Ce texte est un « article presslib’ » (*)
L’un d’entre vous m’écrit et il évoque ce qu’il appelle « mon lapsus » et, comme je n’ai pas le souvenir d’avoir commis un lapsus, je l’interroge, et il me dit : « Tu as dit : ‘Ne désespérez pas !’ à propos du fait que le système ne s’écroulerait peut–être pas ». Et je lui explique qu’il s’agit d’un malentendu : « Ne désespérez pas… la raison prévaudra ! »
C’est très différent. Parce que je n’espère pas du tout que le système s’écroule bientôt. Nous n’avons encore rien compris de la manière dont il fonctionne et, du coup, nous n’avons encore rien à proposer à la place. Aussi, s’il devait s’écrouler dans les semaines qui viennent, soyez bien sûr qu’on ira puiser dans la boîte des solutions existantes : fascisme, communisme, dictature militaire ou démocratie agrémentée d’une bonne guerre. Merci, tout ça on a déjà donné et on n’est pas près de vouloir en reprendre !
Mais comme le système pourrait s’écrouler quand même, il faut aller vite. D’où mon « Gesell (III) ». Voici où nous en sommes selon moi.
Les subprimes, ce n’est qu’une toute petite chose mais cela a quand même déclenché la catastrophe. Ce n’est qu’un grain de sable, mais un grain de sable significatif. Une société où il n’y a plus que du crédit finit par s’effondrer parce que c’est une énorme machine de Ponzi qui ne fonctionne que si elle peut continuer de recruter de nouveaux participants et qu’une fois qu’on a embrigadé les pauvres, il n’y a plus personne à recruter après eux.
Pourquoi est-ce que tout devient du crédit ? Parce que la richesse s’est concentrée et que l’argent ayant cessé d’être là où on en a besoin, doit être emprunté.
Comment empêche-t-on la richesse de se concentrer ? Ici, bref résumé de Gesel (II) : 1) on supprime la propriété privée des moyens de production et on établit une dictature de la classe jusqu’ici privée d’accès à la richesse, à savoir le prolétariat – solution Marx, 2) on fige la répartition de la richesse dans son état présent, en l’empêchant de faire des petits par la perception d’intérêts – solution islamique et chrétienne traditionnelle, 3) on redéfinit la monnaie de telle manière que son fonctionnement ordinaire empêchera la richesse de se concentrer – solution Gesell.
Mais tout ça, ce ne sont encore que des solutions « en extériorité » du problème, qui essaient de contrer la concentration de richesse mais sans s’attaquer véritablement à la source du problème. Je fais une analogie grossière . Il faut résoudre le problème du rhume de cerveau. Solution Marx : on coupe la tête. Solution Islam / Christianisme : on donne des anti-histamines, le nez ne coule plus, on se sent aussi mal qu’avant mais au moins les autres ne voient pas que vous êtes enrhumé. Solution Gesell : on redéfinit le rhume comme une manière d’être en bonne santé. Je caricature évidemment, mais pas tant que ça : comment Marx a-t-il pu imaginer qu’une dictature – quelconque – puisse être une forme de solution ?
Ceci dit, il y a une chose que Gesell a lui très bien vu (et Johanness Finckh nous l’a rappelé), c’est que la monnaie joue deux rôles : celui de moyen d’échange – pour lequel elle a été conçue – et celui de réserve de valeur – qui en est une conséquence dérivée. Son rôle de moyen d’échange oblige – si l’on veut qu’il existe une certaine stabilité des prix – à tout ce que l’argent disponible circule en permanence. Or le rôle de réserve de valeur encourage lui à la thésaurisation, ce qui au contraire grippe le système et rend les prix instables. Il faut donc neutraliser la fonction de réserve de valeur de l’argent, ce qui peut se faire en rendant la monnaie « fondante » (qu’elle se déprécie par le simple écoulement du temps), comme le préconise Gesell ou en taxant la thésaurisation, comme le recommande de nos jours Helmut Creutz.
À ça, il y a quand même deux objections à faire. La première, la plus importante à mon avis, c’est que la monnaie fondante, c’est le cauchemar du décroissant. Je ne suis pas partisan de la décroissance, je l’ai déjà dit mais je ne suis pas partisan non plus, dans un monde qui rencontre en ce moment ses limites, de la production à tout crin : d’une monnaie qui exige d’être dépensée, et qui risque du coup d’être dépensée à tout et à n’importe quoi. Si c’est à ça qu’on en est réduit, s’il faut nécessairement « neutraliser » une monnaie quelle qu’elle soit, ma tentation est de dire carrément : « Alors inventons autre chose ! ».
La deuxième objection à Gesell, c’est celle-ci : si le problème est de faire circuler la monnaie et d’empêcher qu’elle ne s’arrête, alors le capitalisme avait déjà trouvé la solution : que les entrepreneurs et les capitalistes ne paient aux salariés qu’un salaire au-dessous de la subsistance et leur permettent d’emprunter la différence. L’argent circulera ! Les salaires seront – faites-moi confiance – entièrement dépensés, tandis que les capitaux seront prêtés et rapporteront de beaux et bien gras intérêts et tournez manège !
Et je crois que c’est là que se situe le problème en réalité – et du coup, le début de la solution. Je sais que la fonction d’échange appartient constitutivement à l’argent : c’est pour ça qu’il fut inventé. Mais je ne sais pas si la fonction de « réserve de valeur » lui est aussi constitutive. Je vois bien que l’argent a cette fonction dans le système capitaliste où l’on a trois classes : capitalistes, entrepreneurs et travailleurs, et où le surplus produit par les travailleurs est, dans un premier temps partagé entre capitalistes et entrepreneurs, qui reçoivent les premiers les intérêts et les seconds le profit et, dans un deuxième temps entre les entrepreneurs et les travailleurs qui se partagent alors le profit, les proportions exactes se décidant selon les rapports de force existant entre ces trois classes.
Ce qui veut dire la chose suivante : il existe une « harmonie préétablie » entre le fait-même de la monnaie et ce que Marx appelle l’« exploitation » : dans le fait que le surplus est généré par les travailleurs mais qu’il n’en reçoivent une part qu’après que les autres se sont servis. Et ici, une petite parenthèse : quand je parle des entrepreneurs, et en général je mets les points sur les « i », je précise bien = dirigeants d’entreprise = patrons, parce que certains d’entre vous m’objectent : « Quoi, l’entrepreneur, c’est le petit gars tout seul, c’est un héros ! », mais ce n’est pas de lui que je parle : je parle des entrepreneurs qui ne travaillent pas, des « inspecteurs des travaux finis », qui se contentent de surveiller le travail des autres, pas de l’« entrepreneur » auquel vous pensez, qui est un travailleur comme les autres, si ce n’est qu’il bénéficie du « luxe » supplémentaire de s’auto-exploiter !
