Billet invité. Ce que nous écrivons n’est en général pas très révolutionnaire, ceci l’est. Aussi, soyons poppériens : réfléchissons aux conséquences positives d’une telle réforme mais aussi, et peut-être surtout, à ses éventuelles conséquences négatives.
L’Homme et le chimpanzé partagent 99% de leur code génétique respectif, mais savez-vous que nous avons également 70% de notre génome en commun avec… l’oursin violet ? Nous ressemblons physiquement au chimpanzé et avons avec lui de nombreux traits de comportement en commun. Les réalisations humaines – tant culturelles que technologiques – sont cependant extraordinairement plus réfléchies, complexes et abouties que celles de notre plus proche cousin, sans parler de l’oursin violet… Cela pour souligner que le génome définit les modalités de construction et d’ordonnancement d’un individu, et que de très légères transformations de ce code peuvent induire des changements considérables entre les êtres vivants.
Un système économique peut par certains aspects être comparé à un organisme vivant, dont le génome serait représenté par ses normes comptables, lesquelles ne sont rien d’autre que des modalités de calcul et d’ordonnancement de la valeur des choses. D’infimes modifications dans ces modalités de calcul peuvent induire des changements considérables dans la philosophie du système économique qu’elles définissent. Quel que soit le système qui verra le jour après la grande crise de transition où nous nous trouvons, il sera lui aussi doté de normes comptables, lesquelles ne diffèreront en apparence que fort peu de celles que nous utilisons aujourd’hui.
Je vais donc vous proposer aujourd’hui d’appliquer une thérapie génique au capitalisme, légère en apparence, mais en réalité si profonde qu’elle devrait conduire à donner un autre nom au nouveau système économique qui en résultera.
Notre actualité socio-économique des 30 dernières années a été remplie par les annonces de plans sociaux, de « licenciements boursiers » attribués au « capitalisme sauvage » . Nous avons vécu la compression de la masse salariale érigée en vertu, et les salariés en surnombre qualifiés de « mauvaise graisse », merci pour eux…
Nous sommes humainement révoltés de voir le peu de cas qui est fait des salariés dans les entreprises où l’actionnariat a acquis un poids trop grand. Pourtant les actionnaires qui poussent à licencier ne sont pas des monstres : ils aiment leurs enfants, sont appréciés de leur voisins, participent à des œuvres charitables… comme vous et moi. Pourquoi donc sont-ils conduits à se comporter de la sorte, dès lors qu’il s’agit de parler de l’entreprise ? Non pas parce que c’est dans leur nature, mais parce que c’est inscrit dans les gènes du capitalisme.
Réduire la masse salariale est le moyen le plus rapide d’améliorer la valeur comptable d’une entreprise, tout simplement parce que les salariés n’y ont pas de valeur, au sens qu’ils ne sont pas comptabilisés autrement que comme une charge. Si vous prenez les comptes publiés de n’importe quelle société, cherchez-y les salariés. Vous ne les trouverez pas à l’actif ou au passif du bilan, mais uniquement en tant que salaires dans le compte de résultats, parmi les charges, aux côtés des achats de matières premières et des fournitures de bureau.
En licenciant des salariés on réduit aussitôt les charges tandis que les recettes, au moins dans un premier temps, se maintiennent. Le résultat brut et donc le bénéfice a alors été amélioré, sans impact sur la valeur des actifs. L’actionnaire est alors satisfait, puisque son capital n’a pas été entamé d’une part, la rentabilité de celui-ci accrue d’autre part.
Naturellement, nous savons bien que la richesse d’une entreprise, ce sont avant tout les hommes et les femmes qui la composent avec leur savoir-faire, que les salariés sont avant tout une source de profit, car leur travail est supposé rapporter plus que le coût de leur salaire. Nous savons également qu’une politique perpétuelle de réduction des coûts salariaux mène, en général, à la faillite, la baisse de qualité du service faisant fuir les clients.
Il m’est donc venu une idée relativement simple destinée à corriger cette part défectueuse du génome capitaliste :
Donnons une valeur comptable à chaque contrat de travail passé entre l’employeur et son salarié, et inscrivons cette valeur à l’actif du bilan.
La valeur d’un contrat de travail pourrait être déterminée sur la base du salaire annuel, du niveau de formation acquis dans et hors de l’entreprise, de l’âge du salarié et de son ancienneté professionnelle, du niveau de responsabilités exercées… toutes règles restant naturellement encore à définir.
