L’actualité de la crise : Comment le FMI verrait la crise financière aux USA, par François Leclerc

Billet invité. Cette fois-ci encore, François Leclerc et moi procéderons en deux temps : dans un premier temps, son billet, consacré à l’entretien-choc que Simon Johnson a accordé à « The Atlantic » et dans un second temps, mon propre billet, plus proche dans son style de la chronique. L’un d’entre vous travaille en ce moment à une traduction française de ce long texte, qu’il en soit remercié : il est indispensable que chacun puisse lire les propos de Johnson, François vous fera déjà comprendre pourquoi.

COMMENT LE FMI VERRAIT LA CRISE FINANCIERE AUX USA

La vénérable revue bostonienne « The Atlantic », publie dans son numéro daté de mai 2009 un article qui risque de faire du bruit, sous la signature de Simon Johnson, ancien chef économiste du FMI (mars 2007-août 2008), professeur de la Sloan School of Management du MIT. Il est titré « Le coup d’Etat feutré ».

C’est au nom de son expérience passée au FMI, ainsi qu’en s’appuyant sur ses études approfondies des crises financières passées, dont il est un des experts reconnus, qu’il adopte pour cet article un angle très percutant : si c’étaient les USA qui frappaient à la porte du FMI, comme tant de pays l’ont fait une fois qu’ils avaient épuisé tous les autres recours, que lui aurions-nous dit ?

Après avoir évoqué la situation actuelle en Russie, endettée à l’extrême pour avoir cru que son secteur énergétique pourrait soutenir une croissance continue de la consommation, il explique que le FMI dirait à Poutine, le premier ministre, qu’il ne pourrait obtenir un prêt qu’à condition de faire le ménage dans son oligarchie et avoir fait un choix afin de ne conserver en son sein que les meilleurs représentants, ne pouvant prétendre assumer les dettes de tous.

D’inévitables fortes réactions de défense de cette même oligarchie ont été à chaque fois rencontrées, dès qu’une telle politique était appliquée. Simon Johnson en donne des exemples, pour conclure que cela n’a pas empêché les mesures préconisées de produire leurs effets bénéfiques. On voit que l’intérêt de cet article n’est pas son point de vue critique sur la politique menée par le FMI, ce n’est pas son sujet.

Sous le sous-titre assez ravageur « devenir une république bananière », il en vient à la crise actuelle, pour l’analyser comme le résultat direct de l’action de « l’élite des milieux d’affaires » américains, avec le soutien implicite du gouvernement US. Une situation qu’il a en réalité rencontrée lors de chacune des autres crises économiques et financières qu’il évoque, en Corée du sud, en Malaisie, en Russie ou en Argentine. Plus alarmant encore, précise-t-il, cette élite fait obstacle aux mesures qu’il serait nécessaire de prendre, et le gouvernement semble incapable de sauter l’obstacle qu’elle représente.

Revenant sur les 25 dernières années, l’auteur examine comment les Etats-Unis en sont progressivement arrivés là, sous les différentes administrations successives, comment « l’oligarchie bancaire » est montée en puissance au fur et à mesure que la participation au PIB du secteur financier augmentait. Les raisons profondes de ce double essor ne sont pas analysées, pour s’en tenir à leurs conséquences, qui font aujourd’hui problème. A la constitution de ce qu’il appelle « l’axe Wall Street – Washington ». Avec cette formule redoutable, qui rend compte du caractère proprement corrosif de l’ensemble de son article : « Bien sur, les Etats-Unis sont uniques. A un point tel si que nous avons l’économie, la force militaire et la technologie les plus avancés du monde, nous avons aussi l’oligarchie la plus développée de celui-ci ».

Simon Johnson décrit ensuite comment l’industrie financière américaine a abandonné les méthodes expéditives et violentes utilisées dans les systèmes politiques primitifs, ainsi que les pratiques classiques de corruption, pour constituer son influence politique en s’appuyant sur une sorte de capital culturel, de système de croyance. Il donne aussi les exemples des allers-retours systématiques opérés par de nombreux grands noms de la finance américaine, entre l’administration de l’Etat et le privé. Pour estimer qu’une génération entière d’homme politique a finalement été « hypnotisée » par Wall Street. De longues et précises évocations de cette situation viennent illustrer le propos de l’auteur, qui n’a pas de mal à l’étayer en s’appuyant sur son propre vécu. Avant de décrire les points d’appui sur la base desquels l’industrie financière a pu se développer, après avoir conquis en quelque sorte le pouvoir sans esclandre. D’où le titre de son article.

Sous le sous-titre « les oligarques américains et la crise financière », Simon Johnson en vient aux causes les plus immédiates de cette crise et montre en quoi les autorités comme les acteurs même de cette crise étaient aveuglés par leurs propres croyances, d’autant plus convaincus que tout allait bien que cela allait particulièrement bien pour eux. La critique qui s’en suit des mesures prises par les administrations successives Bush et Obama est sans appel, expression selon lui de la combinaison d’intérêts qu’elles cherchent à préserver, sans autre justification que ce sont les seules possibles et qu’il faut les accepter sans discussion. L’auteur montre ensuite comment le gouvernement a soigneusement évité de porter atteinte aux intérêts des institutions financières, appuyant son propos sur un décryptage des mesures qui ont été prises.

