Billet invité.
DES STRESS TESTS BIEN TRANQUILLES
Où va parfois se nicher la confiance ? Dix des principales institutions financières américaines, sur les dix-neuf étudiées, sont sommées par le Trésor US de se recapitaliser à hauteur de presque 75 milliards de dollars dans les six mois qui viennent, sous peine que l’Etat ne le fasse à leur place, et voilà que les financières (les valeurs boursières des sociétés financières) s’envolent à Wall Street et que les émissions obligataires des banques déclarées dans le besoin s’arrachent comme des petits pains.
On se demande bien pourquoi. Est-ce pour les aider à éviter à tout prix la poursuite d’une nationalisation rampante et inavouée du système bancaire américain, déjà bien engagée, puis de leur permettre, au contraire, de rembourser au plus vite cet argent gouvernemental qui semble brûler leurs salles des coffres ? Ne serait-ce pas, plutôt que d’invoquer ces nobles raisons idéologiques, à cause des affaires que ces mêmes banques annoncent, profitant des opportunités de la crise après l’avoir crée, afin d’en partager les bienfaits ? Se ruant sur le seul secteur de l’économie qui ne soit pas en crise, tout du moins officiellement ?
Car ce n’est tout de même pas pour saluer les chiffres américains du chômage, qui continue de se développer à vive allure, même si certains commentaires mettent en exergue qu’il chute moins vite qu’avant pour annoncer que cela va mieux. En avril, 539.000 emplois ont été « perdus », le taux de chômage a grimpé à 8,9%. La décélération de la chute de l’emploi doit être très relativisée, si l’on prend en compte que 72.000 emplois ont été crées en avril par l’Etat, en contrepartie de la destruction de 611.000 emplois par le privé. Ni pour se féliciter des 4,5 milliards de dollars que l’assureur AIG vient encore d’annoncer avoir perdu au 1er trimestre. Ou bien des 23,2 milliards que Fannie Mae, l’organisme américain de titrisation hypothécaire, a lui aussi perdu durant la même période. Une amélioration encourageante, elle aussi, car il en avait perdu 25,2 milliards trois mois plus tôt. Ni, enfin, à cause de la chute du crédit à la consommation, qui s’accentue, son encours reculant de 5,2% en rythme annuel par rapport à février, selon les chiffres corrigés des variations saisonnières de la Fed. Il a chuté de 11,1 milliards de dollars en mars par rapport au mois précédent, un record dans des annales établies depuis 1943. La consommation des ménages, largement financée par le crédit à la consommation, est le principal moteur de la croissance américaine.
« En dépit de signaux contrastés (…), le sens commun nous dit que l’on approche d’un retournement » de la situation économique a déclaré hier Kenneth Lewis, PDG de la Bank of America (BofA), commentant les résultats des tests qui font de sa banque la dernière de la classe. On cherche vainement ces signaux. Y croire n’est plus la manifestation d’une foi de charbonnier, mais de la parole d’un banquier. Ben Bernanke, le président de la Fed, a de son côté estimé que les résultats des tests « devraient rassurer considérablement les investisseurs et l’opinion ». Pour les investisseurs, il semblerait que cela soit en de bonnes voies.
Joseph Stiglitz, à l’occasion d’une conférence au Portugal, a dit aujourd’hui ce qu’il fallait penser de ces déclarations, sans y faire référence : « Nous passons d’une situation extrême de chute libre à seulement une profonde récession ». Ajoutant, « je comprends que les hommes politiques veuillent transmettre un sentiment de confiance, mais la confiance doit se baser sur un certain degré de réalité et la réalité n’est pas favorable ». Puis il a conclu par un pronostic pire que cette appréciation de la conjoncture, expliquant que le modèle d’une économie mondiale tirée par le consommateur américain était révolu, sans préciser quel modèle allait selon lui s’y substituer.
Alors, que faut-il penser du résultat des tests qui n’ait déjà été dit et redit ?
En premier lieu qu’ils ne sont pas exagérément crédibles, et cela pour deux principales raisons. Parce que, mesurant la capacité des institutions financières à résister à une situation économique encore détériorée dans les deux ans qui viennent, ils ne prennent en compte qu’une diminution du PIB américain de 3,3% cette année, alors qu’elle est déjà établie à 6,6% en rythme annuel. Et parce qu’ils contredisent les estimations du FMI, selon lesquelles les banques américaines avaient besoin d’être recapitalisées à hauteur de 275 milliards de dollars d’ici 2010, les résultats annoncés s’en tenant à 75 milliards. C’est une différence que l’on peut difficilement expliquer par des questions « méthodologiques », comme Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, avait tenté d’expliquer il y a quelque temps, en vue de minimiser le chiffrage du FMI à propos de l’Europe.
