L’actualité de la crise : Ouf, une bonne chose de faite, par François Leclerc

OUF, UNE BONNE CHOSE DE FAITE

Je ne sais pas bien par quel bout prendre ce G7 de Rome qui vient de se terminer aujourd’hui. Peut-être par la stupéfiante déclaration de quelqu’un qui n’y assistait pas, Nicolas Sarkozy : « moi je n’ai pas à me plaindre d’avoir à gérer la crise du siècle et d’avoir à trouver des solutions. » a-t-il déclaré de Val d’Isère, où il assistait aux Mondiaux 2009 de ski alpin, pour y trouver certainement de l’inspiration. Ou bien par celle de Jean-Claude Trichet, président de la BCE, qui à propos de Timothy Geithner, secrétaire au Trésor US, a expliqué aux journalistes « Tim est très connaisseur, il sait de quoi il parle », sans bien entendu dire de quoi ils avaient parlé. Ou bien encore celle de Christine Lagarde, ministre de l’économie et des finances française, qui a qualifié le dîner qui réunissait vendredi soir les participants du G 7 de « très sympathique et chaleureux ». Pour un peu, le communiqué final du G 7 se limitait au menu des agapes et chacun repartait ensuite chez soi vaquer à ses petites affaires.

Les déclarations de Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI, étaient elles plus dignes de l’événement. Après avoir déclaré à l’AFP, à propos de ce même dîner, que « les gens ne chantent et ne dansent pas vraiment sur les tables », il a estimé que les économies des pays avancés sont en « profonde récession » et que l’économie mondiale est « proche de la récession ». Il a ensuite mis les points sur les « i ». « Le problème à traiter, c’est (…) la restructuration du secteur bancaire », estimant que la création d’une bad bank « est plutôt la solution la plus simple ». « Cela ne redémarre pas tant qu’on n’a pas nettoyé les bilans bancaires », a-t-il poursuivi, avant de conclure « « Les banques qui ne sont pas viables, il faut réussir à les faire reprendre par les autres, voire les fermer ».

Il ne semblait pas spécialement pouvoir partager l’opinion du gouverneur de la Banque de France, Christain Noyer, pour qui « on ne doit pas noircir la situation », message que ce dernier a tenu a faire passer samedi en fin d’après-midi. On va finir par se demander, au fil de ses déclarations apaisantes, s’il ne va pas à la prochaine occasion carrément dire que tout va bien et qu’il ne comprend pas toute cette agitation, ces déjeuners, ces dîners et ces réunions. Jean-Claude Trichet, cultivant de son côté toujours son rôle de sphinx, n’excluait pas « des actions non traditionnelles additionnelles » de la BCE, ne parvenant pas a créer la surprise étant donné que c’est ce qu’il avait déjà annoncé fin janvier et qu’il persévérait dans cette formulation négative, se gardant bien d’annoncer quoi que ce soit. (Les « actions non traditionnelles additionnelles », c’est l’achat de bons du trésor ou d’actifs bancaires par la BCE, grâce à la « planche à billet »).

Il ne fallait pas chercher auprès des autres participants beaucoup plus de précisions sur les discussions. Timothy Geithner a donné comme seul éclairage : « nous allons travailler étroitement avec nos collègues du G7 et du G20 pour trouver un consensus sur des réformes qui répondent à l’ampleur des problèmes révélés par cette crise ». Se voulant positive, Christine Lagarde a pour sa part précisé que « tout le monde était d’accord que c’est sur l’investissement public qu’il faut faire porter l’effort tout de suite, pour que ça commence à produire des effets le plus rapidement possible », apportant ainsi des détails décisifs à la bonne compréhension des mesures décidées, rassurant par là même les contribuables des sept pays les plus riches du monde.

Que retenir du communiqué final ? Un vague satisfecit aux dirigeants chinois, pour tourner la page des déclarations initiales de Timothy Geithner, la réaffirmation de principe que le protectionnisme ce n’est pas bien et l’énumération, pour étoffer le texte, des mesures déjà prises par les uns et les autres des participants. Très maigre pour définir une réponse commune à la crise qualifiée pourtant de « tourmente financière ».

