L’actualité de la crise : La peste ou le choléra, par François Leclerc

Billet invité.

LA PESTE OU LE CHOLERA ?

Au dire des experts, deux dangers sont dûment répertoriés dans la situation actuelle, comme si nous en manquions. Celui de la croissance exagérée de la dette publique et celui de l’inflation. Cette dernière pouvant réduire le poids de la première, mais cela perturberait encore plus un système financier (qui n’en a pas besoin) et aboutirait à une hausse des taux obligataires contradictoire avec le but recherché.

Il est toujours tentant de prétendre ne pas choisir entre la peste et le choléra. En l’occurrence de tergiverser devant cette équation difficile à résoudre pour les gouvernements, manière classique et discrète de pratiquer la fuite en avant. Mais cela n’a qu’un temps, et personne ne connaît sa durée. Bien entendu, des mesures radicales seraient en théorie toujours envisageables, en décidant de porter enfin le fer dans la plaie bancaire, mais elles sont toujours aussi peu vraisemblables. Que reste-t-il alors de disponible en magasin ? Quitte, si l’on comprend bien, à prendre le risque de la déflation ou, à minima, de s’installer dans une longue période de faible croissance.

Le dernier article d’Ambrose Evans-Pritchard, dans le Telegraph, s’appuie sur la description des mesures drastiques d’économie prises en Irlande, rendue nécessaires par le niveau d’endettement atteint par le pays, pour en tirer quelques enseignements, valables selon lui en Europe et aux Etats-Unis. A la vue d’une croissance de la dette publique partout fulgurante, qui n’est pas prête de se terminer, et du danger persistant de la déflation qu’il estime toujours présent (contrairement à ceux qui crient au loup avec celui de l’inflation), il s’interroge sur la meilleure politique à adopter.

Il préconise de combiner une réduction des dépenses publiques et d’une lutte contre la déflation s’appuyant sur les instruments monétaires. Craignant, dit-il, que ce soit exactement le contraire qui soit choisi, avec des conséquences catastrophiques. « La route vers la ruine », prédit-il. Ce n’est peut-être pas certain pour tous, mais cela l’est sans doute plus pour la Grande-Bretagne, si l’on considère son niveau d’endettement prévisionnel et la faiblesse prévisible de sa monnaie. Mais il n’explique pas quelles coupes devraient être effectuées sur les dépenses, on s’attend au pire.

En Europe, les Allemands s’essayent pourtant à une autre politique. Pour demain, ils cherchent à pousser mondialement les feux de la régulation financière, s’entourant par ailleurs d’une barrière sanitaire, car n’en attendant pas trop. Dans l’immédiat, ils s’opposent à ce que la BCE s’engage dans une création monétaire à leurs yeux inflationniste, repoussant au plus tard possible, grâce à des bad banks, la prise en compte des gigantesques pertes enregistrées par leurs banques. Ils cherchent à obtenir de celles-ci, en contre partie de leur sauvetage, qu’elles réamorcent la pompe du crédit aux entreprises, ou à défaut que la Banque fédérale allemande s’engage sur le marché obligataire, au prix d’une hérésie. Enfin, ils rendent hors la loi au terme de 2016 l’adoption de budgets de l’Etat déficitaires au-delà de 0,35% du PIB. La voie est étroite mais elle est solitaire. Elle signe toutefois un arrêt brutal à tout nouvel approfondissement de la construction européenne.

Tout le monde ne dispose pas des moyens de cette politique, qui suppose cependant pour être tenable que la reprise intervienne vite, permettant aux exportations allemandes de repartir et avec elles toute l’économie. C’est un double pari qui est tenu, à court terme s’agissant de la reprise, et à moyen terme, car l’Allemagne restera toujours aussi vulnérable à une chute de ses exportations, à la faveur d’une nouvelle crise résultant des failles prévisibles de la régulation financière mondiale.

La question reste donc finalement entière. Une nouvelle bulle est en train d’être crée, celle de la dette publique, l’ancienne bulle privée est quant à elle loin d’être totalement dégonflée, une troisième bulle est simultanément en cours de constitution, aux bons soins des méga-banques. Le système financier se résume de plus en plus en une machine à faire des bulles ! En attendant, les actifs toxiques sont parqués n’importe où et comment, dans les livres des banques, dans quelques bad banks déjà crées ou à venir, ou dans les bilans des banques centrales aussi. Ce qui, de tous ces numéros d’acrobatie, est mine de rien tout aussi problématique.

