Certains des commentaires à mon billet Aristote et nous font apparaître un personnage bien étrange – qui ne laisse apparemment pas indifférent – mais sans rapport aucun avec le philosophe du même nom dont je parle dans Comment la vérité et la réalité furent inventées, mon ouvrage à paraître. En espérant que ce qui suit permette de clarifier un peu les choses : le projet de quatrième de couverture.
Quelles notions nous sont-elles plus évidentes que la vérité et la réalité ? La vérité évoque les choses qui sont vraies tandis que la réalité nous parle de ce qui tout simplement existe.
Et pourtant, ces notions sont absentes de la culture Extrême-orientale classique, et elles sont récentes dans la nôtre. Leur histoire est bien documentée, ayant donné lieu à de nombreuses querelles. La vérité telle que nous l’entendons est née en Grèce antique et fit ses débuts comme argument polémique. Ce sont Platon et Aristote qui la firent émerger dans la bataille qu’ils menèrent conjointement contre les sophistes. La réalité (objective) est elle fille de la vérité aristotélicienne mais résulte sous sa forme moderne d’un coup de force pythagoricien opéré à la Renaissance par les jeunes Turcs de l’astronomie moderne naissante, lassés des interférences de l’Église dans la construction du savoir.
L’émergence de la vérité et de la réalité n’aurait pas été possible sans une particularité de la langue : la possibilité de rassembler deux idées, non seulement pour établir une certaine identité entre elles, mais aussi pour suggérer un rapport antisymétrique entre elles, comme l’inclusion de l’une dans l’autre ou le fait que l’une soit la cause de l’autre. Ce que produit une langue privée de cette relation antisymétrique, s’observe dans ces faits de « mentalité primitive » qui étonnèrent longtemps les anthropologues, comme quand les Nuer affirment que « les jumeaux sont des oiseaux ».
Le coup de force pythagoricien de la Renaissance supposait une assimilation de deux univers : le monde tel qu’il est en soi (par-delà les illusions « phénoménales ») et celui des objets mathématiques dont nous avons fait la méthode privilégiée de nos théories scientifiques visant à le représenter. Il en résulta une confusion dont la physique contemporaine est aujourd’hui la victime : la modélisation mathématique du monde suggère en retour de lui attribuer des propriétés qui ne sont rien d’autre que les particularités des nombres livrés à eux-mêmes. Les anomalies créées par ces artefacts font que les modèles en engendrent désormais d’autres sans retenue, chacun s’éloignant davantage du monde en soi dont il s’agissait pourtant de rendre compte le mieux possible.
L’œuvre d’Aristote constitua un sommet dans la pensée. L’enthousiasme brouillon des savants nous fit nous en écarter. Les rendements décroissants de leurs théories nous obligent aujourd’hui à débarrasser l’entreprise de construction de la connaissance du mysticisme mathématique dont ils avaient fait leur principale arme de guerre dans le combat qu’ils menèrent victorieusement contre l’Église. Un exemple de la tâche à entreprendre est offert par une analyse, à la lumière de l’analytique aristotélicienne, de la démonstration par Kurt Gödel de son théorème d’incomplétude de l’arithmétique : les a priori mystiques en sont soulignés ainsi que le caractère hétéroclite des types de preuve mobilisés, dont certains seraient considérés par Aristote comme tout juste passables dans le contexte de la conversation courante.
98 réponses à “Comment la vérité et la réalité furent inventées : 4e de couverture”
Les mathématiques permettent toujours de décrire la réalité à l’incertitude près qui peut elle même être calculée. Mais quelque soit l’effort déployé par les mathématiques l’incertitude persiste même si parfois on la réduit par de nouvelles connaissances mais pour autant même mathématiquement elle persistera elle aussi ! La tentation est la simplification qui confond une description avec ce que l’on décrit et de dire que les mathématiques calcule une réalité alors que c’est exactement le contraire on ne fait en fait que coller quelque chose qui ressemble à quelque chose qui existe.
@Jean-Baptiste
La réalité dans le bon usage des mathématiques !
