Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Écrire un nouveau livre est toujours une entreprise enthousiasmante et je viens de mettre le point final à celui qui sera pour moi le dixième : « L’argent mode d’emploi ».
Entreprise enthousiasmante, même si les quinze derniers jours se transforment invariablement en épreuve et ceci pour deux raisons : la première, banale, est qu’on calcule toujours mal le temps qu’il faudra, si bien que durant la dernière ligne droite, les journées s’allongent inexorablement : 11 heures, 12 heures, 13 heures de travail… Mais cette première raison n’est pas la pire : la pire, c’est que les derniers jours sont passés essentiellement à se relire : des passages qu’on connaît déjà, d’abord pour les avoir rédigés soi-même, et qu’on doit ensuite relire non pas une, mais cinq, six fois… loin, si loin, de la partie créative de l’écriture : le plaisir de coucher sur le papier des idées dont on ne se doutait pas qu’on irait un jour les penser.
Donc, c’est fait. J’espère apporter du neuf par rapport à ce qu’on lit d’habitude sur l’argent, et j’ai d’ores et déjà été rassuré sur ce point par ceux qui m’ont répété au fil des mois que « tous les auteurs » pensent le contraire de ce que j’avance. Contredire n’était pas le but visé mais plutôt repartir sur des bases plus saines sur la question, les approches faisant autorité étant, comme les événements récents l’ont cruellement rappelé, sur une voie de garage depuis cent ans au moins.
J’irriterai sans doute ceux qui considèrent comme un aspect crucial du problème une question qui m’apparaît essentiellement fondée sur un malentendu, et à laquelle je ne consacre qu’un minimum de pages. Je décevrai aussi ceux qui considèrent la monnaie comme l’élément central de la crise que nous traversons et sa réforme comme le principal moyen d’en sortir.
L’argent procure certainement un excellent angle d’attaque pour comprendre la crise, ne serait-ce que parce les quantités colossales qui en ont été perdues distinguent celle-ci des précédentes. Mais l’argent s’avère aussi à l’examen être l’outil d’échange relativement neutre qu’on vise à ce qu’il soit et ce n’est pas lui le responsable, ni même l’usage qu’on en fait. Le problème avec l’argent ne vient pas de lui mais de nous : de notre tolérance infinie pour la manière grotesque dont il se répartit au sein de nos sociétés.
Et puisque nous sommes le 14 juillet, j’aimerais formuler cela dans une perspective pertinente par rapport à l’événement que nous commémorons aujourd’hui. Nos sociétés d’origine européenne, ainsi que certaines autres, portent toujours la marque du fait que ce sont des guerriers qui donnèrent sa forme originelle à nos systèmes politiques : c’est l’usage de la force non seulement qui garantit leur fonctionnement mais on le retrouve encore à la source du commandement de type militaire qui caractérise encore aujourd’hui la plupart de nos institutions, des administrations publiques aux entreprises privées.
La puissance de l’argent est apparue et a alors rapidement rivalisé avec celle de la force, jusqu’à finir par se substituer à elle. Il est non seulement vrai aujourd’hui qu’il existe une péréquation entre elles permettant d’obtenir tant d’argent pour tant de force brute ou tant de force brute pour tant d’argent, mais il est vrai aussi qu’il existe très peu de choses que seule la force permettait d’obtenir autrefois et que l’argent ne procure aujourd’hui aussi bien.
Les révolutions comme la Révolution Française charrient des idéaux dont la séquence révèle la marche de la Raison. Elles entérinent aussi des glissements structurels sans rapport évident avec les représentations que s’en font ceux qui montent aux barricades en chantant et paient souvent de leur vie leur élan révolutionnaire. Ceux d’entre eux qui réussirent à tirer les marrons du feu se gardèrent bien de remettre en cause la nouvelle puissance qui avait rendu caduque le pouvoir que la force brute conférait jusque-là. L’autorité fondée sur celle-ci s’était effondrée sous son propre poids et il en va de même aujourd’hui de celle qui l’avait remplacée lors des événements dont nous fêtons l’anniversaire. Le pouvoir de l’argent avait remplacé celui de la force brute. Quelle est la puissance qui s’apprête maintenant à prendre la suite ?
