Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Je terminais La dimensionnalité de la monnaie (Introduction) en écrivant :
Certains – dont je ne suis pas – considèrent une reconnaissance de dette comme l’une des manifestations possibles de la monnaie. Pour eux, la monnaie présente dans le village avant la venue de la Dame se montait à A + 600 € et s’est réduite à A à son départ, en raison de l’action qu’on pourrait appeler « catalytique » du billet de 100 € de la Dame sur l’économie du village.
De mon point de vue, une reconnaissance de dette n’est pas de la monnaie, le terme tendant à suggérer qu’il y aurait une identité de nature entre la marchandise privilégiée dans la fonction d’échange qu’est l’argent et une « trace de transactions » contenant l’annonce de deux transactions à venir qu’est une reconnaissance de dette. Les deux phénomènes sont à mon sens incomparables, une reconnaissance de dette étant un objet d’une toute autre nature que les pièces et billets constituant l’argent « liquide » que l’on assimile spontanément à « la monnaie ». Bien sûr une reconnaissance de dette a un prix (reflétant son « degré de liquidité » et son risque de crédit) et peut être traitée comme une marchandise, au même titre que l’argent, mais chacun s’accordera à dire que toute chose à laquelle est associée un prix n’est pas pour autant une monnaie, sans quoi presque tout dans ce bas-monde serait de la monnaie.
Vos commentaires m’ont conduit à développer ce sommaire exagérément bref avant que je ne passe à la troisième et dernière partie où j’expliquerai exactement ce que j’entends par dimensionnalité de la monnaie. Voici.
Personne certainement ne prétendra que toute chose ayant un prix peut être considérée comme une monnaie. Pourtant toute chose ayant un prix possède à un degré ou à un autre cette fameuse qualité de liquidité que j’ai déjà souvent évoquée : sa transformation en argent par la vente est en principe possible, le seul aspect qui soit en question étant la difficulté qu’il y a à réaliser cette opération de « monétisation » et on pourrait très bien imaginer un agrégat monétaire, que l’on appellerait par exemple « M14 », et dont la définition serait précisément : « somme du prix de toutes les choses ayant un prix ». Mais quel serait l’intérêt d’un tel agrégat puisqu’il est évident qu’une telle masse monétaire ne pourrait jamais être mobilisable, couvrant par définition, tout ?
Où se situe alors la limite de ce qui constitue une monnaie aux yeux de celui qui considère qu’une reconnaissance de dette représente bien « de la » monnaie ? Il me semble que ce qui justifie pour lui l’extension de la notion de monnaie de l’« argent » – sa manifestation sans conteste la plus typique – à la reconnaissance de dette, c’est que
1) le contrat que constitue une reconnaissance de dette peut être traité comme une marchandise dont le prix est à peu de choses près le montant mentionné comme la somme due par l’emprunteur,
2) le contrat que constitue une reconnaissance de dette ne porte pas sur une marchandise quelconque mais sur la marchandise privilégiée qu’est l’argent.
Le rapport entre l’argent – dont chacun reconnaîtra qu’il constitue bien la monnaie sous sa forme la moins contestable – et la reconnaissance de dette est alors le suivant :
1) l’argent est une marchandise dont la seule fonction est d’être un moyen d’échange (ses autres « fonctions » généralement admises, d’être une réserve de valeur et un instrument de compte, ne sont pas à proprement parler des fonctions : l’argent est réserve de valeur à tout autre moment que celui, instantané, où il sert dans l’échange, le fait qu’il soit réserve de valeur est donc une simple conséquence du fait qu’il ne se déplace pas de manière continue, mais discrète : par à-coups, quant au fait qu’il soit unité de compte, c’est parce qu’il est calibré : parce que chaque pièce et chaque billet a pour prix le nombre d’unités monétaires mentionné sur lui).
2) une reconnaissance de dette est une marchandise portant sur de l’argent, à savoir constituée de deux transactions en argent à venir, l’une consistant dans le remboursement de la somme initialement empruntée, et la seconde dans le « cadeau » que constituent les intérêts (si j’écris « cadeau », c’est que dans les sociétés africaines où j’ai eu l’occasion de vivre, l’emprunteur aura à cœur de faire un cadeau en monnaie pour remercier le prêteur bien qu’il n’existe pas d’intérêts prescrits).
