Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Écrire un nouveau livre est toujours une entreprise enthousiasmante et je viens de mettre le point final à celui qui sera pour moi le dixième : « L’argent mode d’emploi ».
Entreprise enthousiasmante, même si les quinze derniers jours se transforment invariablement en épreuve et ceci pour deux raisons : la première, banale, est qu’on calcule toujours mal le temps qu’il faudra, si bien que durant la dernière ligne droite, les journées s’allongent inexorablement : 11 heures, 12 heures, 13 heures de travail… Mais cette première raison n’est pas la pire : la pire, c’est que les derniers jours sont passés essentiellement à se relire : des passages qu’on connaît déjà, d’abord pour les avoir rédigés soi-même, et qu’on doit ensuite relire non pas une, mais cinq, six fois… loin, si loin, de la partie créative de l’écriture : le plaisir de coucher sur le papier des idées dont on ne se doutait pas qu’on irait un jour les penser.
Donc, c’est fait. J’espère apporter du neuf par rapport à ce qu’on lit d’habitude sur l’argent, et j’ai d’ores et déjà été rassuré sur ce point par ceux qui m’ont répété au fil des mois que « tous les auteurs » pensent le contraire de ce que j’avance. Contredire n’était pas le but visé mais plutôt repartir sur des bases plus saines sur la question, les approches faisant autorité étant, comme les événements récents l’ont cruellement rappelé, sur une voie de garage depuis cent ans au moins.
J’irriterai sans doute ceux qui considèrent comme un aspect crucial du problème une question qui m’apparaît essentiellement fondée sur un malentendu, et à laquelle je ne consacre qu’un minimum de pages. Je décevrai aussi ceux qui considèrent la monnaie comme l’élément central de la crise que nous traversons et sa réforme comme le principal moyen d’en sortir.
L’argent procure certainement un excellent angle d’attaque pour comprendre la crise, ne serait-ce que parce les quantités colossales qui en ont été perdues distinguent celle-ci des précédentes. Mais l’argent s’avère aussi à l’examen être l’outil d’échange relativement neutre qu’on vise à ce qu’il soit et ce n’est pas lui le responsable, ni même l’usage qu’on en fait. Le problème avec l’argent ne vient pas de lui mais de nous : de notre tolérance infinie pour la manière grotesque dont il se répartit au sein de nos sociétés.
Et puisque nous sommes le 14 juillet, j’aimerais formuler cela dans une perspective pertinente par rapport à l’événement que nous commémorons aujourd’hui. Nos sociétés d’origine européenne, ainsi que certaines autres, portent toujours la marque du fait que ce sont des guerriers qui donnèrent sa forme originelle à nos systèmes politiques : c’est l’usage de la force non seulement qui garantit leur fonctionnement mais on le retrouve encore à la source du commandement de type militaire qui caractérise encore aujourd’hui la plupart de nos institutions, des administrations publiques aux entreprises privées.
La puissance de l’argent est apparue et a alors rapidement rivalisé avec celle de la force, jusqu’à finir par se substituer à elle. Il est non seulement vrai aujourd’hui qu’il existe une péréquation entre elles permettant d’obtenir tant d’argent pour tant de force brute ou tant de force brute pour tant d’argent, mais il est vrai aussi qu’il existe très peu de choses que seule la force permettait d’obtenir autrefois et que l’argent ne procure aujourd’hui aussi bien.
Les révolutions comme la Révolution Française charrient des idéaux dont la séquence révèle la marche de la Raison. Elles entérinent aussi des glissements structurels sans rapport évident avec les représentations que s’en font ceux qui montent aux barricades en chantant et paient souvent de leur vie leur élan révolutionnaire. Ceux d’entre eux qui réussirent à tirer les marrons du feu se gardèrent bien de remettre en cause la nouvelle puissance qui avait rendu caduque le pouvoir que la force brute conférait jusque-là. L’autorité fondée sur celle-ci s’était effondrée sous son propre poids et il en va de même aujourd’hui de celle qui l’avait remplacée lors des événements dont nous fêtons l’anniversaire. Le pouvoir de l’argent avait remplacé celui de la force brute. Quelle est la puissance qui s’apprête maintenant à prendre la suite ?
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
123 réponses à “L’argent dans l’histoire”
@ Marquis de Laplace,
le bonheur est une affaire personnelle qu’on peut atteindre en se sentant libre, dans un super-marché par exemple, d’en ressortir sans avoir rien acheté parce que la totalité des bien présents et à portée de main étaient presque tous inutiles!
Le pb du bonheur est une question de légitimation de ses désirs envies! (certains ne sont jamais satisfaits de ce qu’ils ont déjà, d’autres, sans être hystériques, ne veulent rien de ce monde)
A ce propos, j’ai trouvé une première application politico-morale illustrant la possibilité de montrer les dérèglements de cette possibilité de bonheur dans une codification adaptée (ce que devrait en réalité être le job des politiques s’ils ne se contentaient pas de procéder à des arbitrages d’intérêts) mais je viens buter sur un stupide pb matériel autour du dvlpt indus de ce projet, vous me transmettez quel % de ce milliard d’€ qui vous brûle les doigts?