La monnaie et l’exploitation, la spoliation du travailleur de la richesse qu’il crée, vont la main dans la main. « Neutraliser » tel ou tel aspect, ou résoudre le tout par une dictature quelconque – y compris des travailleurs – ce ne sont jamais que des emplâtres sur des jambes de bois.
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114 réponses à “Gesell (III)”
@ Antoine
Le doux mépris ou la condescendance, surtout gratuits, n’ont jamais fait office d’arguments ! 🙂
Il ne faut avoir jamais lu les écrits des Bakounine, Louise Michel ou encore Rosa Luxembourg pour asséner de tels jugements péremptoires…Par contre, votre début d’intérêt pour Stirner est assez révélateur. Mais attention, ne confondez pas libertaire et libertarien. L’anarchie, c’est la liberté ET l’égalité…
Chomsky, intellectuel pour ado en crise ? ç’en devient presque comique !
Plus sérieusement
L’organisation de bas en haut n’a strictement rien à voir avec le principe de subsidiarité. Ce principe, c’est le pouvoir national ou même plutôt maintenant supranational qui concède à ce que l’organisation et la mise en oeuvre d’une compétence particulière échoit au niveau le plus adapté, l’échelon immédiatement supérieur reprenant la main si ça ne fonctionne pas. Vraiment rien à voir donc puisque le principe de subsidiarité présuppose que le pouvoir est justement descendant.
Sur l’adhésion aux fédérations : non rien absolument rien d’obligatoire ! Je précise : fédération par le travail et par les relations sociales de voisinage.
Un exemple : le quartier s’organise pour le ramassage des ordures ménagères. Et bien, libre à vous de ne pas participer. Mais dans ce cas, il vous appartiendra de gérer ces déchets vous-mêmes. Et considérant que la liberté des autres de ne pas pâtir des effets de votre contamination l’emporte sur la vôtre de ne pas vous occuper de vos déchets, vous serez contraint de gérer vos décets.
Sur représentation et participation : absolument rien de contradictoire. Si les médias opposent ces conceptions, c’est parce que la représentation occupe tout l’espace laissé à l’implication citoyenne en politique et que les intérêts de ces médias vont à l’encontre d’une participation plus active. Il est tout à fait possible de concevoir un système de représentation avec une participation active des citoyens ! Par exemple, pour révoquer le mandat d’un représentant malhonnête. Ne soyons pas simpliste.
Sur la propriété, vaste débat. Mais votre façon de prendre pour exemple une situation particulièrement caractéristique de notre société capitaliste n’est pas à votre avantage. Le dépérissement des biens publics est-il inscrit dans nos gênes ? Non, bien sûr, et l’on peut supposer qu’avec une éducation différente, une éducation dans laquelle on n’inculque pas que la propriété est sacrée, que notre vie consiste à augmenter le capital de cette propriété…, une éducation qui enseigne au contraire la valeur et le respect des biens publics de façon générale, il est loisible de penser que les chiottes de camping ne seront pas dégueulasses. D’ailleurs, je vois au passage que vous n’avez jamais mis les pieds dans un camping autogéré…
cordialement
🙂
Excusez la citation un peu longue et apparemment hors contexte. La référence:
LE COUR GRANDMAISON, Olivier; LHUILIER, Gilles; VALLUY, Jérôme (dir.).- Le Retour des camps? Sangatte, Lampedusa, Guantanamo.- Autrement, Paris : 2007 (coll. Frontières) pp. 130 – 136 + « camps d’étrangers » pp. 165 – 171
pour la carte des camps en pdf: migreurop
@MarcusH: « une éducation dans laquelle on n’inculque pas que la propriété est sacrée »
Avez-vous des enfants? J’en doute car il est évident, si on en a, que l’éducation consiste à leur enseigner les limites à la propriété et à partager. La propriété est quelque chose de naturel (instinct de survie), même un insecte la ressent comme sacrée.
En lisant tous vos commentaires, une idée m’est venue:
– le problème est que notre société est basée sur l’argent.
– or « l’argent ne fait pas le bonheur » comme dit le proverbe.
– or le but principal de la vie humaine est (ou en tout cas devrait être) d’être heureux.
Alors pourquoi ne pas créer une monnaie qui symboliserait le bonheur ?
L’unité de base serait par exemple le fait de nourrir une personne pendant une journée (en dépensant 1, on peut acheter de quoi se nourrir une journée « normalement »).
Autrement dit le prix des choses se fixerait en fonction du bonheur qu’elles apportent à leurs consommateurs.
Le prix des choses « rares » (qui en deviennent chères dans notre société) ne serait plus excessif (car du caviar n’apporte finalement que peu de bonheur supplémentaire par rapport à une bonne pizza 🙂 ). Les choses rares seraient alors attribuées par tirage au sort par rapport aux personnes qui le souhaitent.
Mais le prix des « talents » rares (acteurs, chanteurs ou footballeurs par exemple) pourrait continuer à être élevé puisqu’ils apportent du bonheur à un grand nombre de personnes.
Les entrepreneurs qui créent des emplois (permettent un surplus de bonheur envers leurs employés) pourraient bien gagner, mais ceux qui licencient (diminuent la base de bonheur distribué à leurs employés) gagneraient moins.
Les inspecteurs des impôts seraient sans doute très mal payés 🙂
Et les spéculateurs, qui ne servent quasiment à rien, ne gagneraient rien.
Enfin voila, ça mène sans doute nulle part, mais imaginer une monnaie qui fait fondre les coeurs plutot que de fondre elle même, ça me fait marrer 🙂
@ Moi
Vous ne m’avez pas compris.
Si vous avez compris et que vous attendez de moi que je vous fasse un plaidoyer vibrant pour l’égalité des ressources, vous serez déçu (vous trouverez une argumentation solide de ce point de vue chez R. Dworkin « Ressource egalitarism and Welfare egalitarism, qui aboutit à l’adoption d’un principe d’égalité des chances/justice sociale assez radical qu’on appelle la « brute luck view »).