Entrons un peu dans les détails. On a vu qu’une reconnaissance de dette peut être transférable : il suffit pour cela que l’identité du bénéficiaire soit définie comme indifférente au contrat. On détermine que X a contracté une dette envers Y mais que ce Y peut être remplacé par un tiers quelconque. Le « marché primaire » d’une reconnaissance de dette est celui où prêteurs et emprunteurs se rencontrent, à savoir le marché du crédit. Mais la cessibilité d’une reconnaissance de dette fait d’elle une marchandise pareille à toutes les autres, dont le commerce se fait sur un « marché secondaire » où l’identité du nouvel acheteur est indifférente. Le prix d’une reconnaissance de dette sur son marché secondaire dépend de trois facteurs : de la somme à rembourser, du taux d’intérêt convenu à l’origine, et d’une prime de risque reflétant le fait que la dette ne sera pas nécessairement honorée.
Une reconnaissance de dette a donc un prix et ce prix a un rapport direct avec le montant dû par l’emprunteur mais le fait qu’un contrat porte sur une somme d’argent ne fait pas automatiquement de ce contrat une monnaie : la seule monnaie impliquée est celle utilisée dans l’achat de ce contrat. X a promis à Y de lui payer 100 € le 1er août, la reconnaissance de dette est cessible et je l’achète moi à Y pour la somme réduite de 97 €. C’est une marchandise (et non une monnaie) qui a été payée 97 €. Le 1er août je me présente à la porte de X. Soit il est là et me verse les 100 € prévus par le contrat, me laissant un bénéfice de 3 €, soit il a disparu sans laisser d’adresse, créant pour moi une perte sèche de 97 €. Les 3 € constituaient ma prime de risque : le calcul statistique que j’avais fait sur un très grand nombre de transactions du même type, évaluant mon risque sur le grand nombre – j’ai expliqué cela quand j’ai présenté initialement le mécanisme de la reconnaissance de dette, dans Argent et reconnaissance de dette : de faux jumeaux, prenant l’exemple d’un voyageur dans le désert.
La monnaie dans cet exemple, ce sont les 100 € reçus par X de Y, les 97 € reçus par Y de moi, et au bout du compte, soit les 100 € que je reçois de X, me laissant un bénéfice de 3 €, ou avec lesquels X s’est enfui, conduisant pour moi à une perte de 97 €. Aucune autre monnaie n’a été créée durant tout ce processus : des transactions ont eu lieu autour d’un contrat portant sur une somme d’argent, c’est tout. La seule confusion qui puisse intervenir résulte du fait que dans une reconnaissance de dette, l’argent intervient à deux niveaux : 1) comme somme due, spécifiée à l’intérieur du contrat, et qui sera dégagée lors du remboursement, et comme versement d’intérêts pour un montant spécifié, 2) comme prix du contrat sur un marché secondaire où l’on vend et achète des reconnaissances de dette. Le contrat se dénoue le 1er août et c’est donc ce jour-là – et ce jour là seulement – qu’il y a « communication » entre le prix de contrat tel qu’il a circulé comme marchandise et les sommes versées dans les deux transactions à venir qu’il stipulait, à savoir le remboursement de la somme empruntée et les intérêts convenus.
C’est cette présence de l’argent à deux niveaux dans le commerce des reconnaissances de dette qui fait qu’on peut être tenté d’assimiler argent et reconnaissance de dette, sous le même label de monnaie. Mais qu’il y ait là une simple confusion se comprend très bien si l’on établit un parallèle avec un autre marché, par exemple et pour que le parallèle ait un impact visuel, celui des futures du lard de porc. Il existe à Chicago, sur le CME (Chicago Mercantile Exchange) un marché à terme du lard congelé où chaque contrat porte sur vingt tonnes du produit. Le contrat a un prix, qui reflète le prix postulé du lard de cochon. Mais ni les contrats à terme portant sur une certaine quantité de lard, ni le lard lui-même ne constituent une monnaie. Une reconnaissance de dette est une marchandise du même type qu’un contrat à terme sur vingt tonnes de lard au Chicago Mercantile Exchange, le fait qu’elle porte sur de l’argent plutôt que sur du lard ne change rien à sa nature fondamentale, qui est d’être un contrat ayant un prix du fait que la marchandise sur laquelle il porte, a elle-même un prix.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
52 réponses à “La dimensionnalité de la monnaie (Reconnaissance de dette et monnaie)”
que dire de plus ?
que je peux avoir un coffre plein de reconnaissances de dettes et vide de monnaie.
que je peux donc être illiquide.
et que la monnaie issue de la reconnaissance de dette peut ne jamais me parvenir si mon débiteur fait défaut.
