Billet invité.
L’ACTE II DE LA CRISE
Une semaine sans contact ou presque avec l’actualité de la crise et que découvre-t-on au retour de cette abstinence forcée ? Sans surprise, tous les signes d’un approfondissement de la crise économique, alors qu’aucune mesure décisive n’est toujours pas prises au plan financier. Rien n’est réglé, tout empire, aucune véritable leçon n’est tirée. Que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, les deux principaux foyers de celle-ci. C’était déjà acquis, cela reste inchangé.
Pire, il commence à se dire qu’un deuxième épisode de la crise financière pourrait prochainement intervenir, qui toucherait cette fois-ci plus fortement l’Europe, alors qu’en Espagne, en Grande-Bretagne et même en RFA l’économie se délite pans par pans et que la récession s’amplifie. « C’est une pluie de désherbant qui s’est abattue sur les germes de la reprise », a déclaré à l’AFP de Londres, Manoj Ladwa, courtier chez ETX Capital, après une flambée boursière sans lendemain. Et, pendant ce temps-là, les politiques continuent de se raccrocher aux faibles signaux avant-coureurs des lueurs d’une possible et prochaine éclaircie, dépassant les sommets du ridicule et frisant bientôt ceux du pathétique. Ne voulant reconnaître que les nouvelles leur permettant de justifier leurs atermoiements, ignorant les autres, car elles leur commanderaient d’accomplir des actes qu’ils ne veulent pas assumer.
La situation du gouvernement allemand, qui ne parvient pas même à faire décoller son offre de rachat des actions de la banque HRE, les actionnaires lui tournant le dos, est significative d’une situation aberrante. Il faudra sans doute en venir au final à leur expropriation, après avoir tout essayé, mais que de temps perdu ! Quand au dossier des « bad banks » allemandes, il est finalement revenu à la surface, dans l’attente de la mise au point d’un montage qui a été promis pour avant les prochaines élections législatives, en septembre prochain. Cela donne le temps de réfléchir.
Il y a maintenant une semaine, le ministre Irlandais des Finances Brian Lenihan a pour sa part tranché dans le vif et annoncé la création d’une « National Asset Management Agency » (NAMA), une structure chargée de racheter avec une décote « appropriée » les actifs douteux des banques et disposant d’un budget maximum de 90 milliards d’euros. Un groupe de vingt économistes a aussitôt publié dans l’Irish Times une déclaration critiquant vertement cette initiative, en raison de son coût excessif, pour préconiser une nationalisation temporaire de l’ensemble du secteur financier. Voilà bien ce que craignent les gouvernements et ce qui les paralysent, pris entre les intérêts des actionnaires des banques, qu’ils respectent, et l’opinion publique, qu’ils redoutent.
Nous sommes désormais de plain-pied dans l’acte II de la crise. Après la crise financière et économique, puis la crise sociale montante, dont nous ne connaissons encore que le tout début, nous voici dans l’attente de leurs conséquences politiques. Elles vont s’affirmer au fur et à mesure que va se révéler dans toute son étendue une terrible vérité : ceux qui auraient les moyens de débloquer la situation s’y refusent absolument, financiers et politiques confondus, prolongeant la crise et ses conséquences désastreuses, sans qu’une sortie de celle-ci soit devenue envisageable, en dépit de pronostics de moins en moins crédibles. La crise ne fait pas que simplement s’installer, elle va devenir de plus en plus socialement intenable, au rythme où la situation économique se détériore.
Un G7 suivi d’un G20 des ministres des finances se tiendra ce week-end, dont il est déjà annoncé qu’il ne faut rien en attendre de nouveau. Alors que le prochain G8, en Italie, est annoncé par Silvio Berlusconi, président du conseil Italien, comme pouvant se tenir sur les lieux-mêmes de la dernière catastrophe en Aquila, confirmant par là-même que ces réunions ne sont que des opérations de communication. Au mieux, les ministres entérineront les mesures décidées par les chefs d’Etats, dont l’application lambine. Toujours cette même croyance dans la magie des mots et la vertu du verbe chez les hommes politiques, qui feignent de croire qu’il suffit de dire pour faire. Ils discuteront aussi de leurs petites affaires, mais le communiqué final n’en fera pas état. En guise de prélude à cette réunion, Timothy Geithner, secrétaire au Trésor n’a pas craint d’écrire dans une tribune publiée par le Financial Times : « ces dernières semaines, il y a eu quelques signes encourageants montrant que la crise économique mondiale pourrait être en train de s’affaiblir. Les conditions sur certains marchés financiers se sont améliorées et la chute du commerce mondial est peut-être en voie de s’atténuer ». Navrant.