Je n’en ferai pas non plus pour l’égalité de bien-être (écartée par Dworkin à cause de l’argument célèbre des « gouts dispendieux »).
Un petit exercice:
Dans la société A, les plus riches ont 500 et les plus pauvres ont 16.
Dans la société B, tout le monde a 2
Admettons que je ne sache pas quelle sera la situation de mes enfants dans les sociétés A et B.
A votre avis, si je suis impartial et que je tiens à leur bonheur/bien-être, ne vais-je pas choisir pour eux le modèle de société B (sachant que j’assure leur sort au cas où ils seraient malheureusement dans la case « moins bien lotis »?).
Voici le choix que dicte la justice comme impartialité: la maximisation du sort des plus pauvres (Et c’est à la façon dont une civilisation s’occupe des ses pauvres que l’on évalue sa grandeur).
Bien entendu si il existe une société possible C dans laquelle les plus riches ont 250 et les moins riches 16 cette dernière doit être préférée à A, car la possibilité de C prouve que dans la société A les citoyens les plus riches tirent un avantage illégitime de leur position, se traduisant par une situation de rente. Bref ils ne justifient plus leurs avoirs dès lors que ces derniers ne sont pas corrélés à l’amélioration du sort des plus démunis.
NB:
Vous parlez du peuple. Le peuple n’a qu’un seul devoir: celui de s’assurer que ses membres ne soient pas dominés.
Ni à l’intérieur (par les « grandi »: banquiers, industriels, grande distribution, mais également psychologue, médecin, policier, militaire, syndicats, partis…). Ni à l’extérieur (par les puissances). C’est là tout ce qu’on appelle un peuple libre.
Tout le reste n’est que défense d’intérêts particuliers et infantilisme de bazar… qui mène le « peuple », comme vous le dites si bien, à sa perte. J’entends beaucoup parler du peuple. Mais je ne le vois pas. Il a disparu sitôt qu’il parle la langue des droits des uns et des autres, alors qu’il ne devrait parler que celle du devoir imprescriptibles qui repose sur ses épaules. Les droits que nous avons ne sont que l’image inversée des devoirs que les autres membres de la communauté ont à notre égard, et jamais des privilèges d’enfants gâtés. Quoiqu’il arrive le peuple est toujours responsable de sa misère et s’il déchoit ce n’est que par sa faute (les irlandais n’avaient qu’à aller à l’école et à vérifier ce que faisaient leurs banquiers, au lieu d’utiliser leur temps libre à se consacrer à leurs loisirs). Les institutions les mieux foutues ne résistent pas dès que les citoyens s’en désintéressent ou se pensent d’abord comme des personnes privées. Nous sommes entièrement responsables du prix que nous aurons à payer dans quelques mois.
Un petit exemple: 24 pourcent des filiales de la BNP dans des paradis fiscaux. N’est -il pas du devoir de ses clients de dégager par exemple à la banque postale? Pourquoi ne le font-ils pas? Qu’ils ne viennent jamais pleurer sur cette question.
@ Crystal
« Toutes mes excuses si vous avez pris cela contre vous » ?
Oui surtout que les idées de marine le pen c’est pas trop ma tasse de thé bien au contraire. Le prénom Franck prend parfois également un « c » merci de ne pas écorcher mon prénom.
« Effectivement ce n’est pas dit que les esprits soient prêt à passer sur d’autres valeurs, d’autres buts à poursuivre »
C’est tout à fait ce que j’ai voulu dire dans mon commentaire de tout à l’heure, merci de le faire alors partager de nouveau aux autres.
«Ce qu’il fallait comprendre de mon commentaire précédent, c’est que les solutions proviennent très souvent des marges de la société. Et donc je trouvais cela dommage d’avoir des propos qui les enfoncent dans la caricature »
Je ne souviens pas avoir réduit dans la caricature des solutions expérimentales venant du Brésil ou de l’Argentine. Certes, des solutions peuvent très bien émerger ici ou la parmi les marges d’une société, mais plus tard être très mal reprises par d’autres. L’histoire hélas en est plein d’exemples, au début cela démarre bien avec les meilleures intentions de la terre ou du ciel, mais hélas par la suite il y a comme un hic, l’homme hélas a souvent tendance à vouloir obliger les autres à vivre comme lui et toujours malheureusement par le biais du pouvoir, quand bien pour en imposer plus rapidement une meilleure idée aux autres ? Ce qui soulève la question, comment pourrions nous encore nous éviter cela la prochaine fois ? J’espère bien sur me tromper.
@antoine:
« Dans la société A, les plus riches ont 500 et les plus pauvres ont 16.
Dans la société B, tout le monde a 2 »
« A votre avis, si je suis impartial et que je tiens à leur bonheur/bien-être, ne vais-je pas choisir pour eux le modèle de société B (sachant que j’assure leur sort au cas où ils seraient malheureusement dans la case “moins bien lotis”?). »
Je connais bien ces dilemmes de la philosophie politique anglo-saxonne (que j’ai toujours trouvé idiots, tout comme l’argument de Dworkin qui suppose a priori une société inégalitaire sans quoi on voit mal d’où viendraient les goûts dispendieux). Ils tiennent tous pour acquis que bonheur/bien-être = avoir 16 ou avoir 500. Ex: j’ai 50 euros (on suppose que ce ne sont pas des coquillages mais à la limite c’est acceptable dans leurs hypothèses) et donc je suis plus heureux que si j’ai 15 euros.
Passons sur le matérialisme vulgaire de cette manière de penser, il reste un problème même pour un matérialiste : je ne mange pas les euros et la richesse est relative (non pas absolue). Il est fort probable que dans un monde où tout le monde a 2, le pouvoir d’achat de 2 sera plus élevé que d’avoir 16 dans un monde où vous êtes pauvre avec cela.
Ajoutez-y que, en admettant même que les 16 du monde A vous permettent de vivre confortablement, l’inégalité des conditions influe directement sur le bonheur et vous serez sans nul doute plus malheureux dans ce monde en ayant 16 malgré tout votre confort. (il y a des études scientifiques sur cette question, même un singe déprime face à l’inégalité de traitement et il paraît de toutes façons évident qu’un sauvage d’amazonie est plus heureux dans sa tribu égalitaire qu’un quart-monde du nebraska malgré sa tonne de calories quotidiennes)
En résumé, je me souhaite et je souhaite évidemment à mes enfants le monde B. Même si, tant pis, je ferais ainsi l’impasse sur l’écran plat dernier cri. 🙂
Concernant le NB, je suis entièrement d’accord avec vous.
