Le manque d’argent comme malheur

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Nous naissons et nous grandissons au sein d’une famille. Si l’on ne nous dit rien à propos de l’argent pendant les dix premières années de notre vie, nous avons eu beaucoup de chance : c’est que nous sommes nés au sein d’une famille où l’argent ne manquait pas. Si nous n’avons rien entendu dire, c’est que l’argent n’était pas source de souci pour nos parents. Sinon, si nous avons au contraire abondamment entendu parler de lui à partir de notre jeune âge, c’est qu’il faisait défaut, et que son acquisition constituait un source constante de préoccupation.

Le fait que l’on soit né au sein d’une famille où l’on a de l’argent ou bien l’on n’en a pas, chacun le considère comme un donné : on ne remet pas cela en cause et surtout, si l’argent manque, on ne se rebelle pas immédiatement contre cette réalité : c’est un donné qui relève de la nature des choses et c’est bien là la manière dont nos parents le vivent aussi en général. S’ils n’ont pas eu assez d’argent, il sera bien temps pour nous, plus tard, quand nous serons grand, de nous en préoccuper : ce sera à nous de faire en sorte que nous en ayons davantage.

Pourtant et pour la plupart d’entre nous, l’argent constitue au cours de notre vie une source considérable de soucis : nous éprouvons souvent le sentiment de ne pas en avoir assez et nous en procurer suffisamment pour assurer la subsistance de nos proches n’est pas une mince affaire et nous expose de manière constante à la méchanceté, la jalousie et l’envie. Se procurer de l’argent constitue, pour le dire franchement, un combat permanent.

On se plaint aujourd’hui de la disparition des valeurs qui se manifeste par l’éclatement des familles, par la séparation ou le divorce, mais s’interroge-t-on sur le nombre de familles qui ont été détruites tout simplement par le manque d’argent ? Et si les ménages restaient plus unis dans le passé, n’était-ce pas tout simplement parce que le divorce était interdit ou plus crûment encore, parce que l’interdiction faite aux femmes de s’éduquer les obligeait à rester enfermées au sein d’une unité familiale pourtant devenue un véritable enfer ?

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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51 réponses à “Le manque d’argent comme malheur”

  1. Avatar de Crystal
    Crystal

    @ Daniel Dresse

    Vous avez couché sur papier quelque chose que j’avais du mal à formuler.
    Je m’étais déjà fait cette réflexion à propos du narcissisme et de son impact dans les couples.

    Une brochure de vulgarisation qui m’avait amené à certaine de vos conclusions :

    http://www.les-renseignements-genereux.org/var/fichiers/brochures-pdf/broch-narcis-20061009-oria5-a5.pdf

  2. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    @ Daniel Dresse

    Excellent post. Vous expliquez bien ce qu’est notre monde contemporain, qui ne se caractérise pas seulement par un mode de production capitaliste, mais se constitue comme « société de marché » , c’est à dire où la contrainte et la pression du marché s’exerce jusque dans nos relations intimes.

    Laurence Parisot, présidente du MEDEF a eu cette formule qui illustre parfaitement votre propos :
    « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ?

    Parisot justifie la précarité du travail en prenant argument du fait accompli de la société de marché. Implacable !

  3. Avatar de Daniel Dresse
    Daniel Dresse

    @ Crystal

    Instructive brochure et illustrée de manière amusante, je la copie dans mes tablettes. Mais lisez Lasch s’il vous interpelle, c’est est un penseur très facile d’accès. La « culture du narcissisme » est d’ailleurs disponible en édition de poche (chez Flammarion « champs ») sous le titre : « Le complexe de narcisse ». C’est aussi son livre le moins
    « dépaysant » car Lasch puise souvent ses sources dans l’histoire de la culture américaine, ce qui est parfois déroutant pour un non initié.

  4. Avatar de barbe-toute-bleue
    barbe-toute-bleue

    Depuis le paléolithique, on ne se rassure plus de la même façon, soi et sa tribu. L’argent est aussi représentatif de sécurité, ou du décor des murs du couloir de l’avenir, plus ou moins immédiat, dans nos sociétés les pluuuus technologiquement avancées, gadgets compris.
    Gamins ( mais tout dépend de la perception des individus ) ont est déjà doués, ou moins, pour comprendre que les choses, différentes, ont une valeur, différente. Si ça ne commence pas là, ça ne commencera jamais. Naitre dans un univers où les biens difficiles à fabriquer et obtenir, sont banalisées, ce n’est pas le meilleur entrainement qu’on puisse recevoir pour plus tard aborder les temps de crise. D’où la récente remarque d’Attali inspiré comme d’hab, à propos de la difficulté, lorsqu’on est riche, de risquer de le devenir moins.