« La stabilisation de l’économie mondiale et des marchés financiers reste notre plus haute priorité » est-il réaffirmé, au cas où l’on en douterait. On lit plus loin que « le G7 s’engage à prendre toute nouvelle mesure qui se révèlerait nécessaire pour rétablir la pleine confiance dans le système financier mondial ». Le communiqué, enfin, ne voulant sans doute pas se borner à des généralités, conclut avec hardiesse en refilant le bébé au FMI, « crucial pour répondre efficacement et avec souplesse à la crise actuelle ».

Giulio Tremonti, ministre de l’économie italien a toutefois pris la peine de tenir sa propre conférence de presse, pour annoncer de « nouvelles règles afin qu’un nouvel ordre économique voie le jour », c’était bien le moins quand on est l’hôte de la conférence. Précisant qu’un corpus minimum, baptisé « étalon légal » par référence à l’ « étalon or », serait présenté au prochain G 20 de Londres, visant notamment les paradis fiscaux et les fonds spéculatifs. Ce sujet a en effet été totalement ignoré par le communiqué final, à tel point que Christine Lagarde a cru devoir indiquer aux journalistes s’en être entretenue avec son homologue allemand Peter Steinbruck, afin d’étudier comment réglementer de manière plus rigoureuse les fonds spéculatifs et aborder la question des « centres non coopératifs ». On admirera la créativité dont fait preuve cette dernière formule, qui vaut bien les « actions non conventionnelles additionnelles » et « l’étalon légal ». Il a été précisé qu’une liste doit en être dressée, car on se rappelle que cette simple question préliminaire fait toujours débat, car il faudrait au préalable définir les critères selon lesquels un pays peut être considéré un « paradis fiscal », ce qui serait déjà une manière d’envisager d’éventuelles mesures.

Pour clore ce déplorable bilan, on a également appris que les ministres participants au G 7, afin de ne pas séparer sans rien décider, ont chargé leurs services de présenter un rapport sur une palette de principes communs sur l’intégrité et la transparence de l’activité financière internationale, sans faire référence explicitement aux hedge funds et aux paradis fiscaux. Dans les quatre prochains mois, ont-il demandé, ce qui augure bien des décisions qui devraient être prises par le G 20, qui se tiendra dans maintenant environ six semaines.

Partager :

34 réponses à “L’actualité de la crise : Ouf, une bonne chose de faite, par François Leclerc”

  1. Avatar de ghostdog
    ghostdog

    @Pierre-Yves,

    Vous êtes (comme le souligne Paul) de loin son meilleur exégète ! Merci pour vos indications auxquelles je ne manquerai pas à l’avenir de me référer.

    Vous avez raison d’interroger la « position » de Bourdieu quand il s’adressait aux cheminots…remettant en cause ses propres analyses…

    « qui détermine en l’espèce la justesse de l’analyse sociologique qui permet au peuple de se délivrer de ses illusions ? En dernière analyse, c’est implicitement la théorie de Bourdieu !! Or qui maîtrise le mieux cette théorie : encore Bourdieu ! »

    Etrangement, loin de constituer pour moi une aporie, le fait même que Bourdieu choisisse « le camp des grévistes » m’apparaît comme la conclusion la plus juste, la plus cohérente à ses travaux.

    Que vaut une pensée sans traduction pratique ?

    C’est justement parce qu’il a mis à jour les mécanismes de domination que Bourdieu se doit de les dénoncer et de soutenir tout mouvement populaire qui va en ce sens…

    Je le précise parce que dans votre premier commentaire vous disiez :  » nous ne sommes pas sur un site militant, mais de débat et qui plus est à vertu pédagogique ».

    Contrairement à vous, je considère que loin de s’opposer…l’un ne va pas sans l’autre…

    Je me dois d’être honnête et de reconnaître à Paul, certains engagements : Le billet sur les rentiers me paraît en être un parfait exemple. On pourra aussi citer la remise en cause de la propriété privée, l’interdiction des paris sur les prix etc.

    Et pour tout dire, je me fais un peu l’avocat du diable, ne doutant pas en réalité de sa sincérité…( d’où le ton provocateur et le choix du registre de l’humour et de l’ironie).

    Je voulais simplement attirer son attention sur des propos qui peuvent apparaître à certains lecteurs comme de la complaisance.