Sans pour l’instant s’attarder sur ces modalités de calcul, quelles seraient les conséquences de l’introduction d’une telle mesure ?
1) juridiquement, le contrat de travail deviendrait la propriété de l’employeur :
– l’employeur aurait la faculté de le céder à un tiers moyennant finance ;
– le salarié conserverait la faculté de rompre (il ne s’agit pas de restaurer l’esclavage !), et il faudrait prévoir des protections à son égard afin que l’employeur ne puisse exiger d’être indemnisé, hors cas très particuliers ;
2) comptablement, les fonds propres des entreprises se trouveraient renforcés :
– nous avons là une manière de recapitaliser des entreprises mises à mal par les ponctions exercées ces dernières années par des exigences de rendement intenables ;
– perdre un salarié par démission, licenciement ou décès, reviendrait à perdre une valeur d’actif et affaiblir les fonds propres ;
3) moralement, la relation salarié / employeur serait bouleversée :
– le contrat de travail devenant un patrimoine de l’entreprise, celle-ci serait encouragée à « en prendre soin » et à fidéliser ses salariés au moyen de salaires convenables, de formations valorisantes, d’un cadre de travail attractif, de responsabilités accrues …
– en cas de nécessité de réduire les effectifs, l’entreprise aurait la faculté de vendre une partie de ses contrats de travail à d’autres employeurs, à la manière d’une cession d’actifs. Le système d’assurance-chômage n’interviendrait que si le contrat de travail du salarié ne trouvait pas preneur.
Le diable est dans les détails et il est certainement un grand nombre de conséquences utiles ou nuisibles de cette proposition que je n’entrevois pas. Je vous la soumets néanmoins et attends vos commentaires avec appréhension. On ne s’improvise pas sans risque apprenti-sorcier de la génétique économique.
Puisque les mots ont un sens, mettre ainsi l’Homme au cœur de la valeur économique, au lieu du seul Capital, reviendrait à rebaptiser le Capitalisme en Humanisme.
75 réponses à “Une thérapie génique pour humaniser le capitalisme, par Hervé de Bressy”
[…] : Paul Jorion m’a fait l’honneur de publier ce billet sous forme de “billet invité”. […]
Vous évoquez ce qu’on appelle le good will. Très difficile à évaluer, encore plus pour les dirigeants d’entreprise dont les responsabilités les amènent à des pratiques dictatoriales envers leurs salariés.
Le problème de fond est qu’il n’y a pas de réels contre pouvoirs à ce type de dictature.
Donc pas de dialogue réel. Les comités d’entreprise, les chsct, la médecine du travail, les syndicats ne sont que des paravents symboliques sans réelle efficacité de régulation au sein de l’entreprise, tout juste restent les prudhommes avec tout ce que ça coute en énergie et argent pour se défendre.
Tant qu’il n’y aura pas de réel dialogue social, rien de fonctionnera et tout continuera de dériver.
Inventer des nouvelles chimères n’avance pas à grand chose me semble t il.
Depuis des mois je surveille de multiples blogs en ayant l’espoir que l’homme profitera de cette crise pour faire emerger de nouvelles idées qui ne seront pas des utopies.
Et votre idée est la première qui me semble pouvoir donner cet espoir.
Il va falloir de nombreuses idées pour qu’un système complet soit mis en place qui remette l’homme et la nature au coeur de l’économie, et j’espère sincérement que votre idée en fera partie.
PS: en fait votre idée n’est pas tout à fait la première que je vois qui ait un réel potentiel. J’ai trouvé aussi un site (je ne me souviens plus de son nom) qui expliquait que la comptabilité devrait prendre en compte aussi les ressources naturelles détruites et la pollution engendrée. Mais cette idée était présentée comme « irréaliste », alors que pourtant elle me semble aussi pleine de bon sens.
C’est Pareto qui avait initié la prise en compte de la nature sous l’appellation d’externalités.
Je pense que l’idée principale est courageuse, mais il me semble que pour instaurer de telle règles. Il est nécessaire que ceux qui seront ammené a les appliquer le feront en connaossance de cause. Donc étant donné que les responsables sont, souvent, incaple de faire le travail de leur subordonné. J’ais du mal a conprendre comme il serit a même de donner une valeur a des compétences qui lui sont inconnu. Donc je pense qu’un telle système serait vite transformer en esclavage, mais c’est d’ailleurs le cas des contrat de travail qui vous interdissent d’exercer vos connaissances dans une autre entreprise. Rien de nouveau sous le soleil.
