L’actualité de la crise : Jeux de défausse à Washington, par François Leclerc

Billet invité.

JEUX DE DEFAUSSE A WASHINGTON

Il y avait un monde fou ce week-end à Washington et pléthore de réunions. Un G7 des ministres de l’économie et des finances, suivi d’un G20 dans le même appareil. Ainsi que, dans la foulée, les traditionnelles « réunions de printemps » du FMI et de la Banque Mondiale.

L’exercice traditionnel qui suit consiste à analyser les virgules et les non-dits des communiqués officiels et à soupeser les déclarations des participants les plus loquaces, afin d’essayer de comprendre ce qui a effectivement été décidé, au terme de quels débats restés confidentiels. Tentative de synthèse, une fois écartées les rituelles certitudes quant à l’avènement d’une prochaine relance économique, ainsi que les références aux démonstrations éclatantes d’unité d’action et aux fermes engagements pris.

On allait voir ce qu’on allait voir, annonçait en ouverture, dès vendredi, le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, exprimant, sur fond de bagarre avec les Américains, sa « très grande prudence » (pour ne pas dire son total et véhément désaccord) avec les chiffrages du FMI relatifs aux pertes potentielles du système bancaire international. Car ils mettaient en évidence que les banques européennes étaient très loin du compte en matière de dépréciation de leurs actifs toxiques, impliquant des recapitalisations en conséquence, dont ni elles ni les gouvernements européens ne veulent entendre parler.

Son élan vengeur a été toutefois été brisé, dès le lendemain, par la fuite dont a bénéficié Der Spiegel, l’hebdomadaire allemand, révélant que, selon le Bafin, l’autorité de tutelle du secteur financier allemand, la bagatelle de 816 milliards d’euros d’actifs toxiques étaient engrangés dans le seul système bancaire allemand. Les problématiques méthodologies grâce auxquelles Jean-Claude Trichet se faisait fort de dégonfler les inconvenants chiffrages du FMI ont semblé ne plus avoir, suite à cette parution, la même portée durant le week-end. Le Bafin, pour sa part, portait plainte pour « violation du devoir de confidentialité », tentant de minimiser des chiffres qu’il ne pouvait quant à lui pas contester, car c’étaient les siens, expliquant que les sommes évoquées incluaient « des actifs qui, d’après les banques, ne correspondent plus à leur stratégie commerciale actuelle et qui doivent donc être externalisés ». Il est charitable de ne pas commenter cette pitoyable défausse.

Dans ces conditions un peu rocambolesques, le jeu de cache-cache avec les actifs toxiques que jouent les banques et les autorités gouvernementales va se poursuivre, chacun restant maître du jeu chez lui. « C’est aux gouvernements de déterminer quelles mesures sont conformes à la situation politique, avec des traditions que nous ne pouvons ignorer », a ainsi déclaré à l’issue de la réunion du FMI Marek Belka, directeur du département Europe de celui-ci, entérinant les divergences persistantes sur les solutions à apporter à ce problème déterminant. Il a cru devoir ajouter, pour prendre date : « Mais notre position est la suivante : soyez pragmatiques, ne vous accrochez pas à des positions idéologiques strictes et faites ce qui peut être efficace. L’implication de l’Etat ne doit pas être traitée comme la panacée mais, en même temps, elle doit être tolérée si nécessaire ».

Des discours prononcés devant le Comité monétaire et financier international (CMFI), l’instance politique du FMI, deux interventions peuvent être retenues. Celle de Carlos Fernandes, ministre argentin de l’économie, qui, ayant quelques comptes à régler avec le FMI et les Etats-Unis, a lancé devant une assemblée habituée à d’autres discours : « Cette crise trouve ses racines au cœur du système capitaliste moderne. Elle a été provoquée par une innovation financière sans retenue et nourrie par la création d’une richesse artificielle par des entités financières spéculatrices et non régulées ». Ainsi que celle de Li Yong, vice-ministre chinois des finances, qui n’a pas davantage mis son drapeau dans sa poche : « Nous devons attacher une grande importance à la réforme du système monétaire international (…) Les carences du système monétaire international sont les racines de la crise et un défaut majeur de la structure actuelle de gouvernance de l’économie internationale. »

D’une manière générale, les discussions semblent avoir été vives entre pays « émergents » et membres du G7, à propos de ce qui a été le principal sujet de discussion : la collecte des fonds destinés au FMI, suite à la décision du dernier G20 de Londres. Il est apparu que le FMI avait beaucoup de mal à boucler son nouveau budget, faute de contributions financières adéquates. Des progrès ont été enregistrés dans cette voie, a-t-il été finalement reconnu, manière diplomatique de reconnaître que l’on est toujours loin du compte et que les discussions sont acharnées. Cela augure assez mal du gigantesque plan de relance mondial annoncé en grande fanfare début de ce mois, dont le FMI doit être le grand ordonnateur.