Quelle différence y a-t-il essentiellement entre une reconnaissance de dette et un chèque, un billet à ordre, une traite ?
Ce sont des papiers libellés dans une devise donnée, qui peuvent immédiatement ou à terme être échangés, contre une écriture dans les comptes d’une banque ou de la monnaie fiduciaire, et dans la devise libellée.
La qualité de la signature (la confiance qu’on lui accorde) est essentielle.
La qualité de la devise est essentielle.
Une monnaie, disons heu, très fondante, comme celle du zimbaboué sera peu prisée à Landerneau, une monnaie non convertible, comme le Silly ou l’Ouguiya, pas plus.
Qu’il soit conventionnel à Landerneau d’utiliser le Silly n’est pas pour demain, on accepte l’euro, les dollars dont on connait la parité, quelques autres… l’usage de la devise, qu’elle soit d’un usage conventionnel est essentiel pour qu’on lui fasse confiance comme instrument de transaction.
Pour qu’on lui fasse confiance comme réserve de valeur il convient qu’elle ne fonde pas comme le reichsmark en 1923 ou le marc et l’armagnac qui perdent chaque année la « part des anges ».
Si la monnaie est convertible (même si des coefficients permettent des réserves partielles) en un bien rare et quantifié dans les réserves de la banque centrale, comme ce fut le cas avec l’or, la confiance est aisée.
Nous ne sommes pas dans ces conditions, et l’or n’est pas une monnaie mais une valeur refuge.
Comment se calcule la somme des « valeurs » qu’est sensée représentée la masse monétaire exprimée en euro, ou en dollar etc????? M14????
Et si ces valeurs se dépréciaient tout à coup (plus de pétrole par exemple et tout ce qui s’en suivrait dans l’organisation et la hiérarchisation des valeurs de nos sociétés) ?
Qu’est-ce qui permet à telle devise de représenter une réserve de valeur?
correction: « qu’est sensée représentée » oulala! représenter of course.
@intéressant exposé de Paul Jorion, l’aalyse est très convaincante, quasi « gesellienne »!
Pour ce qui est de la monnaie non « couverte » par le métal comme avant:
Ce qui fait sa « valeur » (son prix), c’est ce que je peux acheter avec!
L’émission de monnaie centrale est bien une dotation initiale quelque peu « arbitraire » qui tente tout juste à se référer à une certaine « tradition » des prix.
En aucune façon, ce n’est une dette! Un billet est échangé contre un billet par la BC, c’est tout, ou, comme disait Gesell: contre cent coups de bâton!
A part ça, il est échangé contre ce que je peux acheter avec!
jf
Dans l’évolution de l’histoire de la monnaie, les billets n’ont-ils pas été un temps équivalent à la monnaie scripturale ?
Peut-on dire: une reconnaissance de dette est adossée à de l’argent et l’argent n’est adossé à rien?
@charles:
l’argent est « adossé » à son pouvoir d’achat
jf
autre:
quelle différence entre une mensualité d’emprunt, …. et une location, un bail, un forfait, un prélèvement automatique…?
@Cécile:
Je vais pouvoir rebondir sur une de nos anciennes conversations en vous répondant: La différence, c’est le temps 😉
Une échéance d’emprunt est une fraction d’une somme totale connue à l’avance. Par conséquent dès signature d’un contrat de prêt, on sait à quelle date les remboursements auront pris fin.
Le cas d’un bail est similaire en première approximation, on sait dès la signature à quelle date il expire. Toutefois dans ce cas précis, le contrat peut être reconduit (tacite reconduction par exemple). Je ne suis en revanche pas assez fin juriste pour dire si un contrat de location valide peut exister sans bail.
Le forfait (je suppose qu’on parle ici d’abonnement) est de nature très différente puisque contrairement aux cas précédents, il ne comporte aucune date d’expiration. L’abonnement se poursuit tant que l’abonné paye ou que le fournisseur de service continue à fournir le service.
Enfin, j’avoue que pour ce qui est du prélèvement automatique, je ne vois pas trop le rapport, si ce n’est qu’il peut s’appliquer à toutes les opérations pré-citées.
