L’actualité de la crise : Même les meilleurs expédients ont une fin, par François Leclerc

Billet invité.

MEME LES MEILLEURS EXPEDIENTS ONT UNE FIN

Hier, nous étions environnés des « jeunes pousses » annonciatrices d’une proche relance, sortant du cauchemar et de la panique des mois précédents. La bourse remontait, les banques annonçaient d’importants profits, puis s’engageaient aux Etats-Unis dans le remboursement des aides publiques. Les actifs toxiques étaient partout repoussés sous les tapis, la gigantesque pyramide chancelante des produits financiers « structurés » ignorée, bien que loin d’être totalement démantibulée.

Aujourd’hui, nous replongeons insensiblement dans le marasme. Les doutes réapparaissent, autour d’un consensus désormais largement établi : la reprise sera très limitée, quand elle voudra bien intervenir, et ses conséquences douloureuses. Car l’accent est mis sur deux nouveaux dangers nous menaçant, l’accroissement des déficits publics d’un côté, l’inflation qui pourrait repartir de l’autre, alors que nous sommes toujours en récession mondiale. Avec, comme seul constat possible, en guise de faible soulagement, que la situation empire moins vite. Phénomène vite traduit comme signe annonciateur de la reprise, en le sollicitant un peu.

Le moral des financiers et des économistes, et de ceux qui les observent, est une chose. La réalité des faits en est une autre. Tout tient de ce point de vue en une seule constatation, dont la portée n’est pas mince : la Fed est désormais à court de munitions. En d’autres termes, les solutions monétaires qui sont sa raison d’être, ainsi que les instruments dont elle dispose, ont atteint leurs limites. Elle ne peut plus baisser ses taux, déjà au plancher, et hésite beaucoup à poursuivre sa politique de création monétaire, devant ses conséquences et les craintes que celle-ci suscite par anticipation.

Que se passe-t-il donc ? Les taux des bons du Trésor sont les fautifs. Ils montent, et la Fed n’y peut plus rien, après avoir essayé d’enrayer leur hausse. Semaine après semaine le Trésor engage sous les regards un peu inquiets des observateurs de nouvelles adjudications, afin de financer le gigantesque déficit du budget américain, faisant accéder la dette publique à des sommets jamais atteints. Ne pouvant qu’amplifier un phénomène déjà alimenté par la crainte de l’inflation (et de la dévalorisation du dollar qui pénaliserait les détenteurs des bons).

Mais la hausse des taux obligataires américains est un poison qui n’a pas pour seule conséquence de surenchérir le poids de la dette et le coût de son remboursement futur, selon un calendrier plus immédiat que l’on ne le pressent, vu que d’énormes quantités de « treasuries » sont émis avec des maturités de un ou de deux ans. Elle pèse aussi, et sans du tout attendre cette fois-ci, sur les taux immobiliers, ce qui est encore plus redoutable (de fait ces taux continuent à monter). Car cela contrecarre le programme de la Fed d’aide à la renégociation des prêts, afin d’éviter que ne se poursuivent voire s’amplifient les défauts de remboursement, risquant de précipiter les institutions financières dans de nouveaux tourments.

La Fed est donc entrée dans une voie sans issue. Ses tentatives de peser sur la hausse des obligations ayant échoué, elle ne peut plus les renouveler de peur d’aboutir à l’effet contraire à celui recherché. Mais cela signifie également qu’elle n’est plus en mesure de participer au financement des émissions de bons du Trésor à venir, au-delà de son programme déjà bien entamé de 300 milliards de dollars. Or les taux vont néanmoins continuer à monter, car l’énormité des programmes d’émission des titres de dette de l’Etat y suffira à elle seule à produire cet effet. Les conséquences déjà évoquées vont inévitablement en découler, seule leur ampleur étant incertaine, pouvant déboucher sur un rebondissement de la crise financière, alors que la Fed n’a plus les mains libres et que l’administration Obama n’a plus la même capacité à lancer de nouveaux plans d’aide financière et de relance économique. Tant en raison de l’obstacle du Congrès que du risque d’accroître les tensions sur un marché obligataire déjà très sollicité.

Les expédients que l’administration américaine a largement utilisés pour éviter de devoir faire face à la crise financière, essayant de la contourner, sont en passe d’être épuisés sans avoir produit les effets escomptés. Certains disent qu’il faut attendre un peu, mais n’est-ce pas une illusion ? Va-t-il falloir à l’administration Obama se faire une nouvelle fois violence, et adopter des mesures contre nature, en prenant le taureau par les cornes ? Ou va-t-elle encore essayer de biaiser, mais comment ? Par exemple en émettant des bons du Trésor en d’autres devises que le dollar, comme cela a déjà été le cas, mais dans de toutes autres circonstances.

Une réunion du comité de politique monétaire (FOMC) de la Fed aura lieu mardi et mercredi prochain, mais il ne faut pas en attendre trop, sinon une tentative un peu illusoire de rassurer les marchés. En réaffirmant la poursuite des programmes de soutien au secteur financier déjà engagés, en ne remontant pas ses taux directeurs (comme certains le demandent, au nom de la lutte contre le danger de l’inflation), et n’augmentant pas le montant de l’enveloppe destinée à acheter des bons du Trésor. Ce surplace sera, s’il se confirme, une illustration non seulement des désaccords au sein du FOMC, qui s’expriment dans la presse de plus en plus ouvertement, mais également de la situation d’impasse dans laquelle la Fed se trouve.

