Comme notre débat sur la mécanique quantique se déplace en ce moment vers la conscience, je vous signale que j’ai publié en 1999, dans la revue L’Homme, un texte consacré à la conscience : Le secret de la chambre chinoise. On peut le trouver ici.
En gros, comme vous le verrez, la conscience est pour moi un mécanisme en réalité très accessoire qui nous informe après-coup de ce qui nous arrive et dont l’intérêt principal réside dans l’illusion de libre-arbitre qu’il nous laisse (la caverne de Platon). Si la chose vous intéresse, j’y reviendrai plus longuement. Voici en tout cas la conclusion de cet article :
Pourquoi deux mille cinq cents ans de réflexion se sont-ils révélés impuissants à remettre en cause le pouvoir décisionnel de la conscience ? Il me semble qu’il y a, sur cette question, quelque chose de l’ordre du préjugé, de ce qui ne se modifie qu’en tout dernier recours dans l’organisation conceptuelle (ce que j’ai appelé ailleurs noyau de croyance), quelque chose de l’ordre d’un tabou.
L’histoire des sciences nous est peut-être ici d’un certain secours. Lorsque Max Planck pose les jalons de la mécanique quantique, il nous est aisément loisible d’énumérer ses prédécesseurs : il bâtit sur les fondations posées par Clausius, Maxwell et Boltzmann. Lorsque Darwin met au point sa théorie de l’évolution des espèces ou lorsque Freud développe la métapsychologie freudienne, on aurait au contraire bien du mal à déterminer leurs prédécesseurs (l’œuvre parallèle de Wallace est contemporaine de celle de Darwin). On peut toutefois leur trouver ici et là dans l’histoire (et parfois quelques années auparavant seulement), des précurseurs, des penseurs qui exprimèrent des vues où l’on retrouve en germe, sous forme ébauchée et le plus souvent d’idée isolée, ce qui ne prendra tout son sens que dans la théorie complète que Darwin ou Freud développèrent ensuite. Lorsque des prédécesseurs existent, comme c’est le cas pour Planck, la quête de précurseurs apparaîtrait bien vaine puisqu’une ligne continue de prédécesseurs conduirait jusqu’à eux.
Qu’est-ce qui distingue alors les découvertes de Darwin ou de Freud, sinon leur réelle nouveauté ? « Qu’elles ne constituent pas des théories à proprement parler » disent aujourd’hui certains, « du fait qu’elles ne sont pas falsifiables, qu’elles ne se prêtent pas à la contrépreuve ». L’argument est sans mérite : leurs théories sont falsifiables, au même titre que le Big bangpar exemple, même si cela exigerait davantage d’argumentation discursive que de recours à la vérification expérimentale pure. Ce qui distingue leurs constructions, c’est qu’il est difficile, au sens de « dur » psychologiquement, pour un auteur de les formuler. Il existe ici, comme je l’ai dit, un tabou à surmonter, quelque chose qui provoque la crainte ou la colère si l’on y touche : il y a aussi une conversion à réaliser, en premier lieu pour son auteur, au moment où il formule sa théorie, en second lieu pour son lecteur au moment où celui-ci doit se laisser convaincre, au moment où certains remparts dressés par son affect doivent s’effondrer pour faire place à la conception nouvelle.
Ce qui caractérise le darwinisme ou le freudisme, c’est que s’ils sont vrais, le mérite de Darwin et de Freud, en tant qu’ils en sont les auteurs en est automatiquement diminué. Si nous ne sommes que les descendants de grands singes, alors le darwinisme lui-même a pour auteur le descendant d’un grand singe (les caricaturistes de l’époque s’en sont d’ailleurs donné à cœur joie), de même, si toute œuvre humaine est un moyen détourné de satisfaire une pulsion d’ordre sexuel, alors la métapsychologie freudienne elle-même est un moyen détourné pour son auteur de satisfaire une telle pulsion.
La théorie de l’évolution de Darwin ainsi que la psychanalyse – on l’a écrit – impliquent une dévaluation, un rabaissement de l’image que se fait la race humaine d’elle-même. La vanité de l’espèce en prend un mauvais coup, car il s’agit de bien plus que d’une théorie nouvelle, il s’agit aussi d’une leçon d’humilité. Copernic en avait fait autant lorsqu’il déplaça la terre du centre vers la périphérie ou lorsque Linné le premier classa l’homme au rang des mammifères.