Entièrement d’accord avec vous, M.Paul Jorion, l’argent n’est qu’un moyen d’échange, mais je préfère le terme moyen de payer, échange ayant une connotation top commerciale, celle de paiement, à mes yeux, un aspect social.
La plus grande erreur intellectuelle est de confondre les causes et les conséquences, dans le cas de la monnaie, il y lieu de bien distinguer les deux : sa définition (très difficile à apprécier) et ses techniques de création, comptabilité, circulation….
Pour ma part, la monnaie, l’argent au sens courrant, n’est qu’un contrat social, c’est l’instrument de la justice distributive propre des sociétés humaines. Par voie de conséquence, elle est devenue également la valeur de mesure de la hiérarchisation sociale. Ce qui rend son débat très passionnel.
Les sociétés occidentales, par trop matérialistes, peuvent confondre l’objet acquis avec de l’argent, on peut parler alors de valeur, et l’autorisation sociale leur permettant d’acquérir ce bien.
Une fois admise la définition contractuelle et juridique de la monnaie, on peut se poser le problème politique, philosophique de sa création et de sa répartition. On s’aperçoit rapidement qu’il ne repose sur rien de rationnel et n’est que pure idéologie.
Egalement entièrement d’accord avec vous, la reconnaissance de dette, n’a strictement rien à voir avec de la monnaie, il s’agit bien d’un autre contrat dont l’objet porte sur le cautionnement.
Je ne partage pas le raisonnement de Paul. Les reconnaissances de dettes dont il est question dans ce billet ne sont pas intégrées dans le calcul de la masse monétaire. Seules figurent dans M3 les créances émises par les institutions financières, sous leur propre signature. La qualité de ces créances est directement liée à la solvabilité du système bancaire, laquelle dérive, en effet, de la solvabilité des emprunteurs qui se sont adressés aux banques, et pour lequels ces dernières ont bien créé de la monnaie en contrepartie d’une reconnaissance de dettes.
De ce fait, pour une part significative, la masse monétaire telle qu’elle est comptabilisée apparaît plutôt comme une dérivée des reconnaissance de dettes sur les agents économiques. Lesquelles figurent au rang de contreparties de la masse monétaire. De la même façon que, à l’origine des banques centrales en système métallique, la monnaie fiduciaire émise avait pour contrepartie le stock d’or détenu par la Banque. Sans pour autant que tous les billets en circulation fussent instantanément convertible en métal, bien entendu. La monnaie (les billets) étaient alors une reconnaissance de dette de la Banque centrale, laquelle s’engageait à la conversion en or à la demande du porteur (sous certaines conditions, tout de même).
Aujourd’hui, la monnaie serait ainsi une dérivée des créances sur l’économie du pays qui l’émet, que la loi impose comme instrument d’échange exclusif à la valeur nominale (le cours forcé)… à tout le moins dans son espace légal de circulation obligatoire.
Mais cela ne change pas la nature des difficultés : au bout du compte, la contrepartie de la monnaie est bien constituée de dettes (pour l’essentiel), c’est-à-dire d’un engagement collectif des agents économiques à honorer leur contrat. S’ils le veulent et… s’ils le peuvent.
@ johannes finckh
Mieux encore pour une définition de la monnaie : tout pouvoir d’achat remis entre les mains d’un agent économique
@jjj
Le pouvoir d’achat peut-il être comme une dette sociale?
En un sens, la société me « doit » ce que je peux acheter avec, pourquoi pas!
S’agissant d’avoir bancaire (y compris les DAV), la banque me doit contractuellement le montant de cet avoir, soit à tout moment (DAV), soit à un terme convenu (comptes d’épargne). Le statut des livrets A en France me semble intermédiaire, car on peut en retirer en espèces (pour des sommes supérieures à 800 euros, je crois, un délai de 48 heures est prévu) ou faire virer sur son CAV le tout rapidement.
Ceci dit, pour être pleinement monnaie, l’immédiateté dans l’extinction d’une dette est requise sans doute, ce qui n’est pas le cas avec un chèque par exemple. Même une carte bancaire, si elle peut dégager l’acheteur instantanément quand la banque accepte le paiement en créditant la somme aussitôt (en temps réel) au vendeur, le vendeur aura, au sens strict, une créance sur sa banque créditée sur son DAV.
En dehors du paiement liquide, il subsistera toujours une dette contractuelle personnelle.