    Vraiment très pauvre, références Rumbo, la sélection est rude dès le berceau qu’on a même pas, puisqu’on nait dans la poussière. On pourra être solide physiquement, puisque survivant, mais la névrose récoltée ne sera pas négligeable. Il y a un grand écart, entre la famille que doit vouloir évoquer Paul, dans nos pays, et la famille où les enfants ne comptent que lorsqu’ils pourront travailler. La vision de l’argent, je ne suis pas sûr qu’ils la comprennent tout de suite. La vision effort, peut-être beaucoup mieux.

    Et toujours pour continuer sur les enfants dont on ne parle plus ici, lorsqu’on décrit la relation du couple, l’amour au milieu, avec un mariage sur … X… finissant par un divorce, les parents ne sont pas ceux qui en souffrent le plus, puisqu’ils arrêtent ( double consentement ?). La déchirement sentimental doit faire plus de dégâts chez les enfants.

    Quant-à rapporter le lien entre séparation ( non obligatoire non plus. L’enfer ?? ) et indépendance financière ( pas le but du billet où l’argument est arrangeant, mais souligné dans les commentaires ), il serait mieux de considérer les humains dans un cadre éthologique plus large, avec des relations très variables suivant les groupes animaux, répondant assez aux dispositions d’offre et de demande sur le marché sexuel.
    Je ne vous dirais pas si j’ai vraiment du stock dans les caves de mon château, mais vivant de plus en plus longtemps, pour les humains ayant cette chance, ceci offre la possibilité de plusieurs espaces de vie sentimentale consécutifs ( si c’est parallèle, c’est plus sex ), l’autonomie financière rendant les autres motivations plus prépondérantes, dans l’évolution des relations.
    Bon, la direction du billet était le rapport avec le risque lié au, ou à l’idée du, manque d’argent, pas vraiment les relations matrimoniales, bien que celles-ci influent sur la stabilité d’une société entière, puisque foyer d’origine des individus.

  5. Avatar de barbe-toute-bleue
    barbe-toute-bleue

    Ok no comment sur Parisot. Difficile de confondre son chant viril avec celui des sirènes.

  6. Avatar de Wladimir
    Wladimir

    D’accord avec l’analyse de Daniel Dresse.

    « De la même manière, je ne pense pas, contrairement à ce qui est avancé communément, que l’autonomie financière soit ENCORE AUJOURD’HUI, la cause fondamentale de la progression constante des divorces. »

    J’ajouterais que, si le salaire de la femme a bien contribué à l’acquisition de son indépendance personnelle, il a aussi permis au couple de s’engager à grands pas sur le chemin béni de la société de consommation et à donc créé une nouvelle dépendance toute aussi aliénante que les vieilles règles familiales traditionnelles. Paradoxalement d’ailleurs, ce deuxième salaire a appauvri le couple si l’on veut se rappeler que , par exemple dans les années 60, le salaire unique d’un ouvrier professionnel qualifié arrivait à faire vivre une famille de cinq ou six personnes (on faisait plus d’enfants à l’époque) modestement, peut-être, mais dignement, ce qui est impossible actuellement. Et, si l’autonomie financière de la femme est aussi nettement acquise que l’on dit, comment se fait-il alors que tant de divorces se transforment en combats acharnés pour faire payer l’autre le plus chèrement possible, sous forme de prestations compensatoires ou autres, comme si, l’attachement désiré autrefois se révélant une illusion, ne restait que la dure réalité de l’union, l’argent justement ?