Comment sortir de cette situation ? Deux situations étroitement connectés entre elles doivent être réglées. Celle du système financier, qui fait obstacle à la réussite des plans de relance. Et celle qui donne au secteur financier un droit de veto sur la politique menée par les pouvoirs publics. Simon Johnson considère que la nationalisation des banques est la seule issue, il explique aussi le pourquoi et le comment de cette mesure radicale, selon lui indispensable. Il estime également qu’une législation antitrust est nécessaire pour le secteur financier, et qu’il faut démanteler les grands groupes financiers : « tout ce qui est trop important pour chuter est trop important pour exister ». Et quant à l’oligarchie financière, le conseil que donnerait, selon lui le FMI, à la lumière des expériences qu’il évoquait en tête de son article, ne fait pas dans le détail : « cassez-les ! »

La puissance des Etats-Unis leur permettant de survivre dans une situation de crise, en trébuchant sans arrêt sans pour autant tomber, celle-ci peut durer. Deux scénarios sont alors possibles. Le premier consisterait dans la poursuite de la confusion actuelle, un chaos dans lequel les frontières entre la légalité et l’illégalité seraient brouillées, instaurant pour « les puissants » une grande impunité, une installation dans la crise, avec d’un côté une forte inflation et de l’autre un système de crédit sous perfusion. L’auteur fait référence, à titre d’exemple, à la situation de la Russie de ces dernières vingt années.

L’autre scénario s’appuie sur la spirale descendante que décrit la crise mondiale, touchant tous les continents, mettant les Etats-Unis à genoux, pouvant créer en retour les conditions d’un sursaut. Des actions décisives seraient enfin prises et les vieilles élites se briseraient.

Comme on le peut constater, l’analyse sans concession de Simon Johnson ne brille pas par l’optimisme, mais elle est décapante. Elle décrit un monde, qu’il a fréquenté, qui laisse peu de place à l’espoir car il est arc-bouté sur son pouvoir, ce qui n’est pas en soi une nouveauté.

Partager :

81 réponses à “L’actualité de la crise : Comment le FMI verrait la crise financière aux USA, par François Leclerc”

  1. Avatar de Alain Vézina
    Alain Vézina

    Non je ne peux rien pour Simon Johnson

    Mais ce que l’on trouve ici:

    http://contreinfo.info/rubrique.php3?id_rubrique=50

    relance t-il le débat entre l’illiquidité et l’insolvabilité ?

  2. Avatar de Alain Vézina
    Alain Vézina

    Justement pas en fin de compte

  3. Avatar de maquis29
    maquis29

    Donc nationaliser les banques et les vendre par petits morceaux afin de maîtrise le risque car ce qui est trop gros pour tomber et trop gros pour exister (Anything that is too big to fail is too big to exist).
    Mais résistance de l’oligarchie financière dans son ensemble. De là 2 scénarios possibles.
    a) scénario à la japonaise. On renfloue au coup par coup et on ne nettoie jamais les bilans.
    b) crise en Europe centrale entraînant une crise dans la CE. Les économies exportatrices d’Asie s’enfoncent dans la crise. Les USA mettent finalement les 2 genoux à terre et l’administration US peut commencer le grand nettoyage.

    Tout cela est proprement incroyable et irréaliste. Mon réveil va bien sonner et le cauchemar s’arrêter. Bonne nuit à tous.

  4. Avatar de déprimé
    déprimé

    Encore une info extraordinairement importante à votre actif. Comment faites-vous ?
    Ce qui suit est très sommaire, tendancieux et ne répond pas à votre demande.
    (Ni traducteur, ni spécialiste en rien). Vite fait, mal fait, j’espère ne pas trop faire perdre votre temps…

    L’industrie financière US a atteint une importance considérable.
    Les hommes de Wall Street ont envahi le gouvernement US. Il y a va et vient.
    La crise est plus importante que celle de 29, pour autant qu’elles soient comparables.
    En elle-même elle est TRES importante.
    Les solutions sont connues du FMI. ce sont celles qu’il fait appliquer à un pays sous développé réclamant son aide.
    Pour la finance US, il y a plusieurs alternatives.
    Néanmoins, Wall Street refuse (et le gouvernement US = Wall-Street).
    Une approche de solution est la nationalisation. Comme le refus est total, les sauvetages
    seront à recommencer et sont à fonds perdus.
    Il y a une comparaison entre les Banquiers US et un ministre d’un pays en faillite :
    inflexibilité d’un côté, modestie et écoute de l’autre.
    Des gros mots sont employées tel corruption (ici la traduction est difficile), sérieuse chez les Russes, pour US c’est du folklore.
    En cas d’échec, les ‘élites’ seront balayées.

  5. Avatar de Champignac
    Champignac

    Je comprend que cet article vous intéresse.

    L’auteur y fait, aussi, bon nombre des constats qui ont, aussi, été faits ici. Une synthèse, crue et sans faux-nez, « à la Jorion & Leclerc ». Notamment sur la symbiose d’élites financières et politiques qui font tout et n’importe quoi pour ne rien changer.

    Venant d’un type qui était « en situation », au FMI, il n’y a même pas un an, c’est surprenant, cette lucidité.

    Il n’est pas, non plus, très optimiste sur la suite.

    Mais, désolé, mon Anglais est suffisamment bon pour lire & comprendre. Pas assez pour en faire une traduction littérale.

  6. Avatar de Candide
    Candide

    Désolé, Paul, mais le traducteur que je suis a trop de travail actuellement pour pouvoir traiter ce texte dans un délai compatible avec la rapidité des événements et les attentes des estimables membres de ce blog… 🙁

  7. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    Voici la traduction du début de l’article, lequel est tout de même assez long.
    Je ne suis pas bilingue, des approximations ne sont pas à exclure.
    En tous cas, si cela peut donner une idée du ton et du propos tenu par l’auteur.

    Une chose que vous apprenez rapidement lorsque vous travaillez au FMI est que personne n’est jamais très heureux d’y entrer. Caractéristique est le fait que vos « clients » viennent à vous lorsqu’ils ont été abandonnés par les capitaux privés, que les partenaires commerciaux régionaux se sont révélés incapables de vous donner un réel coup de pouce, ou que les ultimes tentatives pour emprunter à des amis puissants tels que la Chine ou l’Union européenne ont toutes échoué. Autant dire que ceux qui entrent au FMI ne sont pas les premiers de la liste pour la prochaine danse au bal des débutantes !