J’ai aussi l’impression que l’on aborde un sujet très sensible. Allez je me lance, même si je risque de me bruler un peu les ailes au passage…
Si l’on jette un œil sur les expériences passées et actuelles du capitalisme et du communisme, il me semble que l’on retrouve un certain nombre de point commun. Je pense à tout ce qui est relatif à la concentration des pouvoirs et des richesses. Nous avons dans le premier cas, une concentration dans les mains des rentiers. Et comme vous me l’avez fait connaitre la situation a empiré depuis les années 70 avec l’apparition des stock-options comme les intérêts des entrepreneurs se sont alignés sur ceux des rentiers. Ce que l’on pourrait résumer par une « dictature de la bourgeoisie » pour reprendre les termes de Marx.
Dans le cas des grandes expériences passées étiquetées « communiste », je pense aux réflexions de Bakounine qui interprète ce qui s’est passé en Union Soviétique comme quelque chose relevant du « capitalisme d’état ». D’après wikipedia :
“Le capitalisme d’État désigne un système économique dans lequel l’État contrôle une part essentielle, voire totale, du capital, de l’industrie, des entreprises. C’est donc un système dirigiste où tout ou partie des moyens de production sont au plan juridique la propriété de l’État, ou soumis à ses directives. Les moyens de production se révèlent dans les faits détenus, privés ou contrôlés par une classe privilégiée de la population: celle qui monopolise le pouvoir politique.
Il existe des divergences, notamment en fonction des affinités politiques, quant aux régimes étant ou ayant été capitalistes d’État. Parmi les régimes souvent analysés comme tels, on peut citer : l’Allemagne sous la première guerre mondiale, l’Union soviétique, et actuellement la Chine et Cuba.”
Alors vous allez me dire probablement que c’est bien les idées de Marx qui ont aboutit à un tel système. Est-ce que la trajectoire que l’URSS a empruntée est représentative de toutes les trajectoires qu’il était possible de suivre à partir des idées initiales de Marx ? Je ne pense pas.
Difficile de définir le communisme. La variante la plus connue semble être celle-ci :
« Au niveau théorique, le communisme est une conception de société sans classe, une organisation sociale sans État, fondée sur la possession commune des moyens de production » (Wikipedia)
Personne n’a sur cette planète la prétention comme vous le soulignez d’être capable de proposer une solution clé en main (du moins j’espère). Mais il y a beaucoup de choses à tirer des réalisations du communisme et du capitalisme. Dans leurs erreurs et réussites respectives. Pour ma part, je ressens qu’une des clés se trouve dans les stratégies à employer pour tenter de réduire la virulence des rapports de domination entre les hommes. C’est une autre façon de dire que nous avons tout deux l’espoir que la raison prévaudra ! Est-ce aussi ce qui est sous entendu lorsque Marx souhaite une société sans classe ?
Bon je suis d’accord c’est utopique. Néanmoins, je ressens des affinités avec les propositions qui visent à créer les structures qui permettent de circonscrire les rapports de dominations. Je ne parle pas de les faire disparaitre, entends-nous bien. Tout ce qui va vers plus de démocratie et une relocalisation de l’économie (pour l’impact environnemental) me parait bon à prendre.
Pour reprendre les exemples de Marcus, les alternatives d’autogestion que l’on voit se constituer en marge des sociétés capitalistes surtout en Amérique du sud semblent très intéressantes. En argentine, 1700 entreprises sont dénombrées, elles sont organisées en réseau, appartiennent aux salariés, se soutiennent entre elles, sont impliqués dans la vie sociale de leur ville. Un bel exemple de démocratie directe et de relocalisation de l’économie.
C’est une trajectoire appartenant à la littérature du communisme (libertaire ?) qui me semble intéressante à poursuivre. Quelque chose à mi-chemin entre la suppression de l’intervention de l’état chère à l’école de Chicago et la propriété collective des moyens de production. Une décentralisation totale du pouvoir et des richesses comme moyen d’en réduire sa concentration. Et là se pose tout de suite le problème : « Quid de la propriété privée ? ». Je n’ai pas lu « Théorie de la propriété privée de Proudhon » mais peut-être que Marcus ou Antoine peuvent compléter ?
Il y a énormément d’autres contradictions qui ne pourront probablement pas être réglées. Par exemple sur le principe de la concurrence :
« La concurrence est de même contradictoire, d’un côté elle est injuste par ses effets (il lui prête de mener nécessairement au monopole) mais Proudhon l’accepte car elle est efficace et nécessairement opposée aux privilèges : « Par cela seul que l’ouvrier de l’administration n’a point de concurrence, qu’il n’est intéressé ni aux bénéfices, ni à la perte, qu’il n’est pas libre en un mot, sa productivité est nécessairement moindre et son service trop cher. ». (Wikipedia article Proudhon)
Ce sont des stratégies qui proviennent « du bas ». Mais je suis avec beaucoup d’intérêt vos réflexions sur la monnaie comme stratégie à appliquer en provenance « du haut ». Je suis juste un peu sceptique sur la chance de voir un jour leur apparition. Nous le voyons en ce moment, il y a une telle collusion d’intérêt dans les sphères du pouvoir que je ne vois comment de telle idée pourrait être mise en application aujourd’hui. De la même façon, pour ce qui est du « bas », cela implique de voir une telle prise de conscience et un tel retour au politique dans les sociétés occidentales que cela me aussi parait difficile. J’ai plus d’espoir avec l’Amérique latine qui semble plus politisé.
@ Marcus
« L’anarchie, c’est la liberté ET l’égalité… »
L’anarcho-syndicalisme n’a pas le monopole de cette étiquette « anarchiste ». En l’occurrence les anarchistes individualistes tels que Stirner Tucker ou Spooner le sont bien davantage que les auteurs que vous avez cités.
La liberté et l’égalité c’est l’humanisme civique ou le républicanisme ou la démocratie radicale voire les réal libertariens Tout dépend de ce que vous appelez « liberté » et « égalité ». Or c’est là tout le débat.
Je maintiens ce que je dis de Chomsky: Il serait de la classe d’Aristote, de Platon, de Maimonide, d Al Farabi, de Machiavel, de Hobbes, de Rousseau, de Rawls? Je ne crois pas… J’ai beaucoup de sympathie pour Proudhon d’un tout autre niveau et d’un tout autre apport que Chomsky.