Comment, demain, les Etats vont-ils assurer le remboursement des dettes contractées à la faveur de la crise, surtout si elle se prolonge plus qu’il est aujourd’hui annoncé, avec au mieux une croissance anémique ? Nul ne souhaite l’envisager publiquement encore, car il n’y a pas d’alternative. Faudra-t-il en venir à des mesures extrêmes de réduction des coûts, telles qu’elles sont prises dans l’urgence en Irlande (et en Californie aussi, dans un autre contexte, qui est tout de même la huitième « puissance » économique mondiale et qui ne sortira pas de son bras de fer actuel sans laisser des plumes) ? Quelles seront alors les paramètres sociaux et politiques de cette nouvelle période succédant aux « trente glorieuses » ? Les analystes ne se bousculent pas à ce propos.

Nous pourrions bien assister dans les années à venir à un chassé croisé. Les Etats-Unis se dotant d’un système public de protection de la santé, tandis que l’Europe continuerait de détricoter son filet de protection social. Et les Chinois, afin de développer leur marché intérieur, remettraient sur pied leur propre système de santé délaissé. Comme si, parmi les indicateurs économiques, celui de la santé et du bien être des populations devait être davantage pris en considération, comme contribution enfin reconnue au développement et au calcul de la croissance. Mais que, malheureusement, là où ce bien être était le plus garanti, cela allait devoir diminuer…

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46 réponses à “L’actualité de la crise : La peste ou le choléra, par François Leclerc”

  1. Avatar de papimam
    papimam

    Avant de parler de démocratie il faudrait que les électeurs aient accès à la vérité, la réalité du terrain et non à des leurres et autres artifices issus des cervelles débordantes de nos experts en PUB et COM. Des médias d’investigation, autonomes, diversifiés, indépendants de financements ambigüs sont un préalable. On s’en éloigne chaque jour un peu plus en France (condoléances à l’Obs., dommage).

  2. Avatar de innocent
    innocent

    Sur challenge.Fr

    L’indice Dow Jones bénéficie de l’annonce d’un accord probable sur le sauvetage de la banque spécialisée dans le financement des petites et moyennes entreprises au bord de la faillite. CIT

    Dans ce monde étrange, il est rassurant de constater que nul besoin de faire péter des bouteilles de gaz pour qu’une intervention divine se produise… sauvons les banquiers !! ils nous sauverons ..
    il est compliqué de faire des choses simples ou il est simple de faire compliqué.. l’essentiel étant que le commun des mortels n’y comprennent rien à ces choses..

  3. Avatar de BA
    BA

    Blackhole écrit :  » Vous croyez encore à la démocratie…  »

    Oui.

  4. Avatar de innocent
    innocent

    Heureusement que le modeste Monsieur Jorion nous éclaire de ces lumières et de bien belle façon..
    j’ai eu du plaisir à vous écoutez sur France Culture..

  5. Avatar de BA
    BA

    Gil écrit :  » avec des états qui preferent taper dans l’argent public pour renflouer les banques plutot que de laisser certains joueurs couler comme ils le méritent, je ne vois pas quelle meileure gestion on pourrait attendre. D’alleurs le CL nationalisé n a pas été empeché d’agir de la sorte. L’état patron est souvent bien pire.  »

    2 décembre 1945 : Charles de Gaulle nationalise la Banque de France et les grands banques. L’Etat était donc le patron de la Banque de France et des banques françaises à partir de 1945. Charles de Gaulle, puis tous les autres gouvernements des Trente Glorieuses, leur ont donné comme mission une mission de service public. L’Etat a été un excellent patron.

    A partir de la fin des années 1980, l’Etat a été dirigé par des gouvernements qui n’avaient RIEN à voir avec les gouvernements des Trente Glorieuses. A partir de la fin des années 1980, le peuple français a voté pour des gouvernements qui avaient une obsesssion : DIRIGER LA FRANCE COMME SI ELLE ETAIT UNE ENTREPRISE PRIVEE.

