L’entretien du Président de la République française

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Je viens de regarder et d’écouter Mr. Sarkozy. Ce qui m’a fait le plus plaisir, c’est son « On regrette toujours les petites phrases ! », à propos de sa petite phrase précisément qu’en France on ne remarque pas les grèves. Parce que ce n’était pas simplement hautain ou condescendant de dire ça, c’était pire : c’était anti-démocratique. Parce que les gens ne font pas la grève, ne vont pas à la manif’, parce qu’ils ont simplement le sens de la fête : ils font la grève parce que ce qu’ils demandent d’une autre manière, personne ne l’entend. Ils font la grève comme une dame qu’on a vu : parce qu’il ne leur reste que 80 euros.

La France, c’est une démocratie et ça, c’est une très belle chose. Ça permet entre autres que des journalistes puissent poser au président les questions insolentes que tout le monde se pose, sans se retrouver le lendemain en prison, torturés ou assassinés. Ça n’a pas toujours été le cas, même en France, et il faut que ça continue, merci donc à tous ceux qui y veillent.

Je passe sur les questions franco-françaises et j’en viens à la finance. Je terminerai par l’économie.

Modifier la rémunération des traders, c’est du détail : si les traders touchent des millions, c’est parce qu’ils sont rémunérés à la commission sur des opérations spéculatives qui rapportent des milliards dans les salles de marché des établissements financiers. Ce qu’il faut faire, c’est interdire aux banques ces opérations spéculatives sur fonds propres et la question de la rémunération des traders s’en trouvera automatiquement réglée.

Même chose pour les agences de notation : si elles ont fait du mauvais boulot, c’est qu’en tant qu’ingénieur financier on est payé tant pour travailler chez elles et cinq fois plus pour travailler dans une banque. Qu’on ne vienne pas dire, comme l’a fait le Président, que le dimanche tel titre avait une note « AAA » et le lundi « BBB » ou « CCC » si l’événement qui est intervenu entretemps est la faillite de Lehman Brothers ! Il n’y aurait aucun rapport entre les deux ? Et les agences de notation ne devraient pas en tenir compte ? Bien sûr elles tirent des plans sur la comète, bien sûr elles ont attribué des notes à des CDO synthétiques sur la base de matrices de corrélations, bien sûr il y a des choses à améliorer, mais si on cherche des responsables, les agences de notation ne sont pas le premier endroit où il faille aller chercher.

Repenser, comme le Président français l’a dit, la titrisation et le hors-bilan, qui permettent aux dirigeants d’établissements financiers et aux actionnaires d’empocher par anticipation le prix de leurs châteaux en Espagne : excellente idée ! De même pour la régulation de tous les établissements financiers, y compris les hedge funds.

Les paradis fiscaux : ce ne sera pas une mince affaire, et il faudra à Mr. Sarkozy, et comme Alain Duhamel a eu raison de le souligner, des alliés, et des alliés de marque, pas seulement la Russie et le Brésil. Le président Obama viendra paraît-il en France en avril, ce sera le moment opportun de lui rappeler le projet de loi contre les paradis fiscaux qu’il avait déposé en 2007, à l’époque où il n’était encore que sénateur de l’Illinois.

« Banques de mauvais aloi » (bad banks), la France n’en aurait pas besoin parce que les banques françaises se porteraient mieux que les autres. Si c’est vrai, tant mieux, si c’est parce que les banques françaises ont retardé l’heure du bilan, alors ce n’aura été que reculer pour mieux sauter.

Mais le plus important, ce n’est pas la finance, et si l’on n’avait parlé que d’elle, on n’en serait pas beaucoup plus avancé. Le plus important, c’est le partage du profit : c’est le fait qu’on a bâti le château de cartes de la prospérité économique des trente dernières années sur l’endettement des ménages, c’est le fait que si tout allait bien c’était parce qu’on surfait sur la crête d’une bulle du crédit. Pour que les choses repartent, et ne repartent pas à la vitesse du bolide dans le même cul-de-sac, il faut que les ménages puissent vivre de l’argent qu’ils gagnent et pas seulement de celui qu’ils empruntent. Cela, Mr. Sarkozy affirme l’avoir entendu. Et il semble qu’il l’a non seulement entendu mais qu’il y a aussi réfléchi : trois tiers, un pour les actionnaires, un pour les salariés et un pour l’investissement. L’étape suivante sera que l’argent ne doive pas toujours être emprunté, qu’on fasse en sorte désormais qu’il se trouve au bon endroit pour commencer. Mais les trois tiers et le fait que le partage soit au menu des rencontres sociales du 18 février, c’est un excellent début : ne boudons donc pas notre plaisir !