Par contre, la comparaison avec le génome reste interressante si ont compare la resistance aux changement du génome, qui ne se modifie que sur le long terme ou par une modification artificiallement nocive de son envoronement (pollution, radiation). Ont se rends compte que pour modifier le génome il faut le manipuler en profondeur. Il en est de même de notre système économiue est autre.
Par contre je pense sincerement que le changement passera obligatoirement par une modification de conscience de l’être humain. Si il doit souffrir pour savoir apprécier le bonheur ont est pas sortie de l’auberge.
Pourra-t-on coter les contrats ? Les titriser, les assurer et vendre à découvert ? 🙂
L’intégration des externalités dans la comptabilité de l’entreprise est je crois une nécessité : ressources naturelles détruites, pollution, mais aussi coût social. Par exemple, des actionnaires ne pourraient pas prendre la décision de délocaliser si leur calcul de rentabilité incluait également les salaires versés, qui sont aussi une richesse. Malheureusement, je ne vois pas comment une charge pour l’entreprise (qui est un actif pour le salarié) peut devenir un actif sans changer le rapport à la propriété. Seul le salarié lui-même actionnaire fera l’addition de son salaire et de ses dividendes avant de prendre toute décision économique. Je propose ainsi la modification « génétique » suivante (qui est sans impact sur les charges de l’entreprise) : chaque année, 1% des actions non détenues par des salariés sont transférées aux salariés (éventuellement au prorata des salaires).
Votre idée n’est pas si neuve! Je pense que les clubs de foot fonctionnent déja comme cela!
Franchement, je n’ai pas trop envie de me retrouver du jour au lendemain vendu à une entreprise située de l’autre coté de l’Europe. Le système actuel offrant une indemnisation en cas de licenciement me convient mieux. De fait, cette indemnisation correspond déja à la valeur de l’employé.
En référence à un acteur dont Paul a mentionné le décès sur le blog,
JE NE SUIS PAS UN NUMERO.
Hmmm l’intention est louable, je la comprends.
mais le résultat est désastreux.
Il y a tellement à dire, mais je devais faire court.
Je n’ose même pas commenter la fin où l’on qualifie d’humanisme ce…système.
La fin du capitalisme … et sa reprise puissance X 🙁
2Casa Wins
Idée intéressante, de prime abord moralement plus satisfaisante que le système actuel, mais qui me semble receler au moins un effet pervers majeur: La tentation pour une entreprise de gonfler artificiellement son bilan en recrutant des personnes dont elle n’a pas besoin.
Certes, une telle règle offrirait sans doute une voie royale à l’enrayement du chômage, une situation de confort non-négligeable pour l’employé face à son employeur, comme sans doute personne n’en a jamais connu, pas même durant les 30 glorieuses, mais d’un autre côté c’est un risque important de gaspillage de savoir faire (je n’irais pas jusqu’à parler de gaspillage de la ressource humaine, j’aurais l’impression de parler de quartiers de viande).
D’un côté des entreprises draineraient un maximum de nouveaux employés pour étoffer leur bilan donc, mais cela veut dire également que d’un autre côté, d’autres entreprises manqueraient de cette main d’œuvre, nécessaire à la poursuite de leur activité.
La problématique sous-jacente ici étant bien entendu la nature compétitive du marché. Déplacer le lieu de la compétition n’en change pas la nature.
Cette critique étant posée, j’avoue, en tant que chômeur de longue durée, que l’idée que des employeurs s’arrachent ma chemise n’est pas pour me déplaire, mais tout de même. 🙂
Autre point, concernant les modalités de calcul sur lesquelles vous ne souhaitez pas vous attarder, qui me paraissent pourtant fondamentales:
Pourquoi les salariés d’une entreprise ne sont-ils comptabilisés que comme charge? Peut-être parce que leur apport en valeur ajoutée pour l’entreprise, même si réelle, est difficilement quantifiable. Par exemple, le salaire annuel apparaissant déjà dans le résultat de l’exercice, l’intégrer en parallèle à l’actif de l’entreprise n’amènerait rien: x – x = 0 quel que soit x. Resteraient de toute façon les charges sociales au passif, ce qui donnerait x – (x + n) = -n. Le salarié resterait donc un coût dans ce cas de figure.