    Le résultat a été une nouvelle mode idéologique : tout devait être rentable, tout devait dégager des bénéfices. C’est l’époque durant laquelle une banque nationalisée, le Crédit Lyonnais, a arrêté de remplir sa mission de service public.

    C’est l’époque durant laquelle le Crédit Lyonnais a agi comme une vulgaire banque privée : son objectif était de gagner de l’argent, de n’importe quelle manière, en investissant n’importe quelle somme, dans n’importe quel secteur, dans n’importe quel pays. Je cite Wikipedia, article  » CREDIT LYONNAIS  » :

    La stratégie des présidents Jean-Maxime Lévêque (1986-1988) et Jean-Yves Haberer (1988-1993) vise le développement du réseau international et notamment européen. Elle se traduit notamment entre 1989 et 1992 par les acquisitions de la Chase Banque de Commerce en Belgique, du Credito Bergamasco et du Banco San Marco en Italie, de la Banca Jover, du Banco Comercial Español en Espagne, et surtout de la BFG Bank en Allemagne. D’un autre côté, d’importantes prises de participations dans le capital d’entreprises sont effectuées via les filiales Clinvest et Clindus. Cette stratégie agressive se révèle porteuse de gros risques, notamment du fait du retournement de la conjoncture économique en 1992. Les prises de participations industrielles pèsent sur le fonds de roulement de la banque tandis que le financement du secteur immobilier entraîne de lourdes pertes. Enfin, des filiales mal contrôlées sont à l’origine de graves déboires tant en France qu’à l’Étranger (Metro-Goldwyn-Mayer, SASEA).

    Cet article Wikipedia montre que les gouvernements de l’époque avaient complètement oublié la leçon des Trente Glorieuses : l’Etat patron doit donner comme mission à ses banques : une mission de service public. En clair : servir le peuple français.

  6. Avatar de waccsa
    waccsa

    @BA
    Effectivement, si l’état était étanche aux intérêts privés et véritablement défenseur de l’intérêt général, la nationalisation des banques pourraient présenter bien des avantages.
    Dans le monde réel, l’état est surtout l’expression des intérêts privés les plus puissants, on en a aujourd’hui l’illustration flagrante. Et la manipulation de la monnaie via notamment les banques centrales, qu’elles soient publiques ou privées, donne un pouvoir considérable à ces intérêts.
    Une monnaie basé sur un étalon non-manipulable à l’envie est à mon sens un bien meilleur garant de la démocratie que le suffrage universel qui a été confisqué par le système des partis politiques.

  7. Avatar de BA
    BA

    Est-ce que, oui ou non, l’Etat a été étanche aux intérêts privés sous les gouvernements Charles de Gaulle, Félix Gouin, etc ?

    Vous pensez ce que vous voulez.

    Moi, je pense que oui.

  8. Avatar de BA
    BA

    Il y a eu une période dans l’histoire de France pendant laquelle l’Etat était véritablement défenseur de l’intérêt général, et ça a donné les Trente Glorieuses.

    Le peuple français a ensuite choisi de voter pour des libéraux (libéraux de droite ET AUSSI libéraux de gauche). A partir de mars 1986, tous les gouvernements ont eu à peu près la même idéologie.

    Par exemple : le gouvernement qui a le plus privatisé dans notre Histoire est un gouvernement de gauche : le gouvernement Jospin (1997-2002).

    Autre exemple : les gouvernements français depuis mars 1986 ont appelé à voter OUI aux traités européens, qui sont tous plus libéraux les uns que les autres. Dernier traité européen soutenu par le Parti Socialiste : le traité de Lisbonne, qui impose le libre-échange mondial généralisé (article 206).

    Cette idéologie commune à la gauche et à la droite peut se résumer en un slogan : IL FAUT GERER LA FRANCE COMME UNE ENTREPRISE PRIVEE.

    Je vous laisse comparer avec les idées que Charles de Gaulle, Félix Gouin, etc. se faisaient de la France. Eux, leur idéologie pouvait se résumer en un slogan : réaliser le programme du CNR.

