L’actualité de la crise : Le décor est planté, le rideau s’ouvre, par François Leclerc

Billet invité.

LE DECOR EST PLANTE, LE RIDEAU S’OUVRE

« Halte au protectionnisme ! » entend-on proclamé de partout dans le monde, de chefs d’Etat, de premiers ministres, du FMI … Officiellement, le G7 de Rome de cette fin semaine semblerait devoir être prioritairement consacré à sa préoccupante résurgence, comme si, après le haro lancé sur le bonus des banquiers et les dividendes des actionnaires, une nouvelle campagne était lancée, un nouvel os donné à l’opinion publique, suffisamment familier pour qu’elle se jette dessus, en espérant qu’elle s’en contente.

Certes, des mesures protectionnistes, qui ne pourraient qu’aggraver la crise dans le contexte actuel, sont actuellement prises ou annoncées, ici ou là, et l’impression qui domine, dans le sauve qui peut mal dissimulé que l’on observe, est que personne ne compte trop sur les autres pour sauver sa peau. Faute d’être pour l’instant parvenu à trouver collectivement des solutions, qui néanmoins échappent tout autant individuellement à chacun.

Ces dernières sont pourtant activement recherchées. Toutes les réunions internationales annoncées pour ces prochaines semaines, depuis le G7 de demain jusqu’au G20 de début avril, vont y être fébrilement consacrées. Sans garantie de succès.

La transparence, dans cette affaire, ne manque pas seulement aux marchés, largement fermés à toutes les exhortations, parce qu’ils croient tout simplement savoir où est leur intérêt. Elle fait aussi défaut du côté de tous ceux qui cherchent à sortir de ce guêpier, dirigeants politiques, hauts fonctionnaires internationaux, éminents patrons d’institutions financières qui ne le sont pas moins.

Avec leurs « sherpas » et dans le secret de leurs cabinets, pourtant, ils travaillent, soupèsent, élaborent des plans, organisent des fuites calculées et enfin, intriguent. Car c’est ce qu’ils savent le mieux faire. Mais tout cela n’est pas pour nous.

Quand une fuite n’est pas organisée par un esprit malin, et qu’une information est publiée qui ne devait pas l’être, on crie à l’espionnage, on perd un peu son sang froid, on assimile les journalistes à des espions. C’est en tout cas ce qui vient de se passer à Bruxelles.

Sans que l’on puisse dire avec certitude si ce dérapage incontrôlé est en rapport ou non avec l’article du Telegraph britannique du 11 février qui évoquait, chiffres et citations d’un document interne de la Commission à l’appui, l’impasse financière dans laquelle les Etats européens sont face à l’énormité du plan de sauvetage des banques qu’ils entrevoient maintenant. Ce terrible constat devenant sans appel puisqu’établi par les chiffres, ne concerne pas seulement l’Europe, mais aussi les USA. Il n’est tout simplement pas avouable, voilà tout. Il faut donc le cacher, et faire de même avec tout ce qui l’entoure. Rien de bien nouveau dans la forme, en réalité.

Les projets de bad bank sont donc à l’eau, en tout cas pour l’instant, ce qui a donné l’occasion à Willem Buiter de revenir à la charge à propos de la création d’une « good bank » sur son blog du Financial Times. En commençant par énumérer une première liste d’économistes qui, avec des variantes de détail, préconisent aussi la même démarche : Joseph Stiglitz, George Soros et, moins connu mais tout aussi pertinent, Paul Romer, senior fellow au « Stanford Institute for Economic Policy Research ».

Le plus impressionnant dans sa démonstration n’est pas sa description des raisons, désormais largement identifiées, pour lesquelles une bad bank n’est pas finalement possible, mais la nécessité qu’il formule, avec une forte conviction, que la seule manière de ne pas recommencer les mêmes folies, plus tard, est de punir les actionnaires des banques actuelles, et de les laisser en tête à tête avec leurs actions toxiques, pour reconstruire à côté des banques saines et relancer avec elles le crédit. De consacrer les ressources publiques directement et sans ambages à cette œuvre, car le reste est gaspillage. Si vous n’en êtes pas convaincu, allez le lire. Si vous l’êtes, lisez-le quand même, car son texte est sans faille.

Au passage, voici ce qu’écrivait le 10 février dernier à Paris le quotidien économique La Tribune : « Plus de 1.000 banques américaines, soit une sur huit, risquent de faire faillite dans les trois à cinq ans à venir en raison d’une hausse des pertes sur les créances commerciales venant s’ajouter aux énormes pertes liées à la déconfiture du marché immobilier, écrit RBC Capital Markets. (…) RBC ajoute que la plupart des faillites concerneront des établissements ayant moins de deux milliards de dollars d’actif. « Les pertes sur créances du secteur bancaire US se mesureront en centaines de milliards de dollars durant ce cycle-ci », prédit l’analyste de RBC Gerard Cassidy. « Le FDIC devra une fois de plus relever les taux de garantie des dépôts qu’il facture aux banques et solliciter le Trésor, sans doute pour des milliards de dollars. Au final, c’est le contribuable qui en pâtira, ainsi que le petit actionnaire ». » Commentaire personnel: à ce train-là, on finirait par se diriger tout seul vers la création d’une good bank, si on se contentait de ne rien faire d’autre…

Dans les Echos, pour citer pour une fois une presse française qui, tout du moins à mon avis, ne brille pas en général par sa couverture de la crise financière mondiale, on peut parfois lire avec surprise Eric le Boucher, ancien chroniqueur du Monde, qui nous avait habitué à de véhémentes tirades à propos des immenses bénéfices apportés par la finance internationale, et qui ne perdait jamais une occasion de pourfendre les suppôts rétrogrades du « socialisme administratif ». Eric le Boucher cite désormais Nouriel Roubini proclamant que le système bancaire américain est virtuellement en faillite. Les temps changent.

Demain commence un grand round de discussions et négociations internationales, à Rome, dont il est beaucoup attendu. La précédente attente était consacrée au plan de Timothy Geithner qui a, comme chacun sait plutôt déçu, vu que tout le monde pensait, et pense encore, que les USA, première puissance financière mondiale, principal repaire de la créativité financière, allait savoir réparer le mal qu’elle avait causé. Las !

Signe des temps, ce G7, autrefois lieu des arbitrages internationaux supérieurs entre grands, n’est plus de facto désormais qu’une réunion de préparation du G20. Le monde a changé d’axe, en voilà la meilleure symbolique. Sa réunion semblerait devoir être d’abord consacrée à la lutte contre le protectionnisme, je le rappelais en tête de ce billet, et nul doute que son communiqué final donnera à ce thème une large place. Les mauvais esprits, dont je fais incontestablement partie, penseront que cette question ne sera (n’a été) qu’accessoirement discutée.

Dans une interview au Financial Times de ce jour, Christine Lagarde, ministre de l’économie et des finances française, a tout de même annoncé la couleur. Elle préconise que la question de la réglementation et de l’encadrement des hedge funds ne soit pas oubliée. « En raison de la récession, a-t-elle déclaré, nos priorités ont quelque peu changé et je crains que nous ayons perdu de vue ce qui est à mes yeux prioritaire, afin de restaurer la confiance. Je veux parler d’un plan de mesures de régulation saines et solides. » Sans doute la ministre considère-t-elle, sans le dire ouvertement, que le moment est venu de réagir aux intenses campagnes de lobbying menées en coulisse ces derniers temps en faveur de mesures limitées de contrôle de ces fonds, pour faire la part du feu. La ministre semble vouloir aller plus loin, mais le diable étant dans les détails dans ce genre de chose, il faudra en juger à l’arrivée, si tout nous est dit, ce qui n’est pas du tout garanti.

Le 9 février dernier, lors d’une conférence de presse donnée à Berlin, Peer Steinbrück, le ministre allemand des finances, a pour sa part salué la bonne disposition de l’administration Obama, qui aurait envoyé des « signes clairs en faveur d’une régulation directe des hedge funds ». Mais les temps ont-ils suffisamment changé ?

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3 réponses à “L’actualité de la crise : Le décor est planté, le rideau s’ouvre, par François Leclerc”

  1. Avatar de JJJ
    JJJ

    Eh oui ! Pourtant, en système libéral, le dépôt de bilan est un acte de gestion reconnu comme pertinent lorsque le redressement est improbable. C’est du moins ce que vous garantiront tous les banquiers de la création, s’agissant de votre entreprise, bien entendu. Pour la leur, c’est apparemment différent… Le chef d’Etat qui laisserait ses banques aller là où elles devraient logiquement aller, c’est-à-dire au dépôt de bilan, pourrait envisager de passer le reste de sa vie dans un bunker inexpugnable…

  2. Avatar de meriaux
    meriaux

    Après le projet de « bad bank » qui semble irréalisable, l’idée de créer une ou des « good banks »…qui semble tout aussi irréalisable…..quant à laisser les actionnaires des banques actuelles se débrouiller avec leurs actifs toxiques, que voulez-vous qu’ils fassent? la valeur de leurs actions a déjà été divisée par 3 ou 4 ou plus et ils savent qu’ils ont tout perdu…et qui sont ces actionnaires? plus souvent des « zinzins » que des particuliers fortunés! Et la nationalisation? Aucune administration n’est capable aujourd’hui de prendre en mains la gestion des banques, on voit bien aux USA qu’ils ont besoin du management en place pour d’abord faire un diagnostic…ce n’est pas différent en GB, et ce serait la même chose en France, les inspecteurs des Finances qui ne sont pas bien nombreux ne connaissent que la comptablilité publique…aux USA, des petites banques disparaissent…le ménage va se faire mais pas sur des considérations éthiques …

  3. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    @ meriaux

    Bien d’accord avec vous, les good banks, ce n’est pas très probable. Pas seulement pour les raisons que vous donnez, d’ailleurs. Il y a toutefois en RFA un débat à propos de l’expropriation, le terme est employé, occasionné par la situation à nouveau désastreuse de HRE, qui montre qu’à situation inédite il y a aussi des réponses surprenantes. Elle ne se fera pas, cela dit.

    Ce ne sont évidemment pas sur des considérations éthiques, j’en suis bien d’accord, que le ménage va être fait. Il faut lire les argumentaires des économistes membres du fan club des good banks pour remarquer qu’ils inscrivent leur raisonnement dans le cadre de leur discipline.

    Depuis que je suis cette actualité de la crise, je reste persuadé qu’il y aura un moment de fermeture, de reprise en main d’une manière ou d’une autre. Nous n’en sommes pas là. La siuation échappe à tout le monde.

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