Le principe de subsidiarité n’est pas ce que vous dites. C’est un principe de « solidarité chaude » opposé à « l’état providence », d’ailleurs au coeur de la doctrine sociale de l’Eglise catholique. Priorité aux niveaux inférieurs sur les niveaux supérieurs. Cela dit j’aurais dû préciser, tant il est vrai que ceci ne correspond pas à ce que le droit français appelle à tort « principe de subsidiarité ».
Pour la théorie de la « représentation »… allez dire à Habermas qu’il fait partie des méchants médias qui mettent une contradiction là ou il n’y en a pas, lui qui a théorisé la démocratie participative contre la démocratie représentative. Après on peut rentrer dans le débat de fond si vous le souhaitez, mais ce n’est pas le lieu pour ça. Je n’ai rien contre le principe de subsidiarité ainsi entendu.
« Non, bien sûr, et l’on peut supposer qu’avec une éducation différente, une éducation dans laquelle on n’inculque pas que la propriété est sacrée, que notre vie consiste à augmenter le capital de cette propriété…, une éducation qui enseigne au contraire la valeur et le respect des biens publics de façon générale, il est loisible de penser que les chiottes de camping ne seront pas dégueulasses ».
Ceci ne change rien aux arguments évoqués. Le débat est « compliqué »… ben voyons… j’aurais préféré une esquisse de réponse à une attaque ad nominem. Vous êtes pour la propriété collective de quoi exactement? Je trouve ça assez imprécis.
@ Franck
Décidément, vous êtes vraiment en colère.
Je vous promets qu’il n’y aucune raison pour l’être.
Si j’ai mis un @ Franck dans mon commentaire initial c’était juste pour vous signaler que mon post faisait partie du débat que vous avez initié avec Marcus. J’ai juste signalé à deux personnes que je rentrais dans la danse…
Je ne sais pas pourquoi vous persistez à croire que je vous aie inclut dans ma critique des propos de Paul Jorion sur le communisme. J’ai pourtant souligné la pertinence de votre propos ???
Bref. Fin de la polémique pour moi.
@ MarcusH
Si j’ai bien compris votre nouvelle définition du « communisme », c’est « communisme au sens large », y compris anarchisme et socialisme moins les abus (= ce qu’on appelle généralement « communisme »). Oui, on aura du mal à s’entendre. Surtout si vous ajoutez sur un ton indigné : « Comment, vous rejetez l’autogestion ? »
@ moi
Vous avez tort… rien de matérialiste là dedans.
Je vous rappelle que les indices 16, etc sont un indice des biens premiers, qui NE SONT PAS réductibles à des biens matériels, et incluent
– la santé
– le temps
– le respect de soi entre autres choses…
– les libertés fondamentales
– les critères d’égalité des chances etc etc…
Ce n’est que dans les interprétations vulgaire que seule la perspective matérielle est prise en compte. Il faudrait arrêter de dire n’importe quoi.
Par ailleurs on peut très bien se passer de cette hypothèse de la PO pour justifier les principes de justice.
Ce n’est pas du tout un dilemme. L’argumentation rigoureuse ne peut pas être fournie sur ce blog, c’est pour cela que j’ai présenté le problème sous cette forme – de manière impropre certes. Encore une fois le format du blog, comme dit Paul, a ses limites.
Dans un premeir temps on se demande quel devrait être le point de départ d’une réflexion sur la justice par des citoyens qui sont considèrent comme libres et egaux?
Comment devraient-ils arbitrer entre les différents principes de répartition fournis par la tradition et à venir s’ils prennent leur statut au sérieux?
Et c’est seulement dans ce contexte argumentatif qu’on en vient à poser le problème sous cet angle. Mais ce n’est nullement un « dilemne ». C’est un procédé heuristique de représentation d’un idéal politique et moral. Et le dilemne si dilemne il y a ne porte pas du tout sur les deux alternatives, mais sur la meilleure manière d établir les principes que des citoyens qui se considèrent comme des peronnes libres et egales devraient adopter pour orienter leur décision de la manière la plus équitable possible.
Vous vous méprenez complètement sur l’argument de Dworkin également.
et les grands beaux jeunes et en bonne santé, vous trouvez ça juste ?
jeux des citations :
« savoir qu’il y a des gens plus riche que moi m’indiffère profondemment » : crésus ou job ?
« moi, les garnds je les coupe en deux et les petits je les rallonge » paul preboist ou pol pot ?
@ Antoine
ai-je dit que Chomsky était de la classe d’un tel ou un tel ? Si l’on classe les penseurs de ces 2 derniers millénaires, il n’est pas évident, je vous l’accorde que Chomsky arrive dans le top 10. Mais c’est quoi cet ostracisme intellectuel ? Chomsky a l’avantage d’être très accessible, didactique, de s’en tenir au simple bon sens, d’écarter cette complexité bien artificielle qui bloque la compréhension collective des choses publiques telle que la monnaie. Il ne s’abandonne pas lui, dans un style des plus pédants, qui ampoule son style, pour le simple bonheur d’en être, de la classe des grands.
Avez déjà entendu la pseudo intelligentsia française forcée de reconnaître que Chomsky se range parmi les grands penseurs contemporains ? Que vous ne soyez pas d’accord avec ses idées n’est pas une raison pour botter en touche en le comparant aux vrais grands.
Sur le principe de subsidiarité, je vous accorde que je vous donne l’approche institutionnelle qui prévaut non seulement au niveau national mais aussi au niveau européen. C’est le fonctionnaire qui parle…Pour Aristote, l’approche est plus libérale : cela consiste à laisser faire la personne et les communautés, considérant que chacun est apte à gouverner sa propre vie en raison de la souveraineté de la personne.
sur représentation et participation: je ne vois toujours pas pourquoi, n’en déplaise à Habermas donc, il faudrait absolument y voir une contradiction. Peut-être cette contradiction n’est-elle que contextuelle dans son esprit ?
@ Moi
je visais l’éducation nationale bien sûr et non l’éducation parentale, forcément très hétérogène et donc moins aisément caractérisable
@ Paul Jorion
Je vous l’ai dit dans mon 1er message, il s’agissait d’une colère gentillette : je me suis fendu d’une petite « provocation » en revenant à tout ce que le communisme devait intégrer de mouvements. Il n ‘y a pas de raison de céder à la logique sémantique discriminante des grands médias. L’Einstein de la linguistique (encore une provoc pour Antoine…:) ) vous le dira. Donc, oui, j’entendais communisme au sens large mais j’ai bien précisé dans mon tout 1er message que vous n’aviez peut-être fait qu’un raccourci hâtif. C’est en vous voyant poursuivre dans cette voie, sans relever sur les dynamiques d’autogestion et tout ce qui va avec (alors que je les avais évoquées explicitement à 2 reprises) que j’ai commencé à m’inquiéter.