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
123 réponses à “L’argent dans l’histoire”
L’argent n’est pas plus important aujourd’hui qu’il y a plusieurs siècles. Les sociétés sont aujourd’hui totalement informatisées dans une mondialisation sans état de droit. Voila ce qui manque le plus aujourd’hui, l’état de droit. Et en Europe il nous manque une organisation démocratique qui ne soit pas vérolée par les petits états issus du démembrement du plan Wilson de 1918.
La graine de cette nouvelle puissance est semée! Elle pousse dans le Coeur, en accord avec la conscience!
Nous sommes tous appelé à la laisser pousser en nous-meme, et l’argent fer
La graine de cette nouvelle puissance est semée! Elle pousse dans le Coeur, en accord avec la conscience!
Nous sommes tous appelé à la laisser pousser en nous-meme, nous y abandonner, sans regret pour ce qui a été;
et l’argent, si on veut encore l’appeler comme cela, fera le bonheur de tous!
AMOUR
Désolé mauvaise manip!
le problème avec l’amour c’est qu’il depends de l’éducation et de la conscience. ont peux trés bien aimer l’argent ou aimer la guerre …..
« Quelle est la puissance qui s’apprête maintenant à prendre la suite ? »
Ce que je constate pour l’instant, c’est que la puissance qui est en train de prendre la suite, c’est…la déprime. Beaucoup d’entre nous ont souffert de la crise financière, de problèmes personnels, de désillusions intellectuelles (échec des idéologies classiques)…A force de lire des articles de ceux qui se trouvent dans la même situation que nous, on en arrive à faire de la surenchère dans le pessimisme. Une attitude défaitiste, que ce soit des intellectuels ou de la population, mène souvent à une société renfermée sur elle-même et à la paralysie. Il devient évident qu’il y aura une évolution de la société actuelle, mais c’est l’Histoire qui nous dira plus tard dans quel sens. En effet, le peintre est parfois le premier étonné du rendu de son tableau, et c’est valable pour les économistes aussi… Le mieux, ce serait de prendre un peu de recul et de poser un regard plus serein sur la situation. Alors, je propose de prendre un peu de vacances… Ceci étant dit, je crois en effet aussi que la société occidentale se trouve face à de nouveaux défis mais nous sommes encore loin du tsunami que certains nous annoncent. J’apprécie les articles de Paul Jorion, mais j’aimerais quand même voir de temps en temps une note optimiste ou un simple sourire de sa part, bien que je comprenne que par les temps qui courent, sa situation personnelle soit compliquée.
Je m’avance avec précaution et timidité. C’est pourquoi je n’ai pas d’affirmation. Juste une question en réponse à la votre : « quelle est la puissance qui s’apprête maintenant à prendre le pouvoir ? »
Et si cette puissance n’existait pas encore ? On serait peut être dans une période de chaos précédant la naissance de cette puissance. On serait dans une période où « les foules » hésitent entre se laisser encore bercer par les « story telling » médiatiques et le réveil au valeurs du réel, du temps qui n’est pas éternel pour qui le veut. Et si la force à venir viendrait de cet écart entre le progrès technologique sectorisé à souhait et les gens qui ne croient plus y trouver le bonheur et qui ne comprennent pas grand-chose à la chose ? Ce serait un autre Götterdamerung. Dans ce cas la force à venir prendra le temps qu’il faudra pour que du chaos naisse une nouvelle élite et peut être que des gens comme vous en sont les précurseurs.
Je lirais avec d’autant plus d’intérêt votre nouveau livre que les discussions sur ce forum concernant la monnaie me sont souvent inaccessible par leur technicité.
Merci pour ce que vous faites sur ce blog, dans notre intérêt, celui de se réveiller.
@ vanham
Nous avons tous nos jours de bonne ou de mauvaise humeur et je suis sûr que la teneur de mes billets reflète ces fluctuations. Ceci dit, comme vous le savez peut-être, je publie en plus du blog, des livres et des articles, je passe à la radio et à la télévision, je fais des conférences. Ces invitations supposent une cohérence dans mes propos et les critiques ne manqueraient pas de relever d’éventuelles incohérences dans le millier de pages que j’ai publiées sur le sujet et dans mes communications orales. Le critère que j’applique à mes analyses est celui de la justesse et non celui de l’optimisme ou du pessimisme qui ne pourraient s’appliquer à elles que si elles faisaient partie d’un effort de propagande, ce qui n’est pas le cas.