Faudrait-il alors donner une valeur à la formation du salarié? Compliqué, d’autant plus si comme moi vous avez un regard quelque peu désabusé sur la qualité de la formation (du moins en France).
D’expérience, je sais que d’une part, l’obtention d’une qualification ne reflète pas nécessairement la compétence réelle de la personne: Pour être très précis, je connais des personnes ayant obtenu une qualification d’analyste-programmeur, qui ne savent pourtant pas utiliser une boucle à bon escient (ceux d’entre vous qui ont des notions de programmation informatique doivent à la lecture de ces lignes avoir les cheveux qui se dressent sur la tête… Pour les autres, imaginez un comptable ne sachant pas faire d’addition ou un maçon ne sachant pas faire de ciment, c’est à peu près du même ordre).
D’autre part, il est avéré que de nombreuses formations (diplômantes et même qualifiantes) n’apportent strictement aucune « compétence pratique » (autrement dit l’expérience) à la personne fraichement « adoubée ». J’en ai moi-même fait les frais lors de mon premier contrat. C’est pourquoi tant d’entreprises adossent leurs offres d’emploi à cette restriction (x années d’expérience requise pour tel poste).
Alors? Tenter de quantifier l’expérience du salarié? Encore une fausse piste, à moins que vous n’admettiez de sacrifier encore plus les jeunes sans expérience qu’ils ne le sont déjà actuellement. C’est le cercle vicieux dans lequel je me trouve actuellement pour ma part: Pas d’expérience donc pas de boulot, pas de boulot donc pas d’expérience. En étant très optimiste, je trouverais peut-être un job avant d’être en âge de partir à la retraite… 🙂
Quel critère objectif resterait-il ensuite? Personnellement, je n’en vois plus beaucoup d’autre…
@BDphile,
Hervé de Bressy a bien précisé qu’il ne remettait pas en cause la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employé, autrement dit la démission !
A-t-on déjà vu un esclave être en capacité de démissionner ? 🙂
ce n’est pas déjà le cas des entreprises d’intérim ?
et encore de la sous traitance ?
Ken avo,
Étonnante votre question, applicable à n’importe quelle situation inacceptable: « tu peux bien signer, tu pars quand tu veux »
je n’envisageai pas les modalités de départs, qui ne présagent pas de la justesse d’un contrat.
Le revenu garanti me semble la meilleure réponse au statut du salarié actuel qui est pieds et poings liés attaché à son employeur. Si il démissionne, il n’a rien. La seule façon de sortir d’une entreprise où les conditions de travail sont devenues aberrantes, c’est le conflit et le harcèlement qui s’en suit jusqu’au licenciement pour faute ou cause réelle et sérieuse.
Seules les professions libérales et les consultants sont exempts de ces chaines héritées de l’esclavagisme.
Voilà donc une piste pour redonner une autonomie et par la même un contre pouvoir à l’actuelle
situation salariée.
@ fnur
Cela s’apparente en effet au goodwill, à cette différence que le goodwill ne s’apprécie que très ponctuellement, en général lors d’une négociation de cession. En temps normal, c’est-à-dire lorsque le goodwill pourrait être perçu comme un argument de valorisation et de défense des salariés, il n’est pas question de l’évoquer.
Ma proposition ne changera pas la nature humaine : les petits chefs à vélléités dictatoriales existeront toujours, mais ils devront tenir compte d’un rapport de forces modifié, dans lequel l’actionnaire accordera plus de valeur aux salariés, car la relation à ceux-ci via le contrat de travail sera partie intégrante du calcul de valeur du capital.
@ logique
Je ne me suis pas étendu sur les modalités de calcul de valeur du contrat de travail, car je ne crois pas disposer de toutes les compétences nécessaires. Je crois cependant que ces modalités seront très normalisées, et ne prendront en compte que des critères objectifs et vérifiables : le salaire en est un, les diplômes, l’âge et l’ancienneté, les formations dispensées en sont d’autres. Ces valorisations devront être validées par les commissaires aux comptes selon des rêgles strictes. Il n’y aura aucune place pour une quelconque appréciation au doigt mouillé du supérieur hiérarchique.