@ Crystal
« Décidément, vous êtes vraiment en colère. Je vous promets qu’il n’y aucune raison pour l’être. »
Mais non pas du tout je vous assure, c’est sincère croyez moi, je reconnais même qu’il m’arrive parfois d’écorcher mes commentaires alors vous voyez je n’ai aucune raison de l’être, allez on se fait la bise ?
Paul Jorion dit :
6 avril 2009 à 16:03
et, ne pouvant commenter, faute de temps, tous les messages, au moins ceux qui se trouvent après ce message de Paul jusqu’à celui-ci.
Les chipoteries sur le communisme et/ou le fascisme sont toujours très peu explicatives pour ne pas dire « ennuyeuses ».
Depuis plus ou moins deux siècles et demi, c’est le « capitalisme » qui est le « père » de toutes « choses » (y compris, bien sûr du fascisme et du communisme, entre autres l’Union soviétique du temps de Staline qui remboursait convenablement ses dettes à la City de Londres à raison de 8% d’intérêt, par exemple en 1938). Le capitalisme, surtout le capitalisme financier, est le « père » de la démocratie politique, mais, chose curieuse, il semble « craindre » par dessus tout la démocratie économique… Il « veut bien » de la démocratie politique qui l’arrange beaucoup et au delà, mais foin de la démocratie économique! Démocratie économique? Surtout pas!
En tout premier lieu, le capitalisme est le « père » de la démocratie dont l’Angleterre (pays banquier, bailleur de fonds mondial) a été la première dans le monde dit moderne à se « parer ». C’est à dire qu’elle a pu se – payer la démocratie – grâce aux iimportantes ressources que lui procurait encore à cette époque son immense empire colonial où l’Angleterre faisait suer le burnous, et tirait alors des revenus énormes de son empire. La démocratie « moderne » vient de là. Et, par le biais de la mondialisation, le -buttoir -, lui aussi, est là à présent.
Il y aurait donc eu tout ceci pour simplement déboucher sur « World’s Madoff and Co »? Et nous tous penauds là autour?
Si le fascisme (et consorts) et le communisme rivalisèrent dans le meurtre, rien ne peut rivaliser avec leur père le capitalisme financier et global: voir le 23ème message de ce billet du 12 mars 2009 (Rumno à 12 mars à 22h07)
http://www.pauljorion.com/blog/?p=2270
Nous sommes, en principe, devenus majeurs et responsables et pouvons nous écarter résolument de tous ces shémas, car des solutions existent et elles seules demandent notre mobilisation.
à Cécile,
Je sais bien à quel point les loyers pèsent sur les budgets!
En régime de monnaie fondante, les choses changeraient sensiblement. Comment exposer cela?
Une maison destinée à être louée doit rapporter à son propriétaire les intérêts de son capital et, en plus, les frais d’entretien.
On peut évaluer ces coûts à environ 5% annuels ou plus.
Autrement dit, une maison se capitalise à environ 20 fois le loyer annuel.
Mais si on augmente les salaires pour la part de la rente du capital qui ne serait plus confisquée par la rente monétaire, les revenus des propriétaires baissent d’autant, c’est-à-dire d’environ 3%.
Cela paraît peu dans un premier temps.
En même temps, les taux d’emprunt baisseront très sensiblement, et le nombre de personnes qui redeviennent solvables et capables de faire construire leur propre maison augmentera sensiblement.
A cemoment-là, la pénurie de logements à louer diminuera d’autant, et, par le jeu de l’offre et de la demande, les loyer baisseraient rapidement.
D’autre part, il faudrait, à mon avis, appliquer aux maisons inoccupées une taxe proche à celle des maisons occupées, ce qui aurait pour effet d’augmenter l’offre de location (10% des logements susceptibles d’être loués sont actuelleent noccupés, donc pas « là », simplement parce que le fait de laisser inoccupés ces logements ne coûte pas assez cher!).
Si on appliquait aux logements vides la même taxe, incluse dans l’impôt sur le revenu, qu’aux logements loués, il est probable queces logements seront soit proposées à la location ou vendus. Les deux cas contribueront à la détete du marché immobilier.
J’avoue que ces points nécessiteraient davantage de développements, mais vous avez des idées?
En tout cas, merci pour vos encouragemets!
Si vous le souhaitez, je vous enverrai un exemplaire de l’ordre économique naturel de Silvio Gesell si vous ne l’avaez pas déjà, à mes frais et gratis, écriez à mon mail et donnez moi tre adresse postale:
Johannes.finckh@wanadoo.fr
@ Paul Jorion
+1 pour votre billet gesell III et +1 pour l’eclaircissement du « désespoir ».
hors sujet (ou presque) : la règle des 3 tiers concernant le partage des richesses de l’entreprise :
moi, je veux être employé de Total, car à la sncf ou chez air france (et dans la grande majorité des entreprises) y a pas grand chose à partager !
quelle est la justice là dedans ?
le hasard de travailler dans une pompe à fric ou pas ?
@antoine: « Ce n’est que dans les interprétations vulgaire que seule la perspective matérielle est prise en compte. Il faudrait arrêter de dire n’importe quoi. »
Bon, ok, j’ai été inutilement et erronément méprisant avec ce domaine de recherche. Je m’en excuse. C’est sans doute l’effet « forum » qui m’a emporté et amené à répondre à la va-vite avant d’avoir lu et compris.
« Vous vous méprenez complètement sur l’argument de Dworkin également. »
Mea culpa bis.
Reprenons donc votre réponse de départ, je vais essayer d’y répondre plus intelligemment.
« Voici le choix que dicte la justice comme impartialité: la maximisation du sort des plus pauvres (Et c’est à la façon dont une civilisation s’occupe des ses pauvres que l’on évalue sa grandeur). »
Deux choses à dire ici:
– j’aime l’idée de maximisation du sort des plus pauvres mais encore faut-il inclure l’envie dans ce calcul. Cela m’amène à pondérer beaucoup plus l’égalité des ressources. (cela est-il d’ailleurs pris en compte dans l’indice des biens premiers?)