Les billets et les pièces restent donc bien le seul mode de règlement complet d’une transaction, en laissant, pourquoi pas, le détenteur dernier du billet comme un « ayant droit » ou un « créancier » sur autant qu’il peut obtenir pour ce billet où et quand il veut.
Les autres « avoirs » valent auprès du débiteur nommé, fût-il ma banque!
On comprend qu’en pratique et en dehors de crises aigues, les transferts de créances via les grands réseaux bancaires s’approchent du paiement liquide (sans y parvenir totalement tout à fait, mais ceci peut être considéré comme une « nuance » que beaucoup négligent).
On peut cependant observer que l’usage étendu des transferts de créances via les banques et les DAV impose une REDUCTION DE LA MASSE LIQUIDE (EN BILLETS ET EN PIECES) MISE EN CIRCULATION, car nous aurions, sinon, une augmentation des moyens de paiement en face d’un volume de biens et services donné pour l’instant considéré.
Et cette réduction est bien accompli par le retour de billets vers les BC ou, de plus en plus aussi, vers des stocks privés de détention liquide.
Les stocks liquides privés en particulier peuvent représenter un risque inflationniste sans doute, risque qui peut bien, un moment donné, se réaliser…
La banque centrale est-elle encore en mesure de contrôler un tel risque? Il faut la supposer assez réactive…
jf
Quelle que soit la représentation de la monnaie utilisée en paiement, il y a un risque : pour le chèque, bien sûr, pour la CB (un peu moins) et pour le billet… qui peut être faux ! Finalement, la seule monnaie qui soit incontestable est celle qui est inscrite sur les comptes bancaires, ce qui ne manque pas de piquant. Et elle n’est soumise qu’à un seul risque, mais de taille : celui de la solvabilité de la banque elle-même. Mais c’est finalement cohérent : la fiabilité de la monnaie dépend de la solidité de ceux qui l’émettent (pour sa plus large part).
Il y a moins de risques avec la garantie à 70000 € (maximum) par compte qu’avec la même somme en « billets de banque » sous son matelas.
Ce n’est évidemment pas la garantie de vous verser ces 70000 € en espèces (monnaie centrale), mais c’est la garantie qu’ils ne disparaitront pas en fumée dans une faillite d’une banque : l’État garanti en fait que les dépôts sont votre argent (qui est garanti par la richesse nationale), et non celui de la banque, et que ces dépôts qui ne sont que lignes d’écritures, « compensées » au bilan des banques par des actifs qui peuvent ne plus rien valoir (ce ne sont évidemment pas vos actifs qui compensent vos dépôts, mais vos dépôts ont bien été « compensés » antérieurement quelque part, dans une banque quelconque, par un emprunteur puisqu’il s’agit de monnaie scripturale bancaire privée émise par le crédit)
(Passionnant, ce matin!)
@ johannes finckh
Je me demande si c’est pertinent de dire que monnaie est « adossée » à quelque chose et si ça ne crée pas encore plus de confusion en disant qu’ elle serait adossée à « un pouvoir d’achat ».
La monnaie peut être gagée sur quelques chose ayant de la valeur pour la SECURISE et , en quelque sorte, imposer ainsi son cours, sa circulation : ça peut-être en elle même lorsqu’elle est en or, ou bien en assurant de cette convertibilité , ce qui revient au même (à un poil près).
La monnaie non gagée, comme celle sur laquelle nous fonctionnons (historiquement depuis peu de temps en fait) , n’est pas gagée et n’est donc « adossée » à rien du tout. C’est un jeton.
Bien entendons, quelque part , il faut avoir conscience que la monnaie n’est pas une richesse en soi (d’un point de vue global), et qu’elle n’a de « valeur » réelle que s’il y a en magasin des produits et services, quelque chose à prendre ( La vraie richesse est notre travail, oui , et créer de la monnaie peut stimuler la création de richesse mais en aucun cas en créer -ex-nihilo, comme on en a l’illusion au travers de produits financiers sophistiqués …)
Mais, analyser la monnaie comme un droit juridique à prendre ou bien comme une dette qui serait un dû, ne me parait pas exact. Je veux dire par là que vous ne pouvez pas opposer ce droit qui que ce soit pour obtenir avec de la monnaie quoique ce soit si l’article n’est pas en magasin …
De plus la ‘valeur’ de la monnaie non plus n’est pas ‘garantie’
Il ne s’agit donc pas d’une dette au sens classique jurique, ni même d’un droit complet.