@ japp
on valorise bien à juste titre les brevets à l’actif, pourquoi pas les contrats de travail ?
@ 2casa
Intéressant car ce sont des risques potentiels à encadrer, sinon interdire :
Coter les contrats, c’est ce que les hebdomadaires vous proposent chaque automne, dans leurs numéros spéciaux « salaires des cadres ». On ne peux pas établir de marché pour un individu, mais pour une catégorie de contrats : ce qu’un employeur est prêt à débourser pour intégrer un certain type de profil.
Titriser, je ne vois pas bien comment : il ne s’agit pas de dettes mais d’actifs immatériels. Si il y a une possibilité, il faut l’interdire par le cadre règlementaire.
Assurer : absolument. L’entreprise voudra se couvrir contre des pertes d’actifs imprévisibles. Une sorte d’extension des contrats « homme-clé » déjà largement pratiqués. Rien de nouveau sous le soleil.
@ Pierre Canart
J’avais bien pensé évoquer le foot, mais j’ai supprimé ce paragraphe pour ne pas rallonger le texte. L’exemple est néanmoins intéressant, car susceptible de mettre en évidence beaucoup d’effets pervers du système. Force est de constater que la compression salariale n’a pas particulièrement sévi dans le football, bien au contraire.
Je rappelle que ce n’est pas le salarié qui est vendu, mais le contrat de travail qui le lie à l’entreprise. La loi et le droit du travail continueront naturellement d’encadrer les contrats. Il me semble évident que le contrat de travail ne pourra être transféré sans l’accord du salarié, lequel sera partie prenante à toute négociation de transfert (peut-être est-il plus judicieux de parler de co-propriété du salarié et de l’employeur sur le contrat). Pas question donc d’être transféré en Roumanie contre son gré.
@ BDphile
Dans ma vie professionnelle, je n’ai pas particulièrement eu le sentiment d’être un homme libre. Dans l’ultime épisode, j’ai relevé que la dernière image est pour montrer Patrick Mc Goohan rentrant enfin chez lui à Londres, et que sa porte s’ouvre toute seule devant lui, comme au village, et qu’il ne s’en aperçoit pas.
Le but de ce billet est de tenter d’identifier en quoi un tel système serait avantageux ou dommageable. N’hésitez donc pas à détailler vos critiques, afin de voir si elles peuvent être levées, ou bien révèlent une faille majeure. En quoi cette mesure serait-elle « désastreuse » ?
@BDphile,
Oui vous avez raison, et c’est peut-etre la différence entre l’esclavage et l’exploitation ?
@ Dissonance
Il faut savoir ce que l’on veut : le plein emploi ou bien la paupérisation d’un frange de la population exclue du marché du travail. En situation de plein emploi, il est inéluctable qu’un certain nombre de personnes soient payées à ne pas faire grand’chose, mais est-ce un mal ? C’est mieux que d’être indemnisées à ne rien faire du tout, comme cela a aussi été mon cas les 18 derniers mois…
Si cette mesure permet un retour au plein emploi par l’allègement des pressions exercés sur les salariés, je ne crois pas qu’elle mène a des sureffectifs. Il faudra bien payer les salaires, et ceux-ci ne pourront l’être que si il existe suffisamment de recettes. Rien ne sert de gonfler l’actif si c’est pour plomber le rendement. Par contre il faut envisager sérieusement les risques spéculatifs sur certaines catégories de personnel les plus demandés.
Attention ! Ne confondez pas le bilan et le compte de résultats, qui sont deux documents financiers distincts. Le compte de résultats détermine le résultat d’un exercice donné, par la différence entre les charges et les recettes de la période. Le bilan donne quant à lui une vision « patrimoniale » de l’entreprise, par l’équilibre de ses ressources et de ses emplois. Une ligne ajoutée à l’actif du bilan ne viendrait donc en aucune manière contrebalancer une charge au compte de résultats, de la même manière qu’il ne vous viendrait pas à l’idée de comptabiliser l’épargne de votre livret A dans vos revenus de l’année.
Il faudrait déterminer un mode de calcul précis pour répondre à chacune de vos objections. Je n’en ai retenu que des principes car entre l’heure à laquelle ce billet m’a été demandé et sa publication il ne s’st pas écoulé beaucoup de temps. La matière est terriblement complexe car elle demande d’établir des grilles de valorisation applicables à l’échelle au moins nationale, et plus probablement internationales. Ceci étant, je ne pense pas que vous ayiez raison en disant que les diplômes ou les formations ne sont pas des critères objectifs, sauf à admettre la vanité totale du système éducatif et de la formation professionnelle (oui, bon, je sais…).