– je ne pense pas que la grandeur d’une civilisation se mesure au sort de ses pauvres, sauf à avoir une mesure très particulière. Cela me déplaît parfois de le constater mais c’est ainsi. Une civilisation se mesure habituellement à ses réalisations (militaires, artistiques, intellectuelles).
@ Johannes Finckh
A propos de Gesell, deux choses. La première : on rapporte toujours que Keynes avait une opinion très favorable de sa proposition de monnaie « fondante » mais on oublie de dire qu’il avait aussi une objection qu’il jugeait fondamentale :
Si l’on veut que la monnaie fondante soit acceptée, il faut répondre aussi à cette objection.
Deuxième chose : votre analyse du problème, les termes que vous employez et la problématique, sont « quasi-marxistes ». Pourquoi écarter alors la solution politique que celui-ci propose : éliminer l’organisation de la société en capitalistes, patrons, travailleurs, pour lui préférer une réforme de la monnaie qui résoudra peut–être la question de la concentration des richesses, mais uniquement de manière « asymptotique », par une longue érosion du pouvoir des rentiers ? Et comme ces derniers disposent de l’argent, ils disposeront automatiquement aussi des moyens de se défendre durant cette période de transition de durée indéterminée.
@antoine: j’ajouterai qu’il est inutile de se lancer dans des disputes si nous sommes tous deux d’accord pour dire que la justice passe par une plus grande égalité (qu’actuellement). Je ne tiens pas l’égalité parfaite comme possible, il me suffit que l’on tende vers elle.
ne faudrait il pas rechercher l’équité plutôt que l’égalité ?
@ Crystal
Vous semblez défendre avec beaucoup d’intérêt les idées initiales de Marx, soit c’est tout à votre honneur dans votre objet de le réhabiliter. Mais n’avez vous pas l’impression quand même de lui accorder beaucoup de place, pourquoi devrions nous toujours nous sentir obligé d’appartenir à une certaine littérature de penser, de fonctionner en société ?
Je m’interroge, puis-je vraiment faire le bien de l’autre si je lui parle continuellement du grand capital à travers les idées initiales de Marx ? Le vocabulaire de Marx ne serait-il pas également un peu préjudiciable pour l’esprit de l’homme, lorsque nous nous montrons toujours si peu capable de nous défaire du vocabulaire du grand capital ? Tout cela me gène un peu, quand bien même pour les meilleures intentions communes ou individuelles. Quand viendra-t-il ce jour ou nous commencerons à changer réellement de vocabulaire en société ? A quand des idées fondantes dans nos esprits ce serait tellement mieux vous ne croyez pas, nous en sommes hélas encore tant prisonniers, conditionnés partout, en sommes nous néanmoins bien conscient ? La grande peur du capital entretenant continuellement la grande peur du communisme ? Pensez-vous qu’un capitaliste pur et dur irez voir ce qu’il y a de bon chez un socialiste ? pensez-vous qu’un socialiste pur et dur irez-voir ce qu’il y a de bon chez un capitaliste, mais non nous préférons continuellement l’emporter les premiers sur les autres, quel grand malheur pour l’homme.
@Paul Jorion
En ce qui concerne l’objection de Keynes:
« Il n’avait pas compris en particulier que la monnaie n’est pas la seule richesse assortie d’une prime de liquidité, qu’il n’y a qu’une différence de degré entre elle et beaucoup d’autres articles, et qu’elle tire son importance du fait qu’elle a une prime de liquidité plus forte qu’aucun autre article. Si les billets en circulation devaient être privés de leur prime de liquidité, toute une série de succédanés viendraient prendre leur place, monnaie de banque, créances à vue, monnaies étrangères, pierreries, métaux précieux en général, etc. John Maynard Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) : 177.
Des geselliens y ont répondu, mais leur littérature diffuse peu.
En fait, Gesell y répond d’avance en quelque sorte.
Gesell ne refuse asolument pas l’accumulation des richesses non liquides. Il me semble que les trésors, même en or massif, les tableaux, et plus largement la « monnaie de banque » (l’épargne), ne sauraient être une réelle objection au fonctionnement de la monnaie fondante. leur « degré de liquidité n’a pas grand chose en commun avec le « degré de liquidité » de la monnaie, n’en déplaise à Keynes. Quant au devises, leur accumulation poserait peut-être un problème pour le pays étranger qui se trouverait privé de liquidités, mais ce pays devra alors (peut-être?) répondre à son topur avec de la monnie fondante…
Comment le dire encore, ce qui compte c’est que la monnaie, l’échangeur universel, ne soit jamais au repos, et nous aurons toujours une conjoncture active où la demande sera placée à égalité avec l’offre. A cet égard, des richesses non monétaires ne constituent en rien un obstacle. Les créances à vue non plus, car elles sont dues à échéance, et, dans l’intervalle, c’est l’emprunteur qui fait usage de la monnaie prêtée. Rien de ce que dit Keynes ne saurait fait obstacle à la circulation effective de la monnaie fondante!
La deuxième objection me semble beaucoup plus séerieuse et inquiétante en effet!
Les richesses accumulées en peu de mains sont devenus effectivement extrêmes. Là, je ne sais pas trop répondre, sauf qu’il faudrait sans doute s’attaquer aussi aux droits de succession et rétablir une meilleure prohgressivité de l’impôt sur le revenu. Un consensus majoritaire pour une meilleure redistribution des richesses existantes, y compris fonières, devrait néanmoins être possible, dès que chacun sera assuré de pouvoir vivre de son travail (et non de ses rentes ou des aides sociales), choses à portée de main avec la monnaie fondante.
Cela ne poura alors qu’accélerer la réduction des richesses des plus riches, dans un but de plus grande justice sociale, je suis preneur!
Mais tout cela me semble plus facilement réalisable en régime de monnaie fondante, régime qui s’attaque en effet au « processus d’accumulation primitive du capital » pour employer du vocabulaire marxiste. Si les marxistes pouvaient marcher avec les geselliens en vue d’une meilleure justice sociale, ok.
Mais je récuse la « révolution », surtout si elle se veut violente, pour moi, cela n’a pas de sens! Je récuse aussi ue l’on s’attaque à la liberté d’entreprendre ou que l’on nous l’aberration d’une économie planifiée d’en haut!
Merci beaucoup de m’avoir donné l’occasion de cet échange!
La monnaie fondante : idée géniale ou aporie ? Vraiment j’hésite.