Mais il y a une autre échéance qui s’annonce, après avoir été tant retardée, celle de la publication des résultats des stress tests des principales banques américaines. The Economist de vendredi dernier titrait son article à leur propos : « test des nerfs », donnant à ceux-ci leur seule et vraie signification. L’absurdité de la situation voulant que, après tant de spéculations à leur égard, personne ne croira en leurs résultats (sauf s’ils étaient finalement exécrables, contre toute attente) et que, pourtant, « les marchés » du monde entier, non seulement américains mais aussi européens et asiatiques, sont suspendus à cet oracle, aux dires des commentateurs boursiers.
Sans attendre, le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, a déclaré le 21 avril dernier que « la majorité des banques aidées par l’Etat disposaient de plus de capital que ce dont elles avaient besoin ». Sous le sceau du secret, ces dernières devraient d’ailleurs être informées ce vendredi de leurs résultats. Pour leur donner le temps d’en discuter avant la publication officielle annoncée pour le 4 mai prochain ? Selon d’autres informations, publiées par le New York Times, les conseillers économiques de Barack Obama envisageraient de renflouer certaines banques sans apport de fonds publics, en convertissant en actions les prêts déjà consentis. L’Etat américain deviendrait ainsi un actionnaire clé de certaines banques, et cette opération lui permettrait de renforcer les fonds propres des banques sans devoir redemander au Congrès de crédits supplémentaires.
Le mot de la fin de cette histoire incroyable revient provisoirement à Robert Gibbs, porte-parole de la présidence, qui a déclaré il y a une quinzaine de jours, lors de l’un de ses points de presse quotidien : « Le secrétaire et le département du Trésor reconnaissent depuis longtemps que la transparence est importante pour les contribuables, pour les banques, et pour la stabilité du système financier en général », ajoutant, pour enfoncer le clou, « et je crois que c’est ce que vous verrez ». Dans une dépêche datée du 18 avril, l’agence Bloomberg se délectait depuis des bagarres feutrées entre le Trésor et les organismes régulateurs à propos de l’étendue des informations qui seraient rendues publiques à l’occasion de la publication des résultats des tests, ces derniers affectant d’être effrayés par les audaces pourtant bien limitées du premier. Tout ce monde bruissant de spéculations contradictoires sur les effets possibles de telle ou telle information dans un univers où règne habituellement la loi du silence. Beaucoup de silence pour rien, en définitive.
Seuls ou presque, dans ce bal masqué, le FMI et son directeur général, Dominique Strauss-Kahn, continuent contre vents et marées d’expliquer sans mâcher leurs mots qu’aucune relance ne pourra intervenir tant que les bilans des banques n’auront pas été nettoyés. Les estimations chiffrées monstrueuses de ce qu’il reste à faire, le montant des dépréciations à venir, augurent d’un nouvel approfondissement de la crise financière, de la poursuite du gel du crédit, avec ses conséquences économiques de plus en plus désastreuses au fur et à mesure qu’il dure. « Là où le FMI demande des efforts considérables c’est dans le nettoyage du secteur bancaire, pour que le crédit circule de nouveau, pour que les entreprises aient les crédits pour investir, que les particuliers aient un crédit pour acheter un logement », a déclaré le 23 avril Dominique Strauss-Kahn à Washington. « Or aujourd’hui cela ne fonctionne toujours pas. On met des tas de milliards en haut, et ils n’arrivent pas en bas (…) Et pourquoi? Parce qu’entre les deux, les canaux de circulation restent gelés, et ils sont gelés à cause des fameux actifs toxiques qu’il faut nettoyer ».