    Parce qu’après tout on parle d’un homme qui, malgré la crise, tente depuis son élection d’éradiquer (par une politique de démantèlement systématique) de ce qui constitue  » les atouts de la France ».

    -réécriture du code de travail
    -supression de fonctionnaire,
    -démantélement du CNRS,
    -dépénalisation des délits financiers
    – mise sous tutelle des préfets de la DGCCRF
    -criminalisation de la contestation politique
    -privatisation du système de gestion des hôpitaux, universités
    etc.

    Et contrairement à ce que dit Paul, les hommes et les femmes qui ont voté pour lui ne l’ont pas fait en leurs âmes et consciences…mais en consentantes victimes de l’argumentum ad nauseam…

    Sérieusement , combien d’électeurs Sarkosystes ont-ils lu Bourdieu ? (je schématise)

    Bonne journée cher Pierre-Yves et merci de vos précieux apports qui ne manquent pas de faire progresser ma propre réflexion.

  2. Avatar de Alain A
    Alain A

    J’ai souvent l’impression d’être, sur ce blog, une des rares personnes à avoir assumé quelques (petites) responsabilités politiques. Mais puisque j’ai fréquenté ce milieu avec assez de distance et d’esprit critique pour adorer entendre les nombreuses imprécations anti-politiciennes de ce blog, je vais quand même tenter de transmettre un peu de mon expérience, au risque de « permettre au peuple de se délivrer de ses illusions » (Ghostdog, 16/2-12h32).

    Un responsable politique, c’est comme un membre d’une association, un employé dans une entreprise : il a été placé là où il est par ses pairs, ses patrons… ou ses électeurs. Il fait partie d’une organisation (j’allais dire un organisme) dont il est une cellule, un rouage qui est jugé selon ses mérite à fonctionner comme le veut l’ensemble. Certes, c’est un être humain et dans certains cas (rares), il peut exercer son libre arbitre et se désolidariser de son groupe. Mais les conséquences sont immédiates : isolement, reproches, mise hors d’état de nuire et… élimination. Certes, si l’on occupe une haute position, médiatiquement écoutée, on peut tenter de se faire plaisir en disant sa vérité mais le plaisir sera de courte durée et l’effet en général mineur. Le système est le plus fort et même la reine des abeilles ne continue à être nourrie (de gelée royale !) que si elle continue à pondre ses petits avec détermination. C’est peut-être pour cela que tous les trotskystes qui se sont engagés dans de hautes institutions il y a 40 ans sont devenus des hérauts de la droite la plus traditionnelle.

    Donc, selon moi, il ne faut pas espérer de changements suite à des prises de conscience individuelles ou même de quelques esprits libres et courageux. La changement ne peut se faire que par l’action de groupes humains partageant les mêmes valeurs et qui se construisent sous formes d’organisations (avec toutes les dérives et pertes d’élan que cela suppose).

    Je crois deviner que Paul a une grande tendresse pour les milieux populaires dont il est en partie issu. C’est peut-être uniquement subjectif mais je pense qu’en plus, ces « petites gens » ont les qualités à même de faire changer les choses… Ces qualités s’appellent modestie, patience et détermination. « Patience et longueur de temps font plus que force et que rage » ne disait-il pas, ce brave Monsieur de La Fontaine ?

  3. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    @ Alain A

    C’est l’éternel débat : qu’est-ce qui fait qu’un système évolue, voire mute ? Un effet de masse ou l’action de quelques individus ?

    Vous dites « qu’il ne faut pas espérer de changements suite à des prises de consciences individuelles ou même de quelques esprits libres et courageux. » et d’opposer alors ce facteur évolutif — pour vous dérisoire –, à l’action des organisations déterminées et partageant les mêmes valeurs.

    D’un point de vue « énergétique » ce n’est pas faux, ce sont en effet les déplacements de majorité — organisées — qui font basculer les systèmes et les font dévier de leur axe initial pour en trouver un autre. Mais il faut reconnaître le rôle à mon avis irremplaçable des minorités actives. Ces minorités actives, ne recoupent d’ailleurs pas forcément les lignes de partage du paysage politique institutionnel. Toujours est-il que de leurs idées hétérodoxes, de leurs prises de position qu’elles clament haut et fort et qui se traduisent par une mise en conformité entre discours et action — mais pas toujours hélas — , il se crée des brèches dans le discours dominant, et pour finir, l’affaiblit. Si l’on considère que la vie démocratique c’est la revendication — jamais achevée, toujours à construire et à redéfinir — du peuple pour l’égalité, ces minorités contribuent grandement à déplacer les lignes de partages entre ce qui est considéré relever de la revendication légitime, par exemple, entre ce concerne de la démarcation entre ce qui relève du privatif, ou au contraire du bien public.