En second lieu, que l’exercice de transparence qui a été tenté a donné prise à de trop nombreuses contestations pour être crédible et qu’il apparaît pour ce qu’il est, plus une tentative de masquer la réalité que de la dévoiler. Il est abondamment relevé que les obligations de recapitalisation qui résultent officiellement du test ne devraient pas nécessiter de nouveaux apports financiers publics, et qu’elles vont au contraire permettre de faire la démonstration que ce sont les investisseurs privés qui sont la solution (les deux objectifs recherchés avant même qu’ils n’aient été engagés), à condition qu’on leur laisse les mains libres, bien évidemment.
En troisième lieu, que les tests ne révèlent rien de l’ampleur des actifs toxiques détenus par les établissements financiers dont les bilans ont été étudiés, alors qu’il est établi que c’est le principal problème de cette crise financière.
En quatrième et dernier lieu, que la partie n’est pas gagnée pour autant. Quand on examine la manière dont les banques annoncent vouloir répondre aux exigences du Trésor, on ne peut que remarquer que leur plan de financement fait partiellement appel, dans de nombreux cas, à une anticipation de leurs profits dans les mois qui viennent. Il faudra donc que ceux-ci se réalisent pour que la démonstration finale soit accomplie.
Mais une autre remarque peut être faite, qui dépasse le contexte américain. La publication des résultats des tests avait fait l’objet de discussions au sein de l’administration Obama, et on dit que la Fed n’y était pas favorable. La volonté d’en faire une arme politique a prévalu, on verra avec quel succès ultérieurement. En Europe, au contraire, c’est la fameuse omerta qui prévaut, un point c’est tout. Sauf en RFA, en raison d’une fuite malencontreuse dans la presse. En France, des tests ont bien été effectués, mais rien de leurs résultats n’a filtré. On attend toujours, à ce propos, des réactions du gouverneur de la Banque de France, ou du ministre des finances, en d’autres occasions nettement plus prolixes, à propos des pertes déclarées par la Société Générale au cours du 1er trimestre 2009.
Laissons le mot de la fin à des banquiers.
À Vikram Pandit, directeur général de Citigroup, qui a affirmé sa volonté de procéder au remboursement « aussi vite que possible » des fonds du TARP (le programme gouvernemental de soutien aux établissements financiers). « Nous ne considérons pas le remboursement du TARP comme une autorisation pour revenir à nos anciennes pratiques d’affaires », a-t-il cru devoir préciser, au cas où certains mauvais esprits voudraient lui en faire grief.
A Ken Lewis, directeur général de Bank of America : « Nous sommes à l’aise avec notre niveau de capitalisation actuel », a-t-il affirmé affectant l’insouciance, soulignant que les tests gouvernementaux reposaient sur des hypothèses économiques très pessimistes. Sa banque a pourtant touché le gros lot, devant se recapitaliser à hauteur de 39,9 milliards de dollars, suite à des tests reposant sur des estimations considérées par ailleurs comme bien optimistes…
34 réponses à “L’actualité de la crise : Des stress tests bien tranquilles, par François Leclerc”
@
Kerema29
« Eux » (les traders et leurs « patrons » de wall street church) s’agitent,se démênent,se surménent…..
Et,pour ma part,j’ai pu apprécier le sain soleil de Keremma et la nature toujours intacte près de la Mer.
Paul : Allez-y si vous ne connaissez pas : merveilleux.
P.S = Michel Jobert ,a écrit son Livre Vert dans cette région.
@ Paul J. :
L’ Iode Paul ,l’Iode et la fraternité VRAIE des Gens de mer.
Courez-y vite tous avant le déluge….!
@ françois
@ Samson
je vous invite à consulter ce post.
http://blogduglobe.wordpress.com/2009/04/27/inflation-ou-deflation-point-sur-leconomie-americaine-1ere-partie/
C’est un premier volet, il y aura une suite.
Je ne crois pas qu’il y ait une baisse de demande sur les crédits ! Juste les banques s’assoient sur ce qu’elles ont parce qu’elles savent qu’elles vont avoir besoin de capitaux propres solides. Elles savent qu’elles ont intérêt à se blinder en liquidités pour faire face à la suite des événements.
j’ajoute que ce que le libor reflète est exact : l’argent circule bien entre les banques, ce n’est vraiment pas une question de baisse de la demande !
l’argent circule entre les banques parce que les Etats se sont portés garants pour elles : elles ne prennent aucun risques! (Contrairement à lorsqu’elle prêtent à un particulier ou à une entreprise…mais tout cela est dans le lien.)
Nouriel Roubini semble d’accord : http://www.rgemonitor.com/blog/roubini/
Je rappelle ici qu’il avait été un des premiers à annoncer que les hypothèses retenues pour les stress tests étaient déjà dépassées par la réalité.