Billet invité. Pierre-Yves D. a écrit hier (pardonnons-lui le ton révérencieux) : « Paul Jorion ne manque pas de citer les réflexions et travaux de ses pairs, quand bien même il ne partage pas tous leurs points de vue. Nous nous en étonnons presque, pourtant cela ne devrait-il pas être la règle ? Peut-on, aujourd’hui, prétendre être un intellectuel si l’on n’est pas capable de dialoguer avec ses pairs, et ce au vu et au su de tous, c’est-à-dire avec les citoyens, dont on fait des partenaires et non pas seulement des réceptacles d’une connaissance infuse ? » Pierre-Yves D. a saisi en tout cas, l’amour chez moi de l’antithèse, quand je défends la thèse, et l’amour de la thèse quand je défends (beaucoup plus souvent, il est vrai), l’antithèse.
POUR UNE APPROCHE APOCALYPTIQUE DE LA CRISE
La rapidité avec laquelle la crise financière et économique s’intensifie et prend de l’ampleur, et sa visibilité portée par la présentation médiatique tant des faits que des analyses, quasiment en temps réel, tendent à masquer le caractère premier du bouleversement que nous connaissons. S’il est indéniable que son déclenchement est lié aux déséquilibres économiques et financiers, ceux-ci n’en sont qu’une expression très visible. Les racines de la crise sont plus profondes ; plus que des modes d’activité, la crise relève des fondements de ces modes d’activité : notre perception du réel.
Nous sommes les témoins et les acteurs d’une crise civilisationnelle, une crise qui met avant tout en cause le paradigme hégémonique de notre civilisation : la rationalité comme unique grille de lecture de la réalité et comme unique moyen d’action autorisé quelle que soit la sphère d’activité. La prépondérance de l’économie dans la civilisation capitaliste mondialisée favorise les tendances à limiter le questionnement aux questions économiques. Cette focalisation est compréhensible, tant la mise en cause de nos fondements de civilisation peut sembler effrayante. C’est bien le sol qui se dérobe sous nos pieds. L’accepter c’est faire preuve de courage mais aussi d’humilité ; ces vertus ont malheureusement déserté notre monde post-moderne.
Certes, les dommages qui se donnent à voir, qu’ils soient humains, sociaux ou écologiques, ont pour cause évidente l’activité économique telle qu’elle est pensée et organisée rationnellement, et que l’on désigne communément par le vocable de marché. Certes, en soi, la rationalité ne peut se réduire à la rationalité économique. Mais il est indéniable que l’une comme l’autre partagent le même projet de domination et de soumission du réel à leur axiomatique respective. Or même si elles diffèrent du point de vue des fins, la première, au nom du bien de tous, prétend émanciper l’Homme et le conduire vers un horizon de progrès et de liberté, la seconde vise à maximiser l’activité de production et de consommation aux fins de réaliser les profits les plus grands et le bonheur du plus grand nombre possible de libres individus ; l’une comme l’autre se prétendent l’unique voie par laquelle l’humanité peut cheminer. Elles partagent ce paradoxe qui associe à la liberté une dimension indéniablement totalitaire.
La rationalité, comme la rationalité économique, permettent l’hétérogénéité à leurs marges, en ce sens elle sont tolérantes. Mais ce qu’elles tolèrent est sans danger, désarmé, rendu exotique par une opération de déconstruction conduite grâce à l’outil rationnel par excellence, l’esprit critique au service de leurs fins respectives.
Dans le domaine de l’économie, la mise en œuvre du concept de partage par exemple n’est pas interdite, elle est même parfois encouragée, mais seulement dans le but d’adoucir, aux marges, les inégalités les plus tragiques produites par le système de concurrence généralisée régissant le marché. Le partage comme concept exotique peut aussi servir de ressource aux acteurs du marché soucieux de la moralité de leur image : les pires prédateurs transnationaux rivalisent en matière de philanthropie via leur fondation respective. Le concept est donc toléré, mais récusé par les tenants de la pensée économique rationnelle quant à sa pertinence comme paradigme central créateur d’un ordre économique viable dans un monde peuplé d’individus. Ils n’ont d’ailleurs pas tort car si en effet le monde n’est peuplé que d’individus, le partage ne peut faire sens que de manière limitée.