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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40 réponses à “L’entretien du Président de la République française”

  1. Avatar de béber
    béber

    Vu la teneur de son intervention , sarko ou plutôt ses conseillers on dû lire le dernier livre de Peyrelevade où celui ci évoque les « voies du redressement » :
     » l’amélioration de l’offre productive est plus importante pour le redressement de nos comptes qu’une illusoire relance par la demande ».

    Le titre du livre? « Sarkozy , l’erreur historique  » .Livre qui aurait pu tout aussi bien s’appeller  » de la disparition programmées des derniers dinosaures ultra libéraux ».

    PS : pourquoi pas une régle des trois tiers ?
    Cà donnerait au moins une limite à l’avidité des actionnaires.
    Je parie ( spéculation ….) que cette promesse là aura bien des difficultés à seulement être évoquée avec les chers amis millardaires de notre président chéri….

    Merci à mr Jorion de nous inviter à ne pas sombrer dans les troubles classiques du raisonnement qu’entraine toute haine , histoire de voir encore l’éventuel positif dans une montagne de négatif.
    Mais en france, sachez que lassitude monte tout aussi vite que la surprésence médiatique du sarko de tous les français.

  2. Avatar de Stilgar
    Stilgar

    @Quoi

    Premier point: Non, l’Etat n’est pas en faillite : http://wiki.societal.org/tiki-index.php?page=Non+Monsieur+Fillon

    Mais au dela de ce détail , le « bilan » de la France en fin d’année ( le solde recette/dépenses) est équilibré par des emprunts sur divers marchés financiers, d’ environ 40 milliards chaque année.

    Sachant que ce sont les banques commerciales qui créent plus de 90% de la monnaie en circulation c’est toujours ‘in fine’ les banques qui prêtent à l’Etat (même si directement elles ne détiennent « que » 12% des OAT).

    Pour refinancer ces banques commerciales, il a fallu (puisque le solde recettes – dépenses est négatif) , ou il faudra à un moment selon les flux des recettes et dépenses, emprunter ce montant (sauf si les banques remboursent très rapidement le capital que l’Etat leur prête avec un intérêt suffisant pour couvrir celui que la collectivité aura payé sur le montant supplémentaire emprunté par l’Etat).

    Seulement, ce refinancement avancé par l’Etat va leur permettre de créer de la nouvelle monnaie ( jusqu’à 6 fois en théorie le montant de ce refinancement ) dont une partie arrivera dans le budget de l’Etat sous forme d’emprunt.

    Suis-je assez clair ? Si vous avez des doutes, vous pourrez lire  » la dette publique, une affaire rentable »

  3. Avatar de Jean-Baptiste

    Le troisième larron…

    Là où le sous-entendu précédent séparait l’entreprise et l’employé est remplacé par l’actionnaire/l’investisseur/l’employé !
    Mais là où il y a un problème c’est bien que l’actionnaire et l’investisseur ont certes un rôle différent en apparence mais en fait joue le même rôle à deux moment de l’entreprise différent ! L’un au départ l’investisseur relayé ensuite par l’actionnaire le premier vendant sa part à l’autre ! Il est donc difficile de justifier que les bénéfices à un moment donné soit coupé en trois là où à un moment donné il n’y a que deux parti ! Au départ : investisseur/employé puis seulement s’y substituant actionnaire/employé. Certes dans la vie de l’entreprise les deux peuvent cohabiter à un moment donné mais cela toujours dans un même rôle dont l’un se substituera à l’autre dans le temps. Dans ce cas là on n’a plus une répartition 1/3 1/3 1/3 mais bien en fait 2/3 capital 1/3 travail alors qu’auparavant l’à priori (non effectif) était moitié moitié.