@ Logique et Paul
Paul a écrit ceci :
« La puissance de l’argent est apparue et a alors rapidement rivalisé avec celle de la force, jusqu’à finir par se substituer à elle. Il est non seulement vrai aujourd’hui qu’il existe une péréquation entre elles permettant d’obtenir tant d’argent pour tant de force brute ou tant de force brute pour tant d’argent, mais il est vrai aussi qu’il existe très peu de choses que seule la force permettait d’obtenir autrefois et que l’argent ne procure aujourd’hui aussi bien. »
La puissance de l’argent va de pair avec une idéologie justificatrice. Qu’est-ce qui justifie que certains individus en diposent tellement ? Et surtout, pourquoi la majorité ne conteste pas cette situation ?
Dans une partie du Traité du gouvernement civil, Locke posait les fondements de ce qui constituait légitiment la propriété. Il dit que tout un chacun peut s’approprier par son travail tout ce qui lui est nécessaire. Il pose une restriction à l’appropriation : ne pas compromettre ni en quantité ni en qualité ce dont les autres hommes ont besoin pour leur entretien.
Ainsi, il explique que la propriété d’un fruit provient du travail de la cueillette. Néanmoins, il serait illégitime de s’approprier plus que de besoin. Amasser plus de fruit qu’il ne faut pour satisfaire aux besoin d’une personne entrâinera un gaspillage par lequel d’autres individus ne pourront profiter des fruits perdus du fait de leur pourrissement inévitable.
Locke fait intervenir l’argent et définit ses plus importantes fonctions. La première concerne l’échange grâce à la convention qui en fait une unité de compte. La seconde la pose comme réserve de valeur. La place de l’argent dans la justification lockéenne de la proriété est primordiale car elle permet de justifier la levée de la restriction qu’il avait posée la concernant. En, effet, il devient ainsi possible d’accumuler plus que de besoin car, par l’usage de la monnaie, il est possible d’échanger le surplus produit, et de stocker l’argent résultant de l’échange. En outre, Locke justifie la production de surplus car elle reprèsente selon lui un intérêt social.
En conclusion, depuis plus de 300 ans, la justification de la puissance de l’argent est la même :
-1 ceux qui ont beaucoup d’argent ont beaucoup travaillé
-2 leur travail profite à la société
-3 grâce aux fonction de la monnaie, ils peuvent accumuler sans rien ôter de ce qui est nécessaire à l’entretien des autres personnes.
Le psychanalyste Jacques Lacan disait que s’il n’y avait pas l’argent, les relations entre les êtres humains seraient encore pires, ce qui n’est pas peu dire. J’ignore si c’est vrai mais ça donne à penser.
La production industrielle a reculé de – 0,4 % au mois de juin aux Etats-Unis, un rythme plus modéré que la prévision moyenne des analystes, selon les données de ce mercredi de la Réserve fédérale.
Cette baisse intervient après un recul de – 1,2 % en mai, chiffre d’ailleurs révisé d’une estimation initiale de – 1,1 %.
Sur un an, la production industrielle s’est contractée de – 13,6 % en juin.
Le taux d’utilisation des capacités de production est retombé à 68,0 % le mois dernier, un nouveau plus bas historique, après 68,2 % au mois de mai.
http://www.boursorama.com/international/detail_actu_intern.phtml?num=f66f67e268e67533c23483ff5ad879ed
il restera à écouter ceci et à accepter son destin :
http://www.youtube.com/watch?v=SeIgTecXsfc
@BA
…Le taux de chômage en Angleterre atteint des sommets…
Et la bourse continue de s’envoler… Le monde est-il devenu fou ?
La bourse valorise le futur. Le taux de chômage c’est la situation actuelle. Et le futur n’est pas si sinistre.
Arcelor-Mittal a rallumé trois hauts-fourneaux. L’ épargne des belges n’a jamais été aussi élevée. Dans tous les secteurs, les survivants de cette crise sont en train de se relever en se nourrissant des cadavres des vaincus comme toujours!