Pour ce qui est du critère d’âge, un salarié jeune avec une formation initiale mais peu pas d’expérience n’offrirait-il pas la perspective d’une longue carrière, et donc d’une longue présence et d’une valorisation progressive dans le « portefeuille » de l’entreprise, et donc l’espoir de plus-values ? A l’inverse, un senior avec toute son ancienneté et son expérience aurait certes une forte valeur, mais aussi la perspective d’une courte carrière restant à effectuer, et donc une « sortie de portefeuille » plus rapide, et une très forte moins-value ?
@ Hervé de Bressy
A remarquer que la défense des primes que l’on entend aux USA repose sur la seule idée qu’il s’agit ainsi de s’attacher des compétences, qui risqueraient sans leur versement de quitter l’entreprise, qui perdait ainsi de sa valeur.
Somme tout, il ne s’agirait, afin d’appliquer votre intéressante proposition de modification comptable des comptes d’une entreprise, que de systématiser en faveur de tout le personnel ce principe déjà reconnu pour les cadres supérieurs
D’un mot, concernant le bilan comptable, une ligne dans l’article « bilan comptable » de Wikipédia:
« le montant du résultat de l’exercice trouvé au bilan est toujours égal au montant du résultat trouvé en compte de résultat. »
Les salaires sont donc effectivement au passif du bilan, le résultat d’exercice y figurant. Ou alors je comprends vraiment tout de travers. (Je n’exclus pas complètement cette dernière hypothèse cela dit 🙂 )
Concernant le système éducatif… En France du moins, j’ai une analyse assez singulière de la chose. En la matière, parler de vanité totale ne me paraît pas être un abus de langage. Souvenez vous de la fameuse doctrine « amener 80% d’une classe d’âge au baccalauréat » (Énoncée par Mr J. Lang lorsqu’il était au ministère de l’Éducation Nationale, si mes souvenirs sont bons).
Pour ma part, voici ce que j’entrevois dans cette funeste idée:
D’une part, fixer arbitrairement une proportion de la population pouvant obtenir un diplôme revient à ne plus prendre en compte les aptitudes réelles de la population en question, mais leur seul classement hiérarchique. Dans une population de 100 bacheliers, quel que soit le niveau de compréhension de chacun, on laisse passer les 80 mieux classés. Un exemple concret de cela, le taux de réussite au bac 2003 fut sensiblement égal à celui d’autres années, en dépit d’une longue période de manifestations lycéennes. On serait pourtant en droit de s’interroger sur l’état réel des connaissances de ce millésime, non? En tout cas, s’en enorgueillir comme les médias le firent – comme chaque année d’ailleurs – m’avait laissé pour le moins perplexe (Sur ce point, je concède toutefois ne pas avoir d’information concernant les résultats de cette promotion dans l’enseignement supérieur les années suivantes).
D’autre part, qui dit baccalauréat dit poursuite d’étude dans la majorité des cas (mêmes les bac dits professionnels y sont réduit). L’effet de bord conséquent: Surpopulation de gens sur qualifiés. Le manque de main d’œuvre actuellement se porte essentiellement sur les emplois les moins qualifiés (jusque récemment bâtiment, hôtellerie, l’aggro-industrie pour sa part cherche toujours des ouvriers à caser sur ses chaines) tandis qu’on peut observer des phénomènes assez typiques, tels que des titulaires de bac +5 confinés à un emploi de caissière en supermarché. http://caissierenofutur.over-blog.com/5-index.html (ne croyez pas que celle-ci ce soit un cas isolé)
Je n’évoquerais que très sommairement la question de la défaillance totale du système d’orientation… J’ai par exemple douloureusement découvert, un peu tard cela dit, que pour s’offrir les meilleures chances de réussite dans son cursus, les choix stratégiques s’opéraient non pas à la fin du secondaire mais à la sortie du collège, dans le choix du lycée.
Je n’évoquerais même pas le cas des « diplômes qui s’achètent » dans les instituts de formation privée, tous n’étant sans doute pas à mettre dans le même panier, et d’autant moins que la médiocrité peut également faire son lit dans des organismes tout ce qu’il y a de plus gratuits, et même adoubés par le ministère du travail (c’est du vécu là).