  4. Avatar de Moi
    Moi

    @Jean-Baptiste: c’est comme sous l’ancien régime, on différenciait l’Eglise et la noblesse, pourtant dans les faits c’était pareil. Le tiers-état payait pour la noblesse, pour la noblesse du haut-clergé, et pour les serviteurs de la noblesse (le bas-clergé).

  5. Avatar de béber
    béber

    Une chôse est sure.
    Le président a un énorme problème d’expertise !

    « De ses échanges avec le président des Etats-Unis, il ressort convaincu que la sphère financière va connaître une nouvelle secousse. Comme il l’a reconnu devant les troupes de l’UMP le 24 janvier : «Personne ne sait jusqu’où ira la crise bancaire mondiale, personne ne sait combien de temps durera la crise économique mondiale. Quels sont les responsables qui pourront dire un jour « on s’est trouvés en situation de responsabilité à un moment où personne, parmi les experts, ne fixait la route, parce que aucun expert n’avait connu une crise de cette nature »?»

    Après son discours, entouré dans sa loge de quelques ministres et de dirigeants de l’UMP, Nicolas Sarkozy a enfoncé le clou : «Quand je fais venir des économistes, un seul me dit que ça va être beaucoup plus grave: c’est Henri Guaino.» Ses réunions régulières avec les plus éminents spécialistes de l’économie et de la finance le laissent visiblement perplexe. Le même, «un des meilleurs», qui assurait il y a quelques mois que la crise ne durerait que quelques semaines est à présent le plus pessimiste du lot ! »

    source :
    http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2009/02/07/01006-20090207ARTFIG00059–la-crise-s-impose-sarkoz-y-s-expose-.php

  6. Avatar de wobebli

    Il me semble que l’investissement et les actionnaires, c’est la même chose. Si une entreprise a besoin de capital pour ne pas faire faillite, il ne reste plus qu’a emettre de nouvelles actions et à supprimer provisoirement le dividende. Donc, les trois tiers c’est un tiers-état et deux tiers actionnaires.

  7. Avatar de pitalugue
    pitalugue

    après le « yes,we can » nous avons assisté hier soir au ; « yes, i can’t » , au « je du solitaire ».

    le président est unique, il décide de tout , il voit tout, il sait tout.

    extraordinaire de ne pas entendre une fois « nous » ou « la france » ou quelque mot se rapportant au collectif, mais des moi, des je, des je et des je.

    on peut remarquer toutefois que s’il ne se mèle pas des salaires des dirigeants qui savent s’autogérer, il doit discuter avec les syndicats qui eux ne savent à l’évidence pas.

    quelles sont les mesures pour lutter contre la hausse du chômage ?
    une meilleure indemnisation.

    est ce suffisant ?

    ne peut on plutôt essayer de créer des emplois  » de crise » ( certes moins qualifiés et plus temporaires) qui permettraient de ne pas rester à la maison à désespérer ?

    le partage de la richesse est il vraiment, dans la période actuelle, un problème limité aux salariés et aux actionnaires ?

    et si les les benefs allaient vers la création d’emplois en priorité dans cette période ?

  8. Avatar de Nico
    Nico

    Apres avoir lu ce billet je m’ apprétais à faire remarquer que 1/3 travail, 1/3 actionnaires, 1/3 investissement, ça faisait bien 2/3 pour moi qui suis actionnaire ; 1/3 directement et j’espère bien tout de suite, et 1/3 en augmentation de valeur de mon entreprise – il me faudra attendre un peu pour encaisser mais tant pis-. D ‘autres l’on fait remarquer avant moi donc je n’insiste pas.

    J’ ai beaucoup apprécié aussi la baisse de la taxe professionnelle. Toutes choses égales par ailleurs, ça augmentera les bénéfices d’autant, et les 2/3 me reviendront. Et si la perte de recette fiscale n’est pas compensée par une baisse de quelques couteuses prestations sociales ou du nombre de fonctionnaires, l’ état m’empruntera la différence. Je préfère préter à l’état, qui me paye ainsi des intêréts et me rend ensuite mon capital, plutôt que de lui payer des impôts.