Timothy Geithner, secrétaire américain au Trésor, s’est essayé au chantage, exhortant les pays émergents a « démontrer le rôle croissant qu’ils peuvent jouer dans l’économie mondiale en s’engageant à contribuer à un niveau répondant à la force de leur position extérieure ». Soutenu par Jörg Asmussen, secrétaire d’Etat allemand aux finances, qui a déclaré à la presse : « Nous nous attendions à ce que plus de pays participent », remarquant que les pays demandant plus de poids au sein des instances de décision du FMI ne pouvaient espérer que cela soit « à sens unique ».

Mais le ministre brésilien des finances, Guido Mantega a indiqué de son côté que son pays n’était pas prêt à discuter une contribution supérieure aux 4,5 milliards de dollars déjà promis « tant qu’il n’y aura pas d’instrument adéquat » du FMI, se faisant l’interprète des pays émergents qui réclament que la répartition des droits de vote en son sein soit réajustée en leur faveur. Pour faire bonne mesure, Guido Mantega a également ajouté que « Le FMI s’est repenti de nombre de ses péchés originels. Mais il doit toujours répondre au premier d’entre eux qui est son déficit démocratique ». Il a conclu son intervention, sur un terrain très sensible, en demandant la réintégration de Cuba, qui avait quitté le FMI en 1964.

Il serait injuste, au risque d’être complet durant ce week-end chargé, de ne pas relever les déclarations d’Alistair Darling, le chancelier de l’Echiquier britannique, tenues devant un think tank de Washington en marge des réunions officielles, sur un sujet pourtant capital et dont on aurait pu penser que, sans lui, il aurait été totalement passé à la trappe. Il s’agit des mesures de régulation du système financier international. Il a en effet considéré, afin de remettre les choses à leur juste place, que la réglementation financière devait « commencer à un niveau national » et que, peut-être, « un jour », le besoin pourrait apparaître d’une organisation de régulation supranationale. La régulation semble en marche, mais à reculons. La mondialisation sera donc réservée aux seuls flux financiers et commerciaux, ce qui augure de ce que sera la réalité de la régulation.

Il serait tout aussi injuste de faire silence sur les importantes déclarations de principe prises par la Banque mondiale, qui a réuni dimanche son Comité de développement : « un forum de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international qui contribue à bâtir le consensus intergouvernemental sur les questions de développement ». Robert Zoellick, le président de la BM a ainsi déclaré : « Alors que les pays en développement sont confrontés aux défis de la crise économique mondiale, il est vital que les plans de relance du monde développé s’accompagnent d’un soutien à ceux qui ne peuvent solliciter des prêts chiffrés en milliards ». Donald Kaberuka, le président de la Banque africaine de développement, a commenté avec sagesse ces propos devant les journalistes : « Je ne pense pas qu’on verra ce week-end des miracles, je ne m’attends pas à ce que des décisions soient prises. Mais j’espère que nous pourrons parvenir à une meilleure compréhension ». La compréhension est en bonne voie, les crédits suivront peut-être.

Afin de clôturer ce week-end, et pour ramener les responsables à la dure et triste réalité des chiffres, le FMI a annoncé dimanche soir avoir relevé son estimation des efforts budgétaires nécessaires cette année pour faire face à la crise, pour la porter à 5,5% du PIB de chaque pays membre du G20. Soit 3,5% de dépenses pour stabiliser le secteur financier, et 2,0% de mesures de relance. Sa précédente estimation de mars dernier chiffrait cet effort à 4,7%.

De nombreux observateurs se demandent désormais comment les Etats européens vont pouvoir financer ces efforts, et ceux qui vont devoir les suivre par la suite. Le marché obligataire n’est pas extensible à volonté, tout le monde ne disposant pas de la faculté de faire fonctionner sans limites la planche à billet dans une monnaie de référence mondiale. Voilà la question essentielle qui n’a pas été évoquée ce week-end à Washington. Peut-être viendra-t-elle à l’ordre du jour du prochain G20 ? Ce sera en septembre prochain, à New York.