« L’œuvre d’Aristote constitua un sommet dans la pensée. L’enthousiasme brouillon des savants nous fit nous en écarter. Les rendements décroissants de leurs théories nous obligent aujourd’hui à débarrasser l’entreprise de construction de la connaissance du mysticisme mathématique dont ils avaient fait leur principale arme de guerre dans le combat qu’ils menèrent victorieusement contre l’Église. »
Telle que je les comprends, ces deux phrases me chiffonnent. Parler de rendement au sujet de toute théorie scientifique me paraît simplement fumeux: Par exemple, l’un des concepts mathématiques fondateur de toute l’électronique moderne – les nombres complexes – est vieux de 5 siècles, excusez du peu. Quel était son « rendement » à l’époque? Quel est-il aujourd’hui? Par ailleurs, quelle « réalité » ce concept mathématique est-il sensé représenter au juste?
Un distinguo à faire, peut-être, entre théories applicatives et théories fondamentales, non? La masse de théories applicatives produites par l’ingénierie (financière comme technique) peut à la rigueur être considérée en terme de rendement, quoi que la chose mérite sans doute d’être discutée.
Les théories fondamentales, pour leur part, sont simplement inqualifiables: On ne peut pas nécessairement mesurer leur qualité à l’instant même de leur formulation, celle-ci pouvant n’apparaître que plus loin dans le temps, à la lumière de nouveaux éléments, et sous réserve que quelqu’un parvienne à en discerner les implications. Pour reprendre l’exemple des nombres complexes, si les mathématiciens s’étaient bornés strictement à modéliser la réalité, nous ne serions pas en train d’en discuter sur ce blog.
Bonjour a tous .A tous moments le vent soufflant sur la girouette celle ci indique une direction,celle ci est une verite ;maintenant quand le vent souffle la girouette indique sa direction la est la realite .La verite n’a pas de consistance elle est le fruit du moment ,de l’epoque ,de la culture ou des elements en presences.Amities
« La vérité évoque les choses qui sont vraies tandis que la réalité nous parle de ce qui tout simplement existe.
Et pourtant, ces notions sont absentes de la culture Extrême-orientale classique… »
Selon le bouddhisme, il existe 2 sortes de vérité : la vérité relative et la vérité ultime. La vérité relative, ce sont nos concepts (j’ai raison, tu as tort…etc), notre vision personnelle ou collective des choses. La vérité ultime, c’est ce que vous appelez les choses qui sont vraies et ce qui tout simplement existe. La différence tient à la manière d’appréhender les choses, en Occident on réifie les choses par la science en général, en Extrême-Orient la vérité ultime ne peut pas être réifiée sinon on retombe dans la vérité relative.
« le caractère hétéroclite des types de preuve mobilisés [dans la démonstration de Gödel], dont certains seraient considérés par Aristote comme tout juste passables dans le contexte de la conversation courante. »
Mais justement c’est la marque de l’amélioration de la capacité démonstratrice humaine que d’avoir découvert de nouveaux types de preuves — ou plutôt de leur avoir découvert des fondations qui les ont rendues admissibles absolument. Gödel et d’autres disposent de moyens de démonstration plus amples qu’Aristote parce que l’humanité progresse également en raffinant et en élargissant ses pouvoirs démonstratifs, comme elle progresse en amplifiant ses capacités techonologiques. La machinerie de la preuve est une forme de technè appliquée aux opérations de l’esprit, à l’instar des machines physiques qui prolongent et renforcent l’action corporelle ; il ne faut s’étonner que les nôtres soient plus puissantes que celles des Grecs.
Cher Paul,
J’achèterai votre livre car je trouve déjà dans la présentation quelques « réalités » très importantes à dire pour les chercheurs et qui sont pratiquement tues dans la profession. C’est une chose très importante que de débattre du fond philosophique et des contradictions épistémiques de la science actuelle, notamment de la « modélisation » destinée à aider les « décideurs », mythe de plus en plus évident dans ce monde qu’on maîtrise si mal, complexe, systémique (crise), menacé par des phénomènes climatiques, etc. La critique épistémologique débouchera forcément sur l’analyse sociale de la pratique scientifique mais peut-être cela est abordé dans le livre.