    La raison en est bien entendu que le FMI se fait une spécialité de dire à ses clients ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. Je le savais ; lorsque j’étais au FMI en tant que chef économiste en 2007 et 2008 j’ai obligé de nombreux dirigeants à opérer des changement douloureux. J’ai pu alors éprouvé ce qu’est une pression du FMI, au moins indirectement, lorsque je travaillais avec les gouvernements d’ Europe de l’est qui après 1989 se débattaient pour leur survie, avec les secteurs privés en Asie et en Amérique latine durant les crises de la fin des années 90 et du début 2000. Pendant tout ce temps, je fus aux premières loges pour voir le flot constant des officiels venus d’Ukraine, Russie, Thailande, Indonésie, Corée du sud, et ailleurs, accourus au Fonds en traînant des pieds dans les pires circonstances et lorsque tout avait échoué.

    Bien entendu, chaque crise est différente. L’Ukraine connut l’hyper-inflation en 1994 ; la Russie eut un cruel besoin d’aide lorsque son plan de recouvrement de sa dette à court terme explosa à l’été 1998 ; la roupie indonésienne plongea en 1997, provoquant presque un nivellement par le bas de l’économie ; la même année la Corée du sud et ses trente années de miracle économique dut faire une brusque halte lorsque les banques étrangères refusèrent soudainement d’accorder de nouveaux crédits.

    Ici je dois vous dire que pour les dirigeants du FMI toutes ces crises présentaient un profil dépressif similaire. Chaque pays, bien sûr, avait besoin d’un prêt, mais bien plus, chacun d’entre eux avaient à effectuer des changements importants de façon à ce que les prêts puissent être réellement efficaces. Presque toujours, les pays en crise doivent apprendre à vivre par leurs propres moyens après les périodes d’excès — les exportations doivent être augmentées, les importations diminuées — l’objectif étant d’éviter les affres de la récession. Naturellement, les économistes du Fonds s’emploient à concevoir des politiques — budget, apport de monnaie et autres choses du même genre — qui sont adaptées à ce type de contexte.
    Il n’en demeure pas moins que toute solution économique est difficile à mettre en oeuvre.

    Mais en fait, non, le réel soucis des dirigeants du Fonds, le plus grand obstacle au retour à la normale, est presque invariablement la politique propre à ces pays en crise.

    De façon typique, ces pays sont dans des situations économiques désespérées pour une raison simple : les élites au pouvoir en font trop quand tout va bien et prennent ainsi trop de risques. Les gouvernements des pays émergents et leurs alliés du secteur privé forment un maillage serré et, la plupart du temps, une oligarchie plutôt « convenable » qui gouverne comme une entreprise à la recherche du profit et dans laquelle ils sont les plus gros actionnaires. Quand des pays comme l’Indonésie ou la Corée du Sud ou encore la Russie voient leur économie croître, dans la même proportion croissent les ambitions de leurs capitaines d’industrie. En tant que maîtres de leur petit univers, ces gens font des investissements qui bénéficient clairement à l’économie toute entière, mais ils se mettent aussi à faire des paris plus importants et plus risqués. Ils estiment – correctement dans la plupart des cas — que leurs connections politiques leur permettront de reporter sur le gouvernement tous les problèmes substantiels qui vont se présenter à eux.

  8. Avatar de Moi
    Moi

    A un moment, l’auteur dit que le FMI conseillerait actuellement la nationalisation des banques (s’il s’agissait d’un pays émergent par ex.). Il me semble que ce n’est pas ce qu’habituellement le FMI conseille aux pays émergents dans des cas pareils, même plutôt le contraire. Est-ce que je me trompe?

  9. Avatar de iGor milhit

    le même simon johnson interrogé par bill moyers

    et baselinescenario, le blog sur lequel lui et d’autres interviennent.

  10. Avatar de Cécile
    Cécile

    à Pierre-Yves D.
    Je suppose que vous n »avez point regardé le théma de ce soir sur Arte , titré :  » a qui profite la faim?  »

    Oui il y a un problème de gestion,
    mais il est au moins , à minima, à deux dimensions, l’une horinzontale, l’autre verticale, (il y en plus que ça, c’est largement plus compliqué)
    et le FMI ne lui reconnait que qu’une seule dimension exportation/importation (laquelle est récupérée dans l’autre dimension en économie d’échelle, laquelle stimule la paupérisation… du coup le FMI perd son temps, sinon qu’il n’est nuisible plus souvent qu’à son tour)

    Soit on nous dit les subprimes, (et il y a eu corruption, ces montagnes Ponzi, et j’en passe et des meilleurs ….), mais et après, il paraît que ce n’était pas prévisible ( comme si on ne savait pas jusqu’ici en France, dans le contraste avec les Donchichottes , jeudi noir et la pléthore d’agences immobilières remplacées les boucheries, légumes et autres commerces, et leurs dossiers, des photocopies et des photocopies…..)

    La crise était prévisible, il n’y a que l’élite qui plane (et se fout du monde) à oser feindre qu’elle ne l’était pas
    entre autre parce qu’elle est engrammée des théories (pour ma pomme abracadabrandesques ) inculquées des prophètes gestionnaires dont s’inspirent (a-t-elle le choix ?) la Banque Mondiale et mises en oeuvre du FMI

    Ce que je voudrais dire c’est que dans cette économie (je la déclare suicidaire), les maisons des subprimes existent, et ce dont personne ne parle (certainement pas le FMI, mais pas seulement lui, il n’est qu’un rouage, du moulin qui broie l’économie sur elle-même ) c’est ce qui a été détruit

    Ce qu’il serait très important serait aussi comment arrêter de prendre des vessies pour des lanternes, mais aussi, de ni non plus se prendre tellement au sérieux à se battre contre des moulins à vent (seulement cela ferait pas mal d’économie, mais c’est tellement chiant, il faut tellement se casser la tête, d’essayer de voir plus loin que le bout de son nez, que mais quel intérêt pour la finance ? pourquoi ne rongerait -t-elle pas son os jusqu’à la moële ? …)