Aux USA, la crise du marché des cartes de crédit atteint les particuliers de plein fouet, alors que les émetteurs de celles-ci durcissent leurs conditions, augmentant le taux de défaut au prétexte d’y faire face, au risque de multiplier des situations insoutenables pour de très nombreux particuliers touchés par la crise et le chômage. Barack Obama annonce bien des mesures, mais elles ne vont pas à l’essentiel. Il apparaît avoir les mains aussi liées dans ce domaine que dans d’autres, dès lors qu’il s’agit des intérêts des institutions financières. « Nous voulons préserver le marché des cartes de crédit, mais nous voulons le faire en éliminant certains des abus et des problèmes que les gens connaissent bien », a-t-il dit en recevant les responsables des sociétés de cartes de crédit. Il a énoncé à cette occasion les grands principes d’une prochaine réforme d’envergure, puisqu’au terme de celle-ci tous les formulaires des sociétés de cartes de crédit devront être rédigés dans un langage compréhensible. C’est ce qui s’appelle prendre les problèmes à bras le corps.
Une déclaration du 17 avril dernier de Ben Bernanke, président de la Fed, éclaire particulièrement les intentions officielles, dès lors qu’il s’agit de « l’industrie financière ». Il a en effet déclaré, lors d’une conférence à Washington: « Il ne faut pas tenter d’imposer des restrictions aux fournisseurs de crédit tellement lourdes qu’elles empêchent le développement de nouveaux produits et services à l’avenir (…) Je ne pense pas que quiconque veuille revenir aux années 1970. L’innovation financière a amélioré l’accès au crédit, réduit les coûts, et augmenté le choix ». Il a également considéré qu’« il serait mal avisé d’essayer d’arrêter l’innovation financière », revenant sur les progrès considérables faits depuis une quarantaine d’années. « Tous ces développements ont eu leurs aspects positifs, y compris pour les publics défavorisés », a-t-il souligné, reconnaissant tout de même qu’« il semble clair que la difficulté à gérer l’innovation lors de la période menant à la crise a été sous-estimée, et pas seulement dans le cas du prêt aux consommateurs ».
45 réponses à “L’actualité de la crise : L’acte II, par François Leclerc”
@ Ton vieux copain Michel
Dans mon « Vers la crise du capitalisme américain ? » (La Découverte 2007 : 245-246) :
Juste une info publiée par l’agence Reuters aujourd’hui.
Où l’on comprend que nos chers dirigeants européens essaient eux aussi de faire passer par un tour de passe passe comptable ce que leur maîtres américains viennent de réaliser, transmuter non pas le plomb en or mais transformer la merde en « fair value »
L’UE peut faire abstraction de l’IASB si besoin est – Noyer
dimanche 26 avril 2009 19h20
par Anna Willard
WASHINGTON, 26 avril (Reuters) – L’Union européenne pourrait ignorer l’International Accounting Standards Board (IASB) et définir ses propres règles si cet organisme ne réagit pas rapidement à l’assouplissement comptable de la fair value qui s’est opéré aux Etats-Unis, a déclaré samedi Christian Noyer.
L’IASB, qui établit les normes de comptabilité pour l’Union européenne, est restée sourd vendredi aux doléances européennes en ce sens. L’organisme affirme que ses normes sont déjà en adéquation avec les changements annoncés ce mois-ci par son homologue américain, le Financial Accounting Standards Board (FASB).
« Ce que nous pouvons faire, c’est que l’Europe peut très bien reprendre sa liberté », a dit Noyer, membre du Conseil des gouverneurs de la banque centrale européen, lors d’une conférence de presse en marge des assemblées de printemps du FMI et de la Banque mondiale.
« Ce n’est pas l’IASB qui fait la loi en Europe. Si nous décidons de reprendre le contrôle et d’écrire nous-mêmes les règles comptables dans la directive européenne, sans suivre l’IASB, la question sera résolue; c’est aussi simple que ça ».
La comptabilisation des actifs à leur « fair value » revient à les enregistrer à la valeur de marché (mark to market), une imputation comptable devenue très décriée et soupçonnée d’avoir contribué à la crise financière du moment.