Ce processus de délégitimation n’est pas propre à l’économie, les apôtres du marché n’en sont pas plus les inventeurs que les initiateurs. Les penseurs comme les acteurs du marché mondialisé n’ont pas fait œuvre de création pour arriver à leurs fins. Les esprits étaient déjà convertis tout comme les outils étaient disponibles. Le processus de délégitimation participe en effet de la rationalité dès son origine. Sans projet d’émancipation de l’Homme passant par la déconstruction de tous les liens qui s’y opposent, énoncés comme illusions aliénantes, le marché transparent, libre de toute entrave et non faussé, c’est-à-dire investi des seuls intérêts individuels, n’aurait pu voir le jour, d’abord comme projet, puis comme réalisation humaine, et enfin en tant qu’étalon à partir duquel toute chose doit être évaluée. Sans l’invention de l’individu en quête de progrès, sans ce petit être solitaire et avide s’identifiant à la chose pensante, doté de tous les pouvoirs sur la chose étendue, l’économie monde telle que nous la connaissons n’aurait jamais vu le jour.
Mais le fait que l’analyse sur la crise se focalise sur l’économie, portée, comme nous l’énoncions en introduction, par la priorité qui lui est donnée par les médias, ne peut s’expliquer par ce seul fait de communication. La prépondérance de la rationalité économique ne tient pas à quelques caprices de journalistes ou de faiseurs d’opinion. Nous émettons l’hypothèse que cette prépondérance est un fait qui s’explique par la colonisation de la rationalité par la rationalité économique. La seconde s’étant substituée partout à la première, ce qui veut dire que parler de l’une ou de l’autre aujourd’hui, c’est parler de la même chose, de rationalité économique. Nous sommes en quelques sortes pris au piège d’un golem que nous avons nous même façonné. Imaginer les voies susceptibles de nous conduire hors de ce piège nécessite de comprendre Pourquoi et comment cela s’est produit ?
Le principal élément de réponse doit être tiré de l’échec de la rationalité en tant que projet visant à émanciper l’homme tout en le conduisant en Eden grâce au Progrès. La rationalité dans ses dimensions anthropo-psycho-politique et scientifique a échoué. L’émancipation individuelle, lumineuse et positive sous bien des aspects, possède aussi sa part de ténèbres. Elle a été, elle est toujours d’ailleurs, une formidable machine de guerre servant à éradiquer le lien sous toutes ses formes. Elle s’en est même fait un ennemi personnel. Le lien de par sa nature n’est pas quantifiable, on ne peut mesurer sa progression. Crime de lèse majesté, il récuse la pertinence du dispositif du laboratoire. La rationalité devait donc se construire contre lui, et si possible l’abattre partout où elle le rencontrait. Pour caractériser ce pouvoir destructeur de la rationalité, le concept de « colonialité du pouvoir » forgé par Henrique DUSSEL, théoricien de la théologie de la libération, nous semble parfaitement convenir. DUSSEL et MARX avant lui, ont saisi l’importance de 1492 comme événement fondateur permettant le déploiement du projet rationnel par le pillage et l’accumulation primitive du capital, mais aussi par l’extermination radicale des cultures indiennes participant à la construction de l’identité de l’individu démiurge européen.
Et pourtant le lien résiste, et joue parfois quelques tours à ceux qui le traquent. La crise épistémologique des sciences, crise du lien par excellence entre les disciplines scientifiques, n’est pas le moindre de ses tours. Qu’importe cette persistance, la machine à déconstruire trouve toujours de nouveaux terrains d’action. Ainsi, la quintessence de l’avant-garde déconstructionniste entend nous faire comprendre par sa théorie du queer que la polarité des sexes qui nous lie à l’univers polarisé ne relève en fait que d’une économie culturelle de rôles parmi lesquels il nous est loisible de choisir, et grâce à la technique de modifier notre corps en conséquence.
En déconstruisant les liens de toute nature, la rationalité a produit une humanité faible dans le sens où celle-ci a perdu le sens de sa défense par le lien au collectif et par celui qui la lie à l’écoumène. La perte de ce sens est certes inégalement partagée aujourd’hui, mais il est parfois total, comme chez ces citoyens américains qui vivent dans la même rue, à qui « l’on » saisit les habitations, et qui réagissent en acceptant intellectuellement ce qu’ils subissent par une analyse de la conjoncture économique justifiant le système. Il ne nous semble pas injustifié de penser que la faiblesse corporelle et psychique des individus, nécessitant une technologie médicale de réparation des corps et une ingénierie de remise aux normes psychiques toujours en expansion, puisse en grande partie découler de ce processus de déliaison. L’utopie de l’émancipation débouche sur un être, parfois plein de savoirs abstraits, le plus souvent déboussolé, triste et malade.