La seule ‘juridicité’ de la monnaie est qu’elle a cours forcé. De là découle pas mal de choses capitales . Pour le reste rien n’est garanti.
Et même considérer la monnaie comme un contrat social me parait fragile : la monnaie n’est un droit à prendre que dans la mesure où il y a un respect de la parole de l’autre parti à céder un bien ou service au prix où il l’a déclaré (Et ça aussi, c’est ‘imposé’ par la loi qui interdit le refus de vente)
Tout ceci dit, il y a une violence de la monnaie au travers de la fascination de puissance qu’elle représente (qui la fait fonctionner sans qu’on ait à rappeler d’ailleurs aucune des deux obligations légales du cours forcé et de la vente obligatoire au prix affiché)
Ces 70000€ ne sont garantis qu’en « écriture ».
L’état est bien incapable de les compenser en cas de faillite de toutes les banques/
Ils sont garantis mais pas liquides du tout…en attendant que les affaires reprennent.
@Tartar
Et pourquoi l’État serait « bien incapable de les compenser en cas de faillite de toutes les banques » ?
Mais si vous voulez remplacez « État » par « collectivité », pourquoi pas.
S’il n’y a pas « d’affaires » , il n’y a pas de richesses : en billets ou en écritures, votre monnaie ne vaut pas grand chose.
Si plus aucun actif ne valait quelque chose, il est évident que la monnaie ne vaudrait plus rien Mais pour que plus aucun actif ne vaille quelque chose, il faudrait que plus personne n’en veuille d’aucun (probablement exact donc à la suite d’une guerre nucléaire ayant rayés tous les habitants de la Terre)
« chacun s’accordera à dire que toute chose à laquelle est associée un prix n’est pas pour autant une monnaie, sans quoi presque tout dans ce bas-monde serait de la monnaie. »
C’est certain. Mais si je pars de la définition que la monnaie est l’outil permettant d’échanger des biens et services, on peut théoriquement admettre que si un bien autre que la monnaie officielle sert de jeton d’échange , il quitte son statut de marchandise pour devenir monnaie …
De même que la monnaie officielle qui se vend ou s’achète devient alors l’espace d’un instant ‘marchandise’ . ET que la monnaie thésaurisée , elle aussi, devient une presque marchandise puisqu’elle n’est plus considérée que sous sous angle de réserve de valeur.
La reconnaissance de dette est-elle « monnaie » ?
A priori, effectivement, c’est plutôt la trace d’une potentialité de monnaie . On peut la considérer comme une monnaie que parce que sa fonction est d’être très rapidement et plutôt fiablement transformée en monnaie.
Et lorsque qu’une reconnaissance de dette circule , le raisonnement de Paul est impeccable : c’est une marchandise
Ceci étant, si la reconnaissance de dette sert, soit à un moment donné soit de façon permanente , à échanger concrètement biens et services, de fait elle devient bien alors ‘monnaie’ . Mais je pense (corrigez moi) que cela est rarement ainsi.
Mais le problème vient du fait que lorsqu’ existe une reconnaissance de dette, même si l’argent n’est réellement qu’à un seul endroit à la fois, tout se passe comme si des échanges de biens et services pouvaient s’organiser à deux endroits différents , de façon presque concomitante, l’important étant juste qu’au moment précis de la transaction on soit sûr que l’argent est bien là …
Donc d’un certain point de vue, une reconnaissance de dette se comporterait presque comme de la monnaie.
Fumeux hein.
Voici un texte qui se propose d’éclairer (enfin) la notion de monnaie, ce qui n’est pas une mince ambition.
Mais cette tentative est faussée dès le départ par une CONFUSION permanente entre « MONNAIE » et « ARGENT », comme si ces deux termes étaient de parfaits synonymes. Ils ne le sont pourtant pas. Sans même aller plus loin, observons que la « grammaire » de ces deux termes diffère de manière tout à fait significative. Le terme « monnaie » ne supporte pas les adjectifs possessifs. On ne dit pas, sinon de manière laxiste et quasi argotique, « ma » monnaie, « ta » monnaie, etc. SAUF si l’on entend par « notre monnaie » celle qui a cours dans notre espace monétaire (notre monnaie, c’est l’euro)… De l’argent, on dit au contraire tout naturellement : mon argent, ton argent, son argent. La monnaie n’est pas APPROPRIABLE, alors que c’est au contraire une caractéristique essentielle de l’argent. En d’autres termes, la monnaie est un BIEN PUBLIC, l’argent une forme de richesse PRIVEE. Encore une fois : lorsque Gainsbourg brule un billet de 500F devant les caméras, il détruit « matériellement » son argent (ce qui est son droit et nous indiffère, même si nous pensons qu’il aurait pu en faire meilleur usage), mais, en même temps, il détruit symboliquement « notre monnaie » (notre monnaie à tous, pas la sienne) et cela, c’est évidemment moins pardonnable.