La ministre de l’Economie Christine Lagarde a exprimé ses inquiétudes après la décision de l’IASB de ne rien faire; elle s’est dite « particulièrement préoccupée de voir que l’IASB ne coopère pas assez vite et suffisamment ».
Le FASB a modifié les normes à la fois pour ce qui concerne la mesure de la fair value et pour les dépréciations des actifs financiers mais l’IASB estime qu’il n’y a pas lieu d’y réagir dans l’immédiat.
Toutefois, afin d’assurer la cohérence entre les normes américaines et européennes, l’IASB a fait savoir qu’il incluerait dans un projet de rapport les apports pertinents du FASB sur la mesure de la fair value. Le rapport doit être publié en mai. L’IASB s’est donné six mois pour rédiger une proposition de remplacement de sa norme actuelle de fair value.
Bonsoir Paul,
Je viens de terminer votre dernier ouvrage La Crise, des Subprimes au séisme financier planétaire et je tiens à vous remercier pour la lecture que vous nous offrez. Je découvre ce soir votre blog… Quel bonheur!
Si nous sommes en train de vivre l’Acte II de la crise, il nous reste alors encore 3 actes pour terminer cette tragédie. L’Acte V ne pourrait être selon moi que celui de la faillite des Etats.
J’ai beaucoup de difficultés à trouver en librairie un livre parlant ou scénarisant la faillite en chaîne des Etats. Je souhaiterais en réalité lire un ouvrage qui premièrement dresse un état des lieux des dettes étatiques, deuxièmement explique en quoi cela pose problème (ou pas) et troisièmement imaginerait le véritable séisme planétaire qu’une telle faillite engendrerait.
Pourriez vous s’il vous plaît me dire si un tel exercice a déjà été réalisé? Si oui, quelle(s) référence(s) pourriez vous me conseiller?
Je lance par ailleurs un autre débat… Faudrait-il revenir à l’étalon Or? Je suis évidemment très sérieux en posant cette question.
Merci infiniment pour votre travail.
J’attends avec impatience votre prochain livre et en attendant espère vous retrouverer régulièrement sur votre blog.
Bien cordialement
Maxime de Valroger
Demain, Libération consacre sa une à un autre scandale qui s’est déroulé à la Société Générale au même moment que l’affaire Kerviel (une perte record de 5 à 10 milliards € dans un département dédié à la gestion alternative).
http://cordonsbourse.blogs.liberation.fr/cori/2009/04/une-nouvelle-affaire-kerviel-%C3%A0-la-soci%C3%A9t%C3%A9-g%C3%A9n%C3%A9rale.html
Mr Leclerc,
Vous décrivez la version 2009 de « La prospérité est au coin de la rue » d’un président des Etats Unis (Hoover ?). Ce mot l’a rendu tristement fameux durant la crise de 1929. Un Monsieur Taleb parle dans son livre sur les cygnes noirs de son expérience de la guerre au Liban. Il y décrit le phénomène de refus de la réalité de la catastrophe. Ce n’est qu’un tout petit aparté mais il décrit des gens, entendant tirer au canon, s’abritant pour survivre à un bombardement d’artillerie ou ayant du fuir leur pays, considérer la guerre comme un incident et que tout reviendra très prochainement à l’état antérieur.
Le désir des ces très haut personnages de considérer cette crise comme un incident et que tout reviendra très prochainement à l’état antérieur me semble être à ce niveau.
Nous sommes mal.
@ A-J Holbecq
Que se passerait-il s’ils n’arrivaient pas à s’entendre : ils tomberaient en faillite, tout simplement. Il faut comprendre que ces centaines de milliards ne représentent que des promesses : si tel événement survient, je m’engage à payer telle somme. Les fonds et banques n’ont donc pas tellement d’alternatives que de s’entendre. Mais aussi longtemps que nos gouvernements continuent à injecter des capitaux dans ces banques fautives, pourquoi feraient-elles un effort pour résoudre leur problème ? Actuellement, comme Jorion et Leclerc le démontrent par leurs interventions, elles invoquent le risque que leur disparition causerait un dommage plus important. Et nos doctes gouvernants de les croire.