Or, le substitut rationnel aux liens, le contrat social construit sur la seule volonté, ne pouvait faire sens dans la durée qu’à la condition que l’émancipation ne cesse de rendre l’Homme plus libre et conscient, plus engagé volontairement dans son actualisation. Sorti du corps des hommes et placé devant eux, donc fragilisé par ce processus d’extériorisation, le contrat nécessitait que les hommes ne cessent de toujours se mieux porter pour le nourrir. Nous voyons ce qu’il en est advenu.
Le projet politique démocratique né sur le socle de la rationalité s’est fracassé sur la faiblesse de l’Homme, mais aussi sur le manque de vigueur du lien qu’il proposait. Par la force des choses, ou plutôt par leur faiblesse, le personnel politique issu essentiellement des classes bourgeoises, plus désemparé qu’adepte du complot, a intégré de manière inconsciente l’échec du projet émancipateur dans sa dimension politique. Ce personnel politique a alors été conduit pour conserver sa légitimité à intensifier ses connexions avec les sphères d’activités économiques, toujours porteuses du projet rationnel sur le plan des réalisations matérielles justifiables par la mesure quantitative, ainsi que de l’idée de progrès.
L’abandon du projet politique émancipateur initial et le transfert de sa part de l’utopie rationnelle vers l’activité économique ne sont pas sans conséquences.
D’abord, il induit une dégradation évidente de la rationalité du fait de la disparition de l’un de ses principaux objectifs, et de fait, de l’un de ses acteurs héroïques, l’Homme en tant qu’horizon des hommes. N’étant plus acteur mais ne pouvant disparaître totalement l’Homme s’est momifié et a été satellisé à distance du monde de l’action ; de la position d’acteur de l’histoire, il est devenu outil publicitaire et juridique, mobilisable à volonté par les autres agents du projet rationnel. Les Droits de l’Homme, déconnectés du substrat vivant, représentent en effet une formidable ressource pour imposer tant les recherches scientifiques équivoques que l’ouverture des marchés ou la multiplication de structures politico-bureaucratiques.
Ensuite et surtout, du fait de l’effacement précédemment énoncé, cet abandon a provoqué un déséquilibre dans les rapports entre les autres groupes d’agents héroïques de la rationalité – les scientifiques, les politiques et les entrepreneurs – au profit de ces derniers. Le transfert de la part humaine de l’utopie rationnelle aux acteurs économiques a modifié les rapports de forces à leur profit et leur a donné toute latitude pour redéfinir le projet rationnel a partir de leurs propres objectifs. Et de fait, afin de survivre et ne pas être évacué de la scène rationnelle, le personnel politique a recomposé son discours en adoptant le discours et les objectifs des modernes entrepreneurs. La question de la légitimité populaire, difficilement contrôlable voir anti-rationnelle dans ses manifestations, se réglant par la professionnalisation de la fonction politique. Là encore, nulle trace de complot. Les protagonistes sont en fait moins acteurs que sujets maistriens subissant une dynamique de moins en moins contrôlée, mise en action dès la genèse du projet rationnel. Il est assez ironique de constater que la gauche gouvernementale française, travaillée par une sorte de remords moral inconscient réalise son « coming out » et déclare sa flamme au marché tardivement, au moment où ce dernier entre en crise terminale. Les derniers convertis sont souvent les plus virulents, leur hébétude aurait quelque chose de tragi-comique si l’heure n’était pas si grave.
Reste un acteur héroïque dont nous avons jusqu’à présent peu parlé pour une raison de clarté de discours. Sur ce point, nous tenons à préciser que le processus historique que nous décrivons n’est pas un processus divisible en phases bien ordonnées. Les forces dynamiques que la rationalité détermine se mêlent et se séparent, s’alignent les unes par rapport aux autres ou s’affrontent, mais toutes réunies poursuivent le même objectif final, la transparence ultime par déconstruction de toute réalité, ou dit autrement la fin de l’écoumène, notre monde habité. Mais revenons à nos derniers héros, les énonciateurs des tables de la Loi.
