Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Vous souvenez-vous de ce que disaient les banquiers au début de la crise ? Craignant un retour de balancier trop marqué en faveur de la régulation, ils disaient : « Ce qui est nécessaire, ce n’est pas de la régulation : c’est de la transparence ! ». L’idée était bien dans la ligne de la philosophie des marchés autorégulés : s’ils ne fonctionnent pas à la perfection, c’est que le niveau d’information est encore insuffisant, le contrôle qui leur est nécessaire n’est pas celui que procurent des règlements mais celui qu’offre la transparence.
On sait ce qu’il en est advenu : la première victime de la prise en main par les États, ce fut précisément la transparence. L’agence de presse Bloomberg réclama vainement la liste des établissements financiers américains bénéficiaires du TARP, les fonds d’urgence offerts par la Fed dans son rôle de dernier recours en matière de fonds. L’occasion nous a été offerte plus récemment d’assister à la course engagée par les autorités américaines et européennes rivalisant à qui exercerait le plus de pression sur les agences en charge des règles comptables pour qu’elles abandonnent la « cote-au-marché » – le prix marchand – quand il s’agit de produits financiers, la remplaçant par la « cote-au-modèle », plus connue désormais sous le nom que Warren Buffett lui a attribuée de « cote-au-mythe ».
Pourquoi la transparence fut-elle sacrifiée aussi allègrement malgré son caractère réputé indispensable ? Parce qu’elle aurait révélé que dans un bel ensemble, les établissements financiers étaient insolvables. Et cela, il fallait le taire : cela coûtait déjà bien cher assez de les dire à moitié insolvables seulement.
L’argument-massue en faveur de la transparence était, on s’en souvient, que sans elle, la confiance ne pourrait pas revenir et qu’en l’absence de la confiance, les marchés ne retrouveraient jamais une santé. Or la transparence fut passée à la trappe et l’on nous annonce néanmoins que les choses vont déjà beaucoup mieux. Comment cela est-il possible ?
Parce qu’il existait en fait une alternative à la confiance dont personne ne parlait jamais puisqu’on pouvait s’en passer : l’omerta. L’omerta, c’est la loi du silence, mais dire cela, c’est l’éclairer d’un jour négatif, vue de manière plus positive, l’omerta, c’est la solidarité. Et c’est bien elle qui s’est substituée à la confiance. Les autorités ont convié tout le monde et leur ont dit : « Maintenant chacun fait comme si tous les autres étaient solvables et tout ira beaucoup mieux ».
Et c’est bien ainsi que les choses se passèrent. Il y a en effet des moments où il faut faire taire les petites querelles et penser à l’intérêt général : il ne suffit pas que les équipes s’affrontent, il faut encore que le terrain soit praticable et quand cette dernière condition n’est plus remplie, tous doivent se mobiliser pour le remettre en état.
Seulement, la loi des marchés, c’est plutôt la concurrence et la solidarité leur va comme un coup de poing dans la figure. À quoi faut-il alors s’attendre ? Aussitôt que les affaires auront l’air de s’arranger, la solidarité sera passée aux profits et pertes. Seulement la transparence, sacrifiée aujourd’hui d’un cœur si léger, ne reviendra pas d’elle-même et la confiance qui est sa fille aînée, pas non plus. Sans transparence, sans confiance, sans régulation non plus (qui en parle encore ?), les marchés financiers ayant perdu à jamais toute prétention à être qualifiés de « système », s’effondreront une fois pour toutes. Les atermoiements qui visaient à leur permettre de se refaire une santé se révéleront pour ce qu’ils auront véritablement été : un moyen plus sûr de creuser leur tombe.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
92 réponses à “L’omerta”
Le billet de Glenn Greenwald a une update que je n’avais pas lue…
Il donne le lien vers l’article de Bloomberg au sujet des transaction hors-bilan ainsi que le pdf d’une seule de ses transactions : 320 milliards du contribuable direct pour citigroup.
l’article de Bloomberg
et le pdf des 320 milliards pour citigroup
Pour peu, votre discours relève de la théorie du « complot » , une accusation contre le Monita Secreta, ou les protocoles de Sion !
Bien sur que tout le monde sait qu’ils ne pouvaient soldés leurs comptes en liquidités, mais que voulez-vous, les crédits sont le nouvel esclavage: fournis par des privés, garantis par le code monétaire, appliqué par le gouvernement !
merci pour l’article !