Le travail

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Pourquoi le progrès technologique et l’accroissement global de la richesse des nations qu’il implique condamnent-ils pourtant tout un chacun à travailler toujours davantage ? Sera-ce toujours le cas ?

Il y a deux aspects à cette question : le premier est pourquoi ne travaillons-nous pas moins alors que bien des crises résultent d’une surproduction ? et l’explication ici est politique, et le second aspect est pourquoi ne permettons-nous pas à certains de ne pas travailler ? et la raison ici est socio-psychologique. La première question pourrait être résolue sans que la seconde le soit et inversement.

Commençons par le premier aspect : pourquoi ne travaillons-nous pas moins ? La raison est politique : aucune part de surplus ne peut se dégager qui puisse être utilisée à ce que nous travaillions moins, parce que si elle apparaissait, elle serait immédiatement partagée entre investisseurs et dirigeants d’entreprises. La raison, je l’ai déjà mentionnée : c’est parce que le surplus créé se partage entre les intérêts que touche l’investisseur (le capitaliste) et le profit que touche le dirigeant d’entreprise (le patron). Et, je l’ai montré aussi, c’est le rapport de force entre eux qui va déterminer où vont se situer les taux d’intérêt (le « loyer de l’argent »), et par conséquent aussi, le profit qui n’est que la différence entre le surplus qu’a permis l’utilisation du capital comme avances , et les intérêts. C’est alors le dirigeant d’entreprise qui partage ce profit entre lui et ses employés, selon le rapport de forces qui prévaut cette fois entre eux.

Il n’y a donc pas de place où pourraient se créer les réserves qui permettraient soit que chacun travaille moins, soit que certains n’aient plus même besoin de travailler. Si une réserve de ce type se constituait, elle serait immédiatement partagée entre investisseurs et dirigeants d’entreprise et l’on pourrait dire que c’est exactement ce que l’on constate, car comment expliquer autrement le fait qu’au cours des années récentes, les investisseurs se soient toujours enrichis davantage (considérant un rapport de 15 % annuel comme la norme) et les dirigeants d’entreprise également ? Parce que l’organisation de notre société en investisseurs, dirigeants d’entreprise et employés – où les investisseurs s’affrontent aux patrons, et les patrons aux employés mais sans confrontation entre investisseurs et employés – ne permet pas que se dégagent des réserves qui permettraient à ces derniers de travailler moins voire pas du tout. Tous ceux qui travaillent en entreprise ont eu l’occasion d’entendre leur patron leur expliquer le mal qui est le sien à défendre leurs intérêts contre les exigences des actionnaires. Ces exposés engendrent généralement du scepticisme, voire même des ricanements, or la chose est vraie : les patrons représentent les intérêts des salariés vis–à–vis des capitalistes, leurs salaires dépendent du profit, c’est–à–dire de la part du surplus que le patron sera parvenu à soustraire aux investisseurs et toutes réserves qui auraient pu servir à alléger le travail des employés a préalablement été partagée entre capitalistes et patrons.

La raison pour laquelle nous n’admettons pas que certains ne travaillent pas est que nous sommes prisonniers d’une fuite en avant. Nous inventons de nouvelles choses et nous voulons les posséder. Nous ne choisissons pas de laisser travailler les plus productifs et de permettre aux moins productifs de ne rien faire. Pour cela nous devrions les payer pour ne rien faire, mais à cela nous répugnons parce que les milliers d’années au cours desquelles nous avons travaillé, nous ont inculqué une éthique du travail qui nous incite à croire que ne pas travailler est un péché : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ». Du coup, si nous payions quelqu’un à ne rien faire, nous aurions le sentiment d’encourager le vice et de décourager la vertu.