De même qu’il existe un observatoire des médias (acrimed) il faudrait un observatoire critique de la Recherche !, en tant qu’instrument majeur du pouvoir dans nos démocraties, pour ramener un peu à la réalité « l’enthousiasme brouillon des savants »… Il faut que ce débat (aussi !) commence, c’est urgent ; car il y a bien évidemment des « rendements décroissants [des] théories » scientifiques, surtout en termes d’utilité sociale et de liens avec la réalité. (En revanche, l’utilité en termes de profits se porte mieux.)
Trois éclairages ou pistes de réflexion sur la construction sociale de la Science :
* Meyer et Rowan décrivent dans un article classique un « découplage » entre l’activité au sein des organisations (savants, décideurs etc.) et la réalité, processus à l’œuvre dans les sociétés modernes, qui se traduit par une fabrication de mythes « d’efficacité » multiples pour légitimer ces organisations. C’est une facette sociale de la construction de la réalité…
J. W. Meyer & B. Rowan, « Institutional organizations: formal structure as myth and ceremony, » American Journal of Sociology, 83 (1977), 340-63. (sur internet)
*Quelle classe sociale « les savants » représentent-ils d’après Bourdieu ? « Dans La Distinction, Bourdieu fait l’analyse du système de classe et fractions de classe qui se disputent les critères apparents de la méritocratie pour se hisser dans la hiérarchie sociale par le fétichisme de la consommation et des loisirs ostentatoires. Il prend pour cible la culture bourgeoise dans ce qu’elle a de légitimant, mais surtout les petits-bourgeois, fraction dominée de la classe dominante, qui imitent servilement des pratiques de vie quotidienne à usage externe qui ne correspondent pas au niveau réel de leurs revenus. » http://archives.univ-lyon2.fr/53/1/addi_l_bourdieu.htm
A propos du niveau réel des revenus, au moins, pas de doute ! Un chargé de recherche en fin de carrière 3000 euros.
*Toujours Bourdieu, à propos des chercheurs : « La dichotomie entre scholarship et commitment rassure le chercheur dans sa bonne conscience car il reçoit l’approbation de la communauté scientifique. C’est comme si les savants se croyaient doublement savants parce qu’ils ne font rien de leur science. Mais quand il s’agit de biologistes, ça peut être criminel. Mais c’est aussi grave quand il s’agit de criminologues. Cette réserve, cette fuite dans la pureté, a des conséquences sociales très graves. Des gens comme moi, payés par l’État pour faire de la recherche, devraient garder soigneusement les résultats de leurs recherches pour leurs collègues ? Il est tout à fait fondamental de donner la priorité de ce qu’on croit être une découverte à la critique des collègues, mais pourquoi leur réserver le savoir collectivement acquis et contrôlé ? »
@Paul :
Je me considère comme « coeur de cible » pour un ouvrage de ce type et me permets donc quelques commentaires sur cette 4ème de couverture, élément important dans l’achat d’un bouquin.
La proposition « La réalité (objective) est elle fille de la vérité aristotélicienne mais résulte sous sa forme moderne d’un coup de force pythagoricien opéré à la Renaissance par les jeunes Turcs de l’astronomie moderne naissante, lassés des interférences de l’Église dans la construction du savoir. » est très prometteuse même si la phrase me paraît un poil lourde. Et « Turcs », est-ce au sens figuré ? Copernic, Tycho-Brahé, Kepler, Galilée ne me paraissent guère Turcs.
« Les anomalies créées par ces artefacts font que les modèles en engendrent désormais d’autres sans retenue, chacun s’éloignant davantage du monde en soi dont il s’agissait pourtant de rendre compte le mieux possible. » : cela est peut-être vrai en en économie, où l’objet observé est lui-même un pur artefact humain construit sur des modèles. En sciences dures cela ne me semble pas applicable : la « réalité » (ou bien ma pensée est-elle contaminée ?) n’ayant que faire de nos modèles se chargera par ses faits bruts d’infirmer ceux qui ne la reflètent pas.
« Les rendements décroissants de leurs théories » : rendement décroissant des théories scientifiques ?? Voilà un postulat un peu dur à admettre au vu des 100 dernières années.
