Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Dans les écrits que je vais consulter en marge de notre débat sur la monnaie, il est souvent fait mention du fait qu’Aristote condamne les intérêts. J’ai voulu en savoir un peu plus et je suis allé lire le passage du Politique où est mentionnée cette condamnation. Il s’agit en fait de la conclusion assez lapidaire d’une discussion plus générale sur l’argent. Le texte dont nous disposons ne paraît pas de première main et on devine pas mal d’interpolations faites par des commentateurs de bonne volonté qui, dans leurs efforts de clarifier les choses font plus de tort que de bien, mais un peu de familiarité avec les écrits du philosophe permet de s’y retrouver sans trop de peine. Je vous fais part du fruit de ma lecture.
Quand on va voir ce que pensait Aristote sur une question particulière, on est rarement déçu. D’abord parce que le philosophe grec avait sur toutes une opinion. Ensuite, parce que celles-ci ayant rarement été retenues, elles nous apparaissent du coup souvent encore originales, voire même extraordinairement neuves.
Sur l’argent, Aristote commence par dire que sa destination naturelle, dans des conditions ordinaires, est d’être un moyen d’échange. Pour expliquer ce qu’il entend par destination naturelle, il prend l’exemple d’une paire de chaussures, dont l’usage évident est d’être porté aux pieds, et il ajoute que certains fabriqueront des souliers pour un autre usage que celui de les porter : celui d’en disposer. On constate du coup deux usages à des souliers : les utiliser ou les échanger, contre un autre objet dans le troc et contre de l’argent dans la vente, et l’usage naturel est celui de les porter.
Or, quand il s’agit de l’argent, son usage naturel est de l’échanger. Autrement dit, et à l’inverse des chaussures, pour qui l’usage naturel est de les garder pour soi, pour l’argent, l’utiliser comme il convient, c’est s’en défaire : l’échanger contre autre chose. D’où l’on comprend aussi que pour l’argent, le garder pour soi est un usage qui n’est pas naturel. Ce qui n’empêche pas, ajoute-t-il que cela soit précisément ce qu’en font certains : ils sont à la recherche de l’argent pour l’argent, ce qu’il appelle l’« art de faire fortune ». En langage moderne on pourrait traduire cela en disant qu’il existe pour l’argent deux usages : l’utiliser comme un moyen, ce qui est effectivement sa destination naturelle, et l’utiliser comme une fin, ce qui n’est pas sa destination naturelle. Et il attribue ces deux usages à deux grandes catégories de citoyens, respectivement les chefs de famille, pour qui l’argent est un moyen dans la gestion de leur ménage, et les marchands pour qui il est une fin dans leur activité de négoce.
Ayant ainsi distingué ces deux usages de l’argent et les ayant attribués à deux catégories de citoyens, Aristote note que celui qui utilise uniquement l’argent pour l’échanger, c’est–à–dire celui qui recherche le bien-être de sa famille, n’en aura jamais besoin que d’une quantité limitée, alors que celui qui le recherche pour soi dans l’art de faire fortune, n’en a pas un besoin limité mais potentiellement infini :
La forme d’obtention d’argent associée à la gestion d’une famille possède une limite ; l’acquisition illimitée de la fortune n’est pas son affaire » (Aristote, Le Politique, IX).
Jusqu’ici, Aristote s’en est donc tenu à ce que l’on pourrait considérer comme une simple description. Il va alors un peu plus loin, en introduisant maintenant un jugement moral.
Du fait que ce sont les mêmes pièces de monnaie qui servent à la fois à assurer le bien-être d’une famille en étant échangées et l’objectif du marchand en étant accumulées, il existe, dit-il, dans l’esprit de certains chefs de famille, une erreur de jugement qui leur fait confondre les deux usages de l’argent, et qui leur fait croire que le bien-être des leurs consiste à s’assigner le but du marchand, c’est–à–dire à faire fortune. Cette confusion, il la condamne : il souligne que l’homme vertueux comprend que le désir illimité que l’on peut ressentir pour les choses ne reflète pas des besoins réels et qu’une quantité limitée d’argent peut en réalité satisfaire ceux-ci :
… certains sont conduits à penser que gagner une fortune est l’objectif du chef de famille, et que ce qui donne sens à leur vie est d’augmenter leur fortune de manière illimitée, ou en tout cas de ne pas la perdre. La source de cette manière de voir est qu’ils se préoccupent uniquement de vivre et non pas de vivre bien, et comme ils constatent que leurs désirs sont illimités, ils veulent aussi que les moyens dont ils disposent pour les satisfaire soient eux aussi illimités » (ibid.).