Il ne s’agit pas simplement de religion et même ceux pour qui leur travail représente un plaisir et qui ne perdraient rien à ce que d’autres ne travaillent pas ont tendance à penser de cette manière. C’est parce que nous avons intériorisé le travail comme une nécessité à laquelle chacun doit s’astreindre et, si l’on y pense, il vaut mieux pour notre santé mentale qu’il en soit ainsi : s’il en était autrement, le travail serait uniquement vécu comme ce qu’il est souvent : comme un long calvaire. Cette intériorisation a si bien fonctionné que quand nous sommes privés de travail : quand nous sommes au chômage, nous nous sentons diminués socialement, inutiles, un fardeau pour les autres et déprimés. Nous percevrions du coup ceux qui seraient payés à ne rien faire et qui en seraient heureux comme des gens qui s’appliquent d’autres règles que les gens ordinaires, autrement dit, nous les percevrions comme des pervers.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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55 réponses à “Le travail”

  1. Avatar de Crystal
    Crystal

    Bonjour,

    Il y a de nombreuses formes d’activité utiles voire essentielles à une société mais qui ne font pas l’objet d’une rémunération. La création d’un « revenu minimum d’existence » serait probablement la meilleure manière de se libérer de cette conception de la vie réduite au travail rémunérée.

  2. Avatar de Fab
    Fab

    @ Paul Jorion,

    Vous posez deux questions.

    La première : « pourquoi ne travaillons-nous pas moins ? « . Vous dites que la raison est politique. Soit, mais d’un point de vue économique encore une fois ! Quel est l’intérêt d’une telle réponse. Notre quotidien est fait de ce genre de formatages de l’esprit. A quoi bon en rajouter ? Oui vous avez apporté une preuve, mais après ?

    La deuxième : « pourquoi ne permettons-nous pas à certains de ne pas travailler ? ». Vous dites : « Nous ne choisissons pas de laisser travailler les plus productifs et de permettre aux moins productifs de ne rien faire. » Même remarque que précédemment ! A vous lire il n’existe que le travail productif, c’est à dire apte à faire fonctionner la machine…économique !

    Sincèrement, je ne comprends pas votre obstination à ne voir le monde que sous l’éclairage économique.

    PS : Qu’entendiez-vous par débat : « Il suscitera un débat sans aucun doute et à ce débat je participerai bien entendu. »
    http://www.pauljorion.com/blog/?p=320 ?

  3. Avatar de Jean-Baptiste

    Aujourd’hui il me semble que le concept même de travail englobe plusieurs choses différentes voire dont la définition pour des groupes sociaux différents peuvent même totalement s’opposer. Pour certains cela est une tâche répétitive admise socialement mais productive ou parfois même pas, pour d’autre une occupation sociale reconnue, pour d’autre enfin une situation sociale seulement. La tendance aujourd’hui est de faire croire que l’on parle de la même chose même si sa propre définition est parfois très éloignée de celle du dictionnaire qui déjà lui donne au moins deux sens : Soit celle qui est votre action au sein de la société, soit celle de faire quelque chose en vue d’obtenir un résultat. Pour en venir à une croyance idiote mais souvent admise que si l’on sue on travaille ce qui est idiot puisque le sens de l’implication d’origine est le contraire : C’est le travail qui peut faire suer et non la sueur qui fait le travail. Certains parmi les plus riches ne peuvent que rire de cela car pour créer ou produire quelque chose il leur suffit de claquer des doigts et d’arriver à produire réellement le travail de plusieurs centaines ou de milliers de personnes qui elles devraient suer sans et eau pour obtenir ce résultat. Ceux au plus bas de l’échelle ,ne peuvent même pas le concevoir et tendent à le nier mais pour un informaticien cela parait évident que je peux écrire une ligne de programme faisant la même opération que des centaines de personnes ou qu’une centrale électrique produit des millions de fois plus d’énergie que l’énergie produite par une personne tirant un pousse pousse. Le problème du travail c’est que contrairement à ce qu’il pouvait encore être il y cinquante ans pour beaucoup il n’est plus qu’une justification sociale cependant obligatoire et que pour arriver à ce résultat tout ce qu’il faut faire dans la limite de la légalité peut être fait même en étant foncièrement amoral. On revient là aussi à la sueur comme justification sociale à la place du résultat. Un tel expliquera qu’il travaille beaucoup parce que ce qu’il appelle lui même travail lui prend soixante heures par semaine pour faire la même chose qu’un de ces prédécesseur et qui passa un an dans son lit pour obtenir le même résultat. Travaille t-il plus ou moins ou bien est ce que c’est le résultat qu’il faudrait juger ? Aujourd’hui le problème c’est que le travail sert à produire de l’argent et non ce qu’il représente. On peut fabriquer un produit infiniment abrutissant mais le simple fait de le vendre justifie la création de richesse théorique et donc la création de monnaie. La répartition se fait juste par les rapports de force tant que les croyances de chacun à son niveau est lui parait vraie. Évidemment quand on analyse les croyances des diverses couches sociales elles s’opposent souvent et sont de concept à chaque fois plus élevé mais il suffit d’avoir le même ensemble de croyance que son groupe sociale pour en faire partie sans forcément maitriser tous ses concepts du moment que votre propre groupe social vous reconnaisse aussi comme un des leurs. Certains arrivent difficilement mais tout de même à acquérir une partie des concepts de la couche sociale juste au dessus et finissent par être accepté par celle ci alors que pourtant une bonne partie des personnes faisant partie de cette même couche sociale ne comprennent même pas les concepts qu’ils croient.