« Un exemple de la tâche à entreprendre est offert par une analyse, à la lumière de l’analytique aristotélicienne, de la démonstration par Kurt Gödel de son théorème d’incomplétude de l’arithmétique : les a priori mystiques en sont soulignés ainsi que le caractère hétéroclite des types de preuve mobilisés, dont certains seraient considérés par Aristote comme tout juste passables dans le contexte de la conversation courante. » : si je comprends bien l’ouvrage propose ce démontage « mystique » de Gödel ? C’est alléchant mais vous vous attaquez à forte partie ! Le mysticisme n’est-il pas plutôt dans l’interprétation que certains ont voulu faire des résultats de Gödel ? Quant au caractère hétéroclite des preuves, il me semble que les mathématiciens justement les honorent (comme celles mobilisées par Wiles pour Fermat) car elles mettent en exergue et exploitent la profonde cohérence de l’ensemble de la construction mathématique.
Veuillez excuser mon outrecuidance alors que j’admire la clarté de votre écriture : j’ai juste essayé de me mettre dans l’état d’esprit de l’acheteur potentiel qui en cinq minutes, debout dans une librairie surpeuplée, son gamin braillant qu’il veut aller faire pipi, parcourt une 4ème de couv’ pour décider s’il ajoute cet ouvrage prometteur à sa pile d’achats.
Deux questions pour lesquelles je n’ai pas de réponse assurée :
1- N’a-t-on pas tendance aujourd’hui à juger de certaines réalités « toutes choses égales par ailleurs » ? Principalement dans le domaine des théories économiques (et sociales ?), pour lesquelles on s’arrange avec des paramètres sous estimés en les niant tout simplement ? Ainsi seraient bâties des théories fonctionnant à merveilles… sur une paillasse de labo, loin de tout parasite ou courant d’air gênant.
2- En sciences dites « dures », n’a-t-on pas démontré avec Poincaré (les trois corps) ou Lorenz (chaos), que la prédictibilité des événements était limité par des données de départ qui seront si ce n’est inconnues, du moins incomplètes ?
Comme me le disait un copain ébéniste « La théorie, c’est pas pratique ».
Paul Jorion écrit : « Ils (les savants) opérèrent à la Renaissance un coup de force épistémologique : ils avancèrent que leurs modèles ne résidaient nullement dans la discursion, dans l’esprit humain, mais au sein de la Réalité-objective qui ne devait pas se concevoir à l’instar de la discursion comme un feuillet intermédiaire entre le monde sensible de l’Existence-empirique et le monde authentique mais inconnaissable de l’Être-donné, mais comme assimilée à ce dernier. La capacité des modèles mathématiques à représenter le monde n’était pas fortuite, affirmèrent-ils ; elle n’était nullement due à la rentabilité du type de stylisation opéré par les mathématiques mais elle était due au fait que la réalité ultime est constituée des objets dont parle le mathématicien : l’Être-donné est fait de nombres ».
On a une dualité : la vérité et la réalité.
Mais la « vérité » au sens grec, l’alètheia, veut dire dévoilement d’un monde, et cette « vérité » est différente de la vérité au sens habituel, i.e. la vérité intérieure. La « vérité », l’alètheia, est vue comme discursion (discours) ou esprit humain, et serait un feuillet intermédiaire entre l’Existence-empirique et l’Être-donné.
On a ici une tripartite : l’existence-empirique, la discursion (l’esprit humain, la vérité) comme feuillet intermédiaire, et l’être-donné.
Je préfère dire – parce que cela me semble plus neutre : l’étant (ce qui est ou les phénomènes), l’être de l’étant, l’être-même.
Mais si l’être de l’étant est discours, cet être de l’étant doit être distingué de l’esprit humain comme vérité intérieure, car le discours qui est dévoilement ou ouverture ou constitution d’un monde, ce discours donc, en tant qu’il est allées et venues et courses de différents côtés, implique le différer et la différence d’une connaissance partagée : conscience comme cum-scientia, science en commun, avec.
