L’ère des kolossal coups de pouce

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Ce qui est consternant dans les recommandations du G20, dans les plans Geithner, etc. c’est leur incapacité totale à penser les moyens de résoudre la crise en-dehors des sentiers battus. Il semble que pour les décideurs, on se trouve toujours dans le cadre de ce que Jean-Maxence Granier, appelle la « posture B » : « le système survit, bien que difficilement, pour retrouver au bout du compte sa forme originelle ».

Quand on dit : « Ceux qui sont responsables de la crise font partie du problème, pas de sa solution », on pense d’abord aux représentants du monde de la finance, et l’on néglige les régulateurs et les politiques qui leur avaient signé un chèque en blanc. Eux aussi semblent incapables du « thinking out of the box », comme dit l’anglais, incapables de recourir à la pensée latérale : eux aussi n’envisagent des mesures que si elles se coulent dans le cadre de cette même « posture B » où, à la simple différence de la « posture A » pour qui le système oscille de manière rassurante entre vaches grasses et vaches maigres, il convient encore de lui donner un « coup de pouce » pour lui faire retrouver sa bonne santé.

Et comme il ne s’agit pas d’innover, on ne s’interroge pas sur la façon de se débarrasser des produits dérivés qui transformèrent le risque en risque systémique : on vise plutôt à la transparence de leur marché, on n’interdit pas les hedge funds qui orchestrèrent la spéculation débridée : on leur vient en aide pour qu’ils puissent acheter des instruments de dette dépréciés, on ne réfléchit pas à la faute logique qui vicie le principe de la titrisation : on se demande comment la relancer, on ne se demande pas comment améliorer la comptabilité des entreprises, on leur dit : proposez des chiffres, on vous couvre jusqu’à ce que les choses s’arrangent. Et las ! les choses ne s’arrangent pas, elles vont au contraire de mal en pis, mais la philosophie en haut-lieu demeure imperturbable : « Ce n’est qu’un mauvais moment à passer ! », même si l’anxiété n’arrête pas de monter et si la fréquence des moments de panique augmente inexorablement.

S’accrocher à une représentation de la crise en « posture B » présente plusieurs aspects positifs : les avantages acquis sont préservés et le personnel est maintenu en place. Cela présente aussi un inconvénient majeur : ça ne marche pas. On est passé insensiblement des petits coups de pouce de 2007 d’un montant chiffré en milliards d’euros ou de dollars aux gros coups de pouce du début 2008, puis aux coups de pouce énormes de la fin de l’année se chiffrant désormais en centaines de milliards. Quant à 2009, c’est l’année des « kolossal » coups de pouce, aux montants exprimés cette fois en « trillions » d’euros ou de dollars. Et malgré l’ambition de plus en plus pharaonique, toujours pas la moindre lueur au bout du tunnel !

Ce qui a cependant changé, c’est que le sentiment général a cessé d’être la perplexité que suscitaient les budgets exprimés en milliards pour devenir celui du sens de l’absurde que produisent ceux qui se formulent en « trillions ». En 2008, les mesures prises impressionnaient encore mais en 2009, leur ridicule provoque le fou-rire. En 2008, les blogueurs écrivaient « Le Plan Paulson sera-t-il suivi d’effet ? » ou « Lehman Brothers peut-il être sauvé ? », en 2009 ils écrivent : « Quatorze manières de rouler le Plan Geithner dans la farine » ou « Mark-To-Market remplacé par ‘Croix de bois, Croix de fer…’ ».

Les dirigeants affirment que tout peut encore s’arranger alors que les peuples ont compris que plus rien ne sera comme avant. C’est une très mauvaise chose quand le courant ne passe plus entre les peuples et leurs représentants. Qui pourra leur faire comprendre que le moment n’est plus aux « kolossal » coups de pouce : qu’il faut trouver autre chose, que le moment est venu pour la réflexion de sortir des sentiers battus ?

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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61 réponses à “L’ère des kolossal coups de pouce”

  1. Avatar de Eugène
    Eugène

    @ Pierre Yves D,

    Les bases de nos raisonnements sont légèrement différentes mais se rejoignent.