Aristote termine alors sur la question de l’argent en notant que les intérêts que certains collectent en prêtant l’argent qu’ils possèdent résultent d’un usage non naturel de celui-ci : c’est utiliser l’argent qui a pour destination naturelle d’être un moyen d’échange, d’une manière que je qualifierais personnellement d’« incestueuse » (bien qu’Aristote n’utilise pas ce terme), à savoir en faisant produire de l’argent par de l’argent. Ce qui, à ses yeux, constitue un véritable détournement de l’usage pour lequel l’argent fut inventé.
Et donc, comme je le disais, lorsque l’on fait référence à la conception de l’argent chez Aristote, c’est en général pour mentionner cette simple notion : que le philosophe condamne la collecte d’intérêts, or, comme on vient de le voir, sa conception va en réalité beaucoup plus loin : elle condamne la recherche de l’argent pour l’argent et considère que l’art de faire fortune constitue un dévoiement, je dirais « prévisible », chez le marchand, mais une confusion parfaitement condamnable quand il s’agit du simple chef de famille.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
69 réponses à “Aristote et l’argent”
Grand Aristote, le commerçant est effectivement celui qui fait de l’échange…un métier. La dissociation de l’échange en achat et vente, moments indifférents l’un à l’autre, crée la possibilité d’acheter sans vendre (accumulation de marchandises) et de vendre sans acheter (accumulation d’argent). Elle permet la spéculation, l’accumulation, c’est-à-dire le pillage marchand.
Comme unité de compte et intermédiaire de l’échange, la monnaie contemporaine n’est pas différente de celle d’Aristote. Mais pour la thésaurisation, c’est une autre affaire. La monnaie d’Athènes n’est pas seulement l’expression d’un système public organisé et réglementé (expression du nomos, la règle), elle est également représentée par des pièces métalliques, principalement en argent. Lesquelles ont une matérialité, une valeur intrinsèque, liée au métal précieux.
Dans un tel système, les « dévaluations » se font par réduction de l’aloi des nouvelles pièces émises au même pouvoir libératoire (ou par utilisation de métaux plus communs), ce qui revient à conférer aux anciennes pièces une « valeur » supérieure : la thésaurisation n’expose donc pas son auteur au risque d’euthanasie keynésienne, à la perte du pouvoir d’achat (au moins Aristote était-il fondé à le croire, en l’absence de découverte de nouveaux gisements importants de minerai).
Une gestion en « bon père de famille » n’exigeait donc pas de faire produire cet argent pour assurer la protection des proches. Le pecunia pecuniam non parit aristotélicien (l’argent ne fait pas des petits) était ainsi d’autant plus défendable d’un point de vue philosophique qu’il était cohérent d’un point de vue « économique ».
Au contraire, il n’existe aucune monnaie fiduciaire qui ait conservé sa valeur dans le temps. Aucune. Si bien que la « gestion d’une famille » impose de faire « produire » l’argent, sans pour autant que son chef soit suspect de vouloir « augmenter sa fortune de manière illimitée ». Mais bien entendu, le fait de pouvoir faire de l’argent avec de l’argent ouvre la voie à bien des dérives collatérales…
De mon point de vue, le prêt à intérêts (qui est en effet très critiquable, et dont le droit canonique n’a reconnu que tardivement la licéité) ne pourrait être interdit que sous réserve d’une garantie institutionnelle de la préservation de la valeur de la monnaie. Un scénario très improbable…
Quelle différence faites vous entre l’argent et la monnaie ?
En 2300 ans l’homme n’a pas beaucoup changé. La cupidité doit être en nous. Au temps préhistorique on devait déjà convoiter la caverne du voisin plus spacieuse et mieux décorée.
Seules des règles peuvent nous contraindre à ne pas user de nos mauvais penchants, encore faudrait-il une réelle volonté de les instaurer.
Pour limiter notre vitesse : code de la route (imaginez le bazar sans feu, sans limitation de vitesse…….)
Pour freiner notre amour du ++++++++++++++++++ : code de la finance.