Le seul changement, mais il est de taille, c’est le changement de mentalité des employés/ travailleurs. On nous a demandé de travailler moins, de partager la charge de travail. Nous avons accepté les jours de congé sans solde, les 4/5. Il n’est pas sur que nous soyons prêt à revenir en arrière. Je pense que nous allons vers la semaine des quatre jours.
De cette crise il ne restera que les acquis sociaux et quelques entreprises disparues dont le nom disparaitra peu à peu!
@A. : « En conclusion, depuis plus de 300 ans, la justification de la puissance de l’argent est la même »
Et la justification de la puissance de la force était déjà la même auparavant. Les nobles chevaliers étaient déjà utiles, voire indispensables, et portaient sur eux une lourde charge (les risques de la guerre).
Ce que Locke aurait dû expliquer, s’il avait été un honnête homme avant d’être un bourgeois (toute son oeuvre n’a pour but que de justifier le pouvoir de la bourgeoisie), c’est :
1 – pourquoi certains ont beaucoup d’argent sans avoir travaillé et d’autres n’en ont pas en ayant travaillé beaucoup.
2 – pourquoi le travail des riches profite plus à la société que celui des pauvres (et si ce n’est pas le cas, pourquoi ont-ils plus d’argent).
3 – pourquoi les pauvres ont faim si l’accumulation des riches ne leur est pas nuisible et pourquoi les pauvres souffrent-ils plus là où les inégalités sont les plus grandes
@pierre Canart
Le probleme ce n’est pas le chomage , c’est l’endettement massif des chomeurs aux Us
pour l’instant il n’y a pas de solution maintenant chaque pays est différent et je pense que la crise n’est en effet pas encore arrivée ni en france ni en belgique.Pour l’instant c’est compensé par les finances des états mais vu qu’il n’y a aucune dynamique de reprise je me demande comment les états vont se financer.
@Ton vieux copain Michel : « J’ignore si c’est vrai mais ça donne à penser. »
Oui, en effet, ça donne à penser sur la personne de Lacan. 🙂
Oui, oui, bien sûr Pierre, et les 500 000 chômeurs mensuels américains depuis janvier 2008, la baisse des exportations, la descente vertigineuse du commerce mondial, le prix de l’immo qui continue à baisser et les défauts de paiements des ménages qui ne cessent d’augmenter, les banques qui maquillent leurs bilans parce qu’elles sont insolvables…bah c’est juste psychologique comme dirait le génie Alain Minc…
c’est marrant parce qu’on vit sur la même planète mais apparemment pas dans le même monde !
Cétait encore ‘Champagne’ aujourd’hui…
http://www.boursorama.com/cours.phtml?symbole=1rPCAC
@Pierre Canart : « De cette crise il ne restera que les acquis sociaux »
Au moment où on ne parle que de chômage, de baisses de salaires, de travail du dimanche voire de travail gratuit, celle-là, il fallait l’oser.
@verywell,
champagne ou champomy ?
avec une perte de valeur des indices boursier de 60% en deux ans, on peut se poser la question ?
@Paul Jorion
Etonnant choix de titre… La quatrième de couv’ a intérêt d’être impeccable pour introduire la radicalité ironique derrière la simplicité du genre « virgule, mode d’emploi ».
« Quelle est la puissance qui s’apprête maintenant à prendre la suite? »
Celle qui va effectivement prendre la suite, ou celle qu’on voudrait voir prendre la suite?
Le véritable pouvoir est sur soi-même et moral; l’autre, politique, n’est qu’une délégation accordée ou retirée. L’enjeu et l’urgence sont donc de travailler les critères de cette délégation. Sinon la grande histoire se répète(ra) et comme certains le voient bien avec des risques incommensurables s’il s’agit de guerre (les guerriers et leurs nvx jouets), avec des délais énormes concernant les « intellectuels » pensez à La Renaissance – plusieurs siècles – , sans parler des affres sous nos yeux avec les marchands qui peuvent s’entendre avec les deux catégories précédentes pour faire durer le petit jeu de monopoly…
Disons autrement qu’il ne s’agit que de redonner de la force au droit en allant jusque ds l’inconscient chercher ce qui en chacun légitime ses décisions (supposées morales – je ne parle pas de ces pseudo-décisions économistiques qui ne sont que des choix entre des options intéressées) pour réussir à institutionnaliser des applications minimales de ces processus acceptables par de larges majorités. L’indifférence de ceux qui devraient prendre le pb de cette mutation de civilisation en cours sous cet angle pourra un jour leur être reprochée.