    Mon point de départ est celui de l’anthropologie clinique médiationniste dite théorie de la médiation. Elle permet d’isoler quatre champs pathologiques autonomes dans leurs principes théoriques (langage; art, de s’y prendre pour faire; socialité; droit, que nous nous donnons de) mais où un trouble DE l’un des domaines se manifeste bien évidemment pour l’individu DANS les autres. (l’isolation théorique de chaque champ n’est nécessaire que pour éviter de tout mélanger, et c’est en celà que se fondent ces nouvelles sciences humaines, comme elles vont supposer qu’il y ait quatre points de vue possibles, à condition de bien reconnaitre le plan de rationnalité prioritaire pour avoir une démarche qui se tienne; c’est la petite subtilité soulignée par DE et DANS qui peut passer inaperçue. Exemple 1: trouble DE langage (aphasie) qui va se manifester DANS la langue français, arabe, chinoise donc au point qu’une même aphasie au plan structural se manifestera avec quelques différences suivant que la langue est à ‘ton’ ou non. Exemple 2: trouble DE l’autocontrôle pulsionnel par défaillance de l’instance éthique formelle – psychopathie. Elle ne se manifeste pas de la même façon DANS un régime politique sous charia (monde musulman) ou DANS le monde occidental séparant radicalement politique et religion, je veux dire que le trouble n’est pas perçu ni interprété de la même façon par les concitoyens de l’individu concerné alors qu’il s’agit bien du même syndrôme quel que soient les symptômes sous lequel il apparait en temps que phénomène humain analysable.

    Quand je parle de doxa ‘scientifico-techno-économistique’, il faut donc voir dans ce « concept » la totalité du mode de fonctionnement de l’Occident:
    scientifico: de promouvoir la science, MAIS une certaine science sous dépendance économistique de façon très perceptible dans ce que les Etats occidentaux et/ou les firmes acceptent de financer au plan de la recherche.
    techno: idem mais remplacer science par empirie;
    économistique: de subvertir le politique dans sa relation à la morale, donc en ne conservant que la base naturelle de la dialectique axiologique – la fonction de valorisation – alors que la dialectique complète, et normalement, conduit chacun à ce comportement moral.
    Bilan: les questions morales sont éjectées et renvoyées dans la sphère privée avec les options religieuses; mais le tout devient parfaitement insupportable comme le montre cette crise économico-financière.

    D’où ma conclusion apparaissant dans un certain nombre de commentaires: la difficulté devant laquelle nous sommes est celle de reréussir le couplage politico-moral, donc construire des codes dont l’idéal consiste à légaliser des processus minimaux de légitimation; ceci au point de permettre de mettre en opposition deux à deux les quatre formes de psychopathies c’est à dire le processus de vérification du modèle théorique axiologique quelles que soient les cultures dans lesquelles la démarche doit pouvoir s’insérer. Autrement dit, je fais rentrer les conditions de sortie de crise dans une démarche scientifique … que personne n’a vraiment envie de financer dans la mesure même ou un grand nombre de décideurs se trouveraient pris au piège de leurs défaillances personnelles, montrant ainsi leur inaptitude à occuper des postes consistant pour l’essentiel à décider pour autrui.

    Pour les politiques, fabriquer de tels codes revient à se tirer une balle dans le pied voire dans la tête, alors que c’est l’idéal atteignable de leur job s’ils sont Sages.
    Je suis parvenu à intégrer l’éthique formelle au coeur du cahier des charges d’un projet industriel, ce qui montre que c’est possible d’une part mais suppose aussi ces fameux codes. Ma question du coup devient: dois-je, les deux étant possibles, en passer par les politiques en poste qui ne comprennent pas grand chose, ne sont pas formés, et ne souhaitent pas franchement qu’on leur rappelle ce pourquoi ils ont été élus (quelle légitimité j’ai pour çà, moi, citoyen lambda?); ou dois je en passer par une institutionnalisation par la base comme la langue est institutionnalisation de notre faculté de langage sans que le politique ne s’en mêle?
    Les dualismes corps-esprit, religion-politique, prévention-précaution par exemples sont totalement pulvérisés par cette mise en perspective vérifiée sur mon application.

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  1. (suite) Dans son papier Petitot écrit : « A notre connaissance, Thom n’est jamais revenu aux équations de réaction- diffusion. » Thom…

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