Actuellement les banques et fonds thésaurisent les capitaux récoltés pour pouvoir faire face à leurs propres engagements en cas de besoin et de manière sélective. Tant que personne ne réclame le montant promis (= notionnel), le problème ne se pose pas. Mais si les détenteurs de ces promesses exercent leur droit, elles devront s’acquitter (cf les déboires de Bear Stearns).
Il est clair que la grosse majorité de ces produits sont détenus par une clique internationale. Ils se tiennent tous, en quelque sorte par la barbichette. Et aussi longtemps que tous jouent le jeu et respectent les règles, la bulle continuera d’exister. Malheureusement avec la faillite de Lehman, cette approche est devenue caduque. Aujourd’hui, vu que les banques d’investissement ont été absorbées par les commerciales et les deux subsistantes (Goldman Sachs et Morgan Stanley) ont changé de statut (pour accéder aux lignes de crédit de la Fed, soit dit en passant), une partie des promesses a pu être consolidée. Nous le saurons probablement lors de la prochaine publication des statistiques par la BRI. Mais dès qu’une partie étrangère est impliquée dans le mécanisme et que cette dernière rencontre des difficultés financières, il est plus que probable qu’elle fera valoir son droit d’exercice si elle possède une de ces promesses. Et le carrousel des faillites en cascade surviendra faute de moyens adéquats pour rembourser. Nos gouvernants n’ont vraisemblablement pas encore compris l’énorme danger de leurs interventions avec l’argent du contribuable dans ces affaires. Par ces injections, ils concrétisent, matérialisent ces promesses.
Tout ce qui est entrepris par le système bancaire occidental actuellement ne vise qu’à gagner du temps et à « sucer » l’argetn disponible, où qu’il soit. Et les autorités laissent non seulement faire, mais elles encouragent cette attitude. L’assouplissement des règles comptables aux USA doit être comprise dans ce sens.
@ Didier
J’ai bien connu le Liban de ces années-là. Il y était inconcevable que « tout ne redevienne pas comme avant », chez ceux qui en avaient connu l’âge d’or (à tous points de vue)…
@ Jimmy
Les 20.000 milliards, valeur marchande de leurs produits, n’a rien à voir avec le capital des banques. Ce montant représente uniquement la valeur des produits négociés avec les parties intéressées. Les acheteurs ont donc acquis pour ces 20.000 milliards toute une série de promesses qui, ensemble, représente 683.000 milliards et qu’ils ne pourront réclamer que si un événement, un fait précis, stipulé dans le contrat dudit produit, survient.
De ce montant, il faut en fait soustraire tout ce qui a trait aux CDS (Credit Default Swaps). Ces derniers ont été élaborés après la crise des « dot.com » du début de cette décennie et correspondent à des assurances très pointues. Assurances émises par des institutions financières et non des assureurs agréés. Ces derniers (comme AIG, comme les « monolignes », des rehausseurs d’assurances) ont eu la faiblesse de valider ces produits à leur concédant leur aval. Les 60.000 milliards de CDS couvrent donc pour une large partie des autres produits inclus dans le solde des 620.000 milliards de promesses. Donc, le fait qu’une partie exerce son droit d’exercice et que la contrepartie se trouve en défaut, si la première possède un CDS sur cette promesse, elle pourra alors le faire valoir, puisqu’il y a défaut de paiement. Les CDS apparaissaient à l’origine comme la panacée : tout était couvert ou pouvait l’être, le risque tendait vers zéro. Ouvrez un journal financier (anglo-saxon) et vous lirez fréquemment le taux de couverture (la prime du CDS, sa valeur marchande donc) pour une kyrielle de débiteurs. Tout récemment, on a pu lire que les CDS conctractés sur les dettes gouvernementales des pays occidentaux, et plus particulièrement européens, ont fortement augmenté. D’où les opérateurs du marché déduisaient que le risque de défaut des états européens augmentait. Mais comme c’est le concepteur du CDS qui détermine sa valeur, c’est lui qui manipule les données. Ces concepteurs sont les banques, leur département chargé de l’élaboration de produits dérivés. Les principales et de renom en France sont la BNP et la Société Générale.