  7. Avatar de Fab
    Fab

    @ Omar Yagoubi,

    Bien vu. C’est vrai que ça ressemble à une crise d’amour. Comme quoi il n’y a pas que l’amour qui rende aveugle…

  8. Avatar de gerard

    l’argent ,l’argent ,toujours l’argent…. L’essentiel n’est pas d’en avoir beaucoup mais assez .Est il nécessaire d’en avoir de trop pour ensuite le placer en banque pour que cela produise ,encore , de l’argent qui s’engraisse dans les banques
    S’il n’y avait pas eu tout cet argent en banque nos banquiers n’auraient peut être pas été tentés de le faire fructifier par des moyens douteux et nous n’en serions pas là aujourd’hui.
    Tant pis pour tous ces actionnaires qui ont perdu de l’argent en voulant spéculer en créant ou important ainsi le chomage de leurs enfants.
    De Gaulle disait  » la politique de la France ne se fait pas à la corbeille »
    Il avait raison

  9. Avatar de Marc Tirel

    Heureusement que les monnaies libres (openmoney) arrivent !!
    En voici une première sur twitter : le twollar les autres sont en cours de création ! http://tinyurl.com/cl6aje
    cf aussi ici cette info de ce matin qui révèle le besoin criant : http://tinyurl.com/aryggc

  10. Avatar de Fab
    Fab

    Et pour faire le lien avec la remarque de PJ dans un précédent billet (http://www.pauljorion.com/blog/?p=2265#comment-19372), pour que ce monsieur soit milliardaire en vendant de la drogue, il faut bien qu’il y ait des personnes pour l’acheter, cette drogue ! Ajoutez à cela la consommation de vin et autres alcools forts, la consommation d’antidépresseurs et autres anxiolytiques…et on peut se poser la question de savoir si les réajustements envisagés pour notre système économique suffiront à redonner la « foi », l’Amour, aux hommes.

  11. Avatar de Alotar
    Alotar

    Et l’excès d’argent aussi est un malheur, peut-être plus grand. Être constamment stigmatisé et ostracisé comme fils de riche, cela peut mener aux actes de Winnenden. De plus quelle est la différence entre un fils de bourgeois et un fils d’ouvrier? Le fils de bourgeois n’a rien à gagner mais tout à perdre, tandis que le fils d’ouvrier n’a rien à perdre mais tout à gagner. Fameuse différence qui, à tout prendre, me fait préférer être fils d’ouvrier que de bourgeois, d’autant plus que, contrairement à ce qu’on imagine, beaucoup de familles bourgeoises vivent bien plus frugalement que les ouvriers.

  12. Avatar de Giraudon
    Giraudon

    A Paul Jorion
    Le manque d’argent ouvre au « Crédit ».
    Offre calculée d’un côté, redevance consentie de l’autre, cette construction (carte de crédit) n’est elle pas sur le point de s’écrouler et d’ajouter une crise à la crise ?
    Paul virilio a je crois évoqué cette possibilité de krach, voir à l’occasion cet article:
    http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/10/18/le-krach-actuel-represente-l-accident-integral-par-excellence_1108473_3232.html
    Qu’en est-il selon vous qui vivez dans cette société américaine plus « à crédits » que d’autres ?

  13. Avatar de A.
    A.

    @ Daniel Dresse

    Vous écrivez que la famille a été le dernier espace de gratuité.
    Or, je porte à votre attention le fait que, avant la révolution industrielle, la famille était surtout un lieu de production. Je pense que les liens d’amour ont pu se développer qu’en séparant, au sein de la famille, les fonctions de production du reste de ses fonctions (socialisation) …

  14. Avatar de Omar Yagoubi
    Omar Yagoubi

    @Crystal, @Paul
    Bonjour, bonsoir,
    Ne vous méprenez pas, ce n’est pas le billet de Paul, ni sa formulation qui me gêne, mais les contributions. Car je suis intimement persuadé que c’est bien l’amour qui mène le monde, celui de l’argent, de la démesure en est un exemple, ou encore l’amour du pouvoir. Ou croyez vous que l’hybris, source des gros soucis que nous avons avec notre économie occidentale, puise son énergie?
    L’argent n’est qu’un vecteur, mais très puissant, suffisant pour briser bien des idéaux, des peuples, alors un couple….
    Ma question est : que cache l’amour du pouvoir? Et comment maîtriser l’avidité.

