En finir avec la pseudo-régulation par la spéculation, par Jean-Paul Vignal

Billet invité.

En finir avec la pseudo-régulation par la spéculation

Le manque d’imagination des responsables économique et politique face aux conséquences dramatiques du naufrage du dogme de l’infaillibilité de la main magique du marché est assez affligeant. Tout au mieux sont-ils capables de proposer le sauvetage coute que coute d’une économie hyper courtermiste. Les seules alternatives à leur panne d’imagination consistent à proposer un retour improbable à une frugalité qui est pour le moment inacceptable pour le plus grand nombre.

Dans ce sauve-qui-peut général, la nécessité de mettre en place de nouvelles règles du jeu, telle que la Constitution proposée par Paul Jorion, est donc plus impérieuse que jamais. Pour être acceptable, elles ne peuvent être que le résultat d’un consensus aussi large que possible, puis d’une longue transition. Il faut donc fixer les objectifs au plus vite, ensemble, sans sectarisme, et rechercher dans la foulée des cheminements raisonnables entre le chaos actuel et cette future organisation. Même s’il ne représente qu’une réponse partielle le moindre petit pas sera une bonne chose, pourvu qu’il soit fait dans la bonne direction.

Encore faudrait-il avoir une idée de ce qu’est cette bonne direction, ce qui ne semble pas le cas, comme le montrent les discussions de chiffonniers de la préparation du G20. Le seul objectif « lisible » est de faire avancer tout le monde du même pas vers le précipice creusé par un quart de siècle de libéralisme tellement avancé qu’il a fini par pourrir sur pied !

Par où commencer ? Sans aucun doute par une réflexion collective sur le système financier. Sur un plan « systémique », il n’est pas question de contester l’existence des banques. On peut rêver d’un monde sans argent, mais ce n’est qu’un rêve : un monde avec un panier de monnaie ou, mieux, une monnaie unique autre que le dollar américain, – qui serait pourtant une solution à bien des problèmes, est déjà à peine envisageable. Le problème n’est pas de savoir s’il faut nationaliser les banques ou pas : c’est une question comptable et de bon sens, pas de principe : si la collectivité finance une banque pour lui éviter de faire faillite, elle doit logiquement en être propriétaire tant qu’elle n’a pas récupéré l’argent qu’elle a investi.

Le véritable problème est ailleurs, au niveau des marchés : en dehors de la cohorte de leurs grands prêtres, qui en vivent toujours aujourd’hui grassement, personne n’a besoin des marchés tels qu’ils fonctionnent aujourd’hui, et certainement pas de banques qui jouent l’épargne collective à la roulette sur ces marchés au lieu de la miser sur des activités créatrices de valeur financière ou sociale ajoutée pour la collectivité : dans un système de production stable, on fait du troc, pas de la spéculation sur ses inputs de production, et on gagne sa vie sur son « utilité » ajoutée, pas sur la théorie des jeux de hasard. Il faut supprimer la spéculation systémique, – et donc toute marchandisation du risque en lui-même -, pour avoir une petite chance de créer des systèmes stables et durables.

Contrairement à ce que veulent faire croire les financiers, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise spéculation. La spéculation, quand elle n’est que l’achat ou la vente d’un pari sur un risque réel n’est qu’un prélèvement prédateur sur l’économie réelle. Il vaudrait bien mieux que les risques réels soient assurés que couverts par la spéculation : dans un système d’assurance, la tierce partie qui assure le risque gagne un maximum quand le prix ne bouge pas ou qu’il décroit, alors que dans un système spéculatif, la tierce partie ne gagne que si les prix bougent. Quand c’est à la baisse tant mieux pour les assurés, quand c’est à la hausse, vae victis.

Les banques ne devraient pas financer de la spéculation sur la valeur d’inputs ou d’assets. Elles devraient s’en tenir au financement des risques sur la création de valeur réelle. Le système financier, – banquiers compris comme on en a maintenant la preuve avec les milliards qui volent dans tous les sens pour les « renflouer »-, a perverti le système productif en démontrant qu’il valait mieux gérer sa trésorerie au jour le jour en la jouant au casino des « marchés » qu’investir sur le futur. Ce faisant, il a tué le futur en donnant une valeur actualisée nulle à ce qui est le plus important à long terme : l’entretien et la protection de la biosphère qui a permis à homo sapiens de s’épanouir au point de creuser sa propre tombe par cupidité et stupidité. Il vaudrait mieux que ce négationnisme du futur cesse. Maintenant.