Si les banques veulent éviter d’être acculées, elles doivent s’entendre avec leurs clients pour que ces derniers n’exercent plus leurs droits. En admettant que ceux-ci acceptent, on peut raisonnablement imaginer que les banques seront contraintes de leur rembourser les primes versées avec, probablement, une compensation. Elles devront donc trouver un peu plus que les 20.000 milliards qu’elles ont reçus. Un montant pareil est parfaitement accessible avec un peu de bonne volonté et en l’étalant sur quelques années.
L’autre piste consisterait à consolider les positions contraires. Celui qui détient une promesse précise se mettra en rapport avec celui qui détient la promesse inverse. Toutes les parties impliquées s’arrangeraient alors pour régler l’annulation de ces deux promesses en versant les petites différences. Si A possède un produit acheté à 3 lui permettant d’obtenir 100 et si B a un produit inverse vendu à 2 l’obligeant de verser 100, il suffirait de rassembler les parties concernées (A et sa contrepartie et B et la sienne), d’annuler l’obligation de verser 100 à quiconque et de régler la différence entre les deux produits, donc dans l’exemple 1. Cette approche-ci permettrait de sensiblement réduire le montant des remboursements (donc les 20.000 milliards). Cette approche est pratiquée par les institutions en absorbant d’autres pour ce qui est de leurs engagements réciproques. C’est ce qu’on appelle la consolidation. C’est aussi la raison qui a poussé le gouvernement américain à promouvoir la fusion des banques que bon nomnre d’analystes ont interprété erronément comme la volonté de créer des banques tellement importantes qu’on ne pourrait plus se permettre de les laisser sombrer.
@ Paul
Dans l’affaire LTCM, je tiens à souligner que la Fed n’a pas déboursé un cent. Elle s’est contentée de superviser le redressement de la situation et a contraint toutes les banques impliquées à venir à la rescousse du LTCM. Sans quoi, ce n’était pas 300 milliards qui partaient en fumée, mais 3.000. Tout simplement parce que les banques singeaient l’activité de LTCM. Mais à l’époque, Greenspan tenait les rênes. Le gars a fait pas mal d’erreurs, mais il était loin d’être incompétent.
Et dire que LTCM a sombré à cause d’une décision magistrale prise par Eltsine à l’époque : instaurer un moratoire de trois mois sur tout paiement (intérêt et remboursement) de la dette russe exprimée en rouble. Malheureusement, Eltsine n’a pas compris qu’il tenait l’avenir du système financier de l’époque entre ses mains et a eu la faiblesse d’abolir ce moratoire au bout d’un mois environ. Le LTCM spéculait sur le différentiel entre le taux d’intérêt du rouble et du dollar. Les apports de capitaux du FMI – du temps de Michel Camdessus – n’avaient pas le temps d’arriver à Moscou qu’ils repartaient dans les coffres des banques occidentales. Le système était parfaitement réglé par les deux pères de la fameuse formule de Black-Scholès-Merton (qui permet de valoriser les options, enfin, c’est ce qu’on croit) et ne courait théoriquement aucun risque. Pourvu, bien sûr, qu’on disposât à tout moment d’un taux de référence tant pour le rouble que pour le dollar. A cause du moratoire, les taux d’intérêt russes n’étaient plus disponibles et toutes les structures spéculatives imaginées par le LTCM, toutes à très court terme, n’avaient plus aucune valeur du jour au lendemain. Un vrai délice cette débâcle ! Dommage qu’Eltsine ait tant bu à cette époque.
@ Gibus
Vous êtes trop bon. Cela fait néanmoins plaisir. Merci
@ Jean-pierre
Un grand merci pour votre éclairage, très utile.
Mais, si ce que vous dites du règlement « à l’amiable » en cours des CDS est exact, n’est-ce pas la démonstration de ce que la question perpétuellement posée du savoir quoi faire des « actifs toxiques » n’est pas, en réalité, une question réellement financière (encore moins économique)? Mais, bien, plutôt, d’ordre psychologique?