Le monde des scientifiques n’est pas homogène. Quelques uns sont d’éminents chercheurs, libres, capables d’intuitions fulgurantes, et perpétuant l’esprit d’aventure des origines du projet rationnel, ils se font rares. La plupart des scientifiques sont aujourd’hui de médiocres tâcherons dont les pratiques taylorisées visent à produire de « l’innovation » rapidement commercialisable. C’est actuellement chez les bidouilleurs de gènes que cette médiocrité est la plus frappante. S’ils diffèrent dans leurs pratiques, la quasi majorité d’entre eux a toujours veillé à dénoncer les interrogations sur le projet rationnel. Toute approche globale du réel non réductible et inassimilable par les techniques de laboratoire, toute validation culturelle de la prééminence du lien, les trouvent sur leur chemin, sujettes d’abord à leurs ricanements puis au passage à la moulinette de la déconstruction.
Les scientifiques ne sont finalement que très peu intervenus directement dans le jeux des acteurs rationnels tant que la promesse d’émancipation offrait aux hommes un horizon. L’échec de cette promesse a conduit quelqu’uns d’entre eux a sortir de leur silence aristocratique sur les affaires des hommes et à s’émouvoir. Mais trop peu nombreux à le faire, se tenant à distance des réalités mondaines et peu structurés contrairement aux politiques et aux entrepreneurs, leur parole manqua de puissance. Quoiqu’il en soit, le travail de déconstruction n’attendait pas, et finalement même réduit à l’état de fiction irréalisable, l’instrumentation politique de l’émancipation présentait l’avantage de désamorcer toute intervention populaire et irrationnelle dans la détermination des nouveaux champs de recherches. C’est bien connu, la science est en marche et rien ne doit ralentir son mouvement.
Les modifications de rapports de pouvoir au détriment des politiques et au profit des entrepreneurs évoquées précédemment ont indéniablement été perçues comme un potentiel d’opportunités par nombre de scientifiques. La capacité des entrepreneurs à mobiliser des moyens considérables, en mettant en œuvre des procédures de décision très courtes, et dans un premier temps sans imposer de conditionnalités excessives, contrairement aux politiques, s’est traduite dans le chef des hommes de science en la possibilité de pouvoir mener tous les travaux possibles et imaginables mais aussi celle de connaître enfin l’aisance matérielle. Mais comme pour les politiques, l’acceptation de cette sujétion ne pouvait pour les hommes de science, de manière automatique, ne pas se traduire par une dégradation de la qualité de leur pouvoir. De fait, ils abandonnaient une part de la colonialité de ce dernier aux entrepreneurs, qui ne tardèrent pas au regard de leurs objectifs s’inscrivant dans un temps court, et même de plus en plus court au regard des nécessités imposées par l’accélération des opérations des marchés, à réclamer des retours sur investissement sonnants et trébuchants. Assumant le leadership quant à la mise en œuvre du pouvoir rationnel, les entrepreneurs se doivent d’énoncer les fins et les modalités de son exercice. Si celles-ci permettent l’expression de ce qu’il y a de pire chez les hommes, et si ce pire, de la cupidité à l’insensibilité en passant par l’exercice multiforme de la violence, s’exprime particulièrement dans les intentions et les actes des entrepreneurs, cela tient en partie à la faiblesse de la qualité humaine de ces entrepreneurs, mais surtout au fait que rien ne vient contraindre l’exercice hégémonique de la colonialité du pouvoir qu’ils assument seuls à présent.
Pour revenir à l’énonciation des fins et des modalités de la rationalité par les entrepreneurs, nous en avons un parfait exemple dans l’actuel projet de réforme de la recherche française qui vise à faire de l’évaluation des retours sur investissements l’alpha et l’oméga de l’activité scientifique. Cela ne posera pas problème aux légions de tâcherons qui servent avec zèle Monsanto, Areva ou Véolia. Les quelques autres qui pensent, doivent saisir rétrospectivement la nature du piège qui les a capturés et qu’ils ont contribué à construire en toute liberté.
Mais ce problème ne leur appartient pas, car de fait, nous sommes aujourd’hui tous piégés, et il est certain que ce dans quoi l’écoumène est enchâssé, la planète, n’attendra pas longtemps avant de nous signifier le prix des conséquences de nos illusions. LE problème peut être discuté, mais discuter ne suffit pas pour qu’émerge une solution. Avant toute chose, LE problème ne relève pas de la discussion mais de la conversion. S’il nous apparaît évident que la perception et la compréhension du lien sont au cœur de cette conversion, il nous semble également évident que des paradigmes tels que le sang ou le religieux réactualisés ne sont porteurs d’aucune réponse répondant aux défis de ces temps apocalyptiques.