    Je ne suis pas pessimiste, nous pouvons remettre ce monde à l’heure (mais tout de même aujourd’hui, Sarkosy est venu à Aix, les enfants qui étaient de sortis ont du attendre pour revenir à leur école, le pont sur l’autoroute était fermé à leur retour à cause du cortège de Sarkosy, et là franchement je me demande, c’est ça qu’on investit? c’est ça le G20? et y en a encore qui y croit? )

  11. Avatar de 2Casa
    2Casa

    Bon je me lance, mais 10 pages, à la volée comme ça, je ne garantis pas l’excellence et la rapidité…

    The Atlantic, May 2009. The quiet coup /Simon Johnson

    Le crash a laissé à nu de nombreuses vérités désagréables à propos des USA. L’une des plus alarmantes, selon l’un des précédents chef-économiste du FMI, est que l’industrie de la finance a bel et bien suborné notre gouvernement. Un état de fait qui décrit habituellement plutôt les marchés émergents et qui est à l’épicentre de nombreuse crises sur ces mêmes marchés. Si le FMI pouvait parler librement des USA, il nous dirait ce qu’il dit à tous les autres pays dans cette situation: la reprise échouera tant que nous n’aurons pas brisé l’oligarchie financière qui interdit la refonte totale. Et si nous voulons prévenir une véritable dépression, nous manquerons bientôt de temps.

    Par Simon Johnson.

    Le coup d’état silencieux.

    L’une des choses que l’on apprend rapidement quand on travaille au FMI, c’est que personne n’est jamais enchanté de nous voir. Habituellement, nos « clients » ne viennent nous voir que lorsque les capitaux privés les ont abandonnés, après que les partenaires d’échanges institutionnels régionaux se sont montrés incapables de vous lancer une bouée de sauvetage, après que les dernières tentatives désespérées pour emprunter auprès d’amis puissants comme la Chine ou l’Union européenne se soient évanouis, vous n’êtes jamais en tête du carnet de bal de personne.

    La raison en est bien sûr que le FMI se spécialise dans le fait de dire à ses clients ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. Je devrais le savoir; j’ai imposé des changements douloureux à de nombreux fonctionnaires étrangers pendant le temps que j’ai passé là bas comme chef-économiste en 2007 et 2008. Et j’ai ressenti les effets de la pression du FMI, au moins indirectement, quand j’ai travaillé avec les gouvernements d’ Europe de l’Est, pendant leurs combats après 1989, et avec le secteur privé en Asie et Amérique Latine pendant les crises de la fin des années 1990 et des premières années 2000. Durant cette période, depuis cette point de vue privilégié, j’ai été aux premières loges pour voir le flot continu des officiels – d’Ukraine, de Russie, de Thaïlande, d’Indonésie, de Corée du Sud et d’ailleurs – arriver en traînant les pieds au FMI alors que les circonstances étaient calamiteuses et que tout le reste avait échoué.

    Toutes les crises sont différentes bien sûr. L’Ukraine a affronté l’hyperinflation en 1994; la Russie a eu désespérément besoin d’aide quand son modèle de rotation (rollover) de dette à court terme a explosé à l’été 1998; quand la roupie indonésienne s’est effondrée en 1997, réduisant presque à néant la « corporate economy »; la même année, le miracle économique datant de plus de 30 ans de la Corée du Sud dût marquer le pas quand les banques étrangères refusèrent tout à coup d’octroyer de nouveaux crédits.

    Mais je dois vous le dire, pour les fonctionnaires du FMI, toutes ces crises se ressemblent désespérément. Chaque pays nécessitant bien sûr un prêt, mais plus encore, tous ayant besoin de réaliser d’énormes transformations pour que le prêt puisse véritablement fonctionner. Presque toujours, les pays en crise doivent apprendre à vivre selon leurs moyens après une période d’excès – les exportations doivent augmenter et les importations décroître – l’objectif étant d’y parvenir sans dramatique récession. Naturellement, les économistes du FMI passent beaucoup de temps à mettre en place les politiques – budgétaires, financières, etc. – faisant sens dans ce contexte. Jusque là, les solutions économiques sont rarement difficiles à envisager.

    Non, le souci principal du personnel dirigeant du FMI (fund’s senior staff), et l’obstacle majeur à la reprise, est presque invariablement la politique des pays en crise.

    Habituellement, ces pays sont dans une situation économique désespérée pour une simple raison – leurs puissantes élites sont allées trop loin pendant les heures fastes et ont pris trop de risques. Les gouvernements de pays émergents et leurs alliés du secteur privé forment généralement une étroite – et la plupart du temps distinguée (« genteel ») – oligarchie, dirigeant le pays plutôt comme une compagnie à la recherche du seul profit et dans laquelle ils seraient les actionnaires principaux. Quand un pays comme l’Indonésie la Corée du Sud ou la Russie se développent, ainsi en est il également de l’ambition des capitaines d’industrie. Comme maîtres de leurs petit univers, ces gens font souvent des investissements qui bénéficient clairement à la croissance de l’économie, mais ils commencent également à faire des paris de plus en plus risqués et de plus en plus élevés. Sachant parfaitement – à raison dans la plupart des cas – que leurs connexions politiques les autoriseront à se défausser sur le gouvernement de tout problème conséquent qui se présenterait.

    En Russie, par exemple, le secteur privé rencontre maintenant de sérieuses difficultés, parce que durant les cinq dernières années ou à peu près, il a emprunté au moins 490 milliards de dollars aux banques (« global banks ») et aux investisseurs se fondant sur cette supposition que le secteur de l’énergie pourrait supporter une croissance permanente de la consommation à travers l’économie. A mesure que les oligarques russes dépensaient ce capital, en acquérant d’autres firmes et en mettant en place des plans d’investissement ambitieux créateurs d’emplois, leur importance au sein de l’élite politique s’est accrue. Leur soutien politique croissant signifiant un meilleur accès à des contrats très lucratifs, des dégrèvements fiscaux et des subventions. Les investisseurs étrangers ne pouvaient s’en trouver que satisfaits; toutes choses égales par ailleurs, ils préféraient prêter de l’argent à des gens ayant le soutien implicite de leurs gouvernements respectifs, même si ce soutien prenait des relents de corruption.