En quelque sorte, la solution au problème des « actifs toxiques » serait, finalement, d’organiser un deuil collectif des banques sur la reconnaissance de ce que l’essentiel de la valeur notionnelle de ces actifs n’a jamais existé que dans la multiplicité de « contrats » qui tentaient de la matérialiser?
Ce qu’elles font pour les CDS, pourquoi ne pourraient-elles pas le faire pour, au moins, une bonne partie « d’actifs » du même type?
Vous avez raison. Les Etats se tirent mutuellement des chargeurs de mitrailleuses dans les pieds en acceptant de prendre à leur charge la matérialisation, à leurs frais, d’une partie importante de ces soi-disant « actifs ». Ce faisant, ils transforment en charge d’endettement on ne peut plus réelle des « actifs » dont les banques elles-mêmes savent parfaitement que ça ne vaut rien.
Et, encore une fois, on doit se poser la question: les « responsables » gouvernementaux qui, actuellement, acceptent de signer des deals aussi stupides que totalement contraires aux intérêts élémentaires de leurs mandants, ont-ils perdu la raison? Sans quoi, comment faut-il qualifier l’attitude de personnes qui acceptent d’endetter leurs mandants pour, probablement, des générations? Et cela avec pour seule justification la « nécessité » de maintenir à flots ce que la plupart des gens sensés savent n’être qu’un mirage collectif?
En tout cas, votre description de la cruelle réalité à laquelle nous sommes soumis à le grand mérite d’être relativement simple. Compréhensible par beaucoup. A ce titre, elle mériterait, elle aussi, une tentative de synthèse.
Et, pourquoi pas, ensuite, de servir de questionnement de choc qui pourrait être envoyé aux « responsables » en question? Ne serait-ce que pour leur signifier que beaucoup de gens ne sont pas dupes de ce qu’ils sont occupés à faire.
@ Champignac (comte de ?)
A la différence des CDS, les parties impliquées dans les autres produits sont plus multiples et plus disparates. De plus, si les CDS sont pour la plupart faits sur mesure, leur caractère est plus homogène. Cela facilite une meilleure compréhension du produit pour les parties impliquées et forcément leur compensation mutuelle.
Pour les autres produits, bien qu’ils figurent dans une même rubrique, ils diffèrent quasiment tous. De plus, ils sont difficilement négociables, puisque faits sur mesure. Il faut donc que les parties impliquées, toutes, s’entendent pour procéder à la compensation ou la consolidation. Si une partie refuse ou n’est plus présente, la chose devient impossible. C’est à une autorité d’imposer ce mode de règlement. Jusqu’à présent, personne ne bronche dans ce sens. Sans doute parce que cette approche ne rapporte rien.
Pour l’action des états, je me pose beaucoup de questions. Je ne peux mimaginer que tous ces états soient peuplés d’imbéciles. Certes, ils sont tous conseillés par les fauteurs et ces derniers seront peu enclins à torpiller leur secteur. De plus, grâce à la soumission des états, le secteur bancaire reçoit de l’argent bon marché. Ils peut même se permettre d’émettre au même taux que celui de l’état. Et certains d’entre eux, comme Goldman Sachs, rachètent leurs emprunts antérieurs à bas prix et osent métamorphoser l’épargne réalisée par ce rachat prématuré en capital !
Mon idée d’éponger ces dettes toxiques (inexistantes) à l’amiable, je l’ai soumise à votre président Sarkozy dans le courant de l’année passée. Le service de l’Elysée m’a chaleureusement remercié et affirmé que le président ne manquera pas d’en tenir compte. J’ai fait de même avec le gouvernement belge et ai eu une réponse similaire, sauf que le service du ministre des Finances m’a recontacté pour réaffirmer l’intérêt de la proposition. Sans suite dans les deux cas, bien entendu.
@Jean-Pierre
Merci pour ces précisions et cet éclairage: ça fait du bien d’avoir l’avis d’un vrai pro sur ce sujet difficile.
@ Jean-Pierre
Merci beaucoup pour votre réponse, que j’enregistre soigneusement si vous le permettez ! Comment en est-on arrivé à un bourbier pareil…
@ Jean-Pierre
Merci de vos explications.
Avez vous des liens sur d’autres sites qui complèteraient ce que vous nous expliquez.