L’ analogie faite par Aristote entre les soulier et l’ argent ne prouve pas que la destination NATURELLE de l’ argent est celle qu’ il affirme etre. Existe-t-il une telle DEMONSTRATION dans les ecrits de Aristote? Si non alors il ne fait qu’ affirmer un point de vue destine a porter les jugements moraux qui suivent. C’ est irrecevable. Il s’ agirait il me semble d’ un sophisme. Que ces idees nous plaisent soit, mais pas avec des demonstrations bidons.
@ Anne.J
La monnaie comme concept; l’argent comme instrument (au sens commun)
@ scaringella
Certes. Mais la monnaie est une création humaine, une abstraction (pour moi une fiction). Elle n’a pas d’autre destination « naturelle » que celle que lui confère son créateur.
Je suis apparemment un des rares à avoir réussi à me procurer une version pirate (les subtilités de l’informatique ne sont pourtant pas mon fort…) du livre «Le Prix », cet ouvrage dans lequel Paul Jorion nous parle beaucoup d’Aristote et de sandales, portées à vendre ou vendues…
Si un éditeur intelligent ne se décide pas à publier rapidement cet opus majeur de l’œuvre jorionesque, je sens que je vais faire fortune en diffusant, toujours illégalement, ce brûlot qui contester l’économie classique au point de remettre en question la sacro-sainte loi de l’offre et de la demande…
@ Alain A
En fait « Le prix » est disponible sur le site de Paul à l’adresse http://www.pauljorion.com/index-page-8.html soit sur http://www.pauljorion.com menu -> »Economie » -> « Le prix »
Excellent billet, comme toujours… A titre personnel, cela me permettra d’argumenter – citer Aristote, wouah ! – lors des conversations portant sur l’envie (à mon avis étrange) de devenir « riche », qui débouchent en général sur une incompréhension totale de ce que je veux exprimer. Et puis, re-wouah, être aristotélicien sans le savoir, la classe…
@scaringella
Existe-t-il une DEMONSTRATION qui prouve que la destination naturelle d’une chaussure est d’être mise au pied ? A priori non, deux contre-exemple :
– la destination naturelle des chaussures de ma compagne est d’être dans une boîte, parmi un nombre indéfini d’autres boîtes, dans un placard.
– une autre destination naturelle de la chaussure est d’être un projectile à lancer à la face des dirigeants qui nous déplaisent. Tout le monde devrait en avoir une dans sa poche au cas où une occasion de présenterait.
@ Alain A
Vous ne pourrez donc pas spéculer sur « Le Prix »…
@ Alain A
… et donc enfreindre l’interdit jorionien !
@Jean-Baptiste
Vous avez vendu la mèche: c’est bien là que je l’ai trouvé mais j’ai poussé le vice jusqu’à rassembler les 17 morceaux séparés, à les mettre en forme et à les impriimer: j’ai danc mon exemplaire sur ma table de nuit…
@ JJJ
Je ne vais évidemment pas voler les idées de Paul pour en faire du fric. Mais si je le faisais, ce ne serait pas de la spéculation mais une simple escroquerie. Au-delà de votre jeu de mot que j’apprécie, je crois que nous devons faire attention à la définition de la « spéculation ». En effet, les libertariens qui rodent sur ce blog défendent l’idée que nous spéculons tous (acheter un objet au moment des soldes serait de la spéculation, tout comme acheter sa maison au moment où le taux des emprunts est bas et le marché déprimé). Cela n’est pas de la spéculation mais une gestion en « bon père de faille ». Réservons les terme spéculation aux paris sur les prix: acheter à un cours supposé bas avec la feme intention de revendre avec profit dans un délais aussi court que possible (et ne parlons pas des paris sur la baisse en des ventes à découvert).
La formule économie-casino n’est pas un excès de langage et c’est sur elle que nous devons concentrer nos critiques.
@Scaringella
Votre remarque est intéressante.
Mais, il faut évaluer les propos du philosophe dans leur contexte.
Aristote ne connaissait pas les produits dérivés, mais il connaissait la fonction “d’ appropriation pour moi”, de l’ argent , c est a dire de la monnaie de son époque . Il ne faisait que lever un énorme lièvre, ce même lièvre est toujours présent : le modèle décrivant la monnaie comme ayant uniquement des fonctions de “quantification des richesses”, mène a une impasse logique si l on reste dans le cadre quantitatif et en même temps dans le carcan de la
logique bivalente (soit naturel soit non-naturel) d’ aristote, qui interdit toute
saut ontologique vers une autre forme d’ être de l’ argent.