  9. Avatar de BA
    BA

    a) Sur le plan économique :

    l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ;

    une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à l’image des Etats fascistes ;

    l’intensification de la production nationale selon les lignes d’un plan arrêté par l’Etat après consultation des représentants de tous les éléments de cette production ;

    le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques ;

    http://fr.wikisource.org/wiki/Programme_du_Conseil_national_de_la_R%C3%A9sistance

  10. Avatar de waccsa
    waccsa

    @BA
    Je vous propose d’élargir votre champ de vision. Durant la période que vous citez, l’émission monétaire au niveau international était encore quelque peu encadrée par un étalon physique non-manipulable ; c’est depuis 1971 que la donne a définitivement changé sur ce point-là, et nous en subissons aujourd’hui les effets.

  11. Avatar de BA
    BA

    Entièrement d’accord.

  12. Avatar de Margarita
    Margarita

    L’article d’Hadrien est passionnant, et j’aime quand il parle de ces « salauds de ménages », puisque dans son émission sur France Culture, Jorion en a remis une louche sur « notre » responsabilité !
    Evidemment le lampiste est d’eternité ! Il est plus responsable que « Madoff » puisqu’il est plus nombreux, peut-être même trop nombreux ?
    Je reviendrai plus tard sur d’autres âneries dites sans sourciller, comme les Chinois n’ont pas de religion !… devant deux journaliste dont l’un cite au pif Platon… C’est fou ce que la citation remporte comme succès récemment: Jaurès, Blum… Devant le Congrès, M. Sarkosy citait le programme du conseil de la Résistance, nationalisation, Sécurité sociale… pas moins que ça… !
    Et puis Socrate, Bouddha, Jésus… et Gandhi, pas encore ?

  13. Avatar de beaufou
    beaufou

    Une petite pousse verte pour finir la journee.
    $23.7 trillion de Dollars de bailout pour nos amis les banquiers.
    ouch
    http://www.bloomberg.com/apps/news?pid=20601087&sid=aY0tX8UysIaM

  14. Avatar de Patriste
    Patriste

    @ Marquis de Laplace

    Comparer l’Uruguay de 2002 et le Costa-Rica aux économies US et européennes actuelles est un peu léger à mon avis, et il suffit de regarder la situation actuelle en europe : le chômage des jeunes explose alors que, hormis les fonds de pension anglais (qui s’exposent beaucoup plus au marché action que les fonds US qui sont eux grands amateurs de treasuries), les systèmes de retraite européens ne vont pas beaucoup plus mal que d’habitude.

    La différence démographique entre les pays de l’amérique du sud et l’europe/USA explique peut-être que les situations respectives en cas de déflation soient si différentes.

  15. Avatar de Louise
    Louise

    Un point sur la situation économique de la France « profonde »

    Cri du coeur d’une employée de l’urssaf (déjà cité sur un autre topic) :
    « Mais madame vous n’imaginez pas le nombre d’entreprises qui ne paient plus leurs cotisations!! »

    d’une employée de pôle emploi (id°)
    « oui, il y a des centaines de chômeurs qui viennent se faire inscrire et le pire c’est que nous n’avons rien à leur proposer!! »

    Mon père s’occupe d’une association de type Emmaüs sont chiffre d’affaire a chuté de 50%.
    « Salauds de pauvres » qui n’arrivent même plus à consommer dans leurs magasins de pauvres!
    Ce qui est dramatique car les recettes de cette association sont redistribuées au plan local : embauche de personnes en difficulté en contrats aidés, aides ponctuelles au paiement des loyers, factures edf et autres.

  16. Avatar de vet69
    vet69

    Je lis quelques noms dans vos commentaires comme JOUYET et PEROLS, je rappelle simplement qu’en juin 2008, ils ont participé aux réunions BILDERBERG! (avec OCKRENT et Emmanuel VALLS) – je précise que je ne dis pas çà pour parler de complot mais pour mettre en évidence le manque de transparence de la finance mondiale au travers des politiques, des médias, et des banques!!! Incroyable qu’aucun journaliste français n’est pas trouvé surprenant que les participants aux Bilderbergs (Strauss Khan , Kouchner, Lamy) deviennent des poltiques aux grandes influences ……
    Bravo pour ce blog, si la politique, les médias et la finance pouvaient être aussi transparent et compétent!

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