuite !
Bonjour monsieur
décidement nos préoccupations se rejoignent. Peut être existe-t-il un lien chez ceux qui cherchent des réponses à ce qui est.
Sartre, chantre des existentialistes athés, n’avait pas voulu creusé la scolastique et ceci explique peut être la différence qu’il existe en lui et Kierkegaard.
L’intelligence comporte au moins deux aspects: la cohérence des liens mais surtout la vérité des apriori. La vérité des a priori est la pierre sur laquelle est batie toute église fut-elle scientiste..
je lirai avec plaisir le développement de ce forum qui me parait être fondamental.
cordialement
francois
@ Paul
Vous avez dit que la survie de l’espèce humaine dépendait de l’abandon de l’agressivité. René Girard (Des choses cachées depuis la fondation du monde) explique l’origine de la violence par le désir mimétique, et j’ai mieux compris l’économie après l’avoir lu et en pariculier pourquoi les entreprises cèdent en même temps aux mêmes modes. En fait, l’instinct mimétique est encore plus puissant que l’instinct sexuel. On le voit à l’oeuvre dans le développement de l’enfant comme dans le suivisme boursier.
Certes, on peut lire, lire comme on peut avaler un grain de blé, c’est à dire que physiologiquement ça passe, mais quant à être digéré, assimilé, ça c’est une autre histoire n’est-ce-pas, en faire quelque chose, composer, créer, ça c’est proprement la poèsie, la résonance de l’intime avec l’universel,ça nécessite d’enlever pas mal de peaux de non-lumière justement, et la non-lumière c’est souvent la raison que la socio-culture nous a insufflée
@ Nedat béatrice
Je n’atteins sans doute pas le niveau de qualité que vous espérez mais je fais de mon mieux.
@ Maître Dong
Pour moi, le désir mimétique de Girard, c’est le désir de reconnaissance chez Hegel et chez Lacan passé sous le rouleau compresseur : passant de trois dimensions à deux et ayant perdu toute épaisseur. Tout ce qui était intéressant a malheureusement été perdu dans cette « transformation ».
Une plus grande étagère de livres tue le chant de l’oiseau.
Je souhaite qu’on me délivre des livres… [Vincent Roca]
Quand les lettrés se soulèvent trois ans plus-tard il ne s’est rien passé.
Nous vivons trop dans les livres et pas assez dans la nature. [Anatole France]
Nous nous méfions jamais assez des livres qui veulent toujours écrire l’histoire.
J’ai même vu une fois une boite au lettre ou la bibliothèque d’un lettré dans un cimetière.
Un livre qu’on quitte sans en avoir extrait quelque chose est un livre qu’on n’a pas lu. [Antoine Albalat]
Si vous aviez une entière confiance dans les livres, il vaudrait mieux ne pas avoir de livres du tout. [Meng-Tsen]
A l’époque actuelle on fait grand cas des livres. Les livres ne sont faits que de mots. Les mots ne valent que par des idées. Les idées ont une origine qui ne peut s’exprimer par des mots. [Tchouang-Tseu]
La véritable éducation consiste à tirer le meilleur de soi-même. Quel meilleur livre peut-il exister que le livre de l’humanité ?
[Gandhi]
Les livres font les époques et les nations, comme les époques et les nations font les livres.
[Jean-Jacques Ampère]
Quand vous faites un livre, il y a autant d’interprétations du livre que vous pouvez avoir de lecteurs.
[Jean-Paul Dubois]
Si un livre et une tête se heurtent et que cela sonne creux, le son provient-il toujours du livre ?
[Georg Christoph Lichtenberg]
Le monde c’est hélas la grande marque visible de tellement d’auteurs si peu spirituels.
Est-il réellement possible de prendre conscience de l’odeur de ses pieds en lisant toujours Karl Marx ?
Un livre est un miroir. Si un singe s’y regarde, ce n’est pas l’image d’un apôtre qui apparaît. [GC Lichtenberg]
Une seule conversation à table avec un sage vaut mieux que dix ans passés dans les livres. [H W Longfellow]
Le grand inconvénient des livres nouveaux est de nous empêcher de lire les anciens. [Joseph Joubert]
Si seulement les livres pouvaient toujours éclairer automatiquement la civilisation, consoler les coeurs.