Si le discours est La conscience comme cum-scientia, alors cette science en commun se distingue de la subjectivité et de la vérité intérieure, et cette vérité intérieure est dès lors un mode (parmi d’autres) de l’être de l’étant; mais elle n’est pas l’être de l’étant, être de l’étant qui lui est la « vérité » au sens d’alètheia ou ouverture d’un monde (ou encore discours – ainsi toute la philosophie aristotélicienne est basée sur le dire du monde et des choses (« l’étant se dit, etc… »).
Mais au-delà du discours, ou plutôt en deçà, discours qui en tant qu’être de l’étant dévoile un monde de phénomènes ou d’étants (i.e. d’existence-empirique), il y a les mathématiques comme accès à l’être-même (l’Être-donné). Parce que cet être-même ou Être-donné serait nombre, et que les nombres ne se disent pas, mais se calculent, et échappent au discours, alors, comme la figure géométrique, ils ne peuvent que se contempler (Platon). Et cette mathématique est un transcendant ou plutôt elle est un pseudo-transcendant, car elle est ce transcendant qui est le renvoi de l’humain à lui-même (à sa liberté), condition d’un monde humano-humain.
Maintenant est-ce que la réalité est assimilable comme « Réalité-objective » a l’être-même? Mais la réalité, comme objectivé extérieure consensuelle (le principe de réalité), est un autre mode de l’être de l’étant, autrement dit une autre façon pour les choses et le monde d’apparaître. Si ce monde est hypertrophié depuis la Renaissance par le poids du « Réel », c’est parce que ce monde se caractérise par la prédominance du technique ou de l’ustensilité. Ainsi l’ingéniosité, l’ingénierie et l’ingénuité (la liberté de l’ingénu né de parents libres) deviennent le pivot de la modernité. Ingénierie technique sans doute déjà en germe chez Aristote. Ce qui caractérise la modernité c’est donc le primat de la poiésis (technique, faire) sur la praxis (commerce, avoir) et la théoria (science, être). La modernité est le règne du travail qui doit « rendre ».
Un point de vue parmi d’autres, mais je n’ai pas lu le livre seulement l’article du blog.
La forclusion et le refoulement d’une seconde nature humaine et son remplacement par l’ingénierie entraîne par contrecoup une hypertrophie du « Réel ».
@Alotar à 09:41 : Et réciproquement.
@ Lorem Ipsum
Hélas non ! Tous les procédés utilisés par Gödel dans sa démonstration sont connus d’Aristote qui les a répertoriés dans son Analytique, sa Dialectique et sa Rhétorique, où il a évalué leur valeur probante, non pas à partir d’un barème arbitraire mais en les situant au sein de sa théorie du syllogisme quant à la particularité et à la négation au sein des prémisses. De ce point de vue, la démonstration de Gödel est un désastre. Mon apport a consisté à suivre cette démonstration pas-à-pas et à en souligner les forces et les faiblesses, la valeur probante de l’ensemble étant bien entendu celle de son maillon le plus faible. Que ni Gödel, ni ses critiques, n’aient fait le même exercice révèle simplement une régression dans la connaissance : la théorie de la preuve, inventée par Aristote et développée par les Scolastiques, leur est tout simplement inconnue. L’excellent ouvrage de Ladrière : Les limitations internes des formalismes. Étude sur la signification du théorème de Gödel et des théorèmes apparentés dans la théorie des fondements des mathématiques, (Paris : Gauthier-Villars 1957), Paris : Jacques Gabay 1992, sur lequel je m’appuie en partie, et qui analyse l’ensemble des arguments utilisés aussi bien par les partisans du théorème que par ses détracteurs, confirme cette ignorance.
Le cœur de mon analyse se trouve déjà dans Le mathématicien et sa magie : théorème de Gödel et anthropologie des savoirs.
@ Yogi
jeune-turc
n. jeune-turc, jeune-turque (de Jeunes-Turcs, n.pr.), jeunes-turcs, -turques
Personne, souvent assez jeune, qui, dans une organisation politique, est favorable à une action rapide, ferme et volontaire: Les jeunes-turcs du parti.