    Par empilement, on a une superposition de concepts et de croyances qui permet de maintenir le système. Souvent une croyance à un niveau s’avère simplement fausse par la connaissance et le savoir au niveau social supérieur. Et c’est cette succession d’opposition qui permet d’avoir des limites quasi infranchissables. Ce qui est néanmoins amusant c’est qu’au plus haut niveau on trouve encore souvent des croyances qui s’avèrent encore fausse si l’on se base sur la connaissance cette fois. Remarquez que de tout savoir vous exclurait de tout groupe social !

  4. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    On remplace travail par activité librement consentie et on voit
    ce que cela donne ? Soit en se plongeant dans les délices de l’ethnologie, soit en anticipant (peut être) un peu ?

  5. Avatar de Moi
    Moi

    Je n’ai qu’une chose à dire : super article.

  6. Avatar de Jonathan Livingston

    Monsieur Jorion,

    Dans votre analyse, il faudrait peut-être tenir compte des travailleurs devenus capitalistes par leur fonds de pension qui se sont vus promis une retraite à 55 ans contre l’«aplavantissement» d’une certaine gauche syndicale devenu avocate de conventions collectives de certains groupes (vous les appelez bobos, je crois?) et organisatrice pour la forme de manifs n’importe quoi…

    Oui la génération x, avec tous ceux qui n’ont pas profité ou ont été tenu à l’écart de cet arrangement douillet, se demande bien pourquoi travailler autant pour obtenir rien du tout dans un monde où la valeur du travail est de plus en plus un artifice de propagande… Évidemment, les travailleurs dodus de GM peuvent bien pleurnicher de perdre leur job-investissement… Comme beaucoup, je ne verse pas de larmes… le système a fini par me pervertir…

    Bref, on devient individualiste, contractuel par choix, de moins en moins matérialiste, jaloux de son temps à faire ce qui fait sens… La maison et l’équité, inaccessibles de toute façon, on s’en passera… Et la crise pour nous n’est qu’une évidence que nous savons depuis longtemps: no future…

    Et pourtant le pervers attend et réclame quelque part un peu plus de sens…

    Quand j’étais jeune, la société du socialisme capitalisme connaissait l’apogée au tournant des années 80… La société des loisirs qu’on nous promettait me faisait rêver de travailler une 20 d’heures par semaine tranquille, à participer à la vie sociale, à avoir du temps pour soi aussi… Je n’avais absolument pas de problèmes éthiques avec cette vision intéressante de vie en société…C’était un bien mauvais rêve pour nous préparer à ce qui allait suivre…

  7. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    Qui est-ce qui a bien pu parler de « travail socialement nécessaire », sans être trop clair sur qui en décide et comment ?