Par la force de l’esprit critique nos yeux se sont ouverts, sommes-nous en mesure de déterminer les voies de sa re-qualification afin de le rendre spirituel, c’est-à-dire de créer un nouveau rapport entre les hommes, mais aussi entre les hommes et le monde, afin de nous permettre de retrouver le pouvoir commun que nous avons perdu ?
Certes la maison brûle, et dès à présent, dans l’urgence, il faut lutter de toutes nos forces pour que l’incendie soit contenu avec les outils immédiatement mobilisables dont nous disposons. Mais il indéniable que ces outils ont participé à la construction du champ de ruines. S’obstiner à ne penser qu’à partir de ces seuls outils pour construire un monde plus juste, c’est agir comme Ubu le héros de Jarry, qui, se posant la question : « Mais comment ruiner aussi les ruines ? » Répond : « Je n’y vois d’autres solutions que d’en faire de beaux édifices ordonnés par raison. »
Christophe Perrin
Montpellier, avril 2009
109 réponses à “Pour une approche apocalyptique de la crise, par Christophe Perrin”
Cécile,
Non, non, faire avec 4 est bien suffisant.
Paranoïa et schizophrènie ne sont que deux troubles affectant la rationalité sociologique, à l’envers l’une de l’autre, ds le rapport à autrui. Les paronoîaques ne savent plus distinguer autrui d’eux mêmes au contraire des schizophrènes s’enfermant dans une bulle coupée d’une extériorité quelconque. Ceci dit çà ne me parait pas le ressort essentiel de la crise trouvant plutôt son origine dans l’aculturation de la fonction de valorisation, bien qu’instituée;
Nous ne vivons pas le temps de la rationalité, mais de la rationalisation.
La Loi s’avance masquée, parée de bonnes raisons.
Il n’y a pas d’alternative, ni de plan B
Toute opposition n’est que postures, et grincements de dents.
Nous sommes prisonniers de nos propres créations
Nous sommes des robots
Qui se rêvent en humains
@Christophe Perrin
Vous avez levé un lièvre qui s’avère être en pleine forme! Il pourra nous faire courir longtemps…
J’ai relu attentivement votre billet, et votre complément dans la discussion. De fait, il n’y a pas tout à fait la même teneur, ni le même style. Il m’est venu l’idée que la question de la rationalité, que vous malmenez un peu dans le billet, est peut-être entre nous un leurre, qui nous sépare artificiellement?
En employant les mots « rationalité », puis « vision mécaniste des choses », est-ce que vous ne nous parlez pas en fait d’un réductionnisme un peu automatique, implicite à nos modes de pensée, alors que le holisme est souvent plus pertinent? Ce sont vos références à la physique qui me le font penser.
J’abonderais alors dans votre sens. La perception simultanée du tout (holos) -pas loin de ce que vous appelez le lien- devrait désormais accompagner toute forme de réflexion, et c’est vrai, ça n’est pas comme cela que s’est construite la pensée, au moins occidentale, dont l’outil principal a longtemps été le réductionnisme, surtout en sciences, évidemment.
La raison n’est pas en cause en elle-même.
Je regrette de ne pas pouvoir insérer ici un très beau dessin de D. Hofstadter, où les lettres du mot « réductionnisme » sont grisées avec de multiples petit mots « holisme », dont chaque lettre est elle-même grisée avec des mots « réductionnisme », etc… Une mise en abîme des deux concepts, qui trouve le moyen de créer entre eux un lien nouveau…
« notre perception du réel » … tout à fait d’accord pour dire que ceci est à la base de ce nième délire collectif entre possédants et possédés. Depuis le temps qu’on sait que ces jeux sont le fruit de la peur de l’intime, devant la nécessité d’humaniser le désert pour y vivre sans souffrir de tout.
Il faut déjà un manque de simplicité étonnant pour se sentir propriétaire de quelquechose – d’une terre, d’un moyen de production ou n’importe quel autre outil pour une jouissance personnelle tristement privée de l’humanité des autres, ou pire encore d’autre être humains (si, si! il y a des gens qui croient qu’ils peuvent posséder des gens) – mais s’imaginer propriétaire d’un écrit sur un support quelconque, d’une « invention », d’une musique, ou encore plus délirant d’une IDEE, il fallait le faire!
