Billet invité.
L’IMPASSE DE L’HYPOTHETIQUE RELANCE
Le lassant petit jeu des devinettes à propos de la date de la reprise se poursuit, non sans une certaine impudeur intellectuelle. Bizarrement, mais l’est-ce vraiment ? sans qu’une simple question ne soit posée : qu’est-ce qui va pouvoir la déclencher ? Comme s’il y avait de la magie en l’air, une fois abandonné le refuge ésotérique des mathématiques financières (et de leurs illusions). Comment, en effet, décrire cette présumée réalité ? Les économistes ne devraient-ils pas reprendre à leur compte cette interrogation des philosophes ?
Jean-Claude Trichet, président de la BCE, n’est pas quant à lui un homme pétri de doutes, en tout cas publiquement, c’est pourquoi il vient encore de nous asséner une de ses ineffables certitudes, à peine tempérée : « Nous verrons probablement que la chute est de plus en plus faible, mais les chiffres resteront négatifs et cela pourrait durer toute l’année en cours. Les chiffres positifs vont apparaître dans le courant de l’année prochaine » a-t-il hier déclaré à Rome, à propos de la chute du PIB dans les pays industrialisés. Il s’exprimait à l’issue de la 61éme session plénière du
Pour revenir à Jean-Claude Trichet, son optimisme de façade lui sert en réalité à justifier qu’il est « hors de question », selon ses propres termes, de modifier le rôle et la mission de la BCE, c’est à dire « assurer la stabilité des prix, qui est un élément crucial de la confiance ». Ce qui signifie qu’il se refuse, sans le dire, à sauter le pas franchi par la Fed, qui a inclus formellement dans ses missions la préservation de la croissance et de l’emploi. Compromettant à ses yeux l’orthodoxie dont il se ravit d’être le dernier garant et rempart, cette indépendance vis à vis des Etats des banquiers centraux, présenté comme le nec le plus ultra de la meilleure gouvernance économique et financière possible.
Un concurrent sur ce terrain vient toutefois fâcheusement d’apparaître, il s’agit de Donald Kohn, vice-président de la Fed. « L’une des conséquences inévitables de nos initiatives destinées à remplir efficacement nos objectifs macroéconomiques dans la crise économique et financière actuelle, a été un renforcement de la coopération entre les autorités budgétaires et monétaires » a-t-il déclaré hier, à l’occasion d’une conférence prononcée à l’Université de Princeton. « Il nous faudra revenir à un mode de fonctionnement plus normal à mesure que la reprise économique s’enracinera. (…) Les banques centrales ont besoin d’être à l’abri des pressions politiques à court terme si elles veulent atteindre leurs objectifs macroéconomiques à moyen terme que sont la stabilité des prix et un emploi élevé », a-t-il ajouté. Tout cela augure sans doute d’amicales mais insistantes demandes auprès du Trésor, plus tard, afin qu’il reprenne à son compte certains engagements de la Fed…
Alan Greenspan, ancien président de la Fed, met moins de gants ces temps-ci pour affirmer que de nombreuses mesures engagées par la Fed devraient en réalité être à la charge du Trésor, laissant entendre qu’il préférerait voir la dette de l’Etat augmenter que le bilan de la banque centrale enfler. Le partage de ces deux mistigris annonce le succès à venir d’un nouveau jeu, après celui des devinettes : celui de la patate chaude. Il laisse présager de sérieuses batailles entre ces deux acteurs financiers majeurs, à côté desquelles les escarmouches actuelles à propos des futures missions de régulation et de qui en aura la charge, dont la SEC pourrait faire les frais, ne sont que des amuses gueules.
Alan Greenspan semble désormais mettre un malin plaisir à contredire ses anciens petits camarades de jeu, sans doute parce qu’il ne supporterait pas d’en être totalement exclu. Il vient de donner un autre son de cloche, à Washington, à l’occasion d’une rencontre avec des membres du Congrès. Estimant les besoins en capitaux des banques, à un niveau non précisé mais de toute évidence bien supérieur aux résultats des stress tests officiels, considérant également que le risque d’une crise accrue des crédits hypothécaires était sérieux, il a présenté une vision pour le moins très circonspecte de la situation. « Nous sommes au bord (de cette nouvelle crise), et je serais inquiet si cela n’est pas rapidement résolu. »
Robert Zoellick, le président de la Banque Mondiale, a été tout aussi alarmiste, dans un entretien accordé aujourd’hui au quotidien espagnol El Pais : « Si l’on ne prend pas de mesures, il existe un risque d’arriver à une grave crise humaine et sociale, avec des implications politiques très importantes (…) Ce qui a commencé comme étant une grande crise financière, puis devenu une profonde crise économique, dérive aujourd’hui en une crise du chômage ». Il a ajouté, pour bien se faire comprendre : « A mon avis, dans ce contexte, personne ne sait vraiment ce qui va se passer et le mieux est d’être prêt pour tout imprévu ».