Certain sont surpris de ce que la bourse grimpe alors que le chomage s’envole..
il me semble que cela était déja comme cela avant la « crise »
je me rappelle d’articles qui expliquaient que l’annonce de plans sociaux êtait ce que les actionnaire appréciaient.
nous sommes dans une des pointes hautes du W , du V …
ce que j’espère c’est que cette crise ne soit pas en forme de X ou pire en forme de $
si cela redescend , il sera impossible de remonter 🙂
@serge dumoulin
Bravo! C’est la meilleure réponse.
J’ai compris cela il y a exactement 23 ans.
Et aujourd’hui, je suis riche (à mes yeux) comme je ne l’ai jamais été!
Equation fondamentale de l’économie:
Richesse = Bonheur personel Argent
Au modérateur : le signe « différent » entre bonheur personnel et Argent n’est pas apparu probablement à cause des signes de formatage, connaissez-vous le moyen de le faire apparaitre ou de corriger? Merci
@Marquis de Laplace
Vous me retirez les mots de la bouche (ou du clavier)
Richesse ≠Argent
La notion de richesse est toute personelle et relative.
Si on avait demandé à Gandhi s’il était riche ou pauvre, qu’aurait-il répondu?
@Serge Demoulin
J’établi une différence entre pauvreté et misère.
Pour moi, il y a des tas de millionaires qui sont misérables sans aucune pudeur. Des drogués à l’argent (et souvent aux somnifères, antidépresseurs, drogues dures…).
Dans notre société, les publicitaires fabriquent des besoins artificiels. Ils nous font croire qu’on peut compenser notre mal-être par du plus-avoir, mais on n’est pas obligé de tomber dans le panneau. Et quand ça vise les enfants, c’est de la pédophilie mentale.
Selon votre vision de l’argent et dans la mesure où je l’ai comprise, il ne peut pas être perdu. Des individus peuvent le perdre et le gagner. Il ne peut pas être perdu. C’est le corolaire de l’idée « il n’est pas créé ad nihilo ». Si cette idée était fausse, il serait possible de transformer de l’argent en néant par une perte financière d’un ou plusieurs individus. L’argent se mettrait à dépendre des personnes et là, je ne vois plus du tout comment empêcher la création d’argent « Ad nihilo ». Dans ce sens, votre déclaration « L’argent procure certainement un excellent angle d’attaque pour comprendre la crise, ne serait-ce que parce les quantités colossales qui en ont été perdues distinguent celle-ci des précédentes » est fausse. J’ignore où est passé cet argent, mais il ne peut pas avoir été perdu sans vous donner tort.
« Le problème avec l’argent ne vient pas de lui mais de nous : de notre tolérance infinie pour la manière grotesque dont il se répartit au sein de nos sociétés. » Cette déclaration présente quelques difficultés. Ma tolérance et certainement la votre à cette répartition se confondent avec l’impuissance. Dans mon cas, c’est de l’impuissance. J’admets que si j’étais bénéficiaire de cette répartition, je serais certainement très satisfait. Encore une fois, ce ne serait pas de la tolérance qui m’animerait. Que nous soyons les responsables de ce problème avec l’argent est une idée acceptable. Je crois que cette responsabilité est à trouver ailleurs. Une possibilité est donnée par la présence des humains dans l’affaire.
Vous introduisez les personnes humaines dans le problème. Avec elles, vous introduisez les opinions, les sentiments, la psychologie, la philosophie, les conceptions personnelles et bien d’autres choses. Toutes ces choses sont, au minimum, difficilement observables. Aucune d’elles ne représentent un fait ou une réalité matérielle. A mon avis, il est impossible d’introduire un être humain quelque part sans y amener ces choses subjectives, partiales et souvent irrationnelles. Sous mes conditions, votre déclaration ouvre un champ gigantesque d’observations en économie. La question devient ici comment introduire cet humain dans l’économie.