La « propriété » intellectuelle est la plus incroyable des élucubrations humaines, sur laquelle tout repose désormais.
Jusqu’où l’homme sera allé pour se sentir puissant, alors qu’il l’est tellement dans le simple fait d’exister? Quand cessera-t’il de croire qu’il n’est pas reliés aux autres et à la nature sans avoir besoin d’en rajouter? D’où vient la prétention de pouvoir intervenir à titre individuel dans tout autre processus que sa propre vie? Quelle solitude! Quelle terrible démission devant la simple tâche de regarder autour de soi pour comprendre le monde dans lequel on vit!
Tout ce qui est fait peut se défaire, certainement , mais il n’est pas forcément utile de regarder encore et toujours ce qui a été fait pour savoir comment sortir. Il suffit de regarder ce qui est simplement là, au présent et à portée de main, pour être DEJA dehors.
La solution à cette cascade de chiffres et à vos angoisses associées, c’est la souveraineté alimentaire dans le respect de la nature, jusqu’au plus petit de ses organismes vivants.
Au même titre qu’on finit par oublier que l’argent ne se mange pas, le reste n’est qu’une perception délirante du réel.
Début de définition de Rationalité sur Wikipedia :
Quelque chose dans cette définition me fais penser à la fameuse Loi Zéro de la robotique (cf Asimov) : alors que les 3 ‘premières’ lois concernent les relations entre un robot et un être humain (= un individu), la loi zéro place l’humanité fondamentalement au dessus de l’individu. L’égoïsme patent dont tout bon représentent d’homo sapiens sapiens fait généralement montre rend cette loi zéro difficilement appliquable à notre espèce en l’état.
Une autre caractéristique d’homo sapiens sapiens est de ne pas toujours avoir une conduite optimale (surtout quand homo sapiens sapiens est au volant d’un véhicule à moteur après l’heure de l’apéritif). D’où mon interrogation soudaine : l’humanité dans son ensemble peut-elle être rationelle ?
Si le but de l’humanité est la survie, pardonnez-moi l’expression, mais on a pas le cul sorti des ronces…
(dans le dernier bloc de citation le terme l’individu est sensé être barré, mais le style barré ne semble pas marcher dans les citations)
@ Marc Peltier
En effet Marc, si je malmène la rationalité, je ne la récuse pas ; d’où quelle nous vienne, quel cadeau ! La question relève bien, et de sa construction en occident comme référence de perception et d’action hégémonique, et de sa dynamique réductionniste qui conduit à tout savoir sur des « riens » (des segments de réalité de plus en plus réduits) que l’on est incapable d’articuler, de relier entre eux. C’est en autre des effets de cette dynamique réductionniste inscrite dès la genèse de notre rationalité occidentale dont je parle. la dégradation des pratiques rationnelles conduit à la production de savoirs, certes spécialisé et cohérents, mais perdant au fil du temps tout caractère concret. J’entends par concret non pas le côté matériel ou pragmatique d’une chose, d’une pensée ou d’un acte, mais en référence à son étymologie (concrescerce : grandir ensemble), sa capacité à être en prise avec l’ensemble du milieu auquel la chose, l’acte, la pensée sont reliés.
Pour le style, en effet j’écris différemment selon la nature du texte, post ou texte plus long.
@ChristophePerrin,
je trouve insupportable que l’on déclare si facilement toujours que notre économie capitaliste serait « rationnelle »!
Elle ne l’est pas et ne l’a jamais été!
Ce sont plutôt des éléments de rationalité et du marché libre qui tentent de résisterassez désespérément à la logique folle du capitalisme!
Car le capitalisme s’est développé avec la monnaie irrationnelle que nous avons, caractérisée d’être « réserve de valeur » et objet d’échange en même temps -ce qui est un nons-sens totalement IRRATIONNEL-, et il périra avec elle.
Faisons advenir une monnaie rationnelle, à savoir une monnaie débarassée de sa dimension réserve de valeur, et beaucoup de choses rentreront dans l’ordre, et le monde économique fonctionnera enfin selon de critères rationnels, écologiques, durables et sans croissance tout en diffusant une prospérité convenable!