    Enfin je compte beaucoup sur l’aggravation du chomage pour améliorer ma situation.
    Si ceux qui travaillent plus gagnent plus, il me parait légitime d’espérer que ceux qui travailleront moins gagneront moins, et que ceux qui ne travailleront plus ne vivront pas à mes crochets sous prétexte de cotisations passées diverses.
    Aprés tout ce sont des cotisations sur les salaires, pas sur les bénéfices et elles sont incluses dans le 1/3 qui revient déjà aux salaires. Les bénéfices n’ ont pas à être ponctionnés sous des prétextes qui n’ ont rien à voir avec l’ activité et la performance de mon entreprise.

    Pour ceux qui n’auront pas perdu leur emploi, il sera utile de bien leur rappeler, s’ils l’avaient oublié, qu’ils ont beaucoup de chance et que ceux qui n’ ont plus d’emploi sont préts à les remplacer, pour moins cher et sans discuter ; en particulier, s’ils comptent sur des augmentations de salaire sous prétexte d’inflation, je me permets de leur rappeler que mes revenus aussi subissent l’inflation, et que je ne peux les négocier avec personne. D’ailleurs il est entendu que la masse salariale (ou son augmentation ? ) ne doit pas dépasser 1/3 des résultats de l’entreprise.
    Grace à cette règle claire et équitable 1/3 pour les salaires, 1/3 pour les actionnaires, 1/3 pour l’entreprise on va enfin voir la fin de ces grèves et de ces manifestations qui perturbent la vie quotidienne des entreprises sans bénéfices pour personne.

    Bravo Monsieur le Président.

  9. Avatar de lacrise
    lacrise

    Petite question : si on ampute la rémunération d’un actionnaire, qui l’empêchera de vendre ses parts, même à perte, et d’aller investir dans un pays où cela ne se fait pas (le seul obstacle restant de trouver le pigeon pour les acheter)? Ces mesures, comme celles concernant les paradis fiscaux sont des voeux pieux , des effets d’annonce populistes. Les paradis fiscaux servent en partie aux Etats à cacher de l’argent clandestin pour des opérations plus ou moins avouables. J’ai l’impression que vous tombez facilement dans le panneau du monde de bisounours que Sarkozy nous a présenté. Qui va aller dicter sa politique à la Suisse ou à la Chine…L’OMC règlemente les échanges mais ne dicte pas sa loi aux Etats quant à leur fiscalité qui est du domaine du politique. Tout cela me semble très fortement éxagérer l’impact de la volonté de la France au plan mondial. Jusque là Sarkozy a accompagné la course effrenée vers le sauvetage des banques (qui, éhontées disent même ne pas avoir besoin de son argent, du moins en France),sans même qu’elles aient eu à se séparer du moindre de leurs actifs (immeubles luxueux à foison etc.) alors qu’elles sont au moins complices du désastre qui nous arrive.
    Sarkozy leur a signé un chèque en blanc et n’a aucun pouvoir concret pour savoir ce qu’elles vont faire de cet argent, il ne fait que promettre des sanctions dans ce domaine. Bref , beaucoup de bla bla, une vision plus qu’angélique du monde, une hypocrisie certaine (il n’y a qu’à voir l’Angolagate pour voir de quoi les dirigeants français sont capables, avec de l’argent sale à la clé).
    Je n’ai trouvé aucun intérêt à cet entretien où la question de son soutien originel aux subprimes ne lui a pas été posée, ni celle du paquet fiscal…

  10. Avatar de Jean-Baptiste

    Finalement mon billet portant sur investissement/investisseur pose bien le problème de ce troisième tiers. En effet les revenus distribués font 1/3 et les revenus accumulés (investissement) font 1/3 mais reviennent et appartiennent aux mêmes ! Ils seraient donc rétribués deux fois pour le placement de leur argent : 1 fois sous forme de loyer et en plus leur placement augmente.
    Conclusion :
    signer un chèque (1 minute) vous rapporte 2x plus que de travailler (pendant des années).
    Si vous avez de l’argent vous avez le DROIT d’en gagner plus ! sinon vous pouvez bêtement travailler et survivre mais vous n’avez PAS LE DROIT de vous enrichir cela vous évitera peut être de PENSER à votre sort et sinon enfin dernière solution ne pas être riche et ne pas travailler et vous serez exclu socialement…
    Ici il y a bien ceux qui SONT et ceux qui FONT…

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