    Mais inévitablement, les oligarques des marchés émergents furent poussés dehors, ils gaspillèrent l’argent et bâtirent des empires économiques gigantesques sur une montagne de dettes. Les banques locales parfois encouragées par les gouvernements, devinrent trop conciliantes face à une extension du crédit aux élites et à ceux qui dépendaient d’eux. Sur-emprunter finit toujours mal, que ce soit pour un individu, une entreprise ou un pays. Tôt ou tard, les conditions de crédit deviennent plus drastiques et plus personne ne vous prête d’argent en des termes acceptables (« affordable »).

    Le spirale infernale qui s’ensuit est particulièrement abrupte. De gigantesques compagnies vacillent au bord de la faillite et les banques locales qui leur ont prêté s’effondrent. Les « partenariats public-privé » d’hier sont re-labellisés « capitalisme de copinage » (« crony capitalism »). Avec un crédit devenu inaccessible, s’ensuit la paralysie économique et la situation ne cesse d’empirer. Le gouvernement est contraint à diminuer ses réserves de monnaie étrangère pour payer les importations, le service de la dette, et couvrir les pertes privées. Mais ces réserves peuvent bien sûr s’épuiser. Si le pays ne peut pas se ressaisir avant que cela n’arrive, il fera défaut sur sa signature (« sovereign debt ») et deviendra un paria économique. Le gouvernement, dans sa course pour arrêter l’hémorragie devra effacer/détruire (« wipe out ») certains de ses champions nationaux – subissant des pertes massives de capitaux – et devra habituellement restructurer un système bancaire particulièrement déséquilibré. Il devra en d’autres termes se débarrasser de certains de ses oligarques.

    Se débarrasser de ses oligarques est rarement une stratégie de choix parmi les gouvernements des marchés émergents. Plutôt l’inverse: à l’apparition de la crise, les oligarques sont habituellement ceux qui bénéficient en premier lieu de l’aide du gouvernement, comme un accès privilégié d’accès à la monnaie étrangère, ou encore d’importants dégrèvements fiscaux, ou – c’est là une technique de crédit classique du Kremlin – l’achat par le gouvernement d’obligations privées. Sous la contrainte, la générosité envers les anciens amis prend une multitude de formes très innovantes. Pendant ce temps, comme on a besoin de ponctionner quelqu’un, la plupart des gouvernements des marchés émergents se tournent vers les salariés ordinaires – au moins jusqu’à ce que les émeutes deviennent trop importantes.

    Éventuellement, ainsi que les oligarques de la Russie de Poutine le réalisent maintenant, certains parmi l’élite doivent perdre avant que la reprise ne puisse démarrer. C’est un jeu de chaises musicales: il n’y a juste pas assez de réserves monétaires pour prendre soin de tout le monde, et le gouvernement ne peut pas se permettre d’éponger complètement la dette du secteur privé.

    Alors, le personnel du FMI regarde dans les yeux le ministre des finances et décide si oui ou non il est maintenant sérieux. Le FMI octroiera même éventuellement un prêt à un pays comme la Russie, mais d’abord il veut être convaincu que le premier ministre Poutine est prêt, décidé, et capable d’être dur avec certains de ses amis. S’il n’est pas prêt à jeter ses précédents associés aux loups, le FMI peut attendre. Et quand il est prêt, le FMI est heureux de faire d’utiles suggestions – particulièrement en prenant soin de retirer le contrôle du système bancaire des mains des plus incompétents et avares des « entrepreneurs ».

    Évidemment, les anciens amis de Poutine se rebelleront. Ils mobiliseront leurs alliés, feront jouer le système, et mettront la pression sur d’autres pans du gouvernements pour obtenir des subventions supplémentaires. Dans les cas extrêmes, ils tenteront même la subversion – incluant l’appel de leurs contacts aux affaires étrangères américaines (« American foreign-policy establishment ») ainsi que le firent les ukrainiens avec quelques succès à la fin des années 90.

    Nombre de programmes du FMI « déraillent » (un euphémisme) précisément parce que le gouvernement ne peut pas rester suffisamment sévère envers ses précédents amis, et les conséquences sont une inflation massive et autres désastres. Un programme « revient sur les rails » dès que le gouvernement reprend les rênes ou quand les puissants oligarques ont choisi parmi eux lequel gouvernera – et ainsi lequel gagnera ou perdra – à l’intérieur du plan du FMI. Le vrai combat en Thaïlande et en Indonésie en 1997 fut de déterminer quelles puissantes familles perdraient leurs banques. En Thaïlande, ce fut géré relativement tranquillement. En Indonésie, cela conduisit à la chute du président Suharto et au chaos économique.

    De ces longues années d’expérience, le personnel du FMI sait que ses programmes réussiront – stabiliser l’économie et permettre la croissance – si et seulement si un des puissants oligarques qui fit tant pour créer le problème sous-jacent est mis à terre. C’est le problème de tous les marchés émergents.

    (FIN PARTIE 1) Coming soon: « Becoming a banana republic ».

  12. Avatar de 2Casa
    2Casa

    @ Tous

    Je croise la traduction de Pierre-Yves D. à 2.00… Quelqu’un d’autre a-t-il commencé que nous ne soyons pas 36 à le faire ?

    Merci

  13. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    @ 2casa

    excellente traduction ! du travail de pro.
    Et aussi vite, chapeau bas 😉

  14. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    vous maîtrisez mieux que moi la langue anglo-américaine.
    Je vous laisse continuer 😉

  15. Avatar de 2casa
    2casa

    Est-ce que qqu’un d’autre est dessus ou je continue ?