Et pendant que je vous force à lire ceci je vous prive de nouveau d’entendre le chant de l’oiseau,
Il y a plus dans les forêts que dans les livres. [Saint Bernard]
Qui veut se connaître, qu’il ouvre un livre. [Jean Paulhan]
Nous sommes écrasés par un savoir de plus en plus pointu, spécialisé. Plus aucun généraliste ne peut prétendre détenir une vision globale de la science. Chaque domaine spécialisé vit sa vie sans cohérence avec tous les autres savoirs qui ne cessent de se fragmenter, comme d’ailleurs la matière dont on sait maintenant qu’elle ne repose sur aucune brique fondamentale insécable mais simplement sur une vibration, sur de l’énergie, sur un vide animé d’une infime vibration, à peine perceptible. L’amoncellement, l’écrasement des savoirs débouche sur le vide alors que la volonté de savoir et de comprendre, l’élan initial, avait bien pour but de nous donner des clés pour agir et pour comprendre le réel. On finira par poser que ce qui est « vrai » c’est simplement ce qui fonctionne. L’amoncellement des savoirs produits par la pensée aboutit au contraire du but recherché : la perte du sens et la coupure avec ce réel tant désiré.
Georges Perec, que l’on ne présente plus, a écrit des « choses » inoubliables, que nous ne pourrons jamais faire à notre tour disparaitre par la grâce et la magie de savants jeux de mots littéraires. Il s’est en particulier penché, si je puis dire, sur l’angoissant problème de « comment classer une bibliothèque? » Une question qui vaut bien, question insomnie, celle de « la barbe, au dessus en dessous de la couverture? » Celle que je préfère est à l’envers, dos du livre contre le fond de l’étagère, laissant à chaque tirage de livre l’incertitude du sport et l’émotion de redécouvertes fortuites.
C’est que justement Bukovsky, il faut opèrer une différence entre savoir et compréhension, le savoir est une accumulation d’informations, la compréhension intervient quand l’esprit s’en mêle, mais l’esprit n’est pas la pensée, il passe par elle pour se manifester certes mais est d’une toute autre nature.
L’esprit a l’image d’un diamant qui vient heurter des réalités, des dimensions différentes , et offrir un espace de lumière qui sans lui ne saurait être appréhendé car chaque dimension relève de lois et de concepts différents qui sans son intervention ne serait pas perceptible, il vient ce fameux esprit prendre la place du tiers inclus si cher à quelqu’un comme Basarab Nicolescu…et transformer le savoir en compréhension magnifique alchimie!
Monsieur Jorion, consentir et imaginer à ce que vous ne répondiez pas aux attentes est la mesure probable de votre progression, j’ai foi en l’humain et il se peut que j’aie raison…
Je suis très heureux de lire ici une certaine défiance vis-à-vis de l’ingurgitation du savoir et aussi l’idée que la création est le but ultime. Sinon on perpétue une tradition, plus ou moins morte. Il y a eu un livre publié récemment à ce sujet, quel en était le titre ?
@ Paul Jorion
Hegel : qu’est-ce que le désir de reconnaissance chez Hegel ?
Et concernant Helgel pour qui l’Esprit s’incarne dans le gouvernement, comment les hegeliens comprennent-il la Shoa ? est-on toujours dans une progression de type dialectique ? (provocation…)
L
Bien beau tous ces livres, pour la connaissance. Laquelle, d’ailleurs ? Tu veux connaitre la crise, les secrets des marchés, l’arrogance de l’argent tout puissant et la jalousie de ceux qui en manquent ? Lis Bukowski, Fante, Knut Hamsun, des romans, l’art mineur pour les grands esprits.
La réalité d’ailleurs dont les caractéristiques seraient accessibles aux gens soi-disant « normaux » est à la source de l’idée de santé mentale, la différence entre un religieux et un délirant, c’est le nombre, quand vous êtes étiqueté délirant de ceci ou de cela, vous êtes seul , vous êtes hors sillon, définition même du délire,si vous êtes chrétien admettons, ou adepte de la secte néo-libérale par exemple, le nombre de gens qui se rallie à votre opinion fait que vous êtes « normal », rigolo, non?
La réalité est un mythe, le concept de réalité objective est insoutenable, on ne peut que parler et encore parler n’est pas juste comme aime à le dire Wittgenstein qui trace une limite claire du champ d’action langagier, le langage ne DIT pas, il MONTRE, on ne peut donc que renvoyer le reflet de nos sens qui ne sont qu’une lecture, une interprétation de la réalité, d’images, et non de la réalité en soi…
La réalité en tant que telle est antinomique mais pas contradictoire même si elle passe d’abord par la contradiction, n’essayez pas de comprendre cette phrase, renoncez à toute idée de vouloir en saisir le contenu, parce que vous n’aurez rien voulu et que vous vous serez abandonné à la dynamique du mouvement ondulatoire quelque chose se fera en vous et tout à coup, ce sera clair et vous en serez le premier étonné et bien sûr émerveillé aussi!!!