@ Crystal, MarcusH
Me relisant, je me rends compte que j’ai pu donner l’impression de vouloir décourager toute discussion sur le communisme de type soviétique. Ce n’était pas mon intention, je suis aller mettre mes idées au clair et voici ce que j’aimerais dire.
Rien dans l’organisation des sociétés capitalistes, mises à part les politiques fiscales, ne vise spécifiquement à faire en sorte qu’une redistribution homogène de l’argent ait lieu de manière constante et comme l’aboutissement d’un principe visant ce but. La tentative de remédier à cette situation qui eut lieu au XXe siècle, sous le nom de communisme, et des formes mineures en survivent au XXIe siècle dans des poches comme Cuba, la Corée du Nord ou le Népal. Le fait que ceux qui furent les grands pays communistes se soient tournés au XXIe siècle, soit vers des formes bâtardes comme la Chine, ou l’aient abandonné purement en simplement comme la Russie, a conduit à voir dans son effondrement ultime une raison majeure pour le disqualifier comme modèle de société. Le fait qu’en ce moment-même le capitalisme se délite lui aussi d’une manière qui n’est pas sans rappeler l’effondrement du communisme soviétique, oblige à réexaminer celui-ci sous un jour peut-être plus favorable en vue d’un tri au sein de cette expérience visant à séparer le négatif – dont les aspects furent malheureusement très évidents – d’un positif éventuel – certainement plus difficile à déceler.
L’analyse des éventuels bienfaits qu’on peut attendre du marxisme léninisme peut par exemple être menée à travers d’autres sociétés comme la société cubaine où, au delà d’un manque criant de liberté, en particulier sur le plan politique, il y a de nombreux aspects intéressants à relever notamment en matière de santé et d’éducation.
Mais quoiqu’il en soit, je milite avant tout pour une prise en charge citoyenne de la chose publique beaucoup plus importante et rejette à ce titre toutes les formes de gouvernement dans lesquelles une élite largement déconnectée du monde réel décide de tout et pour tous. C’est ça qui me paraît dangereux en définitive.
C’est donc plutôt le débat sur l’instauration progressive d’une participation citoyenne réelle (je veux dire portant sur des sujets autrement plus importants que l’emplacement des toilettes publiques par exemple) dans les systèmes parlementaires qui m’intéresse.
@ MarcusH
« L’analyse des éventuels bienfaits qu’on peut attendre du marxisme léninisme peut par exemple être menée à travers d’autres sociétés comme la société cubaine où, au delà d’un manque criant de liberté, en particulier sur le plan politique, il y a de nombreux aspects intéressants à relever notamment en matière de santé et d’éducation. »
Franchement, toute chose égale par ailleurs, si vous voulez être soigné, vous préférez le modèle cubain ou le nôtre (aussi imparfait soi-il?) Je ne vois pas ce qu’apporte Marx sur ces questions… Walzer et Sandel me semblent ici tellement plus intéressants (« Spheres of justice »)
Toutes les sociétés d’inspiration communiste sont des sociétés policières. Ce n’est pas un hasard. Ceci est inscrit dans ses gènes, comme l’avait très bien vu Proudhon. Il y a là un rapport direct de cause à effet (dès qu’on commence à vouloir « changer l’homme »).
Les termes « citoyens » et « chose publique » renvoient à une manière de comprendre le domaine des affaires humaines qui relève du rationalisme classique, anti-hobbesien, anti-hegelien et par conséquent radicalement anti-marxiste.
En caricaturant à peine on pourrait dire: les marxistes n’en ont que pour le travailleur, les libéraux que pour l’individu et les démocrate et/ou républicain/humanistes civiques n’en ont que pour le « citoyen ».
Marx (comme Weber) a une vision conflictuelle de la société. On ne bâtit pas une cité juste là dessus. Je préfère de loin une approche de type durkheimienne, qui constitue une bien meilleure base sur le plan normatif. Dans une vision fondée sur la prévalence des rapports de force la coopération a toujours la portion congrue.
« Mais quoiqu’il en soit, je milite avant tout pour une prise en charge citoyenne de la chose publique beaucoup plus importante et rejette à ce titre toutes les formes de gouvernement dans lesquelles une élite largement déconnectée du monde réel décide de tout et pour tous. C’est ça qui me paraît dangereux en définitive.
C’est donc plutôt le débat sur l’instauration progressive d’une participation citoyenne réelle (je veux dire portant sur des sujets autrement plus importants que l’emplacement des toilettes publiques par exemple) dans les systèmes parlementaires qui m’intéresse. »
OK pour ça.
Mais la vérité c’est que les « citoyens » dans leur immense majorité s’en foutent complètement… avant de venir pleurer parce-qu’ils ont tout perdu.
@ Moi
Je vous prie de bien vouloir m’excuser. En me relisant je me rend compte que quelque chose ne va pas dans le ton de ma réponse.
Pour ma part tendre à l’équité serait bien suffisant 🙂
Par ailleurs, je me sens proche de Walzer. Tant que X qui gagne n fois plus que moi ne peut en tirer aucun avantage électoral en terme d’influence, médical en terme de soin, du point de vue de l’égalité des chances pour ses enfants, etc etc, l’essentiel est préservé. C’est quand le fait de posséder une chose (par exemple l’argent dans une société capitaliste, mais ca pourrait être n’importe quoi d’autre dans d’autres sociétés, comme le pouvoir militaire ou le pouvoir politique de l’apparatchik ou le pouvoir religieux) permet de posséder toutes les autres, et de violer les règles de distributions de ces autres choses dans leur sphère propre qu’il y a véritablement problème.(l’influence politique doit être distribuée de manière égalitaire, les soins doivent aller en priorité aux malades, les postes doivent être attribués aux plus compétents etc etc…) C’est ce qu’on appelle « la théorie de l’égalité complexe », d’inspiration communautarienne, qui se veut anti-marxiste et anti-libérale. Le but est « seulement » de garantir l’étanchéité et la non-violabilité des sphères de justice.
Cette approche, quoiqu’ exposée à de nombreuses critiques (comment savoir comment tel ou tel bien devrait être distribué sans une idée de sa signification sociale, et qui fixe la sigbnification sociale des biens? Il est clair que ceci repose sur une forme de culturalisme… qui pose problème dans une société démocratique marquée par le fait du pluralisme. En outre, quid des biens qui appartiennent simultanément à plusieurs sphères?), vaut à mon sens la peine d’être approfondie.