    J’ai bien dit minorité active, je ne confonds donc pas les postures partisanes de certains partis politiques qui parfois se font objectivement les alliés du pouvoir en place, avec ce qu’effectivement les dites minorités produisent comme effets, en termes d’actions ou de diffusion des nouvelles idées. L’action d’une minorité active, ce peut être un mouvement social, lequel mouvement social, on le constate depuis quelques années, est de plus en plus impulsé par des coordinations « spontanées », rejointes, renforcées et/ou récupérées, selon les cas, dans un second temps, par les organisations syndicales institutionnelles. A la limite, un blog tel celui sur lequel nous nous trouvons, constitue aussi un lieu d’efflorescence de minorité active, sur le plan de la réflexion et de la diffusion d’idées en marge du discours politique dominant.

    Pour ce qui est des trotskystes, dont je ne suis pas, il me semble un peu abusif de dire qu’ils sont tous devenus des hérauts de la droite la plus traditionnelle, même s’il est vrai, et tout à fait notable, qu’on en retrouve un certain nombre parmi la droite la plus réactionnaire. Ce qui ne manque pas d’ailleurs de faire accroire l’idée que la stratégie révolutionnaire et les méthodes qu’elle implique dans ce parti, rejoint les méthodes propagandistes d’une certaine droite néo-conservatrice. Un certain nombre de néo-conservateurs américains étaient en effet d’anciens trotskystes.

    Mais rien dans le discours de, mettons, Ghosdog, ne me permet, d’identifier un discours trotskyste. Son discours peut sembler virulent, mais il n’implique pas nécessairement l’adhésion à un parti politique, disons d’extrême gauche. Ce que je veux dire par là c’est que la radicalité d’un propos n’est pas — nécessairement — l’apanage de l’adhésion à un parti révolutionnaire. Les dits partis révolutionnaires dans leur logique d’appareil peuvent effectivement faire le jeu du pouvoir, mais il n’empêche que beaucoup de leurs militants, mais d’autres aussi, qui n’y sont pas affiliés, en s’engageant dans un certain nombre de luttes — pour les sans papiers par exemple ou contre les OGM sans le domaine de la biodiversité– ont un rôle irremplaçable pour rappeler au plus grand nombre que les valeurs de la démocratie se défendent aussi sur le terrain, et pas seulement dans les tribunes médiatiques. Cela est vrai en somme de tout mouvement social, « les appels du pied extra parlementaires » en termes joroniens.

    Je suis d’accord, « patience et longueur de temps » font les grands basculements, mais ceux-ci sont aussi bien nés d’une révolte intérieure ou exprimée face un ordre des choses qui est présenté par les puissants comme naturel mais ne l’est point en réalité.
    Lorsque vous parlez des « petites gens » vous voulez sans doute dire qu’elles ont souvent les dispositions éthiques qui permettent de donner une certaine consistance à des revendications qui chez certains sont souvent de l’ordre du discours mais ne se traduisent pas forcément dans un mode de vie. IL me semble qu’il faut les deux, l’intelligence des situations et l’éthique, autant de qualités qui peuvent d’ailleurs être partagées, le cas échéant, aussi bien par les petites gens que par certaines personnes qui sont dites appartenir aux élites.

  4. Avatar de Patriste
    Patriste

    Au début du billet on peut lire :

    « […], Nicolas Sarkozy : « moi je n’ai pas à me plaindre d’avoir à gérer la crise du siècle et d’avoir à trouver des solutions. » a-t-il déclaré de Val d’Isère, où il [–>]assistait aux Mondiaux 2009 de ski alpin[<–] »

    … à dire vrai c’est plutôt similaire : dans les deux cas il peut contempler une pente descendante à fort coefficient.

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta