La discussion relative à la mécanique quantique que vous m’avez encouragé à lancer me ramène à mon Pourquoi nous avons neuf vies comme les chats ?, publié en 2000 par le Collège International de Philosophie. J’y montre – sans prendre parti sur elle – comment l’hypothèse des mondes multiples qui s’attache à l’interprétation de la mécanique quantique par Everett permet de concilier un ensemble d’hypothèses philosophiques disparates : la Cogito cartésien, le meilleur des mondes leibnizien et le rôle de la Raison dans l’histoire chez Hegel.
C’est à ce texte que renvoie l’article de Wikipedia consacré à Science et conscience :
La situation se complique lorsque l’on se place dans le cadre de la théorie d’Everett. Dans ce cadre, l’évolution du monde n’est pas linéaire mais arborescente. À chaque instant l’évolution emprunte simultanément toutes les possibilités prévues par la mécanique quantique, et on peut alors légitimement se poser la question de savoir ce qu’il advient de la conscience individuelle. Notre conscience se divise-t-elle aussi pour coexister simultanément dans des mondes parallèles ? Paul Jorion répond négativement à cette question. Selon lui, la conscience emprunterait le chemin d’évolution qui est le plus favorable pour elle.
Voici, reproduite ici, à titre de hors d’œuvre, la présentation du mystère :
Les comportements inattendus au niveau microscopique des particules élémentaires qu’étudie la mécanique quantique sont quelquefois présentés au profane par le biais de l’expérience mentale dite du « chat de Schrödinger », laquelle débouche sur l’hypothèse induite des « mondes multiples ». La prémisse est celle d’états concurrents de la réalité qui demeurent superposés jusqu’à ce qu’un événement tel que leur observation – ou plutôt l’interaction avec eux que suppose leur mesure – les oblige à choisir une manière de se présenter, et ceci sans que l’alternative implicite à la superposition initiale perde pour autant de sa réalité. L’interaction – dont la mesure n’est que l’un des avatars possibles – est alors à l’origine d’une bifurcation de mondes entre deux de leurs états possibles.
Dans l’expérience mentale imaginée par Erwin Schrödinger dans les années trente du siècle dernier, un chat dont la survie ou la mort dépend de la brisure d’une fiole de cyanure déterminée par une variation quantique ayant une chance sur deux de se produire (réduction d’un train d’ondes), se retrouve simultanément mort et vivant dans deux univers également possibles mais ayant « bifurqué », ayant divergé l’un de l’autre. Le chat est à la fois mort et vivant mais dans deux mondes en voie de séparation, l’ontologie sous-jacente à cette conception étant donc celle de myriades d’univers co-existants, chacun évoluant selon un scénario qui lui est propre, d’où l’appellation pour cette interprétation de la mécanique quantique, d’hypothèse des mondes multiples (parallèles).
Ce qui – à ma connaissance – n’a jamais été évoqué dans les discussions relatives au chat de Schrödinger, c’est ce que celui-ci en pense. Sans doute parce que l’auteur de l’expérience mentale supposait que l’animal n’est pas pleinement conscient de ce qui lui arrive. Remplaçons alors le chat par un être humain pour rendre le cas de figure plus instructif. Si ce dernier est à la fois mort et vivant, on peut supposer que les principes courants en matière de conscience restent d’application, à savoir que, 1º dans le monde où il est mort, son cadavre est privé de conscience, alors que 2º dans le monde où il demeure en vie, son corps continue à être doué de conscience, c’est-à-dire, a la conscience d’être en vie (quand il n’est pas endormi, évanoui ou dans le coma). Autrement dit, en cas de divergence entre deux scénarios où dans l’un, l’individu meurt, alors que dans l’autre il demeure en vie, la conscience de soi doit nécessairement s’attacher au scénario où la capacité métabolique du corps reste entière…
Les notes – qui sont importantes – manquent du texte en ligne alors le voici en entier :
Pourquoi nous avons neuf vies comme les chats , Papiers du Collège International de Philosophie, Numéro 51, Reconstitutions, 69-80, 2000
(La même chose en anglais : Why, like cats, we have nine lives).
Armel et moi nous nous sommes arrêtés sur le côté Ouest de la rue de Condé. Francis – qui sait que nous allons prendre le métro à Odéon, s’est arrêté lui aussi. Mais Isabelle qui ne connaît rien à nos projets a déjà traversé la rue. Elle s’aperçoit soudain qu’elle est la seule à l’avoir fait, et revient sur ses pas. Mais une voiture débouche à toute allure, qui ne pourra pas l’éviter…
Quelques instants plus tard je m’entends dire à Isabelle : « J’ai vu votre sang sur la rue ». Armel lui dit : « La voiture est passée à quelques centimètres de vous ».
Dans la nuit je m’éveille et je pense : « Je l’ai vraiment vue morte : j’ai véritablement vu le sang d’Isabelle sur la chaussée. Aussitôt après je l’ai vue vivante, mais pendant une fraction de seconde je ne l’ai pas imaginée, mais littéralement vue morte ». Je me dis, le monde a bifurqué, je me suis trouvé un moment dans un monde où Isabelle a été tuée, puis aussitôt, dans un monde où – Dieu merci – elle était en vie. Est-ce que ma vision de l’accident ne suppose pas la brève co-existence de deux états-de-choses incompatibles ? co-existence qui se résoudrait comme en mécanique quantique par la synthèse soudaine de deux états également possibles et jusque-là superposés (la fameuse « réduction du train d’ondes ») ? Je pense à ce que rapportent certains rescapés d’un état « proche de la mort » et qui disent avoir éprouvé le sentiment que leur conscience (âme) « survole » la scène où leur corps lutte entre la vie et la mort. Ils affirment aussi que cette contemplation s’est interrompue brutalement et qu’ils ont alors repris conscience, autrement dit, que leur conscience s’est soudain trouvée réunie à leur corps meurtri dans un processus de réduction comparable à celui que subit un train d’ondes au niveau quantique.
Je me rendors. Quelque temps plus tard, toujours au milieu de la nuit, je me réveille et, en l’espace de quelques minutes, une suite de conséquences philosophiques de l’hypothèse des mondes parallèles précipitent dans ma réflexion : un torrent déductif où figurent une réconciliation des points de vue réaliste et idéaliste, une confirmation de la conception leibnizienne du « meilleur des mondes possibles », une expansion du cogito cartésien, le rôle joué par la Raison dans l’histoire, ce qu’il faut penser de l’idée que le temps aurait une réalité purement psychologique, enfin, comment concevoir (de manière non-contradictoire) la nature de l’Être-donné.
Bien entendu, le matin au réveil, je ne crois plus à aucune de ces sornettes, dont j’attribue l’élaboration au relâchement de l’esprit critique propre aux réflexions nocturnes. Et pourtant… au cours de la journée je retourne à plusieurs reprises vers ces réflexions, étonné de la qualité esthétique d’une démarche apportant des réponses à certaines questions philosophiques classiques à partir de l’hypothèse des mondes parallèles. C’est ce sentiment de la beauté de la cascade déductive qui m’encourage à la mettre sur le papier, en dépit de ce que je considère comme sa plausibilité quasiment nulle.
Ce qui m’a frappé au cours de ma réflexion nocturne, c’est non seulement l’aisance avec laquelle l’ensemble des questions qui se sont présentées à ma réflexion trouvaient une solution, mais surtout comment celles-ci – qui m’apparaissaient jusque-là disparates – se retrouvaient harmonieusement organisées en un tout, du fait précisément qu’une solution leur étaient apportée dans un ordre logique particulier. Nous nous étions faits à l’idée que la science était le domaine des questions qui trouveraient réponse, la philosophie au contraire, celui des celles qui resteraient ouvertes. Mais la science nous a – à tort ou à raison – déçu sous ce rapport. L’inversion des perspectives s’applique-t-elle aussi à la philosophie, à savoir, que ses questions à elle se révéleraient solubles ?
Mais quelle foi accorder à un système du monde dont le seul mérite serait de résoudre un sous-ensemble important des questions qui ont retenu, au cours des âges, l’attention des philosophes ? Autrement dit quelle garantie nous apporte quant à sa vérité une théorie dont la seule vertu est celle de sa cohérence, sa capacité-même à « faire système » ? Une telle disposition à répondre sans se contredire à ces questions, lui assurerait-elle – de manière inductive – une vraisemblance qui, sinon – au vu de son contenu propre – lui serait spontanément refusée ?
Un débat intellectuel a eu lieu récemment dont l’objet était que les philosophes se méprennent le plus souvent quant à la signification des positions défendues par les scientifiques, la portée épistémologique des théories et des faits à partir desquels ils construisent une argumentation philosophique leur échappant en réalité, si bien que, contrairement à ce qu’ils imaginent, les philosophes ne bâtissent pas à partir de la science, mais se contentent d’y trouver, de manière très lâche, une « source d’inspiration » (cf. Sokal & Bricmont 1997, Bouveresse 1999). Une occasion m’est offerte ici de répondre indirectement à cette accusation en mettant en évidence ce qui se produit quand un philosophe prend au sérieux ce que disent les scientifiques, en l’occurrence pour ce qui touche à la théorie dite des « mondes multiples » qui suppose que l’univers se fend de manière incessante en une multitude de mondes parallèles (1). L’aboutissement de ma réflexion, présenté en deux temps est, comme on le verra, surprenant à chacune des étapes de son développement.
Les comportements inattendus au niveau microscopique des particules élémentaires qu’étudie la mécanique quantique sont quelquefois présentés au profane par le biais de l’expérience mentale dite du « chat de Schrödinger », laquelle débouche sur l’hypothèse induite des « mondes multiples ». La prémisse est celle d’états concurrents de la réalité qui demeurent superposés jusqu’à ce qu’un événement tel que leur observation – ou plutôt l’interaction avec eux que suppose leur mesure – les oblige à choisir une manière de se présenter, et ceci sans que l’alternative implicite à la superposition initiale perde pour autant de sa réalité (2). L’interaction – dont la mesure (3) n’est que l’un des avatars possibles – est alors à l’origine d’une bifurcation de mondes entre deux de leurs états possibles.
Dans l’expérience mentale imaginée par Erwin Schrödinger dans les années trente du siècle dernier, un chat dont la survie ou la mort dépend de la brisure d’une fiole de cyanure déterminée par une variation quantique ayant une chance sur deux de se produire (réduction d’un train d’ondes), se retrouve simultanément mort et vivant dans deux univers également possibles mais ayant « bifurqué », ayant divergé l’un de l’autre. Le chat est à la fois mort et vivant mais dans deux mondes en voie de séparation (4), l’ontologie sous-jacente à cette conception étant donc celle de myriades d’univers co-existants, chacun évoluant selon un scénario qui lui est propre, d’où l’appellation pour cette interprétation de la mécanique quantique, d’hypothèse des mondes multiples (parallèles).
Ce qui – à ma connaissance – n’a jamais été évoqué dans les discussions relatives au chat de Schrödinger, c’est ce que celui-ci en pense. Sans doute parce que l’auteur de l’expérience mentale supposait que l’animal n’est pas pleinement conscient de ce qui lui arrive. Remplaçons alors le chat par un être humain pour rendre le cas de figure plus instructif. Si ce dernier est à la fois mort et vivant, on peut supposer que les principes courants en matière de conscience restent d’application, à savoir que, 1º dans le monde où il est mort, son cadavre est privé de conscience, alors que 2º dans le monde où il demeure en vie, son corps continue à être doué de conscience, c’est-à-dire, a la conscience d’être en vie (quand il n’est pas endormi, évanoui ou dans le coma). Autrement dit, en cas de divergence entre deux scénarios où dans l’un, l’individu meurt, alors que dans l’autre il demeure en vie, la conscience de soi doit nécessairement s’attacher au scénario où la capacité métabolique du corps reste entière (5).
Or l’existence de telles bifurcations entre mondes possibles a été, selon les représentants d’un courant important parmi les physiciens contemporains, prouvée au delà de tout doute raisonnable. Je vais tirer de ceci un certain nombre de conséquences. La première est la suivante : s’il existe certaines stratégies de vie concurrentes où le choix malheureux signifie la mort inéluctable de celui qui le pose, son auteur ne s’en apercevra jamais, sa conscience de soi restant nécessairement attachée à celui (ou ceux) des mondes multiples où il reste en vie – quelque soit la faible probabilité du scénario auquel celui-ci (ou ceux-ci) correspond(ent). Il ne s’apercevra donc pas que son choix fut en réalité malencontreux. Dans les narrations autobiographiques qu’il tiendra dans le monde où il survit, il ira même jusqu’à justifier à qui veut l’entendre la justesse de son pauvre jugement, renforçant ainsi involontairement sa tendance aux choix tactiques médiocres. Cette stratégie se poursuivra jusqu’au moment où il se heurtera à une situation où sa probabilité de survie sera devenue cette fois objectivement nulle. Nous connaissons tous des individus très fiers de leurs prouesses et auxquels nous n’attribuons aucun rôle à leur talent dans ce qui leur arrive de positif mais seulement à la chance incongrue dont ils semblent bénéficier.
Ce phénomène expliquerait une observation faite par les psychologues – évoquée dans le contexte de l’irrationalité des comportements des joueurs compulsifs (Tversky & Wakker 1995) – la persistance dans l’erreur propre à l’espèce humaine, et qui la distingue à ce point de vue des autres animaux. L’auto-réflexion propre à la conscience qui s’auto-congratule (« mon choix tactique était judicieux… ») au sujet d’un comportement qui a conduit dans un monde parallèle à une mort certaine, est indispensable pour qu’une telle tendance se développe : l’animal privé de conscience est confronté à l’objectivité de la réussite ou de l’échec de ses comportements ; au contraire, l’homme dont la conscience s’attache nécessairement au monde où son corps demeure en vie, est encouragé à persévérer, quelque soit la stupidité objective de son jugement quant à la tâche d’assurer sa survie.
Et puisque j’ai évoqué ici le jeu, il m’est permis, dans la perspective des mondes multiples, de poser le théorème suivant : La roulette russe est une activité sans risque et qui peut rapporter gros. (Une proposition identique vaut pour tous les sports dits extrêmes). Il s’agit là en fait d’un simple corollaire de ce que je viens d’avancer : le joueur s’en sort – du moins dans sa propre histoire, celle à laquelle s’attache sa conscience de soi – tant qu’il existe dans l’éventail des scénarios possibles, au moins l’un où il reste en vie. La chance de survie étant fixée ici – selon la règle du jeu – à cinq chances sur six, le sujet s’en sort toujours. Bien sûr, dans la vie des autres, il meurt nécessairement une fois sur six, mais pour ce qui est de la sienne propre, le risque est nul qu’il disparaisse du fait de sa participation au jeu : il mourra sans aucun doute un beau jour mais pour une autre cause, lorsque sa chance de survie dans l’ensemble des scénarios possibles qui s’ouvrent à lui est devenue nulle, ce qui veut dire que dans la plupart des cas, il mourra « subjectivement » de mort dite naturelle, du fait de la corruption ultime de son corps matériel. La persistance du jeu au cours des siècles récents, en dépit de son danger apparent, est une conséquence de la vérité du théorème.
J’ai mentionné le fait que dans le monde d’un joueur de roulette russe ses partenaires de jeu meurent une fois sur six, alors qu’en ce qui le concerne personnellement cette probabilité est réduite à zéro. De manière plus générale, les acteurs qui meurent de mort violente dans mon histoire personnelle mènent en réalité une vie beaucoup plus paisible dans leur propre vie (l’expérience subjective qu’ils en ont). Inversement, la vie aventureuse que je mène apparaît beaucoup plus dangereuse à mes contemporains qu’à moi-même, ma capacité effective à m’en sortir indemne étant, comme on l’a vu, considérable. Cette constatation peut être généralisée en un deuxième théorème : Chacun mène (subjectivement) une vie beaucoup plus paisible que celle que ses contemporains observent.
L’histoire de sa propre conscience suit donc nécessairement une pente « optimiste » selon laquelle, en gros, on s’en sort, sinon toujours, du moins un certain nombre de fois (6). Le concept classique de providence désigne ce principe que chacun observe à l’œuvre pour ce qui touche à sa propre existence. Ceci explique en particulier pourquoi une proportion importante de situations fortement compromises connaissent cependant un dénouement heureux, dit « providentiel », et ceci en dépit de la probabilité objectivement faible de tels retournements de situation. Ainsi, malgré l’inéluctabilité objective d’une guerre mondiale thermonucléaire – en raison du malentendu culturel régnant entre protagonistes surarmés et enclins au raisonnement paranoïaque – nous avons tous, lecteurs potentiels de mon texte, survécu à la IIIème guerre mondiale.
Une série de questions qui vont de soi pour tout individu au sein de la culture occidentale, « Pourquoi moi, ici et maintenant… quelle est la signification du monde qui m’entoure par rapport à ma propre existence ? », etc. reçoivent alors chacune une réponse presque évidente et, ensemble, elles s’articulent en un tout esthétiquement satisfaisant.
Ma conscience se manifeste nécessairement au sein du seul monde où mon existence est possible. Mais comme il s’agit, parmi la multitude des mondes avérés, du seul où mon existence est à même de se manifester, au sein de ce monde singulier, mon existence n’est pas contingente mais nécessaire : ce monde singulier et mon existence en son sein sont consubstantiels. Y étant nécessaire, ma présence au sein du monde auquel je participe est ontologiquement non-problématique. L’évidence de cette thèse s’imposerait d’elle-même s’il nous était donné d’observer simultanément notre présence ici et maintenant dans le seul monde que nous habitons, et notre absence totale dans les myriades d’autres mondes parallèles où notre existence est impossible. Cette expérience est bien entendu irréalisable puisque l’observation par nous d’un autre monde singulier que celui auquel nous appartenons, impliquerait notre présence nécessaire en son sein, ce qui est contradictoire.
Ma nécessité au sein d’un monde singulier s’accompagne de celle de tous les événements qui ont précédé mon apparition dans son histoire. Ceux-ci ne sont cependant pas significatifs du seul fait de ma propre existence : ils sont significatifs aussi bien par rapport à l’ensemble de mes six milliards de contemporains (7). Ceci dit il serait toutefois non-pertinent pour moi de m’interroger quant à ce qui pourrait m’apparaître éventuellement comme la bizarrerie – due à son improbabilité – de leur séquence : c’est leur configuration particulière qui m’a rendu possible, tout autre séquence a débouché sur des mondes ontologiquement distincts ; les événements qui ont présidé à l’existence de ceux-ci seraient-ils même plus « plausibles » que je n’y demeurerais pas moins impossible.
Le prix ontologique à payer pour l’existence parallèle de myriades de mondes contingents est la nécessité en-soi de chacun de ceux-ci, c’est-à-dire la nécessité intrinsèque de chaque événement qui y intervient, au sein de sa propre séquence – ce que l’on est convenu d’appeler « déterminisme ». Prenons l’exemple d’une succession peu probable d’événements : ma mère survit à la IIème guerre mondiale en raison des circonstances suivantes. Sa propre mère, ma grand-mère – non-juive – meurt en 1941, en Belgique occupée, d’un cancer à évolution très rapide. Mon grand-père – juif – se retrouve chef de famille ayant la responsabilité d’enfants non-juifs, et pour cette raison échappe de peu à la déportation.
J’ai souvent songé à la rationalité inattendue du nazisme qui – prenant à la lettre la logique généalogique juive – a permis la survie de mon grand-père alors que ses frères et sœurs disparaissaient dans les camps. Au sein d’une approche de type « mondes multiples », mon interrogation n’a cependant pas lieu d’être : ma propre existence suppose automatiquement qu’au sein du monde qui est le mien, les Nazis adoptèrent une logique matrilinéaire pour leur façon d’établir la généalogie des Juifs. Ceci ne veut pas dire que mon existence explique ou justifie leur démarche ; cela veut dire simplement que le seul monde possible où mon existence se manifeste est celui où les Nazis appliquèrent à l’extermination des Juifs une logique matrilinéaire ; dans celui, ou ceux, où – dans une perspective de rationalité moindre – ils adoptèrent une logique patrilinéaire, je ne suis tout simplement pas né.
Autre exemple, pendant 200.000 ans les Néanderthaliens sont contemporains des Homo Sapiens. Pourquoi ont-ils alors disparu ? La question est en réalité indifférente par nécessité logique. En effet, dans un monde parallèle, un sujet conscient se constate Néanderthalien et se pose naïvement la question symétrique à la mienne : qu’est-il donc advenu des Homo Sapiens ?
Je n’ai donc pas à me préoccuper du pourquoi des conditions de ma propre existence : il s’agit là d’un donné nécessaire à mon monde singulier. Non parce que mon existence donnerait un sens à ce monde, mais parce qu’à l’intérieur de ce monde singulier, il existe une double nécessité : de son déroulement tel qu’il a été, et de ma présence en son sein à une époque donnée. Autrement dit, mon existence impose une contrainte rétrospective sur le monde au sein duquel j’interviens : mon existence est contingente dans la perspective de tous les mondes possibles, mais elle est nécessaire à l’intérieur du monde singulier dont je parle, à partir duquel je parle. Ce qui implique que, de mon point de vue, je vis nécessairement dans celui des mondes multiples où je trouve automatiquement ma place, puisque non seulement tous les événements qui y ont eu lieu avant ma naissance sont compatibles avec celle-ci, mais aussi parce que tant que je demeure en vie tous les événements contemporains me sont nécessairement eux aussi com-possibles.
Nous sommes tous – l’ensemble des contemporains, ceux dont l’existence impose un système de contraintes identiques sur l’existence passée du monde, et il en va de même, partout et toujours, pour toute « cohorte » quelconque de contemporains. Et ceci établit entre eux une contrainte leibnizienne de « com-possibilité » : quelque soit la variété apparente de mes contemporains, nous somme liés par le fait que notre émergence simultanée à l’existence est « com-possible » : compatible avec l’histoire antécédente d’un monde singulier.
Et il en va de manière symétrique pour l’avenir. Le monde que l’on offre à sa descendance est le même que le sien, du moins jusqu’au moment où ils sont conçus. Ensuite, chacun de ces mondes se met tout aussitôt à bifurquer. Du coup, il n’est pas entièrement vain d’entretenir le souci généreux de léguer un monde meilleur à ses enfants : le leur est nécessairement identique au nôtre sur une partie de son histoire en tant que soumis au même système de contraintes qu’exige son histoire antérieure ; le monde de mes enfants ne peut commencer à bifurquer qu’après que j’y ai moi-même vécu un certain temps (8).
La fin de ma com-possibilité avec mon monde signale ma mort. Dans le vieillissement mon métabolisme s’épuise à maintenir la com-possibilité de mes cellules et de mes organes avec le monde auquel j’appartiens. Tant qu’il en existe au moins un où mon existence est possible, ma conscience lui reste attachée. Ceci m’autorise à toujours me trouver dans ce qui est pour moi le meilleur des mondes possibles, celui où – parfois contre toute vraisemblance – je demeure en vie. On a redécouvert bien sûr ici la thèse leibnizienne mais par le biais d’une ironie : chacun vit dans le meilleur des mondes possibles, mais sans qu’il existe pour autant un univers unique qui disposerait de cette propriété. Notre monde à chacun n’est le meilleur des mondes possibles que parce que ceux-ci existent en arrière-plan en quantité astronomique – du fait de leur disposition incessante à diverger les uns des autres pour s’engager sur des trajectoires distinctes, et que notre conscience – étant liée à notre corps matériel – dispose automatiquement de la capacité providentielle à s’attacher à celui qui nous punit le plus bénignement pour nos erreurs.. Par ailleurs, cette harmonie ne résulte pas comme chez Leibniz d’une volonté divine extérieure à ce monde mais du flou ontologique qui caractérise la nature au niveau quantique. [Hegel affirme de cette volonté divine chez Leibniz qu’elle est l’« égout par lequel toutes les contradictions s’évacuent » (Leçons sur l’histoire de la philosophie, III : 348)].
D’où une conception qui débouche sur une réconciliation de l’idéalisme et du réalisme. Le monde existe effectivement, mais celui que j’observe est par nécessité « mon monde » : celui dont les contraintes justifient mon émergence à l’existence. Ce n’est pas celle-ci qui procure au monde sa signification mais elle contribue à la signification de ce monde singulier au sein duquel j’existe : celui-ci est bien mon monde à moi et je le partage avec mes contemporains, même si leurs parcours en son sein n’arrêtent pas de diverger par rapport au mien. D’où une extension possible du cogito cartésien : « Je pense donc je suis, je suis donc mon monde est d’une certaine manière ». Le fait de ma conscience me permet d’appréhender le monde où j’existe, et cette existence est consubstantielle avec un monde singulier : il y a sur ce monde une contrainte qui est celle de ma com-possibilité avec tout ce qui d’autre le compose. Le fait que je pense ne façonne pas le monde ni ne le détermine a posteriori, mais moi et le monde singulier au sein duquel j’apparais, nous sommes solidairement liés dans le tissu d’un scénario unique parmi des myriades d’autres qui sont non seulement possibles mais se réalisent également par ailleurs.
De même, mon existence et la conscience que j’en ai, après que se soient succédées un nombre considérable de générations, suppose la reproduction de comportements similaires et solidaires sur une longue période. En fait, plus j’apparais loin dans l’histoire, plus mon existence suppose – comme contrainte – une survie plus longue de l’espèce, dont la probabilité dépend de l’amenuisement des attitudes autodestructrices, et de l’émergence au contraire de comportements de plus en plus unifiés. Autrement dit, plus j’interviens tard dans l’histoire de mon monde plus mon existence suppose un progrès dans la réconciliation de l’espèce avec elle-même. On n’observe pas là l’exercice d’un principe évolutionniste, mais les implications d’une contrainte rationnelle. C’est-à-dire, plus loin j’apparais dans l’histoire de mon monde, plus mon existence suppose l’exercice de la raison dans l’histoire de ce monde. Mais aussi, et quelque soit le moment où une conscience se révèle à elle-même, celle-ci constatera nécessairement dans la période qui l’a précédé cet exercice de la raison dans l’histoire qui l’a précédée. Comme le conçoit Schelling, « la nature comme le savoir est un système de raison » (Hegel, Lectures on the History of Philosophy, III : 515).
Plus spécifiquement : mon existence n’interdit pas la barbarie nazie dans les années qui précèdent immédiatement ma naissance, mais elle suppose la rationalité minimale qui leur fait adopter la conception juive de la généalogie quand ils entreprennent l’élimination des Juifs. Ainsi, chacun appartient pleinement à son époque, et seulement à elle. Ce n’est pas par hasard que je nais en 1946, c’est là que s’ouvre l’univers de ma possibilité : ni avant, ni après mais à ce moment là même dans un monde singulier.
Chacun se voit ainsi offrir son époque comme un bien inaliénable : c’est celle non seulement où il est devenu possible mais aussi celle où son absence serait marquante, s’inscrirait positivement comme une lacune. Je porte dans mon essence l’empreinte de la barbarie qui a précédé de peu ma naissance, ainsi que de celle qui m’entoure depuis. Autrement dit, elle ne m’est pas étrangère, je suis du monde où elle est : il y a consubstantialité, il y a harmonie automatique entre mon époque et moi-même ; j’en suis le fruit, et elle- même porte – en creux – mon empreinte : il est impossible que je n’y sois pas apparu.
Il y a quelques années, John Barrow et Frank Tipler (1986) ont proposé leur « principe cosmologique anthropique ». Partant de la constatation qu’un monde susceptible d’engendrer des créatures telles que nous est contraint de manière très spécifique et à l’intérieur d’un éventail très étroit de valeurs possibles pour les constantes physiques universelles, Barrow et Tipler considèrent l’existence d’un tel concours de circonstances comme improbable, et résultant nécessairement d’un dessein. Le caractère sidérant d’une telle coïncidence s’évanouit cependant s’il s’avère qu’il existe par ailleurs des myriades d’univers parallèles où ces constantes possèdent des valeurs différentes. La constatation censée « significative » de la très faible probabilité d’un univers « anthropique » se révèle en réalité triviale si les univers sont multiples. Sous sa forme alors banalisée le « principe cosmologique anthropique » se reformule de la manière suivante : Nous apparaissons nécessairement dans le monde où nous sommes possibles, et nous sommes absents par définition de tous les autres.
En conséquence, il est très peu vraisemblable qu’il existe d’autres systèmes stellaires habités dans tout monde où je suis moi-même présent : la chaîne d’événements nécessaires à l’apparition de la conscience sous la forme que j’observe en moi et chez mes semblables est trop singulière pour que l’on puisse imaginer que quelque part ailleurs dans ce même monde elle se soit développée sous une forme analogue. De ce point de vue, Barrow et Tipler ont sans doute raison : la signification de notre monde réside d’une certaine manière en nous-mêmes. Et à l’intérieur de chaque monde possible où la conscience apparaît, c’est la forme sous laquelle elle se manifeste qui lui procure sa signification, au sens où, comme l’affirme Schelling, l’homme, ou sous sa forme généralisée, la Raison, est le moyen par lequel la Nature prend conscience d’elle-même (Schelling cité par Hegel : 517).
De même qu’il existe des myriades de mondes possédant leur propre histoire, de même il en existe des myriades d’autres où le temps n’a jamais eu lieu, soit que les trains d’ondes au niveau quantique ne se sont jamais réduits en l’une ou l’autre de leurs expressions phénoménales possibles, soit que leurs manifestations se sont toujours annulées sans jamais déboucher sur la dissymétrie qui instaure une histoire dans son irréversibilité (9). Dans la mesure où il existe des mondes sans histoire, il est permis d’évoquer comme le font les physiciens, la « réalité purement psychologique du temps ». Mais un monde sans histoire est aussi un monde où la conscience n’apparaîtra jamais. Le temps est donc nécessaire pour qu’il puisse exister un jour une « réalité psychologique » de quoi que ce soit. Il n’est donc pas exact de dire que le temps n’a qu’une existence « psychologique » : le fait psychologique, c’est-à-dire le fait d’une représentation au sein d’une conscience, ne peut intervenir que dans un monde déjà pourvu d’une chronologie. Il demeure que certains mondes possibles sont privés d’histoire.
Il est maintenant tentant de démonter l’échafaudage qu’a constitué dans mon exposé l’hypothèse des mondes multiples et d’examiner ce qui en résulterait. À savoir, les réponses apportées aux questions philosophiques évoquées seraient-elles également valides si les savants se trompaient en réalité et si l’interprétation spontanée que nous avons de l’univers, à savoir qu’il est unique, était après tout la bonne ? Si oui, ce qui apparaîtrait alors, c’est que les questions que la philosophie se pose, formaient déjà système, préalablement au fait qu’on leur apporte une réponse qui les lie sur le mode déductif. Autrement dit, en posant les questions qu’elle a posé au fil des âges, la philosophie aurait en réalité postulé une ontologie très spécifique, mi-réaliste, mi-idéaliste, qui comprend à la fois une représentation modélisée de ce monde et ce qui s’approche de plus près de ce qu’un être humain peut considérer comme étant sa signification en soi, et par rapport à lui.
De plus, la raison pour laquelle le simple fait de poser de telles questions s’assimile à un amour de la sagesse deviendrait évident. Notre présence nécessaire au sein d’un monde fait tout entier d’existences com-possibles propose les termes d’une réconciliation : comment œuvrer à maximiser cette com-possibilité en étendant la compatibilité et la complémentarité des consciences. Ce monde dans l’horreur propre au temps où nous sommes nés (je m’adresse ici à mes contemporains) est bien le nôtre d’une manière non-contingente. Si nous ne l’aimons pas, libre à nous de le changer (10). Ce faisant, nous ne modifierons sans doute jamais qu’un monde singulier parmi des myriades de mondes parallèles, mais il nous est du moins offert d’en transformer un. Et pour ce faire, nous disposons d’un atout majeur : nous avons, pareils aux chats, la capacité de nous tromper du tout au tout quant à la manière de le faire, huit fois.
Notes :
(1) La théorie des mondes multiples (« many-worlds ») est une reformulation de la mécanique quantique publiée en 1957 par Hugh Everett III dans sa thèse défendue à Princeton. D’autres physiciens de premier plan, tels Gell-Mann et Hartle, souscrivent à des variantes très proches de cette conception. Price fait observer que « [La théorie] des mondes multiples est un retour à la conception classique, pré-quantique, de l’univers dans laquelle toutes les entités mathématiques d’une théorie physique sont réelles » (Price 1994-95).
(2) Price : « Selon l’hypothèse des mondes multiples, l’ensemble des aboutissements possibles d’une interaction quantique se réalisent. La fonction d’onde, au lieu de se réduire au moment de l’observation, continue d’évoluer de façon déterministe, couvrant la totalité des possibilités inscrites en elle. Tous ces aboutissements existent simultanément, mais cessent d’interférer l’un avec l’autre : ils ont divergé en un ensemble de mondes tous également réels mais mutuellement inobservables » (Price 1994-95).
(3) Price : « Une mesure est une interaction entre sous-systèmes qui déclenche un processus d’amplification, le plus souvent à l’intérieur d’un objet (que nous appelons alors en général l’instrument de mesure) ayant plusieurs degrés de liberté internes, conduisant à un changement dans la structure au plus haut niveau de l’objet (qui peut être l’appareil d’enregistrement) » (Price 1994-95).
(4) Price : « Du point de vue du chat survivant, il occupe un monde différent de celui de sa copie malheureuse et décédée » (Price 1994-95).
(5) La mort dans l’un des scénarios provoque une rapide divergence des deux mondes : « Les mondes bifurquent, “décohèrent”, l’un de l’autre quand des événements irréversibles ont lieu. [… Ceux-ci] détruisent pratiquement toute possibilité d’interférence future [entre les mondes ayant divergé] » (Price 1994-95). Au contraire, en l’absence d’une telle irréversibilité, l’ensemble des mondes où je reste en vie retrouvent rapidement leur unité. À propos du fait que nous ne ressentons pas (à l’intérieur des mondes où nous restons en vie) l’effet de ces bifurcations constantes, Price fait la remarque suivante : « L’argument selon lequel la représentation du monde implicite à cette théorie est infirmée par l’expérience, du fait que nous ne sommes pas conscients du processus de bifurcation, sont comparables à la critique du système copernicien selon laquelle le mouvement de la terre considéré comme un fait physique réel est incompatible avec l’appréhension de sens commun de la nature, puisque nous ne ressentons pas un tel mouvement. Dans les deux cas l’argument perd de son impact lorsqu’il est montré que la théorie elle-même prédit que notre expérience sera ce qu’elle s’avère être. (Dans le cas du système copernicien, l’addition de la physique newtonienne fut nécessaire pour que l’on puisse démontrer que les terriens sont nécessairement insensibles au déplacement de leur planète) » (Price 1994-95).
(6) Nombre de fois qu’une intuition à fondement empirique a pu évaluer à neuf, avant que cette disposition à une immortalité relative ne soit attribuée aux chats. D’où le titre du présent essai.
(7) Sans parler de toutes les autres créatures vivantes et de l’ensemble des entités inertes – que j’ignore ici en raison de la qualité toute spéciale d’auto-référence que la conscience autorise. Les animaux – ou certains animaux – disposent peut-être d’une conscience mais, contrairement à nos co-spécifiques, ils échouent (en tout cas auprès de la plupart d’entre nous) à nous convaincre qu’ils en disposent effectivement (le chat de Schrödinger en particulier).
(8) Price : « [la conception des] histoires multiples définit une hiérarchie d‘histoires de type plus familier connectées entre elles où chacune est l’“enfant” de l’ensemble des histoires parentes possédant un sous-ensemble seulement des événements irréversibles qui définissent cet enfant, et est aussi le “parent” de toute histoire possédant un sur-ensemble de tels événements » (Price 1994-95).
(9) Intuitivement, on pourrait penser que tout monde sans histoire versera un jour où l’autre dans la chronologie, du fait qu’il existe à tout moment (constaté bien entendu dans un monde historique parallèle) une probabilité non-nulle qu’une dissymétrie créatrice d’irréversibilité apparaisse.
(10) À moins hélàs que le sentiment de liberté qui accompagne la conscience ne soit lui purement illusoire. Je me dois de mentionner cette éventualité, ayant défendu cette thèse par ailleurs (Jorion 1999). Si, comme je l’ai avancé dans ce texte antérieur, la conscience est privée de tout pouvoir décisionnel, nous sommes alors réduits au statut de témoin impuissant de notre histoire individuelle, capables seulement de rédiger à son sujet une narration autobiographique qui entérine les faits. La conscience comme cul-de-sac constitue une interprétation possible du mythe platonicien de la caverne (voir Griswold 1999 : 14).
Références :
Barrow, John D. & Tipler, Frank J., The Anthropic Cosmological Principle, Oxford : Oxford University Press, 1986
Bouveresse, Jacques, Prodiges et vertiges de l’analogie, De l’abus des belles-lettres dans la pensée, Paris : Éditions Raison d’Agir, 1999
Griswold, Charles S., Adam Smith and the Virtues of Enlightment, Cambridge : Cambridge University Press, 1999
Hegel, G. W. F., Lectures on the History of Philosophy, III, [1840] Lincoln : University of Nebraska Press, 1995
Jorion, Paul, Le secret de la chambre chinoise, L’Homme, 150 : 177-202, 1999
Price, Michael, Frequently Asked Questions about Many-Worlds,
http://www.geocities.com/Athens/Acropolis/1756/everett.txt
Sokal, Alan & Bricmont, Jean, Impostures intellectuelles, Paris : Odile Jacob, 1997
Tversky, Amos & Wakker, Peter, « Risk Attitudes and Decision Weights », Econometrica, 1995, vol. 63, i, 6 : 1255-1280
97 réponses à “Mondes multiples et conscience”
>Paul Jorion
Votre post est tout à fait intéressant: je vais y réfléchir un peu plus avant d’en discuter plus précisément.
Mais avant tout, je voudrais vous signaler que votre réflexion suivante:
>Et puisque j’ai évoqué ici le jeu, il m’est permis, dans la perspective des mondes multiples, de poser le théorème suivant : La roulette russe >est une activité sans risque et qui peut rapporter gros. (Une proposition identique vaut pour tous les sports dits extrêmes). Il s’agit là en >fait d’un simple corollaire de ce que je viens d’avancer : le joueur s’en sort – du moins dans sa propre histoire, celle à laquelle s’attache sa >conscience de soi – tant qu’il existe dans l’éventail des scénarios possibles, au moins l’un où il reste en vie. La chance de survie étant fixée >ici – selon la règle du jeu – à cinq chances sur six, le sujet s’en sort toujours. Bien sûr, dans la vie des autres, il meurt nécessairement une >fois sur six, mais pour ce qui est de la sienne propre, le risque est nul qu’il disparaisse du fait de sa participation au jeu : il mourra sans >aucun doute un beau jour mais pour une autre cause, lorsque sa chance de survie dans l’ensemble des scénarios possibles qui s’ouvrent à >lui est devenue nulle, ce qui veut dire que dans la plupart des cas, il mourra « subjectivement » de mort dite naturelle, du fait de la >corruption ultime de son corps matériel. La persistance du jeu au cours des siècles récents, en dépit de son danger apparent, est une >conséquence de la vérité du théorème
a déjà été envisagé par l’écrivain de Science Fiction Robert C. Wilson dans sa nouvelle Divided by Infinity écrite en 1998.
Par ailleurs, comme Tipler et Barrow font explicitement référence à l’interprétation Many World pour justifier leur Principe Anthropique.
Tipler, qui est un esprit très religieux va même au delà dans son livre The Physic Of Immortality, puisqu’il semble près à fonder une sorte de religion assez étrange, mélangeant le christianisme, la cosmologie et l’informatique théorique…
[…] Blog de Paul Jorion wrote an interesting post today on Mondes multiples et conscienceHere’s a quick excerptC’est à ce texte que renvoie l’article de Wikipedia consacré… […]
Ben c’est gai, avec un peu de « chance » notre conscience à tous pourrait durer près de 120 ans voir éternellement dans un monde possible mais infernal puisque notre conscience perdurerait dans un monde parmi ceux des possibles.
Paul dans un « Multivers »compatible avec les deux piliers de la physique que sont la mécanique quantique et la relativité, votre Univers est un bloc spatio-temporelle déployé dans toutes ses dimensions et tout ses « possibles ».
Dans ce super bloc fixe apparaissent les consciences, chacune parcourant sa ligne d’univers à la vitesse de la lumière (conséquence de la relativité restreinte).
Donc dans ce bloc fixe la seule chose qui bouge ce sont nos consciences.
Je crois qu’il y a quelque chose qui ne colle pas ou alors vous postulez l’existence d’une autre dimension temporelle spécifique à la conscience et vous postulez l’existence d’une entité qu’on pourrait appeler une âme immatérielle qui « voyagerait » dans ce Multivers explorant toutes les possibilités compatible à l’émergence de la conscience.
Je viens de m’informer de ce qui se passe à Lampedusa:
http://www.migreurop.org/article1396.html
http://www.migreurop.org/article1400.html
Ce 18 février des personnes enfermées dans le « Centre d’Identification et d’Expulsion » ont mis le feu. Il y a eu 60 blessés.
Je ne sais pas comment on gère cela avec les X vies du chat de Shröder et comment ça se passe au niveau des particules. Mais je sais que c’est une réalité qui fait vaciller ce qu’il me reste de raison.
Ce n’est pas vraiment l’endroit, mais c’est un commentaire venu comme un immigré non choisi.
Et pour compléter la multiplicité des points de vue et des réalités :
http://www.journaldunet.com/video/183096/marc-touati-la-chine-sera-la-grande-gagnante-de-la-crise/
Peut être n’est ce en effet qu’une question de vibration, d’accord ? Faute d’accord, le bouleversement nous projette en effet dans un monde imprévisiblement chaotique. La fausse note est pourtant minime, comme le dit Marc Touati à un autre moment de l’interveiw « Si Sarkozy ne fait pas un petit geste, je ne réponds plus de rien ! »
En commentaire immédiat, Nadine fait un assez bon résumé englobant ( bon angle pour la prise de vue ) de ce qu’il me semble aussi que la « conscience » du texte voudrait exprimer, ce qui est reposant, car évite l’effort à fournir pour exprimer approximativement la même chose.
Cependant, je ne vois pas le besoin d’une nouvelle dimension temporel. La conscience passe par une des branches du temps déployé. Ou le temps a t-il déjà lui-même plusieurs dimensions pour se superposer aux autres espaces, contributeurs de notre perception, entre autres le volume auquel nous sommes plus « lucidement » lié.
Je ne suis pas capable de saisir le pourquoi de la conscience se déplacerait à la vitesse de la lumière en conséquence de la relativité restreinte ( ou la parenthèse emballait-elle le tout de l’interprétation ? ), sauf si vous me dites qu’elle est la forme physique de la conscience. Vous dites ça comme ça, ou est-ce très limpide pour vous ?
Néanmoins, ce qui me laisse dubitatif, avant même d’avoir essayé d’y réfléchir avec application, est : combien ça coûte, par rapport à ce que ça pourrait coûter moins cher, pour une perception identique de la conscience.
Et si les consciences vont vers leurs meilleurs solutions, pour certains, qu’auraient-ils pu rencontrer de pire ? Uniquement des solutions binaires en chaque points ? Bon ou mauvais suivant l’orientation du spin ? Chaque point se situant pour le suivant, à une distance d’un quanta ?
Je ne rajouterais pas les questions « pourquoi » et « pourquoi faire », dans la mesure où je préfère me contenter de remarques de type économique.
Bonjour Paul
Le paradoxe du chat de S. est une version techno- hard de Platon, plus grossière si plus scientifique!
dans le théétète il écrit: « il y a les vivants, les morts et ceux qui vont sur la mer » ce qui suppose qu’il conçoit déjà un état intermédiaire, dans la conscience de l’observateur;
Elégance, concision, clarté: le problème et sa solution sont donnés intuitivement en une courte phrase de trois termes!
En effet , par delà l’horizon nul ne sait ce qu’il advient des marins si ce n’est le marin lui même. Songez à l’incertitude, l’état intermédiaire, qui durait parfois jusqu’à trois ans, au moyen âge, lors des premières grandes expéditions maritimes.
Le monde extérieur n’est que le reflet du monde intérieur!
Bienvenue dans les « multivers » de l’obstinate cymric Dylan Thomas!
cordiales salutations.
Partons du principe que notre « pauvre système sensoriel » nous enferme dans un monde incomplet qui n’a qu’un rapport restreint avec le REEL.
Cet enfermement est résumé dans le mythe de la caverne.
Cet autisme vis à vis de l’univers tel qu’il est ,en dehors de l’état « humain », nous impose une explication linéaire et « déterministe » ou « causaliste » du réel perçu.
Je suggère que notre erreur FONDAMENTALE est la croyance en l’existence ou en la réalité du facteur « t ».
Le temps n’existant pas le déterminisme est évacué du faux couloir du temps.
TOUT EXISTE SIMULTANEMENT et la notion de flèche orientée du temps disparait.
La recherche effrenée du « futur » est sans objet car notre « chute » dans le physique nous empêche d’envisager le monde tel qu’il est.
(c’est pourquoi les milliards dépensés par les banques d’investissement pour prévoir l’avenir à grands renforts de Xmines et autres sont perdus pour rien).
Enfin quitte à casser les paradigmes tentez un jeu intellectuel.
Forcez vous à accepter que le réel soit non seulement infini (c’est à dire sans « limite » spatiale)…donc sans univers multiples..mais aussi éternel!
C’est à dire sans début ni fin puisque le temps n’est qu’un paramètre anthropique permettant à l’humain d’expliquer les phénomènes qu’il distingue si mal à l’aide de ses pauves capteurs.
PS
Le pluriel s’adresse aux blogueurs de ce fil et non à une personne en particulier.
LOL
????
faute de prise sur la réalité …. reste les délires (c’est plus clair que mes 4?)
Bonjour Monsieur Jorion !
J’ai quelques remarques sur votre très intéressant article.
D’abord, dire que la théorie des mondes multiples procède de la majorité des physiciens, voire même d’un courant important, me semble exagérer. De fait, les équations ne disent rien sur la création des mondes multiples; et la théorie des multivers est d’abord une oeuvre d’esprit tentant de donner un contexte, un sens aux équations. C’est un sujet où la rigueur du scientifique s’efface pour laisser place à l’imagination de l’artiste…mais pour autant, comme vous le dites, il n’est pas nécessairement faux. Et en tout cas très amusant à considérer ! Et à contester 😉
Ensuite, si la théorie de la mécanique quantique dit une chose, c’est l’importance de la mesure. C’est la mesure (au sens large, comme interaction avec le monde matériel) qui va provoquer l’effondrement de la fonction d’onde et, du moins dans la théorie de l’univers unique, « fixer » une des possibilités comme étant celle qui est advenue, fixer la mort ou la survie du chat. L’univers unique procède donc, dans la théorie de l’univers singulier, d’un unique effondrement d’onde. La théorie des mondes multiples n’est pas très bavarde sur le rôle de la mesure, qui est pourtant inscrite en dur dans la théorie quantique. La seule mesure qu’elle considère, c’est la mesure subjective, venant d’une conscience singulière, mais c’est là une interprétation bien étroite du mot « mesure » !
Sur votre règle : « Chacun mène (subjectivement) une vie beaucoup plus paisible que celle que ses contemporains observent »
Paisible, au sens où l’on évite la mort ? Mais la théorie des univers multiples ne produit pas seulement deux branches, une où l’on reste en vie et une où l’on meurt : elle en produit des milliards de milliards chaque seconde. Chaque déplacement d’atome, chaque désintégration produit deux ramifications. Dés lors, le choix de la conscience est beaucoup plus cornélien, puisqu’elle doit « choisir » entre deux univers qui n’ont pas forcement un avantage en terme de survie de la conscience : la mort ou la vie du chat n’ayant aucun impact sur ma survie (Sauf si l’on considère un agencement particulier des particules résultant m’étant favorable) comment se décide t-elle dans mon univers égocentré ? Comment et quel chemin ma conscience choisira t-elle ? En tout cas, si je considère ma vie actuelle, il me semble difficile de soutenir que ma conscience emprunte le meilleur chemin pour moi dans l’absolu, vu le nombre de vie que j’ai déjà épuisé !
Dés lors, comment soutenir le fait que la conscience « choisisse » dans le cas des évènements létaux tandis que les autres sont livrés à un effondrement probabiliste type univers singulier ? Qui plus est, dans le milliard de milliard de mondes qui se créent une femtoseconde avant un évènement risqué, et qui m’offrent la possibilité d’être encore en vie, comment la conscience choisit-elle ?
Le fait que la conscience emprunte tous les chemins disponibles, sans distinction, me semble plus soutenable dans le cas des univers multiples. Or cela contredit votre notion de providence…
Dernière petite pique :
« Autrement dit, mon existence impose une contrainte rétrospective sur le monde au sein duquel j’interviens »
Autrement dit, vous venez de redécouvrir les probabilités conditionnelles ^__^
Pour conclure sur un sujet plus grave, quand vient le soir et que le sommeil tarde, je suis parfois terrifié par la possibilité que vous mentionnez :que notre destin et notre conscience soient entièrement déterministes…cette possibilité est un véritable gouffre existentiel !
11:11 19/02/2009
Bonjour, bonsoir.
Paul Jorion nous propose ici d’étudier la place de la conscience dans le débat sur la physique fondamentale ouvert il y a qq jours. J’attends beaucoup des développements de ce débat, qui m’intéresse particulièrement. Je tiens donc à remercier chaleureusement tous ceux et celles qui partagent leurs vues et font bénéficier de leur compétence et de leur réflexion.
Le sujet est difficile depuis ses débuts, ne serait-ce qu’au plan purement conceptuel (ne parlons même pas du formalisme : mathématiques réputées *très* difficiles). A ce niveau, une interrogation préalable : ne faudrait-il pas plutôt dire que « Le sujet est difficile, **SURTOUT** au plan purement conceptuel » ?
« L’oeil ne voit pas sa propre pupille » est une belle et vieille image pour caractériser la conscience, que s’agissant notamment de l’être humain certains pourront qualifier de « fonctionnalité » au sens informatique (pour peu que le parallèle soit pertinent, question très ouverte). On est quand même là à la recherche d’une sorte de Graal !
Je me permets donc, sur ces questions si arides où les connaisseurs et spécialistes se sont lancés ici « à toute allure », de proposer à tous de reprendre à notre compte la visée que Paul Jorion s’était si clairement assigné dans le domaine monétaire, pour faire court de « tout reprendre à zéro » malgré ses grandes connaissances et son expérience.
Etes-vous d’accord avec cette proposition ? Je suis persuadé qu’elle sera profitable à tous, y compris aux spécialistes : en formation, il est largement reconnu que l’on approfondit notre expertise lors de la préparation de son cours (effort didactique) et des échanges avec son auditoire (sauf à considérer n’avoir rien à apprendre…). Belle opportunité que cet espace, non ?
Si vous en êtes d’accord, je commencerais par rappeler que, quelles que soient nos convictions personnelles (métaphysico-idéologico-cognitivo-oh-oh-oh…), dont je rappelle que tout esprit chercheur se doit d’accepter l’éventuelle remise en cause -le cas échéant radicale…-, nous nous devons d’observer et de reconnaître que la question de la nature de la conscience tout d’abord, puis celle de son interaction supposée (Wigner, etc) avec les phénomènes, via la mesure, reste une question ouverte. Si non, dites-nous en quoi !
Ainsi, je serais heureux de lire vos éclaircissements et synthèses partielles sur LES CHOSES SIMPLES, entre autres les pistes suivantes :
– les deux conceptions matérialiste (« réaliste ») et idéaliste (« spiritualiste ») ne sont-elles pas toutes deux aussi **hypothétiques** l’une que l’autre ? On sait que les grands physiciens intellectuellement honnêtes (je n’invite à aucune polémique, c’est sans intérêt ici… même s’il est bon de rappeler que la malhonnêteté intellectuelle existe !) l’ont reconnu, et c’est d’ailleurs trivial. Le même débat a existé et perdure en philosophie. In fine, les postulats fondamentaux sont-ils des « actes de foi » ? OUI / NON ?
– selon les sources, l’Ecole de Copenhague est-elle alternativement classée parmi les uns ou les autres ? Je rappelle qu’historiquement l’école de Copenhague a regroupé ceux des physiciens qui **refusèrent de prendre parti** pour l’une ou l’autre thèse, se bornant à considérer nos représentations, sans se prononcer sur le réel lui-même.
Sur la base de cette prudence originelle (tiédeur ?), les commentateurs et interprètes ultérieurs ne font-ils pas, finalement, que **mettre en relief** les points techniques qui vont dans le sens de leurs propres convictions ? OUI / NON ?
– s’il est bien vrai que « L’oeil ne voit pas sa propre pupille » (Avez-vous essayé ? Et quel est le statut du miroir ? Quelle transposition du miroir en physique quantique ?), ça risque de durer longtemps ! Il est fort vraisemblable que les constructions intellectuelles des uns et des autres vont continuer à se développer parallèlement, chacune toutes argumentées de formalisme mathématique évidemment ; à la limite, dans un sens les spiritualistes tenteront de décrire comme des « en-soi » l’esprit et la conscience, de façon convaincante (logique formelle, maths, …), puis d’en formaliser l’action ; de l’autre côté, les matérialistes tenteront de dérouler des analyses très ambitieuses avec pour finalité une démonstration formelle de l’émergence quantique de la conscience, mais aussi en toute cohérence des phénomènes psychanalytiques voire sociétaux, et jusqu’à l’irruption du transcendental au travers des siècles…
Vastes programmes de part et d’autres. Je vous le dis tout de suite, je suis troublé par tout cela si j’ai en tête cet aphorisme que je trouve délicieux, toute métaphysique mise à part : « La tâche de l’homme est de découvrir Dieu, et la tâche de Dieu est de se cacher à l’homme ».
Oui, ça pourrait bien durer longtemps 🙂
A vous lire.
Un paquet d’ondes.
Je crois qu’un simple raisonnement permet de démonter la théorie des univers multiples parce qu’avec cette théorie il me semble qu’on retombe dans la physique classique qui n’est pas compatible avec la physique contemporaine.
Pour comprendre ce que je veux dire postulons l’existence d’un seule atome d’hydrogène dans l’univers et voyons ce que cela donne avec la théorie des univers multiples.
Un atome d’hydrogène c’est un noyau, le proton avec une charge positive et un électron avec une charge négative qui « tourne » à une certaine distance autour de celui ci.
A ces dimensions là, le principe d’indétermination d’Heisenberg implique de résoudre l’équation de Schrodinger pour déterminer les régions où l’électron se trouve en superposition quantique.
Si je prends l’hypothèse des univers multiples, il y a autant d’univers qu’il y a de trajectoires possibles de l’électron autour de son noyau. Ceci implique que dans chaque univers l’atome d’hydrogène possède un électron avec une trajectoire bien précise.
Et bien ceci est impossible parce que s’il n’y a qu’une trajectoire de l’électron autour de son noyau pour chaque univers, l’électron vient systématiquement finir sa course sur celui ci.
Car il faut savoir qu’avant l’avènement de la mécanique quantique on ne comprenait pas pourquoi l’électron restait à une certaine distance du noyau (rayon de Bohr). En effet selon l’interprétation classique l’électron devait émettre de l’énergie et s’enfonçait en spirale jusqu’à ce qu’ils se trouve tout contre le noyau. Avec la mécanique quantique ceci ne peut pas arriver car plus nous connaissons la position précise de l’électron plus sa quantité de mouvement tant vers l’infini. Un électron complètement confiné (donc sur le noyau) aura une énergie infini. Donc le rayon de l’atome d’hydrogène c’est un équilibre où cette énergie quantique est minimum pour l’atome compte tenu de la force électrostatique du noyau.
Les univers multiples ne sont pas possibles car cela revient à créer des univers classiques en nombre illimité où la matière tel qu’on la connaît ne peut pas exister.
Avis?
@barbe-toute-bleue
Vous dites: « Je ne suis pas capable de saisir le pourquoi de la conscience se déplacerait à la vitesse de la lumière en conséquence de la relativité restreinte »
Je vais essayer de donner une explication toute relative…
D’Après la théorie de la relativité restreinte la vitesse de la lumière est indépassable à cause de la structure de l’espace-temps. En fait pour prendre une image les objets se déplacent tous à la même vitesse à savoir la vitesse de la lumière mais dans un espace à 4 dimensions. Lorsque nous sommes au repos en fait nous nous déplaçons dans la dimension temporelle à la vitesse de la lumière alors que dans les dimensions spatiales nous ne bougeons pas. Quand nous nous déplaçons en voiture par exemple c’est un peu dans la dimension spatiale et un peu moins dans la dimension temporelle, l’addition des deux étant toujours égale à la vitesse de la lumière. Voilà ce que je voulais dire sachant qu’en fait les objets ne se déplacent pas, le monde étant fixe selon la relativité donc ce sont nos consciences immatérielles qui se déplacent à la vitesse de la lumière qui peut se décomposer en vitesse spatiale et vitesse temporelle mais vous voyez de suite la contradiction comment peut on se déplacer si le monde est fixe à moins de considérer que c’est la conscience qui se déplacent dans autre dimension temporelle subjective et qui n‘a rien à voir avec le temps physique. Je ne sais pas si je suis claire, ceci dit en ce qui me concerne je ne crois pas que le temps soit déployé même si je comprends parfaitement pourquoi les relativistes l’affirment. Imaginez que les pires souffrances de ce monde soit depuis toujours et à jamais inscrites dans l’univers et qu’une conscience égarée pourrait revivre éternellement sans le savoir, je me demande quel est le Dieu qui aurait fait un monde pareil.
Pour moi la théorie de la relativité doit être dépassée où alors le monde est un cauchemar.
@ tous
Nadine nous écrit 19 février 2009 à 00:23 :
« Dans ce super bloc fixe apparaissent les consciences, chacune parcourant sa ligne d’univers à la vitesse de la lumière (conséquence de la relativité restreinte). » puis « (…) ou alors vous postulez l’existence d’une autre dimension temporelle spécifique à la conscience »
Les expériences faisant intervenir des photons intriqués n’ont-elles pas mis en évidence récemment une corrélation **instantanée** ?
Si oui, est-ce qu’il ne serait pas judicieux d’envisager la possibilité d’une action non diachronique ? Ceci rejoindrait les vues de TARTAR, peut-être (« Je suggère que notre erreur FONDAMENTALE est la croyance en l’existence ou en la réalité du facteur “t”. »)
Une hypothèse plausible, formellement ?
Sur le plan existentiel, je me permets de réfléchir *VRAIMENT* (pas dix secondes…) au fait que, mises à part 1) les projections dans le passé ou le futur par la pensée, et 2) les perceptions de la durée bergsonienne, prétendument a-priori indiscutable, eh bien… NOUS SOMMES TOUJOURS AU PRESENT, EN REALITE !!!!
Sauf par la pensée, justement.
Peut-être rebouclerons nous là-dessus, plus tard, autour du problème du prêt à intérêts et de la gestion temporelle des dav par le banquier 😉
Les pistes de réflexion que vous nous propose Patrice, rejoignent les questions fondamentales que posait le philosophe Emmanuel Kant. Surtout l’une d’entre elles : que peut-on connaître ? Les deux autres étaient : qui sommes-nous, où allons-nous. Kant a tranché : nous ne pouvons pas connaître la chose en soi, ni Dieu ni la substance du monde. C’est la thèse de la finitude de l’homme. Le temps et l’espace sont des catégories de notre sensibilité qui nous permettent d’appréhender l’univers des phénomènes, le temps n’est donc pas une dimension de l’univers physique, mais une condition de sa perception. Il en est de même de l’espace.
De là le fait que Kant distingue un ordre des causes, déterministe, celui dont parle Paul, d’un ordre des raisons, qui se rapportent, elles, à l’action. L’humain serait alors pratiquement la résultante de ces deux types de causalité : d’une part en tant qu’animal évolué il est soumis aux contraintes du monde naturel, ainsi qu’à l’enchaînement des causes que celles-ci soient complètement naturelles, ou de manière dérivée, autrement dit tous les phénomènes physiques, y compris ceux mis au point point et déclenchés par les humains. D’autre part, d’un point de vue pratique, l’humain, tout en demeurant soumis au cadre contraignant du monde physique, se donne à lui-même ses propres déterminations, pour agir. C’est ce que Kant nomme la Raison. Une raison dans laquelle intervient trois aspects : la logique, l’imagination et une faculté de jugement. Laissons de coté ici le coté moral en vue duquel Kant a en partie élaboré ces distinctions, même si cette question est elle aussi importante. Ce qui est intéressant de voir c’est que les deux causalités ne sont pas incompatibles.
L’humain est bien intégré dans un univers physique dont il doit respecter les lois pour vivre et assurer sa survie. Dieu n’est plus nécessaire pour expliquer le monde. L’humain, l’individu pour être précis, pour agir, doit faire intervenir sa capacité d’imaginer des mondes possibles parmi beaucoup d’autres. Il se projette dans le futur et pour se faire simule mentalement des séquences possibles de son action. Il rassemble ses idées, pèse le pour et le contre, envisage ce qu’il est possible de faire étant données les circonstances et les ressources dont il dispose et compte tenu de ce qu’il sait du monde. Les faits humains n’obéissent donc pas à une causalité complètement naturelle. Le règne humain a sa causalité propre. Et cela se constate tout le temps et depuis que l’humanité existe. L’homme fabrique, invente, développe une culture, des cultures, et cela en vertu de sa capacité à imaginer d’autres mondes possibles, et pas seulement des mondes parallèles. Je voudrais préciser ici, qu’il n’est pas question de trancher sur la question de savoir si nous sommes libres ou pas. Ceci est une autre question. L’ordre de la causalité humaine telle que celle introduite par Kant, est compatible avec l’ordre déterministe des causes externes purement physiques.
Mais c’est ici que pointe une nouvelle objection. L’usage de notre raison, de notre imagination sont eux-mêmes des processus physiques. Physico-chimiques, biologiques, pour exact, et qui relèvent de la neuro-science. Voici donc l’homme neuronal de J.-P. Changeux ! Ce qui revient à dire que l’humain serait entièrement objectivable. Mais est-ce concevable ? Pour apporter un début de réponse peut-être pouvons-nous distinguer une approche externaliste, bio-physique, d’une approche internaliste, celle de Kant et finalement toutes celles qui en dérivent comme la psychanalyse, méthode qui considère que l’homme n’est pas seulement un objet mesurable. Kant n’a pas reconnu le rôle de l’inconscient, mais il a reconnu la cohérence, la solidarité intrinsèque entre monde extérieur et « monde » intérieur. L’erreur — philosophique, et non pas de méthode je précise– que font les neuro-biologistes du style Changeux est de rabattre l’humain sur le physique causal extérieur. Certaines facettes de l’humain, qui ressortissent à l’intériorité telle que définie plus haut (conscient-inconscient), sont réduites à des interactions physiques objectives, tout le champ de l’inconnu se définissant alors comme du non encore objectivé. L’explication de la « machinerie » humaine sera de toute évidence de plus en plus fine, mais ce schéma explicatif (notons au passage que le « ex » de explication connote l’extériorité.) n’est-il pas une façon parmi d’autres d’envisager l’humain ? Et cette façon d’envisager l’humain ne constitue-t-elle pas d’ailleurs une action humaine, parmi d’autres possibles. Ce qui nous ramène à l’ordre causal intérieur et fait de tout projet scientifique la résultante d’actions bien humaines où individu et société de co-évoluer. Et c’est ici que nous revenons à la dimension morale, éthique, que j’avais évoquée à propos de Kant.
Il n’est pas douteux que ces inventions (car pour reprendre un thème cher à Paul, ce ne sont après tout que des modélisations) ne resteront pas cantonnées dans le champ de la recherche fondamentale. Le risque serait alors que cette façon d’envisager l’humain, en s’appliquant à tous les aspects de la vie humaine, via le marché, ne devienne l’unique norme à l’aune de laquelle tout humain devrait se conduire. L’univers des possibles serait alors absorbé par un univers d’artefacts où la réflexivité, la sensibilité, la création, n’auraient désormais plus pour rôle que de perfectionner toutes les techniques de manipulation.
Bref, les univers com-possibles nous ramènent aussi aux univers possibles, ici-bas.
Bonjour Monsieur Jorion
Je n’ai pas la prétention d’apporter une contribution significative, vu que ma formation en philosophie s’est arrêtée au baccalauréat, mais il se trouve que je réfléchissait récemment à ces questions. Je voulais même écrire une oeuvre majeure avec pour titre : « Six milliards de petits mondes », mais on m’a appelé pour passer à table et ça en est resté là.
Comme c’est tout à fait dans le sujet, je vous expose tout de même mon point de vue en gros :
Pour ce qui concerne chacun de nous, le monde existe à travers nous (ce que nous observons avec nos sens, ce que nous savons, ce avec quoi nous interagissons). Chaque individu existe dans un monde personnel plus ou moins complexe suivant ses connaissances, ses expériences et sa compréhension. (Sa conscience du monde ?)
Par exemple, le monde du « fanatique borné » peut être vaste mais il est toujours simple et compréhensible puisque régit par des lois divines dont il n’a pas à se préoccuper. Il peut agir à sa guise, sûr de ne pas se tromper dans ses choix.
Le monde du « Philosophe » est en revanche touffu, infini, et chaque jour plus complexe. Par conséquent, le philosophe répugne a agir sur le monde réel puisqu’il ne peut savoir avec certitude, parmi les milliers de facteurs dont il a connaissance quel levier abaisser. Net avantage de l’esprit obtus dans l’action.
Bref, cette superposition de consciences du monde se côtoient et s’emmêlent sur fond de monde réel, celui qui existe indépendamment de nous, puisque nous pouvons le mesurer avec des outils.
Ce qui m’interpelle, c’est qu’on n’a pas vraiment idée de ce qu’est le monde réel, malgré toutes les mesures et observations exactes que l’on peut en faire, puisque ses dimensions et sa variété dépassent largement les capacités de notre cerveau. Même par le biais de l’imagination, nous ne pouvons qu’avoir une image déformée, inexacte et personnelle du monde réel. Un brouillon flou. Les scientifiques nous disent qu’ils parviennent à définir les grandes lois qui régissent le monde réel et que de ce fait nous n’avons pas besoin d’appréhender la totalité pour connaître une partie puisqu’il suffit de mettre les bons paramètres dans l’équation adéquate. Mais cela suppose de considérer que l’équation prend en compte suffisamment de paramètres…
Dans cette optique, votre hypothèse des mondes parallèles n’arrange pas les choses puisqu’elle rajoute encore de la complexité et de l’infinité dans le système. De plus, du point de vue du raisonnement logique, cette théorie des mondes parallèles pose problème puisqu’elle est irréfutable (tout au moins en l’état actuel de nos capacités d’observation et de mesure).
Mon point de vue est donc que je dois me contenter de mon petit monde personnel qui est différent de celui de mon voisin et de tous les autres êtres humains pensant, même si il repose sur un substrat commun (le monde réel).
Et si parfois j’ai des difficultés à comprendre le comportement de mes contemporains, c’est parce que je n’ai pas traversé les mêmes expériences ni observé les mêmes choses. Je dois donc m’efforcer de comprendre cette différence afin d’avoir une petite idée des « petits mondes » personnels qui m’entourent… Mais je dois aussi faire confiance à mon inconscient car il y a des éléments que j’oublie ou que j’élimine sans le vouloir.
Bref ! Mon petit monde personnel est bien incomplet et déformé, mais au moins je sais qu’il l’est ! Quant à agir sur le monde réel, toute la question est à mon avis d’accepter la possibilité de se tromper afin de pouvoir essayer et encore essayer. Mais personne n’aime se tromper.
Félicitations pour votre site qui incite à la réflexion et qui nous informe sur les mécanismes complexe du « Monde » de la finance. Ainsi que les nombreux contributeurs qui apportent leur pierre à l’édifice.
Petite citation de Douglas Adams :
« D’après une théorie, le jour où quelqu’un découvrira exactement à quoi sert l’Univers et pourquoi il est là, ledit Univers disparaîtra sur-le-champ pour se voir remplacé par quelque chose de considérablement plus inexplicable et bizarre »
« Selon une autre théorie, la chose se serait en fait déjà produite »
Bien que passant pour légèrement atteint en raison de ma théorie sur la non-réalité du facteur temps je suis heureux de fréquenter un site capable d’exposer en bon français les digressions disparates ci-dessus.
Ayant un temps accepté les vues de Changeux, j’en suis revenu et je réfute pour diverses raisons (y compris métaphysiques) la restriction de l’homme neuronal.
Les sentiments comme résultats d’échanges chimiques complexes…etc.
Plutôt que de parler des « humains » il faudrait parler de l’ »état humain » comme d’une « option bas de gamme » d’un système d’analyse du réel…
Dans cette option (low cost) nous n’avons pas accès au tout.
C’est pourquoi nos thèses (même testées par des collisionneurs géants) ne décrivent pas le réel.
Par contre les outils mathématiques utilisés en physique « croient » et « prouvent » décrire le réel.
Les maths « existaient »-ils avant ou sont-ils consécutifs ?.
Ou plutôt est-ce que le monde est bâti selon la géométrie ou l’inverse?
Les calculs ou les stats complexes censés prédire le futur des marchés ne configurent-ils pas ces marchés?
Autrement dit l’observateur matheux génial des salles de marché ne modifie-t-il pas fondamentalement ce marché en le manipulant avec perversion.?
Merci à P-Yves D. pour cette sentence:
« L’univers des possibles serait alors absorbé par un univers d’artefacts où la réflexivité, la sensibilité, la création, n’auraient désormais plus pour rôle que de perfectionner toutes les techniques de manipulation.
Bref, les univers com-possibles nous ramènent aussi aux univers possibles, ici-bas. »
Désolé pour l’abus de guillemets, j’ai pas de « graisse »…
@ Paul
Merci Paul pour ce très beau texte, tout à fait fascinant, un des plus personnel qu’il nous ai été donné de lire, car votre histoire familiale, et donc personnelle, entre en résonance avec les hypothèses que vous formulez de même qu’elle les exemplifie, je dirais même les amplifie en leur donnant de la densité. J’y retrouve donc votre souci jamais démenti d’intégrer les aspects éthiques dans tout questionnement, y compris scientifique. Bref, même si vos prémisses sont scientifiques nous y empruntons derechef les chemins de la vie. Il y a aussi beaucoup d’humour dans ce texte sous ses dehors très logiques. Je pense sincèrement que ce genre de texte est très stimulant pour la pensée même si on peut ne pas partager certaines de ses prémisses ou certaines de ses conclusions. Par un jeu de miroirs entre des thèmes souvent disjoints, le procédé littéraire de la mise en abyme — comme cette adresse aux futurs terriens survivants de notre univers com-possible, la Raison du futur s’adressant à celle d’aujourd’hui, autant dire à elle-même, puisqu’il s’agirait toujours d’une seule et même raison, cette raison d’aujourd’hui qui aurait survécu –, nous quittons nos petits prés carrés, non pas pour gagner la stratosphère, mais toujours pour nous interroger sur ce qui constitue notre vivre ensemble et nos singulières existences. Bref, je ne pourrais mieux dire que ce que disent les philosophes : vous donnez à penser.
Ces choses dites, je vais tout de même me hasarder à faire quelques petites remarques concernant certains aspects de vos « Mondes possibles ». Je me lance, même si je mesure le coté périlleux de la chose car je ne connais pas grand chose à la théorie des quantas, j’en connais seulement ce que le langage humain peut m’en dire, et en n’étant même par certain d’avoir tout compris. Mes remarques portent donc essentiellement sur le versant philosophique du texte.
Première petite remarque, à la fin du texte, vous dites à propos du monde : « Si nous ne l’aimons pas, libre à nous de le changer. » Compte tenu de ce que vous dites juste avant cette phrase, n’est-ce pas plutôt parce que nous aimons ce monde que nous voulons le changer ? Parce que, comme vous l’expliquez, nous voulons qu’il dure le plus longtemps possible, pour nous, nos proches, et finalement l’humanité entière, dont nous sommes solidaires, que nous le voulions ou pas, parce que nous sommes tous les enfants d’une même histoire ? Nous confondons souvent le combat, l’opposition, avec la haine. S’il s’agit de confrontation et non pas de volonté destructrice, même si la lutte peut apparaître âpre, n’est-ce pas finalement une forme d’amour qui se manifeste ? Votre blog est d’ailleurs la preuve vivante que l’on peut apporter la contradiction sans visée malveillante ni sans vouloir établir un rapport de force. Ou alors c’est la force d’une vérité, pour certains LA vérité, pour d’autres une vérité, ce qui m’amène à ma deuxième remarque.
Deuxième remarque, s’agissant de la Raison de l’Histoire, comme vous le précisez, celle-ci est rétrospective. Hegel, par contre, prétendait expliciter, avec son système des sciences philosophiques, quelles sont ses manifestations historiques nécessaires. En somme, chez Hegel, science et philosophie se confondent, à tel point que les arts, la politique sont au même titre que la science des manifestations d’un même Esprit du monde. Ce qui revient à dire que La Raison et Hegel ne font qu’un. Hégel est celui qui comprend le mieux les déterminations du monde, celui duquel il procédait, il est donc celui par lequel la Raison du monde advient. Avec le recul, il nous apparaît tout de même que Hégel est un philosophe parmi d’autres, et que si ses raisonnements philosophiques conservent tout leur intérêt et enrichissent toujours notre monde, plus personne, ou alors seulement quelques irréductibles hégéliens pur et durs, continuent de penser que Hegel avait raison sur tout, et principalement sur le fait implicite qu’il était effectivement la Raison du monde.
Dire que notre monde est cohérent est une chose, mais dire qu’il n’y a qu’une Raison nécessaire à l’oeuvre dans notre monde et qu’il est possible d’en rendre compte comme vérité une et incontestable en est une autre. Si cela était vrai, qu’il y a une Raison du monde explicite, modélisable, pour employer votre vocabulaire, cela ne signifierait-il pas que la survie de notre monde, et donc de chacun de nous, dépend d’un modèle particulier, d’une seule explication du monde ? Que donc, en toute logique, la Raison du monde du futur procédera de la même raison unique et vraie que nous pourrions expliciter aujourd’hui. Pourtant, le système hegelien, si je ne m’abuse, est tout entier axé sur une dialectique historique où intervient le travail du négatif. Or, pourquoi ne pas poser, par exemple, que telle explication du monde actuelle, pour nous la plus cohérente aujourd’hui, la plus universelle, que nous supposerions vraie, et que nous mettons de toutes nos forces en avant parce qu’elle nous semble la plus à même de faire advenir le meilleur des mondes possibles, ne serait qu’un moment, un aspect tout à fait superficiel d’une vérité à venir ? Nous le voyons bien ici dans tous nos débats, à propos des divers scénarios possibles de la crise, certains voient nos plus grandes chances de survie dans l’effondrement total du système actuel, d’autres au contraire pensent que la seule chance est que celui-ci effectue sa grande transformation, et chacun d’avancer tout un tas de raisons, de références et d’indices. Il ne s’agit pas ici pour moi de faire dans le relativisme, il est bien évident, que plus tard, il apparaîtra qu’une explication semblera plus proche de ce qui sera effectivement le déterminisme particulier qui aura conduit au futur de ce monde. Mais, en attendant, qui peut prétendre sérieusement avoir Raison ? A postériori l’Histoire paraît assez limpide — encore que, les historiens eux-mêmes, pourtant du même métier, peuvent avoir des conceptions diverses de leur discipline sans parler des explications multiples de mêmes faits historiques –, mais quand elle est en train de se faire ? Bref, pour faire à nouveau référence à Kant, Hegel n’a-t-il pas confondu raison scientifique et raison pratique. N’a-t-il pas résorbé le politique dans le scientifico-philosophique ?
Il me semble, et c’est ce qui fait sa force, qu’il y a un début de réponse dans votre texte. Ce n’est pas une histoire singulière, et donc implicitement le triomphe d’une théorie particulière qui serait la Raison du monde — dans sa prétention doublement théorique et pratique, qui fait le devenir du monde, mais l’entrelacement, y compris via la confrontation, de toutes nos histoires singulières et les théories dont elles peuvent être porteuses. Bref, Hégel introduit la thématique du négatif dans l’Histoire, mais il ne va pas jusqu’à assigner un rôle négatif à son propre système philosophique. Ce serait nier ce qu’il affirme et donc le rôle de la Raison dans l’Histoire. Hegel a une vision du monde très proche de celle que pouvaient avoir les penseurs chinois. Il voit le monde en termes d’évolution, de processus. Mais son système reste un système axé sur l’ontologie, ce qui lui confère un caractère absolutiste. Vous avez insisté par ailleurs sur la nécessité d’un nouveau paradigme qui assumerait pleinement l’aspect modélisation de toute connaissance par opposition à une tendance qui a prévalu depuis l’Age moderne, qui a tendu à confondre théorie et réel, et a fait perdre à la science de son autonomie, autonomie qui est la condition d’une articulation avec l’éthique et le politique. En effet, quand une épistémologie prétendait assimiler théorie et description d’un réel en soi, éthique et politique se voyaient du même coup neutralisés, absorbés qu’ils étaient par un « modèle » figé du réel. Ce qui précisément arrive aujourd’hui avec l’économie. Or vous vous référez souvent à Hegel, qui me semble un peu à contre courant de ce que vous préconisez. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Patrice dit :
@ 19 février 2009 à 10:57
Il est bien difficile et aléatoire de répondre par oui ou par non. Voir plus bas.
« » s’il est bien vrai que “L’oeil ne voit pas sa propre pupille” (Avez-vous essayé ? Et quel est le statut du miroir ? Quelle transposition du miroir en physique quantique ?), ça risque de durer longtemps ! » »
En principe, celui qui voit notre propre pupille, ce n’est pas soi, c’est autrui. Et cet autrui participe de mon monde « extérieur », tout ce monde humain « proche et lointain », y compris si ce monde extérieur était infiniment dédoublé et il contient toute la macrophysique y compris la physique subatomique (dont on n’a sûrement pas fini de trouver des particules élémentaires, à l’infini? L’instalation de l’accélérateur géant du CERN à la fontière franco-suisse procède de ce projet).
Il faut se « méfier » du miroir car il donne une image « inversée ». Par exemple, dans le miroir, notre bras droit devient notre bras gauche, etc. dans notre image vue dans le miroir. Mais ce qui se passe horizontalement dans le miroir ne joue pas veticalement, dans le miroir nous avons toujours la tête en haut et les pieds en bas (le premier à avoir posé la question est, je crois, Saint Éxupéry, depuis, il y a eu une explication)
Sur certaines questions (mais l’univers en réalité) il est difficile de se « défaire » d’un investigateur si fécond tel que Stéphane Lupasco. Il trouve que la rationalité est encore restée trop faible et qu’elle n’est pas suffisemment rationnelle. À l’ l’heure de la mécanique quatique, la rationalité doit fondamentalement se réinspecter. Même le président de l’Union rationaliste de l’époque Axel Kahane (je crois), a admis s’être trouvé interpellé par la logique et les recherches de S. Lupasco. Quand on connaît un minimum la position de l’Union rationaliste dans l’ensemble de la pensée contemporaine, cela donne un aperçu de la portée de la logique sortant de la mécanique quantique mise en exergue par S. lupasco.
Voici un texte que j’ai déjà utilisé sur ce blog (billet de Paul du 11.12.2008, intitulé: À paraître: Comment la vérité et la réalité furent inventées, Rumbo le 13.12.2008 à 2h12) d’un chercheur ou d’un auteur ayant sûrement étudié Stephane Lupasco que j’ai copié sur un site intitulé: Expériences spirituelles. Je crois que cet article est clair, concis et stimulant:
–– La logique de Lupasco est une systémologie, science de tous les systèmes possibles.
Lupasco disait ceci : ” Pendant vingt-trois siècles, tout homme de science et tout philosophe a raisonné en utilisant la logique classique dite du tiers exclus, formalisé par Socrate et Aristote “.
Mes premières thèses datent de 1935 mais elles me furent hélas pillées par Gaston Bachelard qui publia en 1940 “La Philosophie du Non”.
Or je constate que la notion de système est la seule qui puisse accorder science et religion.
Le systémique est fondé sur le principe que la somme des parties n’est pas égale au tout et donc un ensemble acquiert des propriétés que ne possède pas chaque élément pris individuellement. Toutes les sciences humaines sont basées sur cette notion de système qui dépasse le processus linéaire cause effet. La connaissance se présente alors comme un système causal circulaire mais ouvert (l’homéostasie, en recherche d’équilibre), enchevêtrement de boucles rétroactives, conditions initiales qui sont identiques et qui pourtant provoquent des comportements différents, et l’inverse (l’équifinalité) etc. Plus le système est complexe moins il est prévisible dans son comportement, toute complexité développant de l’indécidable de par l’émergence de propriétés nouvelles qui sont rangées classiquement dans le cadre du qualitatif. Et ce qu’il y a de remarquable, c’est que la retranscription de cette complexité sont des diagrammes logiques, au même titre que ceux des sciences dures. Enfin, c’est plus compliqué que ceci à dire.
Si le Tout est considéré comme un vaste système, et c’est là que c’est important, cet ensemble, ne serait-ce que par le premier principe qui fonde toute systémie, a nécessairement des propriétés émergeantes que n’ont pas quelque sous système qui le compose : elles demandent donc un autre plan de compréhension.
C’est à ce niveau que j’opte pour la plausibilité d’un système ouvert puisqu’il existe déjà au niveau de sous-ensembles.
Toute CROYANCE ne serait pas seulement un rêve consciemment construit, une projection de l’homme vers des idéaux etc, mais bien le ressenti et l’exprimé d’un autre plan, ou naissant de la complexité d’un système ouvert, ou le précédant, car quand on parle d’autoconsistance il est difficile de savoir de la partie ou du tout quel est le premier, car se serait faire référence à la linéarité du cause-effet et donner primauté à la partie sur le Tout.
C’est ce qu’exprime Dieu lui-même en disant que son temps n’est pas le nôtre : et au-delà de la terre est un ciel.
La sommation n’est qu’une opération mathémathique qui néglige les caractéristiques propres de chaque identité. En fait toute identité que l’on peut décompter par rapport à un ensemble fait partie d’un système complexe, en lui même, et par rapport aux autres identités. Une bille plus une bille = deux billes ? Oui mais elles s’attirent. Et s’il y en a des milliers dans l’espace, il va se passer quelque chose, aucune en elle même ne pourra être isolée sans déranger l’ensemble, le tout, le système qui lui a des propriétés que n’a pas chaque bille prise individuellement.
Nous sommes, nous et toute identité que l’on peut spécifier, partie d’un système. Quand bien même nous pourrions dénombrer toutes les parties du tout, aucune des parties ne pourra saisir les propriétés de l’ensemble. Je prends en général la comparaison avec un corps humain formé de cellules toutes différentes et qui coordonnées donnent vie à un “tout”, un système. Ce système s’appréhende partiellement lui-même en tant qu’identité, mais découvre en même temps l’incomplétude de son être qui n’est que parcelle d’un système plus vaste.
A l’identique, si nous considérons l’univers comme un système autoconsistant et Dieu compris, alors il est certain, par induction peut-être non fondée, qu’il a des propriétés, inconnaissables, qui ne sont contenues dans aucune de ses parties. Et c’est là que peut être situé Dieu, non pas un Dieu autocréateur mais qui serait une potentialité qui spontanément a émergé et s’est immergée au sein de l’univers par la simple loi de l’équiprobabilité de l’être et du néant.
La conséquence de cette notion de système est que toute identité de quelque ordre qu’elle soit n’est que partie d’un ensemble plus vaste et qu’à la limite, nous ne sommes que par les autres. Ceci est compréhensible au niveau existentiel, mais est aussi vrai dans le monde du quantique. Une particule n’a pas les mêmes propriétés par exemple si elle est isolée ou si elle est en couple par exemple, je pense là au couple neutron-proton. Il est donc difficile désormais de définir l’identité, ce qui est un comble puisque tout langage se fonde sur le principe d’identité, postulat vieux comme le monde.
Conséquences de la notion de système:
1) Démontre l’impossibilité de prouver l’existence ou la non existence de Dieu.
2) Mais surtout démontre l’équiprobabilité des deux positions Dieu et non Dieu car tout potentiel dans la logique trinitaire de Lupasco a une valeur non nulle de se réaliser. La probabilité qu’il y ait un système monde plutôt que rien arrivera nécessairement dans un rien infini. C’est ce qui s’est passé lors du créatif. Ce n’est pas un Dieu ex nihilo, c’est Dieu qui utilise le néant.
Cette équiprobabilité de l’être et du néant est irrésolvable en logique binaire où nous arrivons très rapidement à des antinomies. Mais elle est résolvable immédiatement avec la trialectique de Lupasco et ses trois états, potentiel, actuel et un état T qui pourrait se dire “en devenir”, semi potentiel actuel.
La logique de Lupasco est une logique du tiers inclus, elle est trinitaire et une de ses conséquences immédiates est la primauté de la relation sur l’objet. C’est la relation qui fonde tout objet. Il n’y a plus objet objet, puis possibilité de relation, mais relation en premier qui découvre au moins deux éléments qui sont comme limites à un dynamisme. ––
(signé Daniel)
@TARTAR
A propos de ce qui est réel ou pas. J’ai longtemps cru que tout ce qui était à l’extérieur de la sphère terrestre était tellement hors de portée de l’humanité, qu’il était inutile de se pencher sur cette question, et qu’il valait mieux se trouver d’autres occupations.
En constatant les progrès en astrophysique de ces 10 dernières années, je m’aperçois qu’on est déjà en lisière de peut-être devenir plus autonome, par rapport à notre berceau, sans illusion sur le futur non plus.
Mais pour ce qui est réel, ou pas, si nous ne le sommes pas nous même, peu importe le réel réel.
Si le temps n’existe pas, étant juste une perception particulière, nous n’existons pas non plus, et il n’y a plus de crise économique, donc je vais aller cueillir des champignons de saison, parce que je ne sais plus à quoi occuper, version ludique, mon temps qui n’existe pas.
Néanmoins, votre vision est celle de la relativité générale, non ? Espace-temps déjà en place ?
@Reiichido
Abstraction faite de la version anthropocentrée, égocentrée, de ce type d’univers multiple, et donc de croire celui-ci possible ou pas …
Je vous suis bien sûr dans vos arguments, mais juste pour définir différemment l’espace évoqué par Paul.
Avec votre présentation, vous donnez l’impression d’un univers en expansion de factoriel 2 à chaque unité quantique. Si vous progressez par un temps linéaire, l’unité serait un temps de Planck, non encore mis en évidence, bien qu’en hypothèse pour certains physiciens.
Je ne me calque pas sur Nadine pour chaque pas qu’elle ferait, mais dans ses deux phrases :
« …votre Univers est un bloc spatio-temporel déployé dans toutes ses dimensions et tous ses « possibles ». Dans ce super bloc fixe apparaissent les consciences… », on a la même chose, mais sans expansion.
Dans un espace à N dimensions, en chaque point, la particule élémentaire a deux ( ou X ? ) choix possibles pour sa progression, mais elle partage les points suivants avec une multitude d’autres particules. Il y a interaction pour la progression vers le point suivant, mais il peut y avoir superposition. L’espace est entièrement rempli, mais il n’y a pas expansion.
La progression se fait en respectant les lignes d’augmentation d’entropie ( en tout cas pour nous ), ce qui évacue complètement le choix de la conscience, bien sûr, et les « je préférerais revenir en arrière pour recommencer ».
Ceci est juste pour redéfinir d’une autre manière, cet espace multiple sous- jacent à notre perception, sans préjuger de sa validité.
Reste à savoir pourquoi les particules progressent ?? La forme et la raison de l’énergie.
Tout ceci reste bien théorique, et lourd, alors qu’on peut penser plus simple.
En variante d’univers multiples, il y a les univers parallèles. Notre monde improbable n’est qu’une émanation d’univers correspondant à nos constantes. Planck, constante de cosmologie, etc… A côté d’autres univers ayant d’autres constantes, mais où nous n’existons pas. Il doit bien y avoir des thèses déjà publiées pour couvrir ces spéculations ci, aussi. Quelqu’un sur le Blog doit bien connaître ces références ??
Nous sommes touchés par le syndrome du pêcheur à quai : il préfère utiliser le lancer dans l’espoir d’attraper le gros poisson du large, plutôt que l’haveneau pour attraper les tous petits qu’il peut voir très distinctement au bord, mais dont la capture réclame un mouvement ennuyeux de balayage, sur un angle de 180 degrés, dans le quart de sphère du rayon de la longueur de son manche. Je m’endors aussi rien qu’à décrire la situation.
Ensuite, lorsque Paul nous présente l’origine de cette pensée, c’est un processus intellectuel et émotif qui lui appartient. Une impression, plus qu’une intuition, malgré la force de la situation vécue ressentie, et son besoin d’interprétation.
Plus facile à expliquer par la projection d’un artéfact de cerveau, qu’une manifestation de physique fondamentale. Et je n’ai pas prétendu que vous étiez fou, mais ça me paraît plus rationnel pour n’inquiéter personne d’autre.
Pour autres exemples d’impression :
-Avant un choc violent accidentel, le cerveau va soudain ramasser une plus importante quantité de données, de sorte que l’action rapide a un goût de ralentit.
-Le « déjà vu », parce que l’image passe par le circuit mémoire pour arriver à la conscience.
Ensuite on constate encore la crainte de beaucoup à vivre dans un monde déterministe. Et ma question : qu’est-ce que ça peut faire si on est pas capable de ressentir la différence ? Je préfèrerais aussi l’intervention du hasard, ou le libre arbitre, mais je ne suis pas en pouvoir de décider. Je ne me prends pas pour Sarkozy, l’homme qui se prenait pour Napoléon.
Et pour finir, faites quand même gaffe à la philosophie, elle permet de lancer le leurre encore beaucoup plus loin dans la pêche au gros. Et on en revient aux dangers de ce qui était présenté dans le post précédant : ne pas se laisser déborder par le symbolisme mathématique non plus, bien qu’il soit la meilleure matière à fabriquer les haveneaux flexibles. Les solides cannes à pêche à ramener les gros poissons aussi !
Je ne connais pas grand chose…
Mais il me semble qu’une des critiques de G. Deleuze à propos du système de l’Ethique de Spinoza repose sur l’impossibilité d’existence, démontrée par la science actuelle, d’existence d’une suite événementielle (temps) dans un même espace (espace)…
Fais-je fausse route?
@ Paul Jorion
Belle vision onirique, je le comprends, mais je tique un peu sur la partie « éveillée » qui suit :
1 – Se mettre à la place du chat (ou se demander ce qu’il en pense)
C’est transformer totalement la situation paradoxale que voulait illustrer Schrödinger. Le chat devient physicien, il n’est plus intriqué, c’est le système quantique, qu’il observera bientôt, qui l’est.
De même, le physicien qui s’apprête à observer le chat quantique intriqué a peut-être un revolver sur la tempe, (qu’en savons nous?), tenu par le dieu Phébus, pour qui ce physicien est un système quantique encore intriqué, à la fois vivant et mort. Comme toujours en physique, la délimitation du système considéré est essentielle, faute de quoi on s’expose à des erreurs de raisonnement.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’expérience de Schrödinger est une expérience de pensée, pas une expérience de physique. La probabilité de construire un système physique intriqué de la complexité d’un mammifère conscient est nulle, puisque pour que le système garde sa cohérence quantique il faut qu’il soit totalement isolé pour ce qui concerne l’information, ce qui est incompatible avec la définition même des systèmes vivants.
2 – La nature de la conscience
Votre vision met en scène une conscience qui, en dehors de ses éclipses (sommeil, coma, mort), parcourt son chemin propre, d’univers en univers comme un cristal incorruptible. Son atomicité est essentielle à votre raisonnement.
La nature profonde de la conscience reste encore un mystère, mais on ne saurait ignorer ce que les neurosciences nous en disent (J’écarte le point de vue dualiste qui serait de toutes façons hors de ce débat) :
On observe des populations de neurones qui s’animent en réseau, par ensembles, selon un bouillonnement de processus cognitifs simultanés qui traitent de façon sous-consciente une myriade de données sensorielles, une myriade d’évocations mémorielles, et sans doute un grand nombre de processus abstraits pré-conscients. De ce tumulte, de cette simultanéité nécessaire, EMERGE, mystérieusement, un processus unificateur que l’on peut nommer la conscience, et dont l’unicité est justement la caractéristique essentielle.
Si cette émergence ne se produit pas, ou mal, c’est la schizophrénie… Mais comment ne pas voir qu’un peu de schizophrénie est toujours présente, aux marges de la conscience (réveil, endormissement, rêverie, ivresse, etc), et qu’elle est même sans doute nécessaire au fonctionnement normal de tout être conscient.
La conscience est philosophiquement unique et irréductible, certes, mais en pratique et en physique elle est floue de multiples façons, et sans même mobiliser les concepts de la psychanalyse. Dès lors, où mettriez vous chaque bifurcation d’univers?
Je vois en fait dans votre présentation, qui radicalise celle d’Everett, une extension, que je trouve abusive, de la notion de « prise de conscience » du résultat d’une mesure en physique, qui est une situation de mise en relation de systèmes bien définis, à la notion idéalisée de conscience, au statut philosophique irréductible, ce que je ne remet pas en cause.
3 – Les niveaux de l’organisation du réel, et les niveaux du raisonnement
Il est périlleux de faire franchir un ou plusieurs niveaux d’ « émergence » à des concepts construits pour s’appliquer à un certain niveau de l’organisation du réel.
Je m’explique : Vous observez un cours d’eau dans lequel apparaissent des tourbillons. Vous disposez d’une physique adaptée à la description des molécules d’eau. Les tourbillons EMERGENT du comportement collectif des molécules d’eau, mais la physique dont vous disposez ne vous dira rien d’eux. Une autre physique s’appliquera, avec d’autres concepts, qui seront pertinents pour toutes sortes de tourbillons, dans de l’eau, du gaz, de l’hélium superfluide, des électrons dans un semi-conducteur, que sais-je?
Les concepts de la physique fondamentale ne sont pas forcément adaptés pour décrire les processus de la vie, qui en dépendent pourtant. Les concepts de la biologie moléculaire ne sont pas transposables à la description des écosystèmes, ou à la sociologie, qui pourtant… , etc… Chaque émergence cloisonne le domaine de validité des concepts utilisés en sciences (et c’est heureux, mais c’est une autre histoire).
Dans le cas que nous avons discuté, confronter la conscience, que l’on peut comprendre comme l’émergence ultime qui nous soit à jamais accessible, avec les phénomènes du réel les plus fondamentaux qui nous soient accessibles, en dessous de toute émergence, quel saut conceptuel vertigineux! Je crains que l’on ne perde son rasoir d’Ockham dans la secousse!
@Nadine
Votre exemple avec un seul atome est intéressant, mais je ne partage pas votre analyse.
Vous dites >
Si je prends l’hypothèse des univers multiples, il y a autant d’univers qu’il y a de trajectoires possibles de l’électron autour de son noyau.
Cette formulation me semble abusive, car il n’y a réduction du paquet d’ondes et, dans l’interprétation d’Everett, bifurcation d’univers, que si le système est interrogé par une mesure. Comme votre système est isolé, il ne peut être mis en relation avec rien, et donc, selon l’interprétation relationnelle, il n’existe pas du tout!
Seules les relations ont un sens physique, on en revient toujours là…
En me relisant, je me rends compte qu’en voulant faire court, je suis passé à coté de ce que je voulais expliquer. Je vais donc préciser un peu mieux. J’ai conscience que c’est quand-même un peu hors-sujet par rapport à votre article ou les réponses des autres contributeurs, mais je pense que cela peut apporter quelque chose au débat, au delà des évidences.
Nous sommes d’anciens singes arboricoles passés dans les affaires et la construction de sociétés complexes, ce qui est déjà une belle réussite. Notre cerveau a permis cette transformation majeure en évoluant puissamment et rapidement, mais il n’en va pas de même des capteurs qui relient notre conscience du monde au « Monde Réel ». Ce sont les mêmes capteurs qu’il y a 500 000 ans.
Nous avons certes inventé des prothèses (horloges, télescopes, microscopes, radars, par exemple), mais elles sont « hors de nous ». Leur utilisation dépend de nos capteurs internes, toujours les mêmes. Et le seul moyen de passer cette frontière consiste à « extrapoler » les informations et construire une représentation mentale du « Monde Réel » que nos capteurs embarqués ne nous permettent pas de percevoir directement. L’apprentissage des connaissances accumulées au cours des siècles nous permet d’enrichir cette représentation mentale pour nous faire envisager un « Monde Réel » beaucoup plus vaste que celui que nous pouvons toucher ou voir directement.
Le problème qui se pose à chacun de nous qui cherchons à comprendre le « Monde Réel » est que non seulement nos capteurs internes sont tout à fait limités, mais qu’en plus le flux d’information a traiter est tel qu’il dépasse dans des proportions phénoménales les capacités de notre cerveau. Nous pouvons, au mieux, en retirer une « impression générale » personnelle tout à fait approximative. Pour donner un ordre de grandeur, il y a probablement plus de galaxies dans l’Univers que de neurones dans le cerveau humain… Sans parler des Univers multiples…
Tout cela ressemble a des lieux communs de philosophie de bas-étage, mais j’insiste car je pense que beaucoup d’individus (dont moi) ont l’impression instinctive d’exister dans un Monde « complet ». Je veux dire que même si on nous a expliqué que nous ne connaissons pas grand-chose, et que nous avons reconnu que c’était vrai, nous avons quand même l’impression intime que notre représentation du monde est suffisante pour constituer un TOUT. Comme si notre représentation mentale était semblable à une outre extensible toujours pleine. Si on rajoute quelque chose dans l’outre, celle-ci gonfle en proportion et est… Toujours pleine.
Pour résumer, je dirais que nous passons notre temps à oublier que nous ne savons presque rien. Et ce fonctionnement instinctif – dont je ne comprend pas l’intérêt – interfère et vient brouiller notre perception du « Monde Réel ».
Cependant, si l’invention Internet veut bien tenir ses promesses, on peut espérer qu’il puisse émerger un de ces jours une conscience du monde « globale » ou tout au moins locale (puisque nous sommes limité par les différentes langues). Mais je pense toutefois que, quoiqu’il arrive, pour aller plus loin dans la compréhension du monde, il nous faudra concevoir de nouveaux capteurs afin de confronter nos intuitions au réel.
Si nous avions les mêmes yeux que les chats, les couleurs n’existeraient pas. Et nous nous demanderions peut-être : « Comment font les oiseaux pour reconnaître quelles graines ils peuvent manger ? »
Pour retomber dans le sujet par une pirouette scabreuse, j’ajouterai qu’il faut donc inventer un détecteur de mondes parallèles.
@Marc Peltier
Vous faites une confusion, justement dans l’interprétation d’Everett, il n’y a pas réduction « du paquet d’ondes » la mesure est point d’aiguillage où vous choisissez un univers sur une infinité d’autres possibles qui existent. En fait vous faites de la sélection naturelle à l’échelle de l’univers jusqu’à ce que vous sélectionniez le plus apte à votre survie.
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire quand vous dites: « Comme votre système est isolé, il ne peut être mis en relation avec rien, et donc, selon l’interprétation relationnelle, il n’existe pas du tout! »
Mais vous n’êtes pas sans savoir que sous certaines conditions des macro-molécules peuvent se retrouver en superposition quantique alors qu’initialement elles ne l’étaient pas et qu’elles ne le sont plus après l’expérience. Est ce que vous dites que pendant l’expérience quantique avant toutes mesures ces macro-molécules ont cessé d’exister pour exister de nouveau quand l’expérience est finie ?
@Nadine
Ce que je suggère, c’est que la réalité physique, ce n’est pas l’existence de tel ou tel système dans tel ou tel état, c’est l’interaction de tel système avec tel autre dans telles conditions, suivie éventuellement d’autres interactions entre les systèmes résultants, l’ensemble de ces interactions constituant un chemin cohérent qui ne décrit pas le réel, mais le constitue. C’est l’interprétation relationnelle de la mécanique quantique.
L’état, supposé intrinsèque, des systèmes entre les interactions, pour autant qu’il existât, nous serait de toutes façons inaccessible, c’est une constatation… Nous avons hérité culturellement de présupposés sur le réel, basés sur ce que nous avons longtemps estimé intangible, la matière, l’espace, le temps, et nous répugnons à y renoncer, car le sens même de la physique, qui était de décrire ces intangibles, semble s’évanouir.
Mais en vérité, nous ne pouvons rien dire sur rien autrement qu’en interrogeant le réel par la mesure. Cela seul a un sens physique. Alors, cessons de poursuivre des chimères qui s’avèrent insaisissables, et ne génèrent que paradoxes et apories. Le réel, pour la physique, ce sont toutes les relations réelles, point. La physique consiste à prédire le résultat des mesures. Il fut un temps heureux où les physiciens pensaient décrire la nature même des choses en elles-mêmes, mais il semble bien qu’ils s’illusionnaient… Ils décrivent désormais, et très précisément, des relations.
Et en effet, un système que l’on ne pourrait pas interroger, d’aucune façon, n’a alors tout simplement pas d’existence, en tout cas pour la physique. Disons que votre système qui ne comporte qu’un seul proton et un seul électron est, pour moi, métaphysique…