  8. Avatar de pietranera
    pietranera

    De plus en plus de travail pour de moins en moins de monde, voila le modèle actuel.
    Soit on travail comme un malade 24/24 soit on n’a rien à faire, voila le résultat de l’augmentation de la productivité.
    On n’a pas créé la société de loisir promise mais un sous prolétariat RMiste.
    On oublie qu’en fin de compte les emplois supprimés sont des consommateurs en moins et à ce petit jeu tout fini par s’écrouler.
    On a cassé le modèle de Ford qui voulait que ses ouvriers puissent acheter leurs productions. On a viré les ouvriers et délocalisé la production.

    Fini les petits boulots, on allait tous faire de la finance et « les autres » nous fabriquer des produits pour trois fois rien.
    Consommer sans produire ! il semble que ce modèle ait fait long feu, et qu’il va falloir se remettre à produire si on veut consommer, et pour ça , il y en a pour quelques années avant d’y arriver !

  9. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    @ Fab

    je partage votre façon d’envisager l’économie et comprends votre impatience.
    Le fait est que Paul a une façon bien à lui d’amener les thèmes qu’il veut traiter.
    Ce sont des billets et non pas des thèses en bonne et due forme, ni des programmes pour une résolution hic et nunc des problèmes du jour.
    Comme d’autres commentateurs l’ont déjà souligné, la méthode est socratique.
    Il s’agit de faire toucher du doigt un élément en apparence fort évident mais qui est loin
    de l’être pour tout le monde. Paul a une vision de l’économie qui dépasse le cadre strictement économique.
    Paul insiste sur les évidences pour mieux les déconstruire, il me semble ! Il énonce les données du problème et nous laisse le loisir d’en débattre. Bref, les réponses sont souvent dans les questions.

    Dans votre deuxième remarque vous avez cité une phrase de Paul, mais, curieusement vous n’avez par reproduite la première phrase de son explication, c’est pourtant là que se trouve la clé, la proposition essentielle de tout le billet, à mon avis !

    La raison pour laquelle nous n’admettons pas que certains ne travaillent pas est que nous sommes prisonniers d’une fuite en avant. Nous inventons de nouvelles choses et nous voulons les posséder.

    Cette proposition est tout sauf une proposition purement économique ! Là nous retrouvons l’anthropologue, anthropologue critique de notre société, y compris, peut-être, dans certains de ses aspects techniques. J’ajouterais le philosophe aussi. Et chez Paul, tout se tient, comme toujours. N’a-t-il pas consacré un billet entier au problème de la propriété ?

    Pourquoi voulons-nous posséder ces nouvelles choses ?
    Et j’ajouterais, que sont ces nouvelles choses ? ( en effet, ces nouvelles choses sont souvent porteuses d’éléments techniques qui orientent un usage possessif, plutôt que de développer une appropriation sociale des moyens technologiques mis en oeuvre.)

    Or s’il est bien une caractéristique du modèle économique actuel c’est bien c’est la nette tendance à la privatisation du bien commun de l’humanité. Le problème écologique n’est donc pas purement écologique, il touche au problème de la propriété
    qui ressortit aussi bien à la politique et à l’anthropologie. Si la notion de propriété n’était plus si prégnante dans nos sociétés industrielles le désir de posséder à tout prix ce que possèdent les autres perdrait une grande part de son attrait, et du coup, la fuite en avant perdrait aussi sa raison d’être. Il y a fuite en avant parce que notre bien être, notre équilibre — même s’il est pour beaucoup précaire et souvent même dérivatif –, dépend de l’accès à la propriété. Et pas seulement de l’accès à la propriété immobilière. Mais de la propriété sous toutes ses formes. En en mot c’est l’accès à la société de consommation. Même aller à l’école — je sais que ce thème vous est cher — est une forme d’accès à la société de consommation. Nous y capitalisons des savoirs qui eux-mêmes auront un prix sur le marché du travail. C’est en ce sens que nous sommes prisonniers d’un système dont il est très difficile de s’extraire. Qui plus est ces savoirs sont sélectionnés selon des critères de spécialisation à outrance ou de performance pure, et font donc peu de cas de la pensée qualitative et imaginative, et encore moins de l’humanisme. Puisqu’il s’agit d’un économiste généralisé.