Bref, sur l’éducation et la formation professionnelle il y a à dire, beaucoup à dire, et de ce fait, ce critère là comme valeur comptable me semble être un des moins pertinents qui soit.
Dernier point, à propos de l’expérience, vous oubliez, sans doute involontairement, un cas de figure, pourtant non négligeable: Tous les gens sans expérience ne sont pas nécessairement jeunes. Une reconversion professionnelle peut intervenir à n’importe quel age, il n’y a pas de limite légale à cela (et c’est sans doute heureux). De ce fait, quelqu’un sans expérience n’a pas nécessairement « la perspective d’une longue carrière ».
Erratum…
« Dans une population de 100 candidats, quel que soit le niveau de compréhension de chacun, on laisse passer les 80 mieux classés. »
… et addendum
Concernant la surpopulation des gens sur-qualifiés, j’observe dans mon domaine de compétences la chose suivante: Les entreprises recherchent désormais de façon quasi systématique des ingénieurs pour faire des travaux qu’on aurait confié jadis à des techniciens. Par ailleurs, les salaires des uns et des autres sont tirés vers le bas. Ainsi, en tant que technicien, je suis supposé prétendre au smic (selon l’anpe ainsi que mon dernier employeur)…
@ Hervé
Merci d’avoir développé votre idée esquissée le 20 mars (« L’annonce de la mort du capitalisme est-elle prématurée ») et que j’avais d’ailleurs « coupé/collé » dans mon dossier « idées originales ».
Sur le fond, je suis un peu comme tout le monde : enthousiaste devant l’audace novatrice de la chose et très dubitatif sur son application pratique. C’est vrai que la norme comptable fige le salarié dans une condition tout bonnement –lâchons le mot- humiliante, celle de « charge », soit de l’éternel boulet qui empêche l’aéronef « entreprise » de prendre son envol et tourner toute seule autour des nuages comme une grand.
Maintenant, si l’on veut absolument résoudre le problème par le plan comptable, j’éprouve personnellement beaucoup de difficulté à trouver une classe qui me conviendrait mieux, même en virant de bord à l’actif. Quitter la casquette de « charge » pour me fondre dans les emplois quelque part entre les murs, le mobilier et les stocks de matières, m’invitent quand même à la prudence. L’objection de l’analogie avec le joueur de foot n’est pas mal vue, tant il est évident que tous les employés polyvalents ne sauraient connaître l’heureuse fortune d’un Zidane.
La revalorisation de la condition du salarié n’échappera pas à un traitement puissamment MORAL, et il n’y a pas beaucoup de réflexion morale dans les jeux binaires du plan comptable.
Il vaudrait mieux à mon avis développer une véritable « clause de conscience » du salarié, laquelle lui donnerait le droit, contre indemnité, de ne pas être d’accord avec la stratégie de gestion de son entreprise (à décortiquer bien sûr, tant la matière ouverte par cette formulation peut sembler vaste).
Il y aurait là véritablement moyen de redonner de l’autonomie au salarié, tout en épargnant « l’Imperium » de l’employeur, qui resterait maître d’embaucher quiconque lui convient. Une telle mesure obligerait aussi ce dernier à associer plus étroitement à son entreprise le salarié qu’il tiendrait particulièrement à conserver.
Pardon pour les fautes, j’ai le coup de barre…
Erratum 2…
C’était J.P. Chevènement l’auteur de « 80% d’une classe d’age au bac », en 1985, et non pas J. Lang, au temps pour moi.
… et addendum 2
A noter que l’année dernière, la ministre de l’Education Nationale V. Pécresse décidait de reprendre cette idée de quota de diplômés, appliquée cette fois-ci à la licence:
http://www.franceinfo.fr/spip.php?article51645&theme=81&sous_theme=210
A la vue des commentaires je me rends compte que mon analyse était pas si singulière que ça finalement 🙂
@ Dissonance
1) Le déclassement social n’est pas le fruit du systême éducatif, mais de la logique de compression des coûts salariaux et d’exclusion du marché du travail des populations les moins qualifiées. A tout prendre, un employeur préfèrera effectivement embaucher un ingénieur plutôt qu’un technicien, dès lors que les conditions de marché lui permettent d’avoir plus pour pas plus cher… J’en suis aussi la victime.