Et si la prochaine puissance était celle de l’information organisée et participative ? Une puissance qui nous permettrait de sortir des vices de la société actuelle et de ce qui l’asservit.
Aujourd’hui, avec Internet, des exemples incroyables de participation communautaire deviennent des standards (Logiciel libre, Wikipedia), etc… Avec certains outils, on peut aujourd’hui dépenser moins tout en s’enrichissant humainement et en respectant la nature. Par exemple, on peut se loger chez des inconnus n’importe où dans le monde (Couchsurfing), faire du covoiturage ou partager des biens, prêter et emprunter directement à des particulier que l’on peut même contacter.
Demain, peut-être que la publicité n’aura plus sa place devant la capacité de tous à noter et référencer les meilleurs produits et dénoncer ceux qui manquent de transparence économique ou sont mauvais pour la santé.
Demain, il est possible que les entreprises et les banques, devant la pression de celles qui basent leur développement sur la transparence de l’information (voir le film US Now) devront dévoiler leurs salaires et la manière de se faire des bénéfices. C’est le cas actuellement dans le monde du logiciel, où, sous la pression du logiciel libre, des grands groupes comme Autodesk dévoilent leurs secrets de fabrication en libérant leur code source.
Cette révolution de l’information permettra de recréer le service, le vrai, celui qui est sert la personne, et non pas les services et produits actuels dont le but est de nous faire payer un maximum en nous vendant, par exemple des produits bloqués (Tel portable, musique, etc…) ou dont la durée de vie est limitée (lave linge, voitures), etc…
Dans cette révolution, l’état aurait un rôle à jouer si il veut continuer d’exister pleinement et ne pas voir des systèmes se mettre en place à son insu. Il pourrait être à l’initiative de certains outils de gestion de l’information participative. Par exemple, créer une sorte de mécenat public et participatif via Internet pour financer les projets qui enrichissent l’homme mais qui n’ont pas de modèle économique direct viable, alors qu’ils sont très « enrichissants » (Voir le concept brillant du Mécenat Global appliqué à la musique). Cela permettrait d’aider au renforcement des économies durables et humainement enrichissantes comme la musique, le sport, l’écriture (le blog de Paul Jorion ;-)) et tout secteur qui fait appel à la créativité.
L’école serait alors le lieu où l’on apprend aux jeunes à gérer l’information et à l’analyer ainsi qu’à participer à la vie citoyenne.
Le grand danger est la tentation de limiter, bloquer ou restreindre Internet. Ce système organisé de manière anarchique, mais qui, contrairement à tous les autres médias jamais crées, permet à chacun de mettre en place une organisation où tous peuvent participer, sans avoir besoin de la puissance de la FORCE ni de la puissance de l’ARGENT.
La critique de l’intelligence par l’intelligence aboutit aux conclusions suivantes :
1. Débilité et étroitesse de la raison humaine. Le monde excède notre conception. Notre science ne peut nous en donner qu’une figuration symbolique, à l’échelle humaine, bornée et sujette à révision.
2. Il est impossible d’établir la raison d’être de quoi que ce soit. Et le dogmatisme philosophique n’est qu’un illusoire acte de foi dans la puissance de la raison.
3. L’univers n’est pas un système complet et ne renferme pas de systèmes complets.
4. La contingence est la modalité de l’expérience. L’aléa, l’accident, la catastrophe et la crise sont l’ordinaire de l’univers représenté.
5. Prédominance du vouloir-vivre inconscient sur l’intelligence.
6. Présence des représentations obscures dans notre vie intellectuelle et morale.
7. Divergence de la logique intellectuelle et de la logique affective.
8. Divergence de la logique et du langage.
9. Fluidité insaisissable, incommunicable, intraduisible et inexprimable de notre subjectivité recouverte par notre personnalité sociale, superficielle et conventionnelle.
10. Malentendus et quiproquos sont l’ordinaire des relations sociales.
11. Confusion des idées morales, politiques, économiques ; variété indéfinie des usages, des coutumes et des moeurs.
12. Le monde n’est révoltant que pour une sensibilité candide assoiffée de vérité, de justice et de bonheur.
13. La conséquence pratique de l’argumentaire est l’égotisme esthétique, c’est-à-dire :
-l’affirmation de l’individualisme spectaculaire, attitude du contemplateur dégagé du monde de l’action, dédaigneux des intérêts, des croyances, des passions sur lesquels repose l’existence sociale, et qui ne considère la vie et la société qu’en tant qu’objets de curiosité.
-l’indifférence kuniste et la quiétude épicurienne de quiconque, affranchi des contraintes et des conventions, constitue la jouissance représentative en motif d’exister.
14. L’irrationaliste prend son parti de l’absence d’ordre, du désarroi cosmique, social et moral. Il ne souffre nullement de l’incohérence des choses. Il sourit aux chimères et aux idéaux rationalistes, aux idéologies artificielles, aux idéaux de convention, aux explications prétentieuses du passé, aux prévisions fallacieuses de l’avenir.
15. Il goûte à l’instantanéité et jouit du charme de la sensation présente.
16. Dédaignant la raison rigide et morose, sa musagète est la libre fantaisie.
Il ne participe pas.