    Pour exemple, on a ainsi préféré traiter le problème de la réduction des gaz à effets de serre sous un angle exclusivement économique, en faisant prendre en charge les externalités négatives de la production industrielle par le seul marché. C’est l’organisation du fameux marché des droits à polluer.
    On retrouve donc ici un problème de propriété. On reste dans le cadre étroit de la propriété privée.
    Evidemment cela fonctionne très mal, et Kyoto est déjà un quasi échec.
    Il manque les principes qui énoncent clairement ce qu’est précisément le bien commun et de nouvelles règles du jeu à même d’orienter le système vers un modèle plus coopératif, plus solidaire en ses principes de fonctionnement.

    La première partie, politique, du billet de Paul, est aussi très importante, elle concerne d’ailleurs déjà cet « accès à la propriété ».
    Avant de faire une révolution anthropologique, nous nous devons de nous préoccuper du problème — aujourd’hui dramatique — de l’inégal partage des revenus entre les divers acteurs économiques. Car sinon nous nous acheminons vers un monde, une société de plus en plus violente et coercitive et basée sur des dérivatifs toujours plus sophistiqués avec pour but de tout simplement annihiler toute pensée réflexive et même toute sensibilité subjective. C’était même l’aveu de l’ex président de la première chaîne de télévision française : faire des programmes pour augmenter le temps de cerveau disponible ! (la meilleure définition de ce qu’est devenu le capitalisme relativement à la pensée et la sensibilité.)

    Le plus grand nombre doit pouvoir avoir droit à une existence décente, c’est à cette seule condition qu’un nouveau paradigme pourra devenir réalité. A cet égard, s’il est vrai que la tendance actuelle est au « travailler plus », que l’age de la retraite recule, la répartition du travail est très inégale. Entre les chômeurs et les précaires qui ont cumulé toute leur vie active des petits boulots – parfois selon des formules qui ne donnent pas droit à certains points retraite (un comble !) souvent à temps partiel, et les cadres qui ont fait carrière sans grands accrocs et avec de bons salaires, il y a un monde. Il y donc aussi un réel problème de partage du travail. Mais comme disait Keynes, le système a besoin d’une armée de réserve pour tirer les salaires vers le bas. Le chômage résulte à la fois du machinisme et d’une nécessité économique structurelle, dans le cadre économique actuel.

    Il faut vraiment un très grand sens critique, des ressources morales mentales non communes pour ne pas succomber à l’idéologie du travail productif dans ce contexte de chômage organisé. Contrairement aux affirmations péremptoires de l’UMP sarkozyste, les chômeurs ne sont pas tous des fainéants, ou alors s’ils le sont, c’est pleinement conscients de ce qu’il en coûte socialement que de refuser les règles du jeu social dominant. Curieusement on constate souvent aussi qu’il est plus facile pour un chômeur de retrouver un emploi quand il a réussi à se déculpabiliser de sa situation de chômeur. Souvent parce qu’il est capable de s’investir dans des domaines non productifs, qui ne ressortissent pas au loisir (cet envers du travail comme l’a très bien montré André Gorz alias Alain Bosquet, dans son livre qui a précisément pour thème le travail contemporain : Métamorphoses du travail.).
    La civilisation des loisirs c’est en effet encore la civilisation du travail productif, au sens purement capitaliste.
    Le travail permet une reconnaissance sociale, mais cela n’est pas sa seule fonction, ou plutôt cela ne devrait plus l’être, sans quoi on perpétue et le travail aliénant et le loisir souvent tout aussi aliénant quand il ne fait que contribuer à remettre sur pied un travailleur fatigué par son travail. Au loisir devrait se substituer l’oisiveté, qui elle, est réellement le temps libre, celui qui se vit pour lui-même, et est consacré à des activités qui nous semblent les plus enrichissantes. Cela pourrait d’ailleurs concerner y compris des activités productives de première nécessité. Bref, il faut renverser l’ordre des choses, faire le l’éthique de l’oisiveté l’aune à laquelle sera considéré tout travail.

    Bref la dimension fondamentale c’est le temps. En dispose-t-on ? Et si oui que peut-on en faire ? Cela est-il nécessairement antinomique des nécessités productives de la société ?
    Or le capitalisme, c’est une captation du temps au profit des investisseurs et en partie des entrepreneurs qui sont parfois eux-mêmes investisseurs.

  10. Avatar de Jean-Baptiste

    Il me semble que le travail socialement nécessaire est plus le résultat d’un sentiment personnel en étant un compromis acceptable entre la pression sociale qui a tendance à vous exclure si vous ne travailler pas (ou plus exactement ne faite pas la même chose) et votre propre sentiment de sécurité que procure le groupe le tout dans votre propre groupe social. Hélas dans ce cas rien de la compétence ni d’une réalité d’utilité dans la société mais seulement une justification auprès de votre propre groupe social qui aujourd’hui me semble principale préoccupation réelle de l’individu qui finalement « connait » sa quasi inutilité réelle ou ressentie comme telle.

  11. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    A l’élargissement constant du règne de la marchandise correspond le rétrécissement de la quantité de travail disponible. Plus le marché se développe, moins le travail est relativement rémunateur et la richesse inégalement répartie. Double impasse.

  12. Avatar de Alex
    Alex

    Merci Paul pour, une fois de plus, mettre les pieds dans le plat.
    C’est vrai qu’il est légitime de s’interroger sur la nécessité du travail producteur de bien pour environ 90% de la population, car a part l’agriculteur, l’ingénieur et le technicien l’on peut vraiment s’interroger sur la pertinence d’attacher quelque valeur monétaire au travail des autres, ou plutôt a leurs activités. L’artiste, l’écrivain, le professeur, pour résumé le travailleur immatériel n’as plus sa place dans la logique de l’augmentation des gains de production. Malheureusement cela concerne 90% des gens aujourd’hui.
    Paul me semble t’il nous pose la question: le système d’évaluation de l’activité humaine par la calcul du profit engendré par cette activité a t’il encore un sens quand la production de nécessité est de plus en plus assuré par l’automate et la science appliquée et de moins en moins par la sueur. Qui faut-il rémunéré le plus? Le scientifique qui pose les bases de la discipline, l’ingénieur qui en retire une application, le technicien qui règle la machine, l’investisseur qui lève des « fonds » pour faire construire la machine ( pourquoi pas l’état ? ) ou au final le premier venu qui appui sur le bouton « marche »?

    Mais diantre cela ne fait, au final, pas beaucoup de monde tout cela pour tout l’argent que l’on puisse en tirer! Et si l’on évaluait le pris du machin qui sort de la machine par le temps homme nécessaire à sa mise en oeuvre?
    On va être généreux: 10 seconde pour appuyer sur le bouton multiplié par le SMIG horaire divisé par le nombre de paquets de bonux … ça fait pas grand chose au final.

    Alors on va inventer un truc pas mal pour que faire en sorte que bonux rapporte du blé: DE LA MOUSSE!
    Et vive l’économie mousse suivit de son aéropage de markéteurs, designers de boites en cartons, bref d’empêcheur de bonux de buller à vide.

    Merci M. Jorion, vous avez raison: cette économie mousse ne sert à rien, acheter et vendre dix fois la même maison en une seule journée pas plus, même si cela fait travailler somme de personnes qui n’en ont pas forcément l’envie, même si personne ne sait comment faire autrement… mais il faudra bien apprendre un jour comment, sous peine de mourir asphyxié par la surproduction de mousse toxique!

    A toutes et a tous, bonne semaine de mousse, personnellement je m’en vais buller….

  13. Avatar de oppossum
    oppossum

    Mais non Paul, ce n’est pas l’idéologie du pain gagné à la sueur de son front qui détermine notre aversion à celui qui ne travaille pas ! Cette idéologie là n’est d’ailleurs qu’un version à coloration religieuse d’une sorte d’interdit qu’on trouve dans beaucoup de sociétés !
    Et cet interdit découle du fait tout de même assez évident que le statut de non travailleur ne saurait être un modèle pour toute société et qu’il représente même un danger. Toute société ne peut supporter un poids trop élevé d’improductifs complets. (Attention la notion du contenu concret du ‘ travail’ est une notion relative !)

    En dehors du vice et de la vertu, si on paie quelqu’un à ne strictement rien faire, on a surtout l’impression de se faire avoir. Tout bêtement.

    Le problème est , comme vous le dites, cette asservissement à la consommation, qui nous pousse à un triangle paroxysmique infernal travail/consommation/destruction (Bon , enfin dans le monde occidental) : mais si on n’entre pas un minimum dans cette course imbécile, on est vite éjecté ou du moins fortement dévalorisé . Il n’y a que difficilement un entre-deux.

    D’autres mécanisme entretiennent, me semble-t-il cette tétanisation : ainsi notre désir d’avoir un maximum avec un minimum (Du pas cher, du beaucoup, du dernier cri, du encore mieux) nous fait entretenir un système de concurrence pour produire à moindre coût qui concentre le travail sur un minimum de personnes extrêment compétitives.
    Les autres sont rejetés et leur coût social est externalisé (Et ils ont alors forcément besoin … du ‘pas cher’ … eux aussi).
    La société produit objectivement des non travailleurs, dans leur trappe. Pour les ‘utiliser’ , il faudrait que nous inventions encore des besoins factices (c’est encore envisageable) mais pire encore, du temps et des espaces pour les consommer ! Mais de toutes façons une large part de ces « assités involontaires » ne peut plus retourner au monde actif ou bien ne le veut plus vraiment pour diverses raisons pas très positives mais qu’on peut comprendre.

    Ainsi donc on est condamné, pour l’instant, à produire des non-travailleurs que l’on ne saurait prendre en charge de façon définitive parce que le système exploserait : tout système ‘alternatif’ n’existe donc pas et la valorisation excessive du non travail ou du travail au coût non mesuré, mène à l’impasse.

    Il faut revenir à une logique de plein emploi. Mais avec , effectivement, un ‘volant’ de non travailleurs , non pas pour compresser les salaires (les syndicats manquent vraiment d’imagination) , mais parce que la reflexion, l’évolution , l’expérimentation de nos sociétés complexes vient aussi de ces groupes sociaux.

    Il faudrait aussi arrêter d’avoir envie des grosses bagnoles. Et accepter de mourir quand même un jour.

  14. Avatar de oppossum
    oppossum

    A la relecture attentive de certains contributeurs, je vois que la tarte à la crème de la redistribution des revenus revient sur le tapis.
    Je préviens tout le monde que même si cette question est loin d’être négligeable, à la poser de façon centrale et prioritaire comme un préalable exclusif, on bloque définitivement toute les chances de faire évoluer quoique ce soit.
    Car ce faisant on se situe dans la même logique que le système car dans sa même hierarchie mortifère des valeurs (où celle du haut croquent celles en dessous) .

    Des milliards de personnes sont morts pauvres mais heureuses fraternelles solidaires et ayant donné un modeste bout de sens humain à leur vie. Ce qui ne veut pas dire qu’on doivent éternellement se faire trop entubés, on est d’accord.