Parler de crise de civilisation simplement parce que les milliardaires nous ont ruinés me semble leur faire la vie bien trop facile!
jf
@Christophe Perrin,
Le 09 avril je vous ai demandé quelques précisions quant à votre critique de la pensée Queer, ultime erzatz selon vous d’une rationnalité destructrice de liens…
Vous n’avez pas pris la peine de me répondre…
Est-ce trop vous demander d’expliciter un peu plus cette partie de votre exposé ?
@ ghost dog
Je n’ai pas répondu à votre question outragée, c’est vrai. Polémiquer sur le queer présente peu d’intérêt à mes yeux. Mais puisque vous insistez, je vais essayer de répondre rapidement. Je lirai votre réponse certaine avec attention mais n’y répondrai pas, il est des questions qui génèrent des polémiques sans fin, et je n’ai pour cette matière que peu de goût.
Les promoteur du queer le présente comme une libération individualiste de toute forme d’identité contraignante et limitative. vous aurez compris tout l’intérêt que je porte aux liens qui par nature construisent de l’identité et fixent des limites. La proximité, pour ne pas dire la fusion du queer avec la pensée de marché est frappante, dans l’enfermement individualiste et le refus de toutes limites. La question du pouvoir est tout aussi frappante dans cette proximité avec l’ordre économique actuel. Le queer en fait l’apologie, les rapports de pouvoir et de violence seraient à la base du plaisir. Plus les rapports sadomasochistes sont poussés, plus le plaisir est grand. Le viol s’en trouve ainsi justifier. Le mépris des adeptes du queer à l’intention des lesbiennes féministes qui problématisent le patriarcat est à l’avenant. Ces dames seraient « puritaines » voire « anti-sexe » puisque d’après le queer seul le sexe masculin présente de l’intérêt.
Le queer est aujourd’hui devenu une immense industrie lucrative, ses membres étant ciblés par le marché de la chirurgie transsexuelle, du piercing, des mutilations corporelles et de la pornographie. J’avoue que ce genre de « libération » ne me tente guère.
@Christophe Perrin,
Je n’apprécie pas plus que vous la polémik pour la polémik, cependant votre argumentation ne me paraît suffisamment étayée pour répondre aux critères d’un véritable débat philosophique.
à quel auteurs vous référez vous et à quels ouvrages ? Votre phrase : « Les promoteur du queer » ? A qui faites référence ?
Teresa de Laurentis ? Judith Butler ? Marie-Hélène Bourcier ? (Stevie ? nan, je déconne)
« Le queer est aujourd’hui devenu une immense industrie lucrative, ses membres étant ciblés par le marché de la chirurgie transsexuelle, du piercing, des mutilations corporelles et de la pornographie. J’avoue que ce genre de “libération” ne me tente guère. »
Votre ultime argument concernant des pratiques qui visiblement ne vous tente guère ne me semble pas des plus pertinent…vous êtes blanc , hétérosexuel et vous ne regardez pas de pornographie…so what ?
Si c’est la façon dont ce mouvement culturel et philosophique a été « récupéré, digéré et monnayer par le système » qui vous pose problème alors vous faites preuve d’une naïveté qui en aucun ne peut être assimilée à un argument sérieux pour appuyer votre thèse sur l’aspect ultra-libéral de la pensée Queer.
Votre démonstration ne me convainc absolument pas parce qu’elle n’est (à vous lire) qu’un assemblage maladroit de concepts mal maîtrisés (vous parlez d’apologie du pouvoir quand il s’agit en premier lieu d’identifier la sexualité comme « pratique du pouvoir » et de sa « REAPPROPRIATION »).
Il n’y a aucun mépris de la part du mouvement queer pour les lesbiennes féministes, il est simplement fait état de certains aspects ignorés, la couleur de peau, la classe sociale etc.
Quant à cette affirmation sur la justification du viol : il me semble que ce genre d’argument mérite de citer un texte précis, car pour ma part, je ne l’ai jamais lu nul part…
Vous posez cependant une question intéressante, celle de l’identité blanche, hétérosexuel (option position du missionnaire) normative dans laquelle sans vouloir vous décevoir…la majorité des habitants de cette planète auront beaucoup de mal à se reconnaître (pour des raisons multiples).
Vous ne pouvez reprocher à des individus stigmatisés par leur orientation sexuelle, ou leur volonté de vivre leur humanité de façon différente ( drag-king, transexuel) d’élaborer des espaces de liberté mentale ou sociale que votre « polarités des sexes » leur interdit.