Cette autre forme d’ être, cet énorme lièvre, est a chercher dans le “non naturel” d’ aristote.
La monnaie a surtout aujourd hui comme principale fonction “l appropriation pour moi” et les conséquences qualitatives qui en découlent (le pouvoir)
L’usage « naturel » , quel naturel ?, celui-ci n’existe pas.
On vit en société, et si celle-ci est de pure concurrence néolibérale on a peut de l’avenir et on entasse, parce qu’on n’a confiance en personne, parce que ça permet d’entretenir des flatteurs qui permettent à la conscience de tenir le coup, …
En fait, on n’échange plus du tout, tout devient contrat…
Et si celle-ci est solidaire, on échange,…
Et si on échange, on se moque bien des intérêts…
Bonjour à tous
le besoin illimité d’accumulation s’apparente au tonneau des Danaïdes: la raison du » jamais satisfait » résulte du manque de « fond ».
Il conviendrait donc, plutôt que de les fustiger, d’aider les individus à tendance accumulatrice sans fond à:
– prendre conscience de ce manque de fond qui les rends esclaves de leur « besoin insatiable, infini »
– se mettre en chemin pour résoudre ce problème de manque de « fond ».
pour ce , l’étude d’aristote est un des moyens possibles entre autres…. du même tonneau!
Cordiales salutations…..
Aristote ou Pétaouchnoque qu’importe ? c’est une simple évidence de faire cette distinction et de constater que nos sociétés qui se fondent sur le principe « non naturel » de : la planète , les autres, l’argent sont des marchandises au service du buiseness sont rentrées dans la crise finale ; la nature et ses lois étant c’est certain plus tenaces que nos dénis de réalité.
@ Alain A
D’accord pour éliminer les achats de la vie courante du champ de la spéculation dangereuse. Mais je crois que ce qui distingue la notion de « pari sur les prix » à limiter ou à éradiquer, c’est l’effet de levier : soit qu’il y ait recours à l’emprunt (comme les opérations boursières « classiques » du RM), soit que les conséquences défavorables de l’opération soient potentiellement (très) supérieures aux sommes engagées, comme les CDS par exemple. Car après tout, il n’y a aucune raison d’interdire au pékin de jouer au Loto, au PMU ou à la roulette, dès lors que ses pertes potentielles ne dépassent pas sa mise.
Aristote serait-il le prédécesseur de Say selon qui la monnaie n’est qu’un voile ?
Cet article est trés intéressant car il s’inscrit dans une réflexion concernant l’histoire des idées économiques et à ce propos je souhaiterais savoir si l’on peut faire un rapprochement avec l’histoire espagnole au moyen-âge. Si vous pouviez éclairer ma lanterne.
J’ai un vrai problème avec « Le prix » dès le chapitre d’introduction
Il est lié à ce paragraphe, qui est, pour moi, purement tautologique dans le passage concernant la vérité
« Nul à moins d’être fou ne met en question qu’une affirmation se situe par rapport à la vérité en étant soit vraie soit fausse, ni non plus qu’une chose ait un prix ; l’existence de la vérité et du prix sont donc « transcendantes » à notre culture, comme l’étaient autrefois Dieu ou la Loi. »
Diable, voilà qui est de nature bien totalitaire!
On apprend ensuite heureusement que tout celà se passe entre deux interlocuteurs seulement qui, soit se mettent d’accord sur un concept, soit fixent un prix lors d’un échange.
« Dans la constitution de la vérité, des mots sont échangés et si un accord a pu être atteint sur la même phrase en sorte que les interlocuteurs puissent dire chacun séparément « je le crois », et les deux ensemble, « nous le savons », alors ils se seront constitués un savoir partagé ; celui-ci a forgé un lien entre eux et il y a désormais un peu de la personne de l’un dans la personne de l’autre. Ils pourront se rencontrer plusieurs années plus tard sans s’être vus entre-temps et seront étonnés de constater que leurs pensées se sont poursuivies pendant tout ce temps en parallèle comme s’ils avaient continué de créer de la vérité ensemble ; c’est ce que les physiciens appellent le principe de non-séparabilité lorsqu’il s’agit de particules élémentaires. Dans la constitution du prix, des nombres sont échangés et si un accord a pu être atteint sur un même nombre, alors de l’argent est échangé contre une marchandise (matérielle ou immatérielle) ; celui qui disposait de la marchandise se retrouve désormais avec de l’argent, celui qui possédait l’argent se retrouve désormais avec la marchandise ; l’échange a créé un lien entre ceux qui ont constitué un prix ensemble et ils auront à coeur de recommencer. »
J’en déduis naturellement que soit ces deux « particules élémentaires » ont pu créer un dialogue qui leur permet de partager une « vérité » sur un sujet, ou ont pu fixer un prix qui leur semble acceptable, le mot qui convient pour qualifier cet accord est celui de « consensus » et non celui de « vérité ».