  15. Avatar de Paul Jorion

    La vie d’artiste, Léo Ferré

    Je t’ai rencontrée par hasard,
    Ici, ailleurs ou autre part,
    Il se peut que tu t’en souviennes.
    Sans se connaître on s’est aimés,
    Et même si ce n’est pas vrai,
    Il faut croire à l’histoire ancienne.
    Je t’ai donné ce que j’avais
    De quoi chanter, de quoi rêver.
    Et tu croyais en ma bohème,
    Mais si tu pensais à vingt ans
    Qu’on peut vivre de l’air du temps,
    Ton point de vue n’est plus le même.

    Cette fameuse fin du mois
    Qui depuis qu’on est toi et moi,
    Nous revient sept fois par semaine
    Et nos soirées sans cinéma,
    Et mon succès qui ne vient pas,
    Et notre pitance incertaine.
    Tu vois je n’ai rien oublié
    Dans ce bilan triste à pleurer
    Qui constate notre faillite.
    Il te reste encore de beaux jours
    Profites-en mon pauvre amour,
    Les belles années passent vite.

    Et maintenant tu vas partir,
    Tous les deux nous allons vieillir
    Chacun pour soi, comme c’est triste.
    Tu peux remporter le phono,
    Moi je conserve le piano,
    Je continue ma vie d’artiste.
    Plus tard sans trop savoir pourquoi
    Un étranger, un maladroit,
    Lisant mon nom sur une affiche
    Te parlera de mes succès,
    Mais un peu triste toi qui sais
    Tu lui diras : « Que je m’en fiche…
    que je m’en fiche… »

  16. Avatar de Omar Yagoubi
    Omar Yagoubi

    Merci Paul, message reçu..
    amitiés.

  17. Avatar de Daniel Dresse
    Daniel Dresse

    @ A.

    Merci pour votre remarque.

    Vous m’objectez qu’avant la révolution industrielle « la famille était surtout un lieu de production » et je crois au contraire qu’elle l’était beaucoup moins que dans la première phase de cette même révolution, celle qui a pris son essor par le fer, le charbon et l’énergie à vapeur. Il faudra attendre les signes (très relatifs) d’embourgeoisement de la classe ouvrière (avant la première guerre mondiale en Allemagne, bien après en Angleterre et surtout en France) pour que l’on puisse soutenir votre comparaison.

    Sous l’ancien régime, les campagnes étaient un lieu de production par intermittence, cela pour des raisons d’ordre climatique et de faible durée de la « journée » l’hiver, et parce qu’elle se trouvait interrompue par le nombre non négligeable de fêtes religieuses chômées. N’oubliez pas aussi qu’une grande partie de cette production était « gratuite » c’est-à-dire qu’elle servait à l’autosubsistance des producteurs.

    Ce fait en lui-même pose déjà problème à l’alternative simple que vous semblez dégager de mes propos -OU la gratuité de l’amour familial OU la fonction productive- puisqu’il montre que la gratuité existait au sein même de la fonction productive et cela de manière très ancienne.

    En d’autres termes, et si vous prenez le cas de la France où les formes anciennes de ruralité ont subsisté notablement jusque dans les années 1950, cet ESPACE DE GRATUITE DU TRAVAIL a été détruit à la même époque par les conceptions moderne de la rentabilité des entreprises agricoles (véhiculées autant par les pouvoirs publics que par les syndicats agricoles productivistes) qui l’ont tout bonnement considéré obsolète et inutile selon des critères purement quantitatifs, en niant que la part non rentable de ces entreprises puisse aussi avoir uneFONCTION DE SOCIALISATION.

    Dans les villes, et mis à part les premières formes très clairsemées de production industrielle rationalisée et intensive (sauf en Angleterre, qui a fait sa révolution industrielle dans la seconde moitié du 18ème siècle) la fonction de production était elle aussi bridée par le calendrier religieux, et l’était tout autant par les usages ayant force de loi dans les corporations.

    En brisant les règlements corporatiste, la fameuse loi Le Chapelier, qui fut prise durant la phase « libérale » de la révolution française (1791), a permis une invasion de la sphère privée et familiale des travailleurs libres par les contraintes de la production (l’esclavage est un autre problème) proprement inconnue jusqu’alors, cela à l’inverse de ce que vous avancez.