Précisons : l’argent est une forme de richesse privée qui exploite la prétendue « troisième fonction » de la monnaie, celle de constituer une « réserve ». Fonction donc très discutable. Rigoureusement, la bonne monnaie c’est celle qui circule (la « mauvaise » selon Gresham) tandis que celle que l’on conserve (la « bonne » selon Gresham), c’est en réalité la « mauvaise ». En fait, ce n’est plus du tout de la monnaie.
Base (monnaie) et masses monétaires (dépôts):
http://img41.imageshack.us/img41/6804/baseetmassemontaires022.png
Pour ma part, ce billet, difficilement contestable, m’inspire les réflexions suivantes:
1) Son 1er corolaire, c’est que la monnaie n’est pas une marchandise, même si beaucoup de marchandises ont pu être utilisées comme de la monnaie. C’est le moment ou jamais de rappeler ce principe de Wittgenstein : les choses ne sont pas ce qu’elles sont par elles-mêmes, mais par notre comportement à leur égard. Quand on utilise des coquillages comme monnaie, ce ne sont plus vraiment des coquillages, mais vraiment de la monnaie. Quand Bernard Palissy, selon la légende, brûle ses meubles pour découvrir une recette d’émail, ses meubles ne sont plus que du bois, (ou, dans son esprit, de la menue monnaie pour honorer la passion qui le brûle). Enfin, quand Serge Gainsbourg brûle en public un billet de 500 francs, le ministère des finances porte plainte contre lui pour atteinte à la propriété de l’état. En effet, si tout le monde en faisait autant, la monnaie officielle ne serait plus que du papier.
2) Tout le monde parle de la monnaie comme simple moyen d’échange et s’étonne qu’on la thésaurise. C’est que l’apanage de cet étrange objet est d’être « ce que l’on ne jette pas par la fenêtre ». On voit toutes sortes de gaspillages, mais celui de monnaie est le seul qui fasse de vous un « flambeur ». Les marchandises se consomment, la monnaie se consume.
3) Si l’analyse conduit à affirmer qu’une « reconnaissance de dette » est une marchandise, c’est peut-être bien à cause ou grâce aux innovations financières récentes. Quand on prête un livre, donc une marchandise, il n’y a pas apparition d’une dette. Alors, pourquoi une dette devrait-elle susciter l’apparition d’une marchandise ? Je pense que les capitalistes ont acquis l’art et la manière de percevoir, dans une réalité qui leur préexiste, tout ce qui pourrait être transformé en marchandises. De sorte que ce statut de marchandise est ambigu pour une dette : elle est marchandise particulière pouvant changer de mains, dont la possession donne droit à la perception d’une certaine quantité de monnaie équivalente à de la marchandise au sens général. L’ancêtre de la dette est peut-être l’impôt, cette dette perpétuelle qu’on doit au souverain.
3) La nature de cette marchandise
me semble relever de l’information, comme le mot « reconnaissance » y invite, et du fait que la description de cette marchandise suffit à la constituer.
4) Pour y voir clair, il faudrait raisonner comme les scientifiques face à la nature qui est muette. On raisonne par exemple en disant : « X a tant d’euros sur son compte », mais comment le savoir ? En faisant confiance au banquier ? C’est pas du tout scientifique. En toute rigueur, il faut vider le compte pour savoir ce qu’il contient, car on ne peut être sûr que d’une chose : le banquier ne vous donnera jamais un centime qu’il devrait sortir de sa poche. Or, s’il faut vider un compte pour être sûr de son contenu, la réalité que l’on voulait mesurer a été changée : comme en physique quantique. Voilà qui promet bien des spéculations !
@jjj
sauf que les DAV ne sont pas « monnaie », mais avoirs, donc des créances ; quant au faux billet, c’est vrai, il n’y a donc pas de garantie à 100%, c’est incontestable ; ceci dit, le faux billet, tant qu’il est accepté, est « vrai »!
jf
@oppossum,
je crois que je suis d’accord avec ce que vous avez écrit là!