Au niveau « local » où celà se passe, celà n’a que peu d’importance!
Le remplacement de « consensus » par « vérité » prend tout son poids au § suivant:
« Le système de vérité de notre culture est appelé la Science, le système de prix de notre culture est appelé l’Économie. Nos sociétés modernes sont entièrement subordonnées à leur action conjointe. Il y a très peu de choses dans nos sociétés qui ne s’expliquent aisément par la Science ou par l’Economie ou par les deux ensemble. Le savant qui produit la science a pris l’ancienne place du Sage, l’homme d’affaires qui produit le prix, celle du Guerrier ; quant à la place du Saint, il ne reste pas grand monde à vouloir l’occuper. »
C’est cette généralisation que je refuse absolument!
Le système de « consensus » de notre culture est notre Système Politique et non pas la Science.
Et celà change complètement le statut de l’économiste, maintenant pris sous l’aile, (la main invisible?) de la Science, donc de la Sagesse.
Et par analogie, celui de l’homme d’affaires, devenu guerrier indépendant!
Bien vu, c’est la thèse néo libérale.
A Alain A : évidemment que nous spéculons tous !
En quoi par exemple mon choix actuel de ne pas acheter de maison (alors que j’en ai les moyens) et de rester locataire pour profiter de prix plus bas dans quelques années n’est-il pas un pari sur les prix ? J’aimerais comprendre.
Je fais un choix qui sera gagnant ou perdant selon l’évolution à venir du marché immobilier, cela correspond exactement à la définition d’un pari.
En quoi ma décision éventuelle d’acheter dans quelques années une maison sera-t-elle autre chose qu’un « pari sur un prix »…En faisant cet achat, si j’y arrive, j’espèrerai évidemment que mon actif prendra de la valeur et que je pourrai ensuite éventuellement le revendre avec une plus-value (ou alors que je pourrait le louer avec un bon rendement). Ce sera là aussi un choix qui sera gagnant ou perdant face à d’autres choix…donc un pari.
Tout achat d’un actif patrimonial (maison, assurance-vie, action…etc) est un pari sur un prix. Le reste n’est qu’une nuance de temps : il y a des paris de quelques minutes (scalp-trading de contrats sur indices), de quelques semaines (comme les swings à la baisse que je fais sur le CAC depuis 2007), de plusieurs années (comme des contrats d’assurance-vie multisupport), ou encore plus longs (maisons).
Voilà pourquoi l’idée d’ »interdire » les paris sur les prix n’a aucun sens dans le monde réel.
Est-ce que je dois rappeller que dans des ecrits philosophiques il y a these, antithese, synthese. Ou est l’ antithese a l’ affirmation de Aristote??? L’ usage naturel n’ existe pas pour les humains. L’ usage est culturel, meme pour notre propre physiologie. C’ est donc les hommes qui decident de l’usage qu’ ils font de ce qu’ils inventent. L’argent ou la monnaie est un produit culturel complexe, mariant concept+outil+echange+code . Dire que l’ argent aurait un usage et/ou une essence naturelle est obsolete et ne fait pas avancer le debat. L’ argent est aussi une marchandise de facto et parceque les hommes ont decide de le considerer aussi comme tel. Que ce soit une perversion est ce que sous-entend le propos de Aristote. Ce non dit, cet implicite, vous fait grimper aux rideaux quand je critique un raisonnement faiblard. En fait l’implicte que vous n’avez pas lu dans mon post c’ est que ces references obsoletes (2500 ans qd meme …) j’aimerais bien qu’elles disparaissent des ecrits, ou au moins remises en perspectives pour ce qu’elles sont, faiblardes et obsoletes.