Votre déclaration « Nos sociétés d’origine européenne, ainsi que certaines autres, portent toujours la marque du fait que ce sont des guerriers qui donnèrent sa forme originelle à nos systèmes politiques » est une tentative pour le moins aventureuse de répondre à cette question. La notion de démocratie en devient un rapport de forces. Il me faut alors revoir ma vision du système actuel, oublier les termes de coopération, décence, amitié, échange. Etre réaliste devient être égoïste, cruel, cynique, froid. Une épreuve de force m’apparaît comme un affrontement de deux réalités. Une épreuve de force devient un événement naturel, sain qu’il faut accueillir avec joie comme on accueillerait un ami. Cesser d’être décent en devient non seulement une preuve de réalisme, mais en plus c’est prouver sa capacité à vivre. La force est donc présente dans notre monde. Elle le sculpte, le cisèle, le fait exister.
En ce qui concerne les rapports régnant entre l’argent et la force, je fais remonter la situation actuelle à la Renaissance. C’est une période marquée par d’atroces guerres de religions. Elles ont traumatisé l’Occident et engendré sa forme actuelle. Pour répondre à ce traumatisme, les humains ont été jugés violents, égoïstes et cruels à la base. « L’homme est un loup pour l’homme ». Pour éviter la violence inéluctable des relations et les souffrances qui s’ensuivent, il a été décrété que tout ce qui est sentiment personnel, opinion religieuse ou même idée particulière du monde doit se retirer devant les objets matériels ou des relations reproductibles à l’infini. (la consommation de masse devient une chose positive) La Raison est devenue le régulateur des relations humaines. Et c’est une conséquence des guerres de religion.
Faire autrement, c’est permettre à la nature intrinsèquement perverse des humains de s’exprimer. C’est accepter l’oppression, la guerre, l’humiliation, etc… Ces éléments sont sans cesse présents, comme une bête tapie dans l’ombre et prête à nous bondir dessus. Une vigilance de tous les instants en devient nécessaire. Une motivation forte pour échapper à ce triste destin est également installée.
Le problème est d’avoir des relations humaines tout en évitant ce qui donne prise à la nature violente de l’homme. En d’autres termes, il faut éviter les sentiments, les intuitions infondées et les opinions politiques ou religieuses non falsifiables. L’objet de cette recherche doit permettre les échanges entre humains sans faire appel à ce qui a nourri les guerres de religion. L’argent a toutes ces propriétés.
Il est « neutre ». Que cela soit au sens « face aux personnes participant à l’échange » ou au sens de « face aux objets échangés », cette neutralité est totale. Avec de l’argent, je peux acheter n’importe quoi chez n’importe qui. Cette neutralité tient dans un nombre mathématique.
Ce nombre suffit pour permettre un échange. Tout ce qui a permit de construire le bidule est décrit par ce nombre. Côté économie de moyens pour faire une description, je ne vois pas mieux. En plus, cette description s’applique à vraiment n’importe quoi. Comme moyen simple d’arriver à un accord, je ne vois pas mieux non plus. L’argent échangé contre le produit termine instantanément la transaction. Je n’ai pas à m’inquiéter des sentiments ou même de la personne à qui j’ai acheté l’objet. Je n’ai plus aucun sentiment d’obligation envers elle. Si je suis le vendeur, j’en ai autant au service de l’acheteur. La relation est simple, compréhensible pour tout le monde et rapide. Elle est matérialisée par une somme d’argent. Je suis donc dans une relation de type rationnel au sens le plus strict du terme et évite de faire entrer la violence humaine dans cette relation. J’ai ici un moyen d’échapper au jugement des guerres de religion.
Dans ce cadre, je nous vois comme des gens ayant admis que tous les humains (sauf moi évidemment) sont des salopards. En chacun d’eux se trouve une bête infâme prête à frapper. Un mur d’argent nous protège de cette bête immonde.
Mais cette bête tapie en chacun de nous cherche sans cesse à revenir à la surface. Elle invente chaque jour de nouveaux moyens d’agir, de conquérir, de dominer, d’opprimer, etc… Grâce au mur de l’argent, il devient mécaniquement possible de transformer chacune de ces tentatives de la bête en une source de richesses, de progrès, d’avancée sociale ou politique.
En résumé, les guerres de religion ont donné par réaction la Raison des Lumières. Cette Raison repousse les rapports de force ou son usage hors du monde et dompte la bête humaine.