Si les Américains continuent de tousser, les Européens vont davantage s’enrhumer. Ils espéraient la reprise outre-Atlantique, ils peuvent craindre la rechute. Cela explique sans doute le revirement qu’a opéré le dernier Conseil européen de cette semaine ainsi que les appels à lutter contre le déficit, incantations un peu magiques dans le contexte actuel, qui n’éviteront pas que le Pacte de stabilité ne vole en éclats. La proposition française de sortir du calcul du déficit les financements effectués au titre de la crise et de la relance était un simple habillage qui ne changeait rien à l’affaire, mais elle avait au moins le mérite de sauver la face à tout le monde. Et de financer à moindre coût ces mesures sur le marché obligataire. Les Européens de la zone euro, tout en n’ayant pas succombé aux sirènes américaine et britannique de la création financière, buttent néanmoins tout autant sur l’accroissement de leurs déficits. Si la crise économique devait être plus longue qu’il est actuellement envisagé, pourront-ils faire l’économie de nouvelles mesures de relance et de soutien au titre de la protection sociale ? L’impasse est différente de celle dans laquelle les Américains semblent s’enfoncer, mais elle n’en est pas moins toute aussi préoccupante.

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35 réponses à “L’actualité de la crise : Même les meilleurs expédients ont une fin, par François Leclerc”

  1. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    @ Jacques

    De quelles zones franches parlez-vous ? On propose plutôt au gouvernement français l’adoption d’une loi imposant aux établissements financiers, aux entreprises, ainsi qu’à leurs filiales de déclarer toutes leurs activités financières dans les paradis fiscaux.

  2. Avatar de ObjectifMars
    ObjectifMars

    Il y a tout d’abord quelque chose que je ne comprends pas trop comment la FED peut-elle émettre des « bons du Trésor en d’autres devises que le dollar » ? Et aussi quand cela a-t-il été réalisé ? Pour pouvoir réaliser une telle manœuvre il faut qu’il possède des réserves d’une autre monnaie et que cette monnaie offre plus d’avantage, de stabilité. Hors aujourd’hui la chine et le japon possède trop de dollar pour pouvoir monter un tel montage. Seul des pays ayant une économie solide avec une production ou des entrées de capitaux constant peuvent servir de garanti, donc à par les pays exportateurs de matières premières comme le Russie et les pays exportateurs de pétroles, je ne voie personne d’autre. Il peut rester l’euro mais bon. De plus n’y a-t-il pas de règles autre que la courtoisie et le bon sens qui permettent au pays battant la monnaie sur laquelle sont basé ses bons de bloquer cette émission car du coup il y a un contre-coup sur la monnaie émise et sur l’économie du pays battant monnaie ?

    Ai-je finalement compris quelque chose de ce mécanisme ?

    @Ken Avo et fujisan
    Je ne pense pas qu’il y est assez de volonté politique en Europe pour imposer une régulation au sujet de la City. D’abord parce les chefs d’états européens sont trop à droite pour cela et à cause du mécanisme même de l’Europe : toute décision doit se prendre à l’unanimité des pays hors la Grande-Bretagne a toujours voulu garder son indépendance tout en étant dans l’Europe, résultat ils sont plus accrochés à leur City et leur manière de gouverner qu’une bernique à son rocher.
    Dans la même veine, il est certain que rien n’est fiat contre les paradis fiscaux. Tant qu’il ne sera pas possible de connaître les sorties et les entrées entres les comptes de façon sûr, il n’y aura rien. Pour beaucoup d’entre vous qui êtes au vu de la situation à ce sujet cela ne vous apportera peut-être rien mais voici des petites choses :
    http://www.pearltrees.com/objectifmars/map/1_45424/

  3. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    @ ObjectifMars

    Le mécanisme est que c’est le Trésor (et non la Fed) qui émet des bons (les « treasuries »), afin de financer le déficit du budget de l’Etat.

    Dans le cas présent, le rôle qu’assume la Fed est d’en acheter lors des adjudications, avec pour objectif de stopper, ou freiner, la hausse de leurs rendements,ou de leur taux (les yields). C’est à dire les intérêts qui vont devoir être payé par le gouvernement, avant qu’ils n’arrivent à maturité (à échance), et qu’ils soient finalement racheté au détenteur final. Car il y a un marché secondaire, où un détenteur peut vendre ses bons sans attendre qu’ils arrivent à maturité.

    Le Trésor peut donc emprunter dans la monnaie qu’il souhaite. S’il le fait dans une autre monnaie que le dollar, cela peut être pour soulager la pression sur le dollar que représenterait une trop forte demande. C’es actuellement le cas. Mais c’est pour une autre raison qu’il l’a fait en 1978 (administration Carter). Il avait alors emprunté en marks allemands et en francs suisses, afin de se constituer des réserves de change dans ces devises.

  4. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    @ ObjectifMars

    Merci de m’avoir fait connaitre les « pearltrees » (arbres de perles), cette élégante manière de structurer en arborescence et de consulter de l’information recueillie sur le web.

  5. Avatar de Karluss

    merci pour votre réponse monsieur Leclerc,
    ce désordre commence à faire peur, de plus en plus ; comme pour le climat, l’aveuglement et la fuite dans le déni de réalité auront des conséquences désastreuses.

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