Moi j’dis ca, jdis rien, hein 😉
Je rajouterais que chaque fois que le mot naturel est accole a un domaine quelconque de l’ activite humaine on fait le jeu des neo-liberaux pour qui le marche est NATUREL et l’ expression NATURELLE des echanges entre humains.
Cela peut sembler à première vue paradoxal que le philosophe traite question de l’argent sous l’angle naturel-non naturel. Mais, en l’espèce, si Aristote n’apporte pas de démonstration c’est aussi parce que son système philosophique constitue une explication : éthique, politique et métaphysique forment chez Aristote un tout cohérent. Les liens qui unissent ces différents thèmes abordés par Aristote ont des liens logiques intrinsèques. La description du monde empirique que fait Aristote se fait dans un langage métaphysique du nécessaire et du contingent, de l’acte et de la puissance, selon le modèle (culturel, anthropologique ?) essentiel que l’on retrouve partout dans son oeuvre, celui de la techné, cet acte par lequel l’artisan produit un objet matériel préconçu. La cosmologie aristétolicienne est calquée sur ce modèle. Le mouvement du monde résulte du déplacement d’un mobile initial.
Entre parenthèses, et cela pour mieux indiquer la singularité du monde aristotélicien, la métaphysique chinoise, par opposition, serait tout autre : le modèle n’est plus celui du but à atteindre selon un plan établi d’avance, mais celui d’une saisie de configurations toujours changeantes desquelles on exploite un potentiel de situation. J’ajoute, c’est important pour la suite, que cela induit une conception du politique très différente. Il s’agit pas de convaincre une assemblée, mais en priorité d »avoir une influence sur le prince quand on est son ministre ou son conseiller, autant dire qu’il n’existe pas dans cet univers de conception de la citoyenneté. L’univers chinois antique est bien plus naturaliste que celui d’Aristote. Il s’intéresse plus à la dynamique, aux phases du changement, mais le politique en tant que tel n’est pas constitué.
AInsi, par dérivation, le modèle aristotélicien de la techné est appliqué au domaine éthique : toute action existe en puissance chez celui qui la produit. La naturalité supposée des choses humaines nous apparaît problématique à nous modernes car le monde de la nature appartient au monde physique. Il manque une démonstration, une « preuve scientifique » de la naturalité d’une chose. Mais c’est ne pas voir là que la visée essentielle de la philosophie d’Aristote n’est pas la description scientifique du monde, même s’il l’a poussée très loin pour son époque. Sa préoccupation première est le bien vivre dans la Cité. Or la Cité s’inscrit dans le Cosmos et son ordre architectonique. Il s’agit donc de déterminer la place exacte des humains dans ce cosmos pour en déduire une morale et une politique, l’économie quant à elle jouant elle aussi son rôle de régulateur, de la vie matérielle. La bonne gestion des affaires de la Cité est calquée sur le modèle de la bonne gestion du domaine familial.
Le citoyen agit selon l’ordre d’une raison en vue de l’action individuelle et responsable : la philia, ou amitié est ce lien par lequel nous sommes reliés à une communauté politique, basée sur la parole donnée qui fait de nous des êtres engagés parmi nos semblables. Cette raison politique ne résulte pas comme chez Platon de la contemplation des idées ou d’une dialectique autonome, mais forme un mixte de logique (cohérence du discours) et d’ouverture sur un réel possible, celui de la vie dans la Cité. La logique aristotélicienne intègre l’action, et donc l’accident, le contingent, par lesquels est offert une place au virtuel, aux autres possibles (Voir à ce propos le syllogisme aristotélicien expliqué par Paul Jorion dans son billet-article « Ce qu’il est raisonnable de comprendre et partant d’expliquer », très éclairant ).
Aristote fait un usage de l’ontologie bien particulier, il dit ainsi de l’être que celui-ci est ce qui se dit de différentes manières. Cette idée traduit l’idée que la communauté politique athénienne est constituée de citoyens aux opinions diverses, que cela est un fait, une doxa, et que c’est de cette réalité qu’il faut partir. On place la métaphysique aristotélicienne souvent en amont de toute sa pensée, mais on pourrait très bien aussi analyser le discours d’Aristote en faisant intervenir la spécificité du politique en Grèce dans la cité pour expliquer la métaphysique de l’acte et de la puissance, du nécessaire et du contingent, du naturel et du non naturel. L’idée du caractère virtuel des choses est à rapprocher du vivre ensemble possible en vue de différents projets possibles. Le thème est prégnant dans toute l’oeuvre d’Aristote. Par exemple, dans le domaine esthétique, Aristote affirme que la poésie est supérieure à l’épopée : en histoire on rapporte des choses qui ont été tandis que la poésie rapporte des choses qui pourraient être. Un autre monde possible y est inscrit en filigrane.