Je pense que tout cela est une description succincte de l’histoire de la modernité. Elle lui donne une profondeur historique et même psychologique. La modernité devient un processus et pas une apparition spontanée. La modernité retourne dans l’histoire comme une période quelconque. Elle retourne dans les esprits comme une idéologie quelconque. En bonus, je peux observer des phénomènes actuels et les rendre compréhensibles.
Dans cette optique, l’argent, son rôle et sa place ont été totalement réinventés par la Raison. Sa place centrale, essentielle, radicale, dans les relations humaines signale que si vous avez beaucoup d’argent, c’est que vous avez beaucoup de relations humaines et êtes donc un être formidable. Réciproquement, si vous avez beaucoup de relations, vous ne pouvez que devenir très riche.
Cette même place fait que la somme d’argent dont vous disposez détermine l’étendue de votre liberté. Vous ne pourrez agir selon votre volonté que si vous avez de l’argent. Les endroits les plus huppés sont réputés pour être totalement au service de leurs clients. Je pense que cela est vrai à un point que je refuserais de croire possible. Si vous avez de l’argent, vous pouvez payer l’exercice de votre liberté aux dépends des autres par des dédommagements financiers.
Rien que ces deux éléments suffisent pour justifier l’appât du gain comme un sens à la vie. L’argent vous donne les relations et la liberté. Plus vous gagnez et plus vous augmentez votre espace de vie disponible. Réussir sa vie en devient vraiment « si vous avez une rolex à 50 ans, c’est que vous avez réussi votre vie »
Je suis convaincu qu’il existe d’autres aspects de cette idée qui vont dans le même sens.
Par exemple, un trader qui manipule des milliards mérite la paye la plus délirante s’il rapporte de l’argent. Il rapporte de la vie à ses clients. Il mérite donc d’être très bien traité.
Dans ce cadre, le travail est valorisé s’il rapporte de l’argent. Réciproquement, un travail salissant et discret ne peut pas être bien payé. Elle accepte de porter atteinte à son intégrité et renonce à des relations humaines. La personne qui l’accepte s’abaisse. Elle ne mérite pas un bon salaire.
Dans ce cadre, l’économie doit être une science au même titre que la physique. Les relations humaines sont ramenées à des échanges d’argent indépendants des sentiments ou opinions de leurs acteurs. Ces opérations sont donc aussi objectives que l’écoulement de l’eau dans la cuvette de mes toilettes.
Ce ne sont que de brefs exemples. Il doit être possible de développer ces notions.
Ce qui compte ici et pour moi, c’est que j’ai là une description du monde dans lequel je vis. Je peux même avec cette description donner un sens à des phénomènes incompréhensibles.
Par exemple, le fameux TINA de Margaret Tatcher devient l’expression du jugement des hommes comme étant mauvais et que pour éviter le drame général, il faut passer par le système actuel.
Par exemple, la drogue devient du concentré de plaisir personnel acheté en piqures ou pilules.
Par exemple, la notion de propriété privée devient carrément sacrée. Entre violer ce principe et plonger le monde dans la crise, c’est ce principe qui sera sauver.
Par exemple, les banquiers reçoivent des milliards avec nos excuses pour l’insulte qui leur est faite. Les entreprises reçoivent des millions car les banquiers ont reçu de l’argent des états tout en se faisant sérieusement prier pour tolérer de faire leur travail. Les banquiers sont sacrés. Les entreprises sont nos larbins.
Par exemple, le réchauffement climatique ne peut pas exister. Il n’entre pas dans les échanges financiers. S’il existe, la seule façon d’y faire face est de créer une bourse de CO2. Toute alternative est non négociable.
Par exemple, un héros doit être déboulonné de son piédestal. Il ne peut pas être bon. S’il l’était, il prouverait qu’un homme peut être autre chose qu’un loup pour l’homme. Tout ce qui a été construit sur cette idée serait menacé. L’idée que l’homme, vous, moi et d’autres, peuvent être simplement de comportement décent avec celui qu’il rencontre est une menace pour toute la construction de la Raison. Mettre en pratique la décence humaine jetterait à terre toute cette évolution. Appliquer la règle d’or : « Fais à autrui ce que tu voudrais qu’il te fasse » est mon candidat pour la puissance qui succèdera à l’argent.