Décidément, quand ce n’est pas le FMI, c’est la Banque Mondiale qui s’y met dans le rôle de fauteur de troubles. Il faudra attendre un peu pour que les Nations Unies prennent le cas échéant le relais, la réunion internationale prévue « au plus haut niveau » à propos de « la crise économique et financière mondiale et son impact sur le développement », décidée en décembre dernier à Doha, ayant été repoussée des 1er au 3 juin au 23 et 24 juin prochain, à New York. Officiellement, pour des raisons de calendrier chargé des chefs d’Etat, en réalité parce que leurs sherpas ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le texte de la résolution finale de la conférence. « Cette Conférence se déroulera sous forme de séances plénières et de quatre tables rondes interactives, auxquelles prendront part les dirigeants du monde, les responsables du système des Nations Unies, dont ceux de la Banque mondiale et du FMI, ainsi que des représentants de la société civile et du secteur privé», est-il prévu par les gentils organisateurs.
Alors, d’où va-t-elle venir, cette relance tant espérée ? Les connaisseurs de la Chine se relayent depuis quelques temps, afin d’expliquer que de nombreux facteurs vont faire obstacle à la substitution rapide de ses exportations déclinantes par le développement de son marché intérieur. Ce n’est pas seulement la réorientation de l’appareil de production qui est en cause, ce qui n’est déjà pas une mince affaire, car les biens qui devraient être produits pour y parvenir ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui trouvaient preneur aux USA, sans parler de leurs coûts de production et de leurs prix de vente. C’est l’ensemble d’une société, telle qu’elle se développait de manière extrêmement inégalitaire, qui va devoir aussi être réformé. C’est une autre répartition de la richesse qui devra, afin d’y parvenir, être entreprise. On sait que, dans ce domaine, les inerties sont d’autant plus fortes que les intérêts peuvent se manifester. Entre le mécontentement des villes et celui des campagnes, pour faire simple, quel sera le choix des dirigeants chinois, s’il peut limiter l’un et balayer l’autre ?
On comprend que le rééquilibrage du commerce international appelé de leurs vœux par les experts, supposant que les Chinois consomment plus et les Américains moins, se heurte ainsi à un premier obstacle de taille. On comprend également que cela ne va pas pouvoir se passer d’une manière aussi simple, non seulement en Chine, mais également aux Etats-Unis.
On l’a dit et répété : la consommation des ménages intervient dans la croissance américaine à raison de 70% de cette dernière. Deux facteurs vont sérieusement peser sur toute relance. Non seulement l’accroissement du chômage, annoncé comme devant en tout état de cause se poursuivre, mais également l’augmentation du taux d’épargne, sur lequel il faut s’arrêter. En effet, un article de David M. Smick, analyste financier, publié aujourd’hui par le Washington Post, révèle que, selon une enquête d’American Express, les ménages disposant de revenus supérieurs à 100.000 dollars annuels contribuent à eux seuls à la moitié des achats des produits de consommation, illustration de l’inégalité des revenus qui règne dans ce pays. Or, il apparaît que ces ménages, dont le pouvoir d’achat n’est actuellement pas menacé, anticipant des augmentations d’impôts, épargnent et restreignent leur consommation. Ce ne sont ni des chômeurs, ni des ménages à fort revenu, que l’on peut donc attendre un retour à la croissance. Qui reste-t-il alors ? Il ne reste en vérité comme seule option que de lancer de nouveaux plans de relance gouvernementaux, dont le financement va faire de plus en plus problème.
Comment procéder? Entre l’utilisation de la planche à billet et l’émission de bons du Trésor, entre le danger d’une inflation ultérieure et le poids grandissant d’une dette démesurée, le choix est en effet impossible à faire. Mais il risque d’être imposé par les circonstances, la Fed accroissant – forcée et contrainte – son programme d’achat de bons du Trésor, déjà bien engagé. Car sur le front du marché obligataire, les choses ne se présentent pas très bien pour l’avenir.