@ Alexis
Mon maître Georges-Théodule Guilbaud rapportait dans ses cours, quand il parlait de l’approximation en mathématiques, les propos d’un plombier qui à la question : « Combien vaut Ï€ ? », répondait : « Ça dépend du métal ! »
@Paul : Ok, merci pour « jeune-turc » qui, comme le précise la source que vous citez, s’écrit avec cette graphie précise. Mais vu la rareté (de mon point de vue) de l’expression, c’est peut-être un peu hard pour une 4ème de couv, non 😉 ? Par ailleurs j’ignorais vos travaux sur Gödel et vais lire incessament votre article sur la question.
@Paul
d’accord avec Yogi à propos de la rareté de l’expression « jeune-turc ».
Surtout employée pour qualifier la Renaissance occidentale : c’est un coup à se faire vilipender par les anti-Turquie au sein de l’Union européenne !
Cela dit en toute humilité et contrition.
Et voila ! comme toujours, des que la philosophie s’attaque a la science, c’est la catastrophe. Pourtant nous les scientifiques, on laisse bien la philosophie en paix. Alors pourquoi elle, ne nous y laisse pas, en paix ?
Bon, si ce n’est pour l’effet commercial, cette 4eme de couverture émet quelques jugements pour le moins tranches.
Je passe rapidement sur l’idée de « rendement décroissant » des théories scientifiques, que certains lecteurs ont déjà conteste. Il suffira de regarder l’histoire scientifique du 20eme siècle pour se rendre compte que l’humanité a acquis plus de savoir théorique et pratique en 100 ans qu’en 10 000 ans de civilisation. Si cela était faux ou irréel, on s’en serait sans doute déjà rendu compte. Mais nous n’aurions sans doute pas ce débat.
Bref, je préfère me concentrer sur cet incroyable amalgame entre la réalité et sa modélisation théorique. Non, la physique contemporaine n’est victime de rien du tout ! Tous physicien sait très bien qu’il ne fait qu’observer une boite noire qu’il ne pourra jamais ouvrir, point. Un physicien honnête n’osera jamais dire « je sais que c’est vrai », il vous dira plutôt « je sais que ceci n’est pas encore prouve faux », ou « je sais que ceci est déjà prouve faux », et c’est tout. Un physicien ce place toujours dans le contexte d’une théorie particulière pour raisonner, et il sait que cette posture lui impose en-soi des limites. Je dis physicien car il se trouve que j’en connais quelques uns, mais j’aurais pu dire biologiste, chimiste ou ce qu’il vous plaît en fait.
De toute façon comme l’a dit Yogi, la réalité décide bien toute seule a partir d’où telle ou telle théorie commence a ne plus être vraie (cad: commence a émettre des prédictions qui ne sont pas vérifies par les expérience adéquates). La physique a toujours été ce jeu de ping-pong entre théorie et expérience. Ce qui est véritablement remarquable, c’est que la réalité n’est pas complètement chaotique, et qu’elle se laisse justement dompter dans une certaine mesure par la science et son outil mathématique: faites une observation, déduisez en une théorie, prédisez avec celle-ci le résultat d’une nouvelle expérience. Si ça ne marche pas réessayez, si ça marche, vous venez de trouver un domaine de paramètres danslequel votre théorie a un semblant de justesse. Voila l’essence de la physique moderne (depuis grosso-modo Kepler et Newton). Un exemple élémentaire pour enfoncer le clou: lâchez votre gomme au dessus de votre bureau: celle-ci tombe sur votre bureau. relâchez la 5 minutes plus tard, a votre avis, d’après l’expérience précédente, que risque t-il d’arriver ? Remarquez j’aurais pu choisir un autre objet, comme une pomme par exemple. Comprenez bien que les théories physiques ne viennent tangenter la réalité du monde dans lequel nous évoluons qu’en certains points.
Enfin bref, au fond 99% des gens n’ont absolument pas la moindre idée de ce qu’est le point de vue d’un scientifique, et 99.99% n’ont absolument pas les moyens de comprendre les détails techniques de ce qu’un scientifique tenterait de leur expliquer a propos de ses travaux (qu’il soit ingénieur ou chercheur, et sans tomber dans la grande vulgarisation). Dans mon domaine il y a peut être 2000 personnes dans le monde qui comprendraient exactement ce que je fais. Et pourtant nous sommes encercles par la technologie, notre mode de vie moderne repose quasi-entièrement sur les découvertes scientifiques des 5 derniers siècles, mais ça n’empêche pas les gens de cracher sur la science. Oui 3000 euros en fin de carrière, ça fait réfléchir (ou pas !).