Si le G20 pouvait se mettre d’accord sur ce genre de principe simple, en donnant quelques définitions cadres de ce qu’est la création de valeur réelle (création d’emplois, augmentation de la « qualité » de vie, diminution de l’empreinte écologique,….) il deviendrait alors utile d’essayer de faire marcher tout le monde au même pas. Mais si on continue à nous demander de marcher au pas cadencé uniquement pour tomber tous ensemble et en bon ordre de la falaise que personne ne saurait voir, comme des lemmings, je crois que la désobéissance créative va devenir une ardente obligation…

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13 réponses à “En finir avec la pseudo-régulation par la spéculation, par Jean-Paul Vignal”

  1. Avatar de bob
    bob

    Il faut vraiment être aveugle pour ne pas voir toutes les propositions positives que font actuellement les Etats Unis pour faire avancer le capitalisme vers la voie de la régulation et de l’honnêteté.
    Le président Obama et son équipe ont déja apporté ne nombreuses pierres à l’édifice de la réforme.
    Il est grand temps de les suivre et de les soutenir sur ce chemin semé d’embuche et de résistance.

  2. Avatar de Marc Tirel

    Merci.
    Que de bonnes et vraies questions.
    Oui je crois aussi que la désobéissance créative va devenir une ardente obligation

  3. Avatar de Dominique B
    Dominique B

    Bonsoir,
    En parler avec des enfants ou des adolescents, peut-être, ils ont parfois de ces fulgurances…et ils sont aux premières loges,
    en ce qui concerne l’observation, et le ressenti souvent muet : quand c’est très grave.
    Et il s’agit surtout de leur avenir.

    Peut-être en faire part aussi aux animaux, aux arbres, aux herbes, aux quelques centimètres d’humus ?

  4. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    Créative et collective

  5. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    Excellent billet qui devrait être lu aux participants du G20 et constituer la base — obligatoire — et préalable à toutes les discussions, avec ensuite obligation pour les mêmes participants de publier dans tous les grands journaux et médias télévisés de leurs pays respectifs, commentaires, synthèses, et décisions relatives au contenu dudit billet.

    Puisse un lecteur de ce blog, en capacité d’atteindre les organisateurs du G20, transmettre le message 😉

  6. Avatar de kabouli
    kabouli

    @Dominique B dit

    « Peut-être en faire part aussi aux animaux, aux arbres, aux herbes, aux quelques centimètres d’humus ? »

    Vous ne pensez pas si bien dire,c’est un souhait qui va prendre forme bientôt puisque Dieudonné propose de présenter aux élections un cheval ou une chèvre…

    http://www.dailymotion.com/video/x7m7wf_dieudonne-sur-tele-sud-part2-afro-a_news

  7. Avatar de Dominique B
    Dominique B

    Sans l’avoine, sans le chardon et les prairies, c’est juste de la blague : un peu comme un âne ou un éléphant…

    Quelles élections ?

  8. Avatar de vladimir
    vladimir

    Bonjour,

    Ceux qui ont demantelé pendant des decennies les reglementations, a coup de “contributions- pots de vin ” des lobbys financiers, ne peuvent “ solutionner” la crise que par la fuite en avant, il n’y a rien a attendre des “decideurs” qui ne decident rien :

    Le G20 de Londres dénonce les paradis fiscaux mais couvre la confiscation de la banque centrale par Wall Street

    Par Thomas, le Cimbre, le 18 mars 2009, – Economie de bulles, crises systémiques, subprime – Lien permanent

    Je viens de trouver sur le site américain de lutte pour les droits du consommateur, Essential Information, fondé par Ralph Nader en 1982, un rapport sur le lobbyisme pratiqué par le secteur financier et Wall Street pour déréguler la banque centrale américaine, la Fed’.

    Essential Information dirige aussi le site Wall Street Watch.

    http://wallstreetwatch.org/about.htm

    Le rapport est intitulé: « Sold Out: How Wall Street and Washington Betrayed America » 

    Liquidation totale: Comment Wall Street et Washington ont trahi l’Amérique »…..

    http://www.renovezmaintenant67.eu/index.php?post/2009/03/18/Le-G20-dénonce-les-paradis-fiscaux-mais-couvre-la-confiscation-de-la-banque-centrale-par-Wall-Street

    texte original:

    http://www.wallstreetwatch.org/soldoutreport.htm

  9. Avatar de kabouli
    kabouli

    @Dominique B dit « Quelles élections ? »

    L’humoriste controversé Dieudonné lancera demain un « appel au rassemblement » en vue de constituer une liste en Ile-de-France aux élections européennes du 7 juin, a-t-on appris auprès de son entourage.