J’ai le sentiment que vous vous trompez de cible…Vous parlez d’échec de la raison dans votre texte, le mouvement queer, c’est surtout l’échec de « votre identité blanche hétérosexuel, patriacal, homophobe » à faire sens et à générer autre chose qu’une violence et une oppression sociale…
Si je suis fondamentalement en désaccord avec vous c’est parce que je ne considère pas que la pensée queer accompagne le rouleau compresseur idéologique néo-libéral.
Capitalisme et démocratie marche main dans la main et « l’universalisme des lumières » s’est arrêté aux frontières européennes justifiant au passage la supériorité de celle-ci sur les sauvages colonisés, laissant s’exprimer dans le même temps une violence qui font paraître les pratiques sado/masochistes bien mièvres… (sans parler du fait qu’elles se pratiquent entre adultes consentants).
(La laïcité orne aujourd’hui le fronton de la mairie du 14ème mais une fois dépassée la porte d’Orléans, Paris n’est plus qu’un musée entouré de favellas)
Pour finir quelques détails techniques :
« La proximité, pour ne pas dire la fusion du queer avec la pensée de marché est frappante, dans l’enfermement individualiste et le refus de toutes limites ».
L’enfermement individualiste me semble un argument bien redondant lorsqu’il s’agit de décrire la construction subjective, il faudra que vous m’expliquer comment la construction subjective peut échapper à l’individualité…
quant au refus de toutes limites
Je crois que vous entretenez une confusion dangereuse en proposant une nature commune à l’imaginaire illimité sur lequel repose l’interrogation de l’identité sexuelle et de genre, ses transgressions, ou subversion et le no-limits de l’idéologie néo-libérale. Désolé mais cela n’a rien à voir…
Vous m’avez déjà prévenu que vous ne répondrez pas à mon commentaire, c’est bien dommage. Paul, vous a ouvert ses colonnes et le principe de ce blog étant la confrontation (intellectuelle), vous ne jouez pas le jeu…
bonsoir Mr PERRIN !
Très bon article …et bonnes précisions de vos commentaires ( notamment le 1 er) .
2 questions :
La liste des personnes ci – dessous vous serait elle connue?
Eugène ODUM, Ion GRESSER, Ludwig Von Bertalanffy, Armand PETITJEAN, Rupert SHELDRAKE
Si oui, Que pensez vous de leurs » travaux » ?
Bonne soirée .
@ tomate
Désolé, je ne connais pas plus ces personnes que leurs travaux. Je vais essayer de combler cette lacune, mais avant je vais prendre soins de mes plants de fraises et de tomates qui ont soif.
@ tomate
J’ai l’intime conviction que nous n’avons pas d’idées, mais que celles-ci nous viennent, qu’elles sont en partage. Encore faut-il entretenir une forme de vide afin qu’elles trouvent une voie et un espace pour s’offrir à nous. De ce point de vue le concept de propriété intellectuelle apparaît absurde et celui de découverte bien relatif.
@ Perrin
Bonsoir !
Reçu !
Pourtant, le contenu de votre billet, reprend nombre de leurs réflexions, « travaux », etc….
Bravo encore !
Bon jardinage ….
Bonne soirée.
à ghost dog
sur les « limites », écoute aussi Paul Aries
dans
http://www.lacausedupeuple.com/documentaires/2009/04/02/simplicite-volontaire-decroissance-reapproprions-nous-politique
après donne nous le mot
@ bernard
« Tout à fait d’accord avec la nécessité de revenir au politique. »
Pas tout à fait d’accord d’appartenir intégralement au politique, les prétentions idéologiques nous plombent si souvent l’existence, plus guère d’esprit dans ce monde, surtout avec des gens à moitié courageux, endormis, si bien installés.
« Pierre-Yves D. a saisi en tout cas, l’amour chez moi de l’antithèse, quand je défends la thèse, et l’amour de la thèse quand je défends (beaucoup plus souvent, il est vrai), l’antithèse »
Avertissement: Je subodore que ce texte en Anglais pourrait parfaitement convenir aux libertariens avec ses appels à sédition et accents individualistes.
Néamoins, il y a des résonances frappantes : « History Rhymes ».
Jiddu Krishnamurti, Choiceless Awareness, New Delhi Radio Talk 6th November, 1948