Entièrement d’accord avec Tos.
Que signifie, –concrètement–, confondre le modèle et la réalité ? Attribuer des choses à la réalité ?
La science n’affirme rien, elle ne fait que développer des modèles, un point c’est tout.
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@Tos
Justement, Paul essaie de vous expliquer que la science n’ aurait jamais du laisser la philo en Paix !
Cela a l’ air évident pour vous, mais il se peut que sans la comprehension que la verité est relative a un certain cadre et certaines premisses métaphysiques, la science prenne ses « désirs pour des réalités ».
Quand bien même la balle tomberait a la même vitesse et au même endroit 100000 fois, rien n’ aurait prédît a la 101 eme fois que la balle disparaîtrait en même temps que la galaxie, dans un trou noir subitement formé dans l’ univers jumeau, indetectable jusque là…
On ne se trompait pas de beaucoup dans les modèles utilisés jusque là…et pourtant ils étaient salement faux !
La predictibilité d une theorie ne devrait pas avoir l’ importance que vous lui conférez dans la hiérarchie des preuves, surtout si vous vous complaisez a ignorer l’ apport de la philosophie.
Ecoutons St Thomas d’Aquin: » L’Art est l’imitation de la Nature DANS SA FACON D’OPERER: L’Art est le PRINCIPE de toute manufacture. » (Les capitales sont de mon fait à l’exception des mots Art et Nature) Il faut assurément entendre « manufacture » dans son sens vrai, réel -« fait à la main »-, et non dans son synonyme moderne, contraire, faux,irréel : »industriel ».
« La vérité évoque les choses qui sont vraies »
Ben il faut oser !
Et la fausseté évoque les choses qui sont fausses !
« tandis que la réalité nous parle de ce qui tout simplement existe. »
la réalité évoque les choses qui sont réelles !
Non ?
Heureusement qu’on a bousillé l’église chrétienne et ses dogmes pour aboutir à ça !
Je t’aime quand même Paul mais remet ces idioties soixante-huit-ardes dans ta culotte.
Plz…
Shiva
@ Shiva
Tu n’as pas compris que j’écris cela pour m’en moquer ? Prends ton temps ! Relis tout cela à tête reposée, relax Max !
PS : les émotikon ne sont pas autorisés en 4e de couverture. Va savoir pourquoi.
@ Paul,
A propos de Jean Ladrière, son introduction à l’ouvrage de Jean Claude Schotte « La raison éclatée » vaut le détour!
le pb de la philo c’est qu’il n’est de sciences qu’ à ses dépens.
Y a-t-il ici encore quelqu’un pour philosopher sur l’air la terre l’eau et le feu?
Bon d’accord reste la philosophie du langage du droit la philosophie politique la philosophie de la science etc, mais qu’en restera-t-il quand les sciences humaines seront des sciences où ce concept ne sera pas usurpé? Rien? une façon particulière de présenter le Tout?
Tiens oui… on y arrive : Paul Jorion lit Jean Ladrière qui préface Jean-Claude Schotte. Et si Paul Jorion lisait Jean-Claude Schotte ?
« les choses qui sont vraies » :
Cela nous paraît une évidence, mais c’est justement tout le propos de Paul que de montrer que tel n’est pas le cas, puisqu’en Extrême-Orient, et tout particulièrement en Chine, la perspective est bien différente.
Dire qu’il y a des choses qui sont vraies suppose dans l’optique artistotélicienne qu’il y a des choses fausses, en soi, ce qui peut être démontré, notamment au moyen du fameux syllogisme, lui-même résultant de la dissymétrie des idées mis en exergue par Paul.
IL y eut bien, en Chine antique, une Ecole des noms qui s’attachait à montrer l’adéquation des mots aux choses, et qui donc se préoccupait du problème de vérité, mais l’adéquation à l’objet y est alors appréhendée en fonction d’une situation et du moment.