    Les formes extrêmes de cette nouvelle condition laborieuse étaient sans doute représentées par l’organisation des soieries lyonnaises dans la première moitié du 19ème siècle. Ce système n’avait pas attendu notre bienheureuse mondialisation pour réaliser un cas d’école de « l’entreprise maigre » (rêve humide de tout libéral qui se respecte), avec un découplage parfait de la fonction commerciale (représentée par le négociant indépendant, à la fois acheteur de matière première, donneur d’ordre et vendeur de travail fini) et de la fonction productive (représentée par le canut, « artisan » « indépendant » et « libre » d’organiser sa production selon les exigences du donneur d’ordre, généralement en mettant sa famille, tout âges confondus, au chagrin parfois seize heures par jour).

    Vous voyez donc encore dans ce dernier exemple, à quel point la révolution industrielle a pu aussi permettre, et de manière inédite, un véritable écrasement de l’espace / temps familial par la fonction de production.

    Loin de moi non plus la volonté de vous suggérer que les campagnes de l’ancien régime étaient des champs clos d’amour floral. Le champ affectif quotidien du paysan féodal n’était pas plus effleuré par l’amour courtois célébré par les poètes de cour, que les prolétaires de la Croix Rousse ne se consumaient de l’amour incandescent des chantres du romantisme. Concernant de l’influence réelle des modes littéraires sur les populations, il est à craindre en effet que l’Amour, Celui qui renverse les montagnes, ne soit qu’un privilège de classe parmi d’autres, mais souffrant parfois dérogation pour les pauvres.

    Une chose n’en est pas moins certaine, et qui vient appuyer ma thèse : ce qui relevait purement de l’affectif au sein des familles, sous quelque forme et par quelque intensité que ce soit, RESTAIT EN BORDURE DU MARCHE. Il faudra l’avènement du temps libre, en temps qu’espace « blanc » à occuper, et de son corrélatif obligé, l’industrie des loisirs et du divertissement, pour que le marché puisse ruisseler sur la sphère familiale de haut en bas de la société, jusque dans les maisons paysannes et les corons ouvriers.

    Il faudra ensuite le passage d’un capitalisme de production, inspiré par la volonté de transcender le principe de la rareté des biens, à un capitalisme de consommation, habité par l’ordre infini du désir, pour que le marché en vienne à coloniser jusqu’à l’expression profonde de nos sentiments. De là les redoutables bouleversements affectant la personnalité de l’homme moderne (mutation anthropologique ?) auxquels je faisais allusion dans mon billet précédent.

    L’amour démocratique appelé vaguement aussi « révolution sexuelle » (on pense au « All you need is love » des Beatles démarrant sur les premières mesures de La Marseillaise), rayonnant pour tous parce que débarrassé des contingences matérielles du passé, n’aura-t-il été que la mise en scène d’une mauvaise pièce jouée par le marché triomphant ?

    De toute façon, dans un contexte d’immanence du Marché, l’idée même de transcendance amoureuse me semblerait exclue…

    Pardon au passage, Cher Yagoubi, d’en rajouter un peu dans la froideur du scalpel historique, mais je préfère m’en remettre à l’Espoir, plutôt qu’à l’Amour, pour envisager l’avenir.

    C’est moins excitant, c’est sûr, mais cela est ma manière personnelle de ne pas tomber dans les concupiscences que vous dénoncez et qui nous menacent tous. Et puis… en bon agnostique, j’espère encore aussi pour vous !

  18. Avatar de Vincent
    Vincent

    Oui, l’espoir, l’amour, il me semble que chacun en est pourvu plus ou moins bien. Mais je dis aussi, et ne suis pas le seul, des droits plus étendus, droit à la nourriture et à l’eau, droit à un logement décent, droit à une éducation laïque, droit à la culture, droit à des minimums sociaux plus élevés, droit à la redistribution des richesses, droit à de la solidarité, militer pour une conscience civique, à l’éveil écologique, droit à changer de travail, droit à ne pas travailler, droit à l’échange raisonné, droit à l’information libre, droit de s’exprimer en toutes circonstances. En fait, un droit à ce que l’argent ne soit pas un élément de malheur pour qui n’en a pas puisqu’il écrase tout les autres droits ! En un mot, un Droit à avoir ce que l’argent habituellement procure. Quelle horreur, comment peut-on encore tolérer cela, c’est à dire l’argent ?

    L’espoir et l’amour, laissons les à chacun, mais donnons leurs, donnons nous des droits.