Un article de Keith Bradster, dans le New York Times du 20 mai, faisait le point de la situation à ce propos. Il remarquait en premier lieu que, si les achats de bons du Trésor par la Chine, premier détenteur mondial de ceux-ci, se poursuivaient, la part des Chinois dans le total des bons émis diminuait, car l’offre américaine augmentait de plus en plus sur le marché. Des investisseurs américains et étrangers prennent le relais, car ils fuient actuellement le marché des actions. On verra la suite. La politique de la Chine doit, quant à elle, être examinée de plus près. Elle a en premier lieu continué d’acheter des bons du Trésor, mais c’est pour se dessaisir prioritairement de ses obligations émises par Fannie Mae et Freddie Mae, après avoir senti passer de très près le vent du boulet durant le second semestre 2008. Elle substitue d’ailleurs ses bons du Trésor à long terme par des bons à court terme, afin de pouvoir plus rapidement faire face à une montée de l’inflation américaine. Enfin, elle utilise toute une palette des moyens à sa disposition, ne pouvant jouer contre elle en vendant massivement des bons du Trésor, ce qui en ferait chuter les cours et l’atteindrait d’autant. La Chine achète de l’or, mais progressivement et en quantité limitée, afin de ne pas en faire monter le cours davantage. Elle achète des matières premières, ou elle favorise les investissements privés extérieurs en assouplissant la réglementation dans ce domaine, ces opérations étant faites en dollars, lui permettant ainsi de s’en dessaisir. Voilà clairement la tendance.
Mais, avec tout cela, nous n’avons toujours pas trouvé d’où proviendra la relance, quand elle interviendra.
31 réponses à “L’actualité de la crise : L’impasse de l’hypothétique relance, par François Leclerc”
E Todd a souvent su comprendre le fonctionnement de notre société, avec clairvoyance. L’individualisme est la racine du mal, elle est partagée par les politiques, les dirigeants, les petits actionnaires…
Les milliards injectés dans le système financier pour aider les banques sont à l’origine d’une remontée boursière au lieu de servir à relancer l’économie. Au lieu de financer la consommation, il faut aider les banques à prêter de l’argent, a-t-on entendu. certains nous ont expliqué avec des démonstrations alambiquées, que cet argent allait, en passant par les banques être réinvesti dans l’industrie et par la suite permettre une relance de la consommation.
Or ce que l’on voit aujourd’hui, c’est un réinvestissement dans le marché boursier censé permettre aux banques de récupérer une partie de leurs pertes.
Cet argent va manquer à la création de structures, à l’éducation, la recherche, aux aides versées aux région, communes,..à l’emploi. Donc ceci va accélérer la crise, et prouve que les banquiers sont restés dans leur bulle. Qui a son tour éclatera dans quelques mois.
Les aides sociales ont amorti le premier choc, mais dans un an, elles ne seront plus versées, ce qui ne va pas arranger les choses.
L’état est en train de préparer le traitement de la crise par la tolérance zéro, avec Hadopi, estrosi, …Alors que les lois existent déjà…et de transformer la justice en une justice expéditive. Mais une société répressive devient une société violente, et une société violente peut devenir une société policière et totalitaire.
Je vois régulièrement des posts prôner et applaudir le retour aux « valeurs », une partie de la société, la plus protégée dénoncer son « assistanat » à une autre partie, une dérive vers une forme de dictature au détriments des plus faibles.
Cela commence par des petites interdictions, boire, fumer, grossir, auxquelles il est facile de donner son accord, puis viens un renforcement du fichage, en outre passant les recommandations du cnil, la surveillance dans les lieux publics, toujours pour notre bien, puis la surveillance chez soi, sur son pc.
On crée de nouveaux délits et faits plus graves, les sanctions seront accordées de manière systématique sans recours à la décision d’un juge, par dénonciation de parties privées. Quand au droit de vote, lorsque le vote est négatif, on le contourne, et on dit que l’on a mal expliqué les enjeux, que le peuple n’a pas compris…
Pourquoi laisser un peuple ignare et inculte, prendre des décisions alors qu’il existe des spécialistes formés dans leurs milieux biens fermés à avoir la bonne vision de la société.
Ce genre de société n’est plus une société démocratique.
Nous sommes en train de copier un modèle américain avec ces dérives que l’on ne nous montre pas. et nous allons les dépasser…
Ayant séjourné aux usa, j’ai vu un pays coupé en deux avec une extrême pauvreté qui est cachée bien qu’elle soit répandue, une société policière et violente, avec un habitant sur 10 qui a fait ou fera de la prison, qui ressemble plus a un sérieux reconditionnement. un pays ou presque tout est infraction, et la dénonciation normale.
Je ne suis pourtant pas une anarchiste, je vote modem, mais je croyais en un idéal républicain démocratique et là je suis écœurée.