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8 réponses à “L’actualité de la crise : Jeux de défausse à Washington, par François Leclerc”

  1. Avatar de JJJ
    JJJ

    S’il manque (au moins) 4.000 milliards de dollars de fonds propres aux banques, comme l’a évalué le FMI, cela signifie que la planète est en déficit potentiel de 50.000 milliards de dollars de crédit (sur la base des ratios en vigueur). Soit à-peu-près le PIB mondial ! Le refus de nettoyage des bilans bancaires va nécessairement se solder par des faillites en chaîne. Les économistes du Fonds peuvent reprendre leurs calculs : leurs prévisions de repli de la production, critiquées pour leur noirceur, sont probablement encore très optimistes…

  2. Avatar de Yves de Bressy
    Yves de Bressy

    Tout cela bien sûr sans aucune ligne, aucun flash d’information dans les media français. On est loin du G20 de Londres…

  3. Avatar de Alain A
    Alain A

    On sent que les dominants commencent à se ressaisir… Le premier temps est de rassurer contre toute réalité. Les «grands argentiers» du G20 ont fait fort ce lundi. La marquise étant rassurée, il faut que les médias aux ordres amplifient les nouvelles rassurantes. On peut compter sur eux. Dans les pays occidentaux, ne va-t-on pas va se retrouver bientôt dans une situation où les victimes de la crise, de plus en plus nombreuses, vont se demander si elles sont les seules à en baver puisque tout va bien selon nos éminences ?
    Pour ce qui est des discours abscons et déconnectés du réel, Le Soir de la semaine dernière a donné la parole à 4 économistes qui vous font sentir bête à force de dire des choses incompréhensibles. Au contraire, la lecture de ce blog et des billets de François font sentir très intelligent car ce qu’on y prévoit, dans un langage simple, se réalise en général très vite. Si l’économie n’est, de toute évidence, pas une science, l’analyse politique est un art qui est capable, dans de bonnes mains, d’une prévisibilité non négligeable, loin des contre-performances des Diafoirus de l’économie.

  4. Avatar de Marmar
    Marmar

    Jeux de défausse à Waschington et en Europe?

    Depuis 30 ans l’oligarchie financière mondialisée et son idéologie ultra-conservatrice et ultra-inégalitaire ont pris le pouvoir presque partout, donnant la parole dans les media chiens de garde au personnel politique aux ordres et censurant les courants réellement contestataires et les débats sur les sujets qui comptent. Combien y a t’il eu de débats incluant des non de gauche sur la politique des institutions européennes alors qu’on est à quelques semaines du scrutin? Pourquoi un économiste du Front de Gauche tel Jacques Généreux n’est jamais invité, alors que ses ouvrages sont parmi les plus denses sur la question? Les media sarkozystes ont -ils si peur que cela du Front de Gauche qui a doublé en quelques semaines, malgré la consigne de black-out par les media aux ordres, sa place dans les sondages?

  5. Avatar de fnur
    fnur

    Article intéressant sur la genèse de la crise.

    « Comment la finance a conquis et ruiné l’Amérique, par Simon Johnson (I/II) » :

    http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2683

  6. Avatar de Wladimir
    Wladimir

    @fnur,

    Oui, article impressionnant, en fait l’audition de Simon Johnson, ancien économiste en chef du FMI, devant les sénateurs américains le 21 avril relatant la prise du pouvoir par Wall Street dans les années 90. Pas de sombres complots, pas de violences, pas de coups tordus à la James Bond, la simple fascination exercée par les bénéfices fabuleux de la nouvelle ingénierie financière qui corrompt peu à peu les hautes sphères économiques, universitaires et politiques américaines. Pour ceux qui avaient encore quelques petites illusions…

  7. Avatar de johannes finckh

    Je rappelle que la monnaie anticrise découplerait instantanément l’activité économique général et de détail des errements bancaires, au sens où cette monaie irrigueait immédiatement tout le système économique, aussi bien à la base qu’au sommet!
    Il ne serait, ensuite, plus trs compliqué de traiter le problèmes des actifs toxiques en prenant le qu’il faut, et l’activité économique ne pourait plus jamais s’effondrer.
    Certains, qui auraient pris trop de risques, disparaîtraient néanmoins, mais ils le méritent!
    jf

  8. Avatar de A-J Holbecq

    jf: vous ne pouvez pas faire boire un âne qui n’a pas soif et forcer les gens à consommer s’ils ne le veulent pas ( même avec de la monnaie « anticrise » 🙂 )

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  1. Le danger ne vient pas seulement de D.Trump, mais plus particulièrement de son ‘oligarque’ E.Musk, et l’on comprend mieux maintenant…

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