On ne peut acheter ce qui n’existe pas!
jf
@oppossum
vous raisonnez très bien à mon goût!
Je me ferais un plaisir de vous offrir, si vous ne l’avez déjà, l’ouvrage de Silvio Gesell, à mes frais et gratis, s’entend !
envoyez-moi un mail dans ce cas : johannes.finckh@wanadoo.fr
@paulo:
vous raisonnez bien à mon goût!
Votre distinction est pertinente, entre « monnaie » et « argent »!
Ceci dit, je dirais que le billet circulant est un bien public, mais le seul pouvoir d’achat est privé!
Brûler un billet de monnaie centrale est parfaitement punissable selon les textes! La non-poursuite de gainsgourg n’était que du laxisme regrettable!
Je peux gaspiller mon argent ou le donner, mais le support appartient à tout moment à l’autorité monétaire!
C’est bien pourquoi je souhaite que l’on en finisse avec la thésaurisation qui est soustraction de monnaie circulante très nuisible au bon fonctionnement de l’économie!
jf
@crapaud rouge:
vous dites des choses intéressantes, mais aussi imprécises!
Emprunter un livre veut bien que l’on le doit!
La marchandise peut changer de mains, souvent parfois! Ceci dit, vous avez raison qu’elle est destinée à être consommée, elle est produite pour disparaître plutôt vite dans la consommation (le pain par exemple!)
La monnaie qui se « consume »: cela me plaît bien, car cela me fait penser à la monnaie fondante, à cette nuance près:
La monnaie qui se « consume » devra être reproduite, reconstituée par de la monnaie nouvelle, sinon, le terme de l’échange se modifie, comme vous le remarquez d’ailleurs que cela serat le cas quand nous aurions des retraits liquides massifs à la banque en vue d’une thésaurisation étendue par exemple!
jf
@jf : « La monnaie qui se “consume” devra être reproduite, reconstituée par de la monnaie nouvelle,… » : là, vous embrayez sur votre dada, à l’opposé du mien ! Chacun son truc, je respecte le vôtre, mais permettez que je m’amuse de votre tentative de rapprochement. Mon dada à moi, c’est que les mots ne sont pas neutres, et que leurs liens sémantiques sont le reflet linguistique de nos us et coutumes. C’est du reste pourquoi la « monnaie fondante » a peu de chance de s’implanter : le mot « fondant » n’évoque rien en rapport avec la pratique millénaire de la monnaie. Le « fond » relève de l’informe, au contraire de la forme, de l’information et du signe que l’on perçoit en contraste sur un fond indifférent. Une monnaie vouée à disparaître (dans le fond ?) n’est pas de la monnaie. Trouvez-lui un autre nom.
@crapaud rouge
ok, allons-y pour la « monnaie consumante »?
Silvio Gesell parlait de Freigeld (monnaie franche), car son invention est bien la monnaie qui soit monnaie en toute circonstance, au sens où elle circule indéfiniement et sans arrêt!
J’ai trouvé le mot de « monnaie anticrise » qui me plaît bien!
Vous avez sans doute raison, la monnaie « fondante » (Schwundgeld en allemand) avait plutôt été ainsi nommée par les adversaires qui polémiquaient avec cela et inventaient des choses inexcactes autour de cette invention pour ensuite mieux réfuter leurs inexactitudes polémiques et de parfaite mauvaise foi!
Procès en sorcellerie en somme: on accuse la monnaie franche de tares qui ne sont pas pour mieux la condamner!
jf
@jf : vous devriez dire « monnaie brûlante », vous seriez totalement en phase avec un inconscient collectif aussi vieux que la monnaie elle-même ! Car elle consume tout sur son passage, les êtres et les choses, à cause de son pouvoir quasi magique : celui de se convertir en n’importe quel objet de vos désirs. Quelques euros en poche ? Vous entrez dans un café et les voilà transformés en un un bon verre de vin. Un petit million ? Vous faites surgir une Ferrari dans votre garage ! La monnaie brûlante est précisément celle dont on veut se défaire pour quelque chose que l’on estime plus précieux ou plus utile. Mais nul n’ignore qu’elle est aussi le mal : la chose pour l’accumulation de laquelle les êtres sans scrupule « brûlent » tout sur leur passage, détruisent toute valeur non marchande pour accaparer la valeur marchande. C’est la monnaie corruptrice.