2) Ce ne sont pas les salaires que je propose d’inscrire à l’actif, mais une valorisation du contrat de travail. Le salaire rentrerait dans le mode de calcul de cette valorisation, mais pas à égalité. Un contrat de travail pourr
Le résultat établi au compte de résultat vient effectivement s’ajouter au bilan à l’issue de chaque exercice, alors que les valorisations données aux contrats de travail demeurent à l’actif d’une année sur l’autre, ajustées uniquement des plus ou moins-values. Vous ne pouvez pas faire la balance entre les dépenses salariales d’un exercice et le patrimoine en disant qu’ils s’annulent l’un l’autre.
@ Dissonance
Complément de mon point 2 )
2) Ce ne sont pas les salaires que je propose d’inscrire à l’actif, mais une valorisation du contrat de travail. Le salaire rentrerait dans le mode de calcul de cette valorisation, mais pas à équivalence. Un contrat de travail pourrait être valorisé à des hauteurs variables, de 1, 5 ou 10 fois le salaire annuel, en fonction de grilles de valorisation basées sur l’âge, l’ancienneté, la formation …
@ Daniel Dresse
Les charges salariales continueraient d’apparaitre comme aujourd’hui au compte de résultat. L’inscription d’une ligne à l’actif du bilan viendrait seulement comme un contrepoids, le salarié (pardon, le contrat de travail qui lie celui-ci à l’entreprise) devenant alors un actif autant qu’une charge, donc une double casquette.
Il m’a en effet toujours paru choquant qu’une machine soit intégrée à la valeur de l’entreprise, mais pas le salarié formé et indispensable à son utilisation.
Cela me fait d’ailleurs entrevoir une conséquence que je n’avais pas encore exprimée : les dépenses de formation viendraient pour partie valoriser l’actif, et ne seraient plus perçues seulement comme une contrainte coûteuse.
@ Hervé.
L’idée de fond est séduisante, en plus elle part du système existant.
Si l’actif monte, le passif doit monter d’autant, donc soit le capital doit être plus important soit la part du résultat qui part en réserve doit être plus importante limitant ainsi le dividende et renforçant l’entreprise et donc, normalement, les salariés.
A l’inverse les salaires apparaissent encore au compte de résultat de l’année et restent toujours une variable d’ajustement.
Donc on en revient à la protection du salaire, non ?
L analogie avec la thérapie génique pourrait être poussée plus loin.
Nous avons un organisme gravement malade de son tissu sanguin.
Ce tissu sanguin circule dans des canalisations qui irriguent tous les organes (vitaux et moins vitaux).
En raison de predispositions genetiques, un code genetique dans ce tissu sanguin, a muté, et a entraîné un développement arnarchique des cellules concernees, qui se sont multiplieees au dépend des autres, s accaparant une énorme quantité d énergie, forçant l organisme a produire de nouvelles canalisations pour alimenter les métastases.
Le tissu sanguin malade et « fractalement « hypertrophié, va conduire l organisme a un état de choc, c est a dire un mécanisme réflexe de survie caractérisé par la diminution des flux destinés aux extrémités, afin de les réserver aux organes vitaux et centraux (les extremités pâlissent).
Ensuite ce mécanisme est dépassé et les organes vitaux cessent de fonctionner.
Le traitement de ces tumeurs du tissu sanguin dépend de leur « code génétique ».
La chimio et la radiotherapie peuvent parfois guérir l organisme au prix de la destruction complete des cellules malades mais aussi des cellules saines, une greffe d un nouveau code par le biais d une greffe d un nouveau stock de tissu (il faut trouver un donneur comptible).
La thérapie génique est prometteuse, car elle peut etre utilisee pour détruire sélectivement les cellules malades, ou pour modifier sélectivement la partie malade du code genetique. Ceci a l avantage de diminuer les dégâts collateraux induits par les traitements classiques. Ceci a l inconvenient de transformer l’ individu en un autre.
Il faut que cet autre soit stable et ne deloppe pas d autres maladies…
il me semble que c’est à travers des idées de ce type que les choses peuvent évoluer favorablement pour l’homme.
n’est ce pas déjà un peu le cas dans le monde du sport professionnel, où un contrat (de travail) peut être vendu à un autre club ? oui j’applaudis à l’idée !