Au cinquième jour Dieu dit:
Il y aura des forts et des malins.
Les malins prendront les biens des forts et des idiots.
Les forts prendront les biens des malins avec violence.
Les malins prendront les biens des riches avec ruse.
Les riches étaient déjà riches avec l’aide de Dieu.
Le pire c’est que ce sont les riches qui sont les plus forts ce qui leur permet de s’offrir les malins et réciproquement.
Tout çà n’a rien à voir avec la morale.
La morale est faite pour les idiots…?
Une démonstration utilise des hypothèses qu’il faut démontrer à leurs tour et ainsi de suite. De sorte qu’il sera à jamais impossible d’affirmer qu’une chose est absolument vrai ou absolument fausse.
Pour ma part, j’accepte volontier que l’usage définie comme « naturel » d’une chaussure soit d’être porté.
Il me semble d’ailleurs ridicule de devoir démontrer que l’usage « naturel » d’une chaussure soit d’être porté. C’est plus une définition qu’un résultat logique. C’est comme vouloir démontrer qu’un stylo bleu est bleu. Ben il est bleu quoi. C’est tout.
Dès lors, je ne vois pas en quoi il est différent d’accepter que l’usage définie comme « naturel » de l’argent soit d’être échangé. C’est une invention humaine dont le but est justement d’être échangé contre autre chose. Qui affirmera que l’usage naturel de l’argent est d’être peint en bleu ? ou d’être utiliser comme papier à origami ?
On peut évidement définir que l’usage naturel de l’argent est d’être prêté, ou investie contre intérêt. L’échange devient alors l’usage non naturel. Il n’y a pas une définition qui soit plus démontrable qu’une autre. Ce sont juste des définition. En revanche il y en a une des deux bien sûre qui correspond à notre propre expérience de l’argent au jour le jour. L’autre pas. Pour ma part, je prend la définition qui correspond à ma propre expérience (il m’est déjà arrivé de prêtter quelques centaine d’euros ici ou là pour dépaner, mais jamais asser pour lancer un business 😉 ).
Ce qui est je trouve extraordinaire, (et qui est exposé de manière différente dans le texte) c’est que l’argent puisse servir à s’acheter lui-même. Vu sous cet angle, le prêt me parait être un usage naturel bien compliqué. Evidement, ce n’est qu’une impression. désolé pour le manque de rigueur …
@ Loïc et Alain A
Sur l’interdiction de paris sur les prix :
Je crois que cette expression signifie l’interdiction pour ceux qui cherchent à tirer seulement une plus-value d’un tel pari. L’objet de l’achat n’est pas la propriété de la chose mais l’anticipation du gain futur. La nuance de temps n’est donc pas secondaire, elle est essentielle.
@Alain A
Les libertariens sincères comme Loic nous aident a comprendre ce qui se passe.
Quand vous pardonnez la spéculation des petits et condamnez celle des grands, vous ratez votre cible en cherchant a la préciser.
Alors que les libertariens touchent dans le mille en pointant nos mauvais penchants (cupidité, égoïsme, psychologie des foules…).
Il est vrai toutefois que cette dernière conception rate un point crucial de l ‘ humain qui est capable de changer, d’ émerger, sur de longues périodes et de contrecarer ses réflexes animaux en intereagissant avec la société.
Sur la destination « naturelle » de l’argent et d ela chaussure :
Il faut recontextualiser l’extrait commenté par Paul.
Dans la Grèce d’Aristote, toute chose, toute individu a une finalité. Celle de l’homme, selon le stagirite, n’est pas dans l’enrichissement. En tant tant qu’animal politique, ce dernier cherche la vie bonne que l’on pourrait (?) définir par la réalisation de son essence par l’homme.
Par conséquent, Aristote ne peut que condamner la recherche démesurée de richesse car elle détourne celui qui s’y consacre des choses bonnes.