    .

  10. Avatar de iGor milhit

    Il faut donc fixer les objectifs au plus vite, ensemble, sans sectarisme

    J’essaye d’amener mes réflexions en étant conscient de mes grandes lacunes. 1950 – 2050: la finitude du monde devient une évidence incontournable. A l’échelle d’une vie humaine, il y a aussi des moments où l’on se met à comprendre… Quand on s’imagine un peu près non soumis aux ravages du temps, on a une certaine façon de se comporter, de s’impliquer de construire. Quand on s’imagine presque immortel on n’agit pas la même chose que lorsque l’on accepte la condition humaine. On a peut-être l’organisation économique de nos désirs, rêves… et illusions?
    De vouloir rédiger une constitution pour l’économie, c’est signifier qu’on a compris que tout n’est pas possible qu’il va falloir choisir (et ça ne va pas faire plaisir à Iznogoud). Mais enseigne-t-on vraiment à l’école que les constitutions démocratiques disaient aussi cela: mieux vaut se limiter et choisir un système qui intègre une certaine imperfection, c’est moins pire?
    Bon je tente d’abréger: fixer des objectifs, sans sectarisme. Mais quels peuvent être les rêves des humains, aujourd’hui, demain? Comment on se met à déconstruire les faux mythes stériles que la publicité ne cesse de répéter, en boucle. Comment on se met à renoncer à nos envies puériles, et à force un peu morbides, pour d’autres rêves d’enfants créatifs et d’adultes constructifs pour féconder et non pas dévorer, détruire?
    Ne sera-t-on pas plus aisément d’accord pour une Constitution pour l’économie si on a une vague idée des projets relativement communs qui pourraient exister? Loin de l’idée que la somme des égoïsmes soit le meilleur monde possible… Comment va-t-on renoncer aux impossibles pour jouir des possibles? Parce que si l’on a tout à gagner, on a quand même des choses à perdre, et parfois savoir perdre c’est salutaire, non?
    J’ai le souvenir d’un certain Eugène et d’un modèle qui paraît-il permet de déterminer des besoins légitimes… Mais je n’ai pas tout compris.
    J’arrête, je suis déjà trop long. Est-ce que mon questionnement a un sens? Est compréhensible

  11. Avatar de Jean-Paul VIGNAL
    Jean-Paul VIGNAL

    @Bob

    Je ne nie pas les efforts du Président Obama, entre autres pour moraliser un univers financier arrogant, sur de lui et dominateur, qui continue à donner des leçons malgré l’énormité de la catastrophe qu’il a provoqué, en bonne partie « pour quelques $ de bonus de plus ». Je vis dans ce pays, et j’apprécie beaucoup que ce soit l’un des rares, sinon le seul, qui fait respecter le droit et applique la loi aux responsables avérés de la débâcle financière au lieu de se contenter de taxer ses contribuables. Mais (i) je ne vois pas tres bien la pertinence de s’en remettre à la seule sagesse des seuls Etats-Unis pour trouver une solution aux problèmes actuels, dont ils sont, il faut le rappeler, les principaux responsables après avoir été consciemment ou non, les principaux bénéficiaires de cette sorte de Ponzi scheme planétaire. (ii) Il me semble que l’on s’attaque trop à la correction des effets, et pas assez à la suppression des causes. Au delà de ce que j’ai écrit sur la spéculation, je crois qu’il faut particulièrement souligner les méfaits dévastateurs provoqués par la transformation de la monnaie en « produit », – celui du systeme financier -, susceptible comme tout autre produit d’être soumis à l’humeur vagabonde et intéressée des opérateurs des marchés spéculatifs. S’il y a un seul cas dans lequel la spéculation doit disparaître, c’est bien celui du marché de « l’argent ». Il est de ce point de vue tout à fait décevant que le G20 ne semble pas s’orienter vers la mise en place de mécanismes (nouvelle monnaie de référence, monnaie unique…) qui permettraient de stopper cette spéculation.

    Jean-Paul

  12. Avatar de LeClownBlanc
    LeClownBlanc

    @ iGor milhit 15:22

    Est-ce que mon questionnement a un sens? Est compréhensible ?

    Oui beaucoup de sens
    Oui parfaitement compréhensible
    Quelles sont vos « spécialités », d’une part
    vos rêves les plus fous, d’autre part.

  13. Avatar de Auguste
    Auguste

    @ Jean-Paul Vignal [19:29]
    sans problème.


    http://www.pauljorion.com/blog/?p=2378#comment-20570
    Rendez-vous le 15 octobre 2009

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