  16. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    Vous maîtrisez mieux que moi la langue anglaise,
    je vous laisse continuer.

  17. Avatar de 2casa
    2casa

    Non, non, vos phrases sont plus élégantes… 8)

  18. Avatar de 2casa
    2casa

    Part II Devenir une république bananière

  19. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    En tous cas la votre est plus exacte, et c’est le plus important.
    Là où j’ai hésité vous avez fait la bonne tradution.

  20. Avatar de 2casa
    2casa

    Pas de pb, je continue alors. Bonne nuit. 😉

  21. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    bonne nuit et bon courage ! 🙂

  22. Avatar de Cécile
    Cécile

    à Paul
    merci pour vos articles (et aussi à françois)

    je comprends un peu l’usaméricain, et aussi encore moins bien le russe, mais je fais grève

    j’en ai raz la casquette de l’usaméricain qui se prend pour la langue de l’ Europe, je comprends très bien que l’anglais soit la langue des usaméricains, mais en Europe, vraiment ça m’agace, donc je boycote

    Qui a en europe comme langue maternelle, l’usaméricain, à par cette minorité d’insulaire qui peuplent l’Irlade et l’Angleterre ?
    Pour tous les autres européens, l’usaméricain est une langue apprise, seconde

    Est-ce que nous ne savons pas nous français , qui avons été une puissance coloniale combien il est important de s’imposer par la langue ?

    Alors que nous savons bien que les romains, bien évidemment, le savaient déjà.. va savoir s’ils traitaient les celtes de nuls en langues, soit disant qu’ils ne parlaient pas la leur alors même qu’ils les colonisaient, et nous qu’avons-nous oser dire aux arabes ???
    j’ai une assez bonne idée de l’aptitude soit disant si merveilleuse des usaméricains en langue étrangère, ils traduisent, ils traduisent, les autrese sont tellement nuls en langue, en parfumerie, c’est dans la notice « poncer la peau », sur la senteur « relans marins », les francophones renvoient, sous motif invendable, avec proposition contre « relan marin », « senteur marine »,
    mais bon ya qu’à dire les usaméricain sont très forts en langue, la preuve ils ne traduisent vraiment que le moins possible et sinon très mal et sinon je suppose proportionnellement quasi jamais rien, -justement parce qu’une langue seconde…- dont ils obligent beaucoup des autres , soit disant nuls en langue de maîtriser la leur, sinon, sinon, …. –
    en bref ils sont dans une attitude coloniale,
    et désolée, mais je ne vois ni les russes, ni les chinois, ni les indiens, ni les arabes, ni les hispaniques maintenir cette pression …

  23. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    @ Cécile,

    c’est vrai que la langue du business c’est l’anglo-américain.
    C’est un réel problème en effet que vous soulevez.
    Quand on dit en anglo-américain « to make money » ce n’est pas une expression indifférente, elle renvoie
    à tout un contexte aujourd’hui plus que jamais oh combien sur le devant de la scène, et pas pour de glorieuses raisons.
    « To make money » c’est fabriquer de l’argent. Et si l’on pousse le raisonnement plus loin c’est faire de l’argent avec de l’argent, les grandes spécialités de Wall Street et de la City.

    Mais le business n’est pas l’économie, et c’est tout l’intérêt d’un blog comme celui-ci que de l’exprimer et le démontrer chaque jour qu’il est possible d’être parfois plus pertinent sans pour autant parler la langue de WallCity.

    Mais ne trouvez-vous pas tout de même assez piquant que Paul nous distille jour après jour ses connaissances et réflexions, via ses percutants billets et commentaires, depuis le lieu même d’où la crise est partie, de la Californie, le pays de la ruée vers l’or et des subprimes !!. Avouez qu’il y a là comme une grande ironie de l’histoire.

    Réjouissons nous donc que Paul soit parfaitement familier de la langue et des arcanes de ce pays, et même qu’à l’occasion il nous partage certains de ses plaisants aspects. Les USA c’est le dollar, mais pas que ça. Et puis chez nous, en Europe, au Quebec, et ailleurs dans le monde francophone, l’argent n’est pas moins présent. Nous n’avons pas érigé l’argent en valeur suprême mais nous y avons aussi ses grands prêtres, ses spéculateurs, ses exploiteurs du peuple ! Et nos publicitaires du genre Ségala pour nous dire que si à 50 ans nous n’avons pas de Rolex c’est que nous avons raté nos vies !!
    Les USA ont une grande responsabilité dans cette crise, mais le système est mondial, il a donc eu un peu partout de nombreux complices.

  24. Avatar de 2casa
    2casa

    Part II Devenir une république bananière

    De par sa profondeur et sa soudaineté, la crise financière et économique US rappelle remarquablement les moments que nous avons connus sur les marchés émergents (et seulement sur les marchés émergents) : la Corée du sud (1997), la Malaisie (98), la Russie, l’Argentine (à leur heure et encore maintenant). Dans chacun de ces cas, les « global investors », effrayés que le pays ou son secteur financier ne puissent faire face à leur montagne de dette, stoppèrent soudainement leurs financements. Et dans chacun de ces cas, cette crainte devint auto-réalisatrice, à mesure que les banques échouaient à refinancer leur dette (« rollover ») et s’avéraient incapables de payer. C’est précisément ce qui a conduit Lehman Brothers à la banqueroute le 15 septembre, provoquant un tarissement de toutes les sources de financement du secteur financier en une nuit (« overnight »). Tout comme dans les crises des marchés émergents, la faiblesse du système bancaire s’est propagé à toute l’économie, provoquant une sévère contraction de l’activité économique et des privations pour des millions de personnes.

    Mais il existe une similitude plus profonde et plus dérangeante : les intérêts de l’élite des affaires – financière, dans le cas des USA – a joué un rôle central dans l’émergence de cette crise, pariant de plus en plus gros, avec l’accord implicite du gouvernement, jusqu’à l’inévitable effondrement. Plus inquiétant encore, ils utilisent maintenant leur influence pour prévenir exactement le type de réformes qui sont nécessaires, et ce, rapidement, pour sortir l’économie de son plongeon tête la première. Le gouvernement semble sans ressource (helpless), ou sans volonté, pour agir contre eux.

    Les Topbankers (Auguste on t’a reconnu !) d’investissement et les fonctionnaires du gouvernement aime à jeter le blâme pour ce qui est de la responsabilité de la crise actuelle sur la baisse des taux d’intérêts après l’implosion de la bulle internet ou, mieux encore – dans un « le dollar s’est arrêté ailleurs » ou quelque chose d’approchant (« buck stops somewhere else » sort of way) – sur le flot d’épargne provenant de Chine. Certains à droite aiment à se plaindre de Fannie et Freddie, ou même des efforts de longue durée destinés à promouvoir un plus large accès à la propriété. Et, bien sûr, c’est un axiome pour tout le monde que les régulateurs responsables « de la sécurité et de l’équilibre » se sont endormis au volant.

    Mais toutes ces politiques – régulation amaigrie, argent pas cher, l’alliance tacite US-Chine, le développement de l’accès à la propriété – avaient toutes quelque chose en commun. Même si, certaines sont traditionnellement associées aux Démocrates et d’autres aux Républicains, elles bénéficièrent toutes au secteur financier. Les changements de politique qui auraient pu endiguer la crise et limiter les profits du secteur bancaire – telle la maintenant fameuse tentative de Brookley Born de réguler les CDS à la Commodity Future Trading Commission, en 98 – furent ignorées ou balayées d’un revers de main.

    L’industrie financière n’a pas toujours bénéficié de tels traitements de faveur. Mais depuis 25 ans environ la finance s’est énormément développée (a explosé) devenant encore plus puissante. Le décollage s’est produit sous les années Reagan et il a véritablement gagné en puissance avec les politiques de dérégulation des gouvernements Clinton et Bush. De nombreux autres facteurs ont alimentés l’ascension de l’industrie financière. La politique monétaire de Paul Volker dans les années 80 et l’accroissement de la volatilité des taux d’intérêts qui l’ont accompagnée ont rendu le commerce des obligations bien plus lucratif. L’invention de la « securitization », des « interest-rate swaps », et des CDS accrût sensiblement le volume des transactions sur lesquelles les banquiers pouvaient faire de l’argent. De plus, une population vieillissante et très aisée a investi de plus en plus d’argent dans les « securities », aidée en cela par l’invention de « l’IRA et du 401(k) plan ». Ensembles, ces développements ont largement augmenté les opportunités de profit des services financiers.

    Sans surprise, Wall Street s’est précipitée sur ces opportunités. De 1973 à 1985, le secteur financier n’a jamais représenté plus de 16% des profits des entreprises nationales (PNB ?). En 1986, ce chiffre atteignait 19%. Pendant les années 90 il a oscillé entre 21 et 30%, plus haut qu’il ne l’avait jamais été pendant la période d’après guerre. Durant notre décennie (i.e 2000) il a atteint 41%. Les rémunérations se sont énormément accrues. De 1948 à 1982, les rémunérations moyennes du secteur financier se situaient entre 99 et 108 % de la moyenne pour toutes les entreprises nationales privées. Depuis 1983 elles ont décollé atteignant 181% en 2007.

    L’énorme richesse que le secteur financier a créée et concentrée a donné aux banquiers un poids politique énorme – un poids jamais vu aux US depuis l’ère JP Morgan (l’homme). Pendant cette période, la panique bancaire de 1907 ne pût être arrêtée que par une coordination des banquiers du secteur privé : aucune entité gouvernementale n’étant apte à fournir une réponse efficace. Mais ce premier âge des banquiers oligarques parvint à son terme avec l’application d’une régulation bancaire significative en réponse à la Grande Dépression ; le retour d’une oligarchie financière américaine est plutôt récente.

    That’s all folks for tonite.

    Next : Part III The Wall Street-Washington Corridor.

  25. Avatar de 2casa
    2casa

    Unless PYD is still hangin’ around ? 😉

  26. Avatar de Ken Avo
    Ken Avo

    Merci 2casa et « PYD » pour les traductions.
    Quelle perle, maître Jorion, cet article !

  27. Avatar de Paul Jorion

    Merci à tous ceux qui travaillent à une traduction : on mettra tout ça ensemble pour en faire une version définitive très belle qui sera diffusée dans le monde francophone – cela le mérite.

    Début par iGor milhit :

    La crise a mis à nu bien des vérités déplaisantes au sujet des Etats-Unis. L’une des plus inquiétantes, dit un ancien économiste en chef du Fond Monétaire International, est que l’industrie financière a effectivement mis la main sur notre gouvernement – une situation qui correspond plus habituellement à un marché émergent, et qui est au centre de beaucoup de crises de marchés émergents. Si l’équipe du FMI pouvait parler librement des Etats-Unis, elle nous dirait ce qu’elle dit à tous les pays dans cette situation: le rétablissement ne peut réussir qu’à la condition de briser l’oligarchie financière qui empêche la réforme indispensable. Et si nous voulons éviter une vraie dépression, le temps nous manque.
    par Simon Johnson.

    Le coup d’Etat feutré.

    Une chose que l’on apprend relativement rapidement lorsque l’on travaille au Fond Monétaire International, c’est que personne n’est jamais très heureux de vous voir. Habituellement vos « clients » vous appellent seulement après que le capital privé les a abandonné, après que les partenaires du commerce régional n’ont pas réussi à jeter une bouée de sauvetage suffisante, après que les tentatives de dernier recours pour emprunter à des amis puissants comme la Chine ou l’Union européenne sont tombée à l’eau. Vous n’êtes jamais le premier invité pour une danse.