  19. Avatar de bernard
    bernard

    Voilà encore un billet qui me paraît bien suspect !

    Il me semble qu’il prétend (mais je me trompe peut-être toucher à une préoccupation universelle par son sujet (la disparition des valeurs).

    Et ne voila-t-il pas que cette « disparition des valeurs » dont l’unique « marqueur » signalé serait l’éclatement des familles, pour lequel trois causes seulement sont citées:

    – le manque d’argent
    – la libéralisation de la société
    – l’accès des femmes à l’instruction

    Voilà pourquoi votre fille est malade des « valeurs ».

    Et le remède est accessible directement à vos petites têtes: il suffit d’inverser les causes du mal:

    – enrichissez-vous.
    – règlementez
    – refusez l’instruction.

    D’ailleurs les exemples existent dans la vie courante: vive l’harmonie des familles Wendel et Bettencourt, au hasard chez qui personne n’a jamais entendu parler d’argent….

    Paul, ressaisissez-vous…

  20. Avatar de Giraudon
    Giraudon

    « Le manque d’argent comme malheur ». Cette formulation a quelque chose de comique et j’imagine toute une série de sketchs pédagogiques traités par Keaton sur fond de piano mécanique.
    Comique peut-être, parce que le malheur n’a rien de tragique, le malheur c’est un peu notre affaire, alors que le tragique nous dépasse.
    Pourtant, on se dit qu’une voiture roule ma foi fort bien et assez longtemps si le plein est fait, alors que sans essence, on reste au bord de la route et forcément en panne, « malheureusement ».
    Du coup, l’argent dans l’économie serait donc un peu comme l’essence dans une voiture.
    Son grand mérite n’est-il pas de faire avancer les choses, servir à la réalisation de projets ?
    Toutefois, cette manne ne s’extrait pas du sol ni ne tombe d’un nuage. Sa détention est pourtant une priorité. Depuis longtemps l’accès à cette source d’énergie est très encadrée, sa recherche n’est pas réduite à la quête d’une seule et unique génération mais se poursuit sur un temps long, créant des disparités et des inégalités assez visibles et dommageables pour générer des réajustements violents.
    Depuis longtemps, ces encadrements sur la monnaie se font sous la surveillance des lois et des institutions. Et c’est donc bien dans la sphère du politique, étendue ou restreinte selon les époques et le degré des démocraties des Etats que se règlent les décisions et les rapports de force qui organisent sa distribution. Sa présence et son pouvoir en ont fait un parfait supplétif aux convictions humaines car l’argent corrompt et corrompt plus facilement que nous sommes dans une société marchande. Il est là comme un poisson dans l’eau, s’infiltre partout. Il participe donc à la marche et au désordre du monde.
    Alors oui, l’argent, l’amour, l’amour de l’argent, l’argent de l’amour, le temps, t’as droit, t’as pas droit, déclinons, l’amour du pouvoir, le pouvoir de l’amour, l’amour de l’amour… Oh ! Joyeuse ivresse !
    Un vrai bonheur ce thème là, atypique pour clore la semaine sur ce blog que nous suivons avec intérêt. Une semaine pourtant tendue, neuronalement active, avec des inflexions multiples, des écoutes de droite et de gauche, échos du vaste monde, quelles sont les valeurs les plus en vue, mais ici aussi on côte, positions, participations, des actions qui montent d’autres qui descendent…la bourse aux idées est ouverte en permanence.
    Une valeur, des valeurs particulières avec leurs disparités, leurs réévaluations au jour le jour, une place attrayante, je dirai comme le cliquetis des glaçons d’un pot d’eau fraîche frappé sur le zinc pour les morts de soif (de savoir, de pouvoir…) que nous sommes, nous pauvres humains (sic).
    Je me consulte :
    Ai-je vraiment si tort que ça ?… ou si soif que ça ?
    Pas sûr.
    Du délire ?
    Pas plus !
    Mais, oui atypique. C’est bien ça. Un lieu atypique, ce blog là, n’est-il pas vrai ?
    Bonne nuit…

  21. […] de 1573 mots. Le manque d’argent comme malheur – Blog de Paul Jorion. Ce texte est un « article presslib’ » (*) Nous naissons et nous grandissons au sein d’une […]

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