Alors qu’est-ce qui nous empêchait de comprendre la distribution réelle des responsabilités entre le corps et l’âme ? Probablement un mécanisme psychologique du même ordre que celui que je viens d’évoquer à propos de Darwin et de Freud : si tel est bien le cas, alors composer la Neuvième Symphonie ou peindre La ronde de nuit, sont sans aucun doute des réalisations personnelles ayant leur fondement dans un être biologique modelé par une histoire, mais qui ne sont pas davantage liées à un sujet humain maître de ses actions, que le fait pour quiconque d’entre nous d’ouvrir une fenêtre machinalement. Quant à celui qui attacherait son nom à la découverte que les fonctions de l’âme et du corps doivent être simplement inversées, il rabaisserait d’autant sa propre découverte : elle aurait été tout aussi machinale, selon l’automatisme qu’il aurait mis en évidence. Il serait l’auteur de sa découverte par un mécanisme dont – il l’aurait prouvé – sa personne n’est le support que pour des raisons parfaitement fortuites au regard de l’histoire. Tout ce qu’il pourrait affirmer quant au fait qu’elle ne pouvait avoir lieu que par lui se trouverait automatiquement disqualifié : ce ne pouvait être que lui sans doute mais sans pour autant que la paternité en revienne à ce « moi, je » dont il aime ponctuer son discours.
Voilà en quelques mots ce qui expliquerait pourquoi les penseurs qui se sont penchés sur le mystère de la chambre chinoise se sont arrêtés au bord de son élucidation, puisque ce qu’il s’agissait de découvrir les aurait privés de la satisfaction de mettre en avant leur propre personne – satisfaction qui guide de tout temps le processus de la découverte.
100 réponses à “Le leurre de la conscience”
Retirer la conscience du champ humain est une théorie intéressante sur le plan psychologique, philosophique mais surtout littéraire.
Si la conscience n’existe pas, comment faisons nous pour avoir la conscience de nous meme?
comment faisons nous pour avoir le sentiment de soi ?
En raisonnant par l’absurde, si nous sommes des êtres totalement inconscients,nous ne pouvons pas avoir la conscience d etre nous meme.Ca signifierait que nous pourrions nous identifier qu’à nos pensées, pensées elles meme guidées par une force metaphysique que d autres appelleraient mystique?
Sommes nous nos pensées?
Descartes ecrivait « je pense donc je suis »
C est selon moi l une des plus grandes erreurs de la philosophie.
C est justement parce que je pense à ce que je pense, que je suis moi.
C est justement parce que je pense que je pense que je suis capable de dire si j’ai raison ou tort, que je suis capable d’evoluer.En somme d avoir un libre arbitre.
Il y a donc bien une conscience et un inconscient conformement à la théorie freudienne.
Notre personnalité étant la jonction des deux , je me definis par rapport à mon passé, à mon histoire et donc par rapport à mon inconscient.Mais je sais qui je suis par rapport à ma conscience.
Et la simple curiosité à des fins de survie et l’ humilité du petit homme Paul ?
Le mérite, reconnu par « les autres » ? « Moi je » ne traite qu’avec « Dieu ».
La reconnaissance des ignorants ignorant des règles « naturelles » ?
On sait-y quand on sait pas ?
Quel effet ça fait de partager jalousement aux yeux du grand publique avec cinq autres la qualité « officiel » et « restrictive » de co-inventeur de la crise des subprimes ?
Comme notre débat sur la mécanique quantique se déplace en ce moment vers la « bonne » conscience,
Qu’est ce que la téléportation quantique ? Quelques explications pour les humbles comme moi. ET qui m’amènent beaucoup de questions sans réponses………
Je suis la question, je me fout d’être la réponse. Puissiez-vous continuer à parfois r m’en donner et le ciel à m’éclairer.
http://leweb2zero.tv/video/kapsul_264cf36645e5e56
elle est ou l interactivite ?
Dans la caverne de Paul Jorion. !
Je Blogue, tu déblogues, nous rebloguons, il…….. prestige-éditationne nos illusions de libre arbitre.
Notre conscience n’est que très accessoire à l’élaboration de la Matrice.