Dans un monde en procès, le monde chinois, connaître les choses du monde c’est interagir au mieux avec le monde, qu’il s’agisse de la moralité, du politique ou encore de l’artistique ou du médical. Avec Platon et Aristote les choses sont bien différentes il s’agit de se dégager de l’apparence des choses sensibles pour trouver une vérité objective. ON se sépare du monde visible pour y revenir après le détour par la démonstration dans le monde des idées. A l’inverse, dans la pensée chinoise, l’humain fait corps avec le monde de façon à se tenir au plus près de ses transformations et se rendre ainsi plus efficace. En cela certains ont pu caractériser la civilisation chinoise par son a priori moral, tandis que la civilisation occidentale serait axée sur la connaissance objective. (Ce qui n’implique nullement que les chinois soient incapables de science. Une spécialiste, française, mathématicienne et sinologue, Karine Chemla s’est ainsi attachée à caractériser la spécificité de la mathématique chinoise.)
Ce qui représente donc pour nous des idées n’en sont plus pour les penseurs chnois, puisque les idées sont co-extensives au procès du monde alors que, chez nous, elles « vivent leur vie », en dehors de lui, d’où certaines aberrations lorsque modèle et réalité sont confondus.
Notons aussi que dans « existence » il y a le préfixe « ex » qui désigne une sortie, une extériorité, hors de. En usant d’un raccourci : nous existons, les chinois vivent. Nous sommes du monde et en même temps hors de lui sur un plan des idées. Ce type de réalité, objective, en tant qu’ex-sistence n’a pas de sens dans l’univers chinois. Si nous nous plaçons d’un point de vue comparatiste, nous sommes néanmoins bien obligés de parler de réalité aussi bien pour la pensée philosophique occidentale que pour celle des penseurs chinois. Pour un chinois de l’antiquité ce que nous désignons par réalité n’avait certes pas de sens, mais rien ne nous empêche d’appréhender certains faits et traits de cette chine ancienne — y compris donc ses pensées — dans le cadre intellectuel impliqué par la notion de réalité objective. Si tel n’était pas le cas, plus aucune pensée ne pourrait s’échanger d’un monde un l’autre. La réalité chinoise brille donc par son absence, celle d’une réalité indépendante, pensée en tant que telle. A l’inverse, en « occident », la « réalité », objet constitué, nous parle de ce qui existe, c’est à dire ce qui est à part soi.
Autre chose à laquelle nous ne pensons guère, c’est que la subjectivité que nous opposons souvent à l’objectivité sont en réalité les deux faces d’une même réalité plus globale, celle de notre univers d’occidental. Or ni l’une ni l’autre de ces deux notions n’existaient dans la pensée chinoise antique. La subjectivité ne renvoie donc pas seulement à la psychologie, mais c’est un aspect impliqué par l’idée d’objectivité. Bon je m’égare peut-être un peu, en tous cas il serait intéressait de savoir si ces deux notions occidentales sont apparues au même moment dans l’histoire des idées, ce afin d’objectiver le phénomène !
tout ça pour ça, je sais pas si mon développent sera bien utile, tout est dans les billets de Paul, en mieux dit et plus clair.
Relisez les anciens billets sur « comment la réalité fut inventée ».
Quand Paul dit « débarrasser l’entreprise de construction de la connaissance du mysticisme mathématique dont ils avaient fait leur principale arme de guerre dans le combat qu’ils menèrent victorieusement contre l’Église » je retrouve la logique défendue par John Saul (« Les bâtards de Voltaire »). Au départ d’un objectif pertinent, l’abus de raison raisonnante (dont les mathématiques sont le sommet) nous a amené à créer des humains de plus en plus inaccessibles au monde sensible. Certes, une conséquence est la perte d’efficacité dans la quête de la connaissance mais, à mon estime, une tout aussi grave nuisance est le malheur que cela a suscité chez des êtres coupés en deux (au minimum) et dont les deux parties communiquent de plus en plus mal. Si « le sommeil de la raison crée des monstres » la dictature de la raison n’est pas mal non plus en cette matière.
Toujours la question de l’ange (âme subtile) et de la bête (corps désirant) qui se disputent le leadership. Et comme les anges sont des esprits, il aurait dû être évident pour les participants au Concile qu’ils ne pouvaient avoir de sexe…