    La raison, bien sûr, est que le FMI s’est spécialisé dans le fait de dire à ses clients ce qu’ils ne veulent pas entendre. J’aurais du le savoir; j’ai imposé des changements pénibles à bien des dirigeants étrangers lorsque j’était économise en chef en 2007 et 2008. Et j’ai senti les effets de la pression du FMI, au moins indirectement, lorsque j’ai travaillé au côté des gouvernements en Europe de l’Est alors qu’ils se débattaient après 1989, et avec le secteur privé en Asie et en Amérique latine au cours des crises de la fin des années 1990 et début des années 2000. A cette époque, de chaque point d’observation, j’étais aux premières loges pour voir le déroulement régulier des officiels – d’Ukraine, de Russie, de Thaïlande, de Indonésie, de Corée du Sud et d’ailleurs – venir péniblement vers le fond lorsque les circonstances étaient extrêmes et que tout le reste avait échoué.

    Chaque crise est différente, bien sûr. L’Ukraine faisait face à une hyperinflation en 1994; la Russie avait désespérément besoin d’aide lorsque son système de renouvellement d’emprunt à court terme explosa l’été 1998; la roupie indonésienne plongea en 1997, mettant presque à plat l’économie réelle; cette même année, le miracle économique long de 30 ans de la Corée du Sud fut stoppé lorsque les banques étrangères soudainement refusèrent d’accorder de nouveaux crédits.

    Mais je dois vous dire que pour les dirigeants du FMI, toutes ces crises étaient terriblement similaires. Chaque pays, bien sûr, avait besoin d’un prêt, mais plus que cela, chacun avait besoin de procéder à de grands changements pour que le prêt puisse fonctionner. Presque toujours, les pays en crise doivent apprendre à vivre selon leurs moyens après une période d’excès – les exportations doivent être augmentées et les importations réduites – et le but est de le faire sans la plus horrible des récessions. Naturellement, les économistes du fond passent leur temps à établir les politiques – le budget, les réserves monétaires et ainsi de suite – qui font sens dans ce contexte. Mais la solution économique est rarement très difficile à trouver.

    Non, la réelle préoccupation des cadres supérieurs du FMI, et le plus grand obstacle au redressement, est presque invariablement la politique des pays en crise.
    Habituellement, ces pays sont dans une situation économique désespérée pour une simple raison – leurs puissantes élites se sont emportées lors de la période des vaches grasses et prirent trop de risques. Les gouvernements des marchés émergents et leurs alliés du secteur privés forment en général une oligarchie très unie – et la plupart du temps très raffinée – dirigeant le pays à peu près comme une entreprise lucrative dans laquelle ils sont les actionnaires majoritaires. Lorsqu’un pays comme l’Indonésie ou la Corée du Sud croît, croissent également les ambitions de ses capitaines d’industrie. Tels les maîtres de leur univers miniature, ces personnes font des investissement qui bénéficient clairement à l’économie, mais ils commencent également à faire des paris plus gros et plus risqués. Ils considèrent – correctement la plupart du temps – que leurs connections politiques vont leur permettre de reporter sur le gouvernement les problèmes substantiels qui apparaîtront.

    En Russie, par exemple, le secteur privé est confronté à des difficultés sérieuses parce que, ces 5 dernières années environ, il a emprunté au moins 490 milliards à des banques et des investisseurs globaux en se basant sur la croyance que le secteur de l’énergie du pays pouvait soutenir une augmentation permanente de la consommation de toute l’économie. Comme les oligarques russes dépensèrent leur capital, en acquérant d’autres entreprises et en se lançant dans d’ambitieux projet d’investissement qui créèrent des emplois, leur poids sur l’élite politique augmenta. Un support politique grandissant offrait un meilleur accès à des contrats lucratifs, à des facilités fiscales et aux subventions. Et les investisseurs étrangers n’auraient pas pu être plus content; toutes choses étant égales par ailleurs, ils préféraient prêter de l’argent à des personnes qui avaient le support implicite de leur gouvernement national, même si cette garantie dégageait une légère odeur de corruption.

    Mais inévitablement, les oligarques des marchés émergents se laissent griser; ils gaspillent l’argent et construisent d’énormes empires commerciaux sur des montagnes de dettes. Les banques locales, parfois poussées par le gouvernement, deviennent trop désireuses d’accorder des crédits à l’élite et à ceux qui dépendent d’elle. Le surendettement finit toujours mal, que ce soit le fait d’un individu, d’une entreprise ou d’un pays. A un moment ou à un autre, les conditions de crédit se rétrécissent et plus personne ne vous prêtera d’argent dans des conditions abordables.

    La spirale descendante qui suit est particulièrement raide. D’énormes entreprises vacillent au bord du défaut de paiement et les banques locales qui leur ont prêté font faillite. Les partenariats « public-privé » d’hier sont renommés « capitalisme de petits copains ».

  28. Avatar de TELQUEL
    TELQUEL

    Merci a tous de nous permettre d’acceder a ce type d’information!Amities

  29. Avatar de JJJ
    JJJ

    Eh bien, on peut dire que Johnson appelle un chat un chat !
    Voilà qui démontre au moins qu’il existe aux Etats-Unis des esprits aptes à développer une vue d’ensemble, contrairement à Stiglitz qui vibrionne dans une éprouvette et finit par ridiculiser ses idées les plus défendables.
    Cela démontre aussi un vrai courage : il faut oser attaquer de front l’oligarchie financière au pouvoir, et réclamer ni plus ni moins la mise à mort de la plupart de ses membres, même du haut d’une chaire prestigieuse au MIT.
    Il faut également du courage à un Américain pour pronostiquer un avenir qui se situe entre la peste et le choléra. Johnson corrobore avec sérieux cette saillie de P-E Victor : « Les optimistes pensent que tout est foutu et que l’on finira par manger de la m…; les pessismistes pensent qu’il n’y en aura pas pour tout le monde » -;)

  30. Avatar de iGor milhit

    bon ben je fais un saut et reprends à la partie III.

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta