Billet invité. Cette fois-ci encore, François Leclerc et moi procéderons en deux temps : dans un premier temps, son billet, consacré à l’entretien-choc que Simon Johnson a accordé à « The Atlantic » et dans un second temps, mon propre billet, plus proche dans son style de la chronique. L’un d’entre vous travaille en ce moment à une traduction française de ce long texte, qu’il en soit remercié : il est indispensable que chacun puisse lire les propos de Johnson, François vous fera déjà comprendre pourquoi.
COMMENT LE FMI VERRAIT LA CRISE FINANCIERE AUX USA
La vénérable revue bostonienne « The Atlantic », publie dans son numéro daté de mai 2009 un article qui risque de faire du bruit, sous la signature de Simon Johnson, ancien chef économiste du FMI (mars 2007-août 2008), professeur de la Sloan School of Management du MIT. Il est titré « Le coup d’Etat feutré ».
C’est au nom de son expérience passée au FMI, ainsi qu’en s’appuyant sur ses études approfondies des crises financières passées, dont il est un des experts reconnus, qu’il adopte pour cet article un angle très percutant : si c’étaient les USA qui frappaient à la porte du FMI, comme tant de pays l’ont fait une fois qu’ils avaient épuisé tous les autres recours, que lui aurions-nous dit ?
Après avoir évoqué la situation actuelle en Russie, endettée à l’extrême pour avoir cru que son secteur énergétique pourrait soutenir une croissance continue de la consommation, il explique que le FMI dirait à Poutine, le premier ministre, qu’il ne pourrait obtenir un prêt qu’à condition de faire le ménage dans son oligarchie et avoir fait un choix afin de ne conserver en son sein que les meilleurs représentants, ne pouvant prétendre assumer les dettes de tous.
D’inévitables fortes réactions de défense de cette même oligarchie ont été à chaque fois rencontrées, dès qu’une telle politique était appliquée. Simon Johnson en donne des exemples, pour conclure que cela n’a pas empêché les mesures préconisées de produire leurs effets bénéfiques. On voit que l’intérêt de cet article n’est pas son point de vue critique sur la politique menée par le FMI, ce n’est pas son sujet.
Sous le sous-titre assez ravageur « devenir une république bananière », il en vient à la crise actuelle, pour l’analyser comme le résultat direct de l’action de « l’élite des milieux d’affaires » américains, avec le soutien implicite du gouvernement US. Une situation qu’il a en réalité rencontrée lors de chacune des autres crises économiques et financières qu’il évoque, en Corée du sud, en Malaisie, en Russie ou en Argentine. Plus alarmant encore, précise-t-il, cette élite fait obstacle aux mesures qu’il serait nécessaire de prendre, et le gouvernement semble incapable de sauter l’obstacle qu’elle représente.
Revenant sur les 25 dernières années, l’auteur examine comment les Etats-Unis en sont progressivement arrivés là, sous les différentes administrations successives, comment « l’oligarchie bancaire » est montée en puissance au fur et à mesure que la participation au PIB du secteur financier augmentait. Les raisons profondes de ce double essor ne sont pas analysées, pour s’en tenir à leurs conséquences, qui font aujourd’hui problème. A la constitution de ce qu’il appelle « l’axe Wall Street – Washington ». Avec cette formule redoutable, qui rend compte du caractère proprement corrosif de l’ensemble de son article : « Bien sur, les Etats-Unis sont uniques. A un point tel si que nous avons l’économie, la force militaire et la technologie les plus avancés du monde, nous avons aussi l’oligarchie la plus développée de celui-ci ».
Simon Johnson décrit ensuite comment l’industrie financière américaine a abandonné les méthodes expéditives et violentes utilisées dans les systèmes politiques primitifs, ainsi que les pratiques classiques de corruption, pour constituer son influence politique en s’appuyant sur une sorte de capital culturel, de système de croyance. Il donne aussi les exemples des allers-retours systématiques opérés par de nombreux grands noms de la finance américaine, entre l’administration de l’Etat et le privé. Pour estimer qu’une génération entière d’homme politique a finalement été « hypnotisée » par Wall Street. De longues et précises évocations de cette situation viennent illustrer le propos de l’auteur, qui n’a pas de mal à l’étayer en s’appuyant sur son propre vécu. Avant de décrire les points d’appui sur la base desquels l’industrie financière a pu se développer, après avoir conquis en quelque sorte le pouvoir sans esclandre. D’où le titre de son article.
Sous le sous-titre « les oligarques américains et la crise financière », Simon Johnson en vient aux causes les plus immédiates de cette crise et montre en quoi les autorités comme les acteurs même de cette crise étaient aveuglés par leurs propres croyances, d’autant plus convaincus que tout allait bien que cela allait particulièrement bien pour eux. La critique qui s’en suit des mesures prises par les administrations successives Bush et Obama est sans appel, expression selon lui de la combinaison d’intérêts qu’elles cherchent à préserver, sans autre justification que ce sont les seules possibles et qu’il faut les accepter sans discussion. L’auteur montre ensuite comment le gouvernement a soigneusement évité de porter atteinte aux intérêts des institutions financières, appuyant son propos sur un décryptage des mesures qui ont été prises.
Comment sortir de cette situation ? Deux situations étroitement connectés entre elles doivent être réglées. Celle du système financier, qui fait obstacle à la réussite des plans de relance. Et celle qui donne au secteur financier un droit de veto sur la politique menée par les pouvoirs publics. Simon Johnson considère que la nationalisation des banques est la seule issue, il explique aussi le pourquoi et le comment de cette mesure radicale, selon lui indispensable. Il estime également qu’une législation antitrust est nécessaire pour le secteur financier, et qu’il faut démanteler les grands groupes financiers : « tout ce qui est trop important pour chuter est trop important pour exister ». Et quant à l’oligarchie financière, le conseil que donnerait, selon lui le FMI, à la lumière des expériences qu’il évoquait en tête de son article, ne fait pas dans le détail : « cassez-les ! »
La puissance des Etats-Unis leur permettant de survivre dans une situation de crise, en trébuchant sans arrêt sans pour autant tomber, celle-ci peut durer. Deux scénarios sont alors possibles. Le premier consisterait dans la poursuite de la confusion actuelle, un chaos dans lequel les frontières entre la légalité et l’illégalité seraient brouillées, instaurant pour « les puissants » une grande impunité, une installation dans la crise, avec d’un côté une forte inflation et de l’autre un système de crédit sous perfusion. L’auteur fait référence, à titre d’exemple, à la situation de la Russie de ces dernières vingt années.
L’autre scénario s’appuie sur la spirale descendante que décrit la crise mondiale, touchant tous les continents, mettant les Etats-Unis à genoux, pouvant créer en retour les conditions d’un sursaut. Des actions décisives seraient enfin prises et les vieilles élites se briseraient.
Comme on le peut constater, l’analyse sans concession de Simon Johnson ne brille pas par l’optimisme, mais elle est décapante. Elle décrit un monde, qu’il a fréquenté, qui laisse peu de place à l’espoir car il est arc-bouté sur son pouvoir, ce qui n’est pas en soi une nouveauté.
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