  15. Avatar de Jean-Baptiste

    On s’aperçoit un peu tristement que le fait de payer des gens à ne rien faire rendrait certains autres jaloux. Jaloux de quoi ? ne rien faire apparemment il en rêvent pour eux ! Cela s’adresse justement à eux qui souvent sont plus des empêcheur de travailler dans leur propre travail. En général les plus jaloux sont ceux qui estiment que par eux même il ne peuvent rien et que c’est en le prenant à l’autre qu’il pourront obtenir quelque chose. C’est souvent ceux qui ont une situation sociale convenable en ne faisant pas grand chose (rond de cuir) qui sont les premiers à jeter l’opprobre sur ceux qui n’en ferait pas plus ( d’après eux) mais sans leur justification sociale qui eux les place dans une bonne conscience auto suffisante !

  16. Avatar de Jean-Baptiste

    Le manque de travail apparent n’est qu’une façon de placer un cout à celui ci. Des choses à faire dans le monde il y en a jusque par dessus la tête mais le capitalisme ne valorise les choses que par son manque ou son excès donc dans le cas du travail par son manque. Cela est la seule façon dans notre système de pouvoir déterminer un prix ou une valeur car à l’équilibre il ne vaudrait virtuellement rien telle que le définit la loi de l’offre et de la demande !

  17. Avatar de barbe-toute-bleue
    barbe-toute-bleue

    Je crois me souvenir avoir lu sur un désir d’essai du monstre « microsoft », par nature obligé d’anticiper, pour et par sa vision de la société :

    il s’agissait d’engager d’abord, et d’affecter ensuite le personnel suivant leurs … capacités au sens large. On devait recruter à la sortie des écoles quand même, plus qu’à la soupe populaire, mais …

    Il faudrait une source interne pour parler de cette expérimentation, savoir si elle s’est poursuivie, et avec quels résultats, y compris pour la productivité de la compagnie. Oh excusez-moi, j’ai laissé echappé le terme « productivité ».

  18. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    @ opposum

    le thème du partage du revenu ne doit pas cacher l’essentiel, vous avez raison.
    Mais pourquoi certains ont-ils envie de grosses bagnoles ?

    La possession de ces dites bagnoles traduit un statut social, une distinction, un sensation de puissance.
    Or qu’est-ce qui permet l’achat de ces voitures chères (et polluantes de surplus), n’est-ce pas précisément les revenus inégaux?

    Si les revenus étaient moins élevés mais suffisants pour vivre et même exister pour tout le monde, le moteur social du capitalisme, le désir mimétique, tendrait à perdre de sa puissance. Chacun chercherait d’autres raisons d’exister que celles qui consistent à consommer toujours plus, et/ou plus cher. Nous aurions alors une chance supplémentaire de nous acheminer vers un autre modèle de civilisation.

    Le combat pour l’égalité ne me semble pas un combat d’arrière garde. D’un point de vue stratégique il me semble même plus que jamais nécessaire. Les revendications salariales vont pousser le système encore plus rapidement vers ses limites, car , comme le souligne François Leclerc :  » l’élargissement constant du règne de la marchandise correspond le rétrécissement de la quantité de travail disponible. Plus le marché se développe, moins le travail est relativement rémunateur et la richesse inégalement répartie. »

    Or nous sommes dans un contexte de crise. Chacun des acteurs va chercher à se faire ou refaire une santé en tentant d’établir un nouveau rapport de forces. Les banquiers, les capitalistes voyant leurs marges diminuer dangereusement vont chercher une issue dans le marché en investissant des secteurs encore plus ou moins vierges. Y compris en revalorisant le travail non machiné, nous verrions alors la résurgence d’une certaine domesticité. En effet, puisque le temps global disponible pour le marché n’est pas extensible à l’infini, il n’y a que 365 jours dans l’année, et les jours ne font que 24 heures, et que le capitalisme mène à une impasse écologique et sociale, les capitalistes pourraient donc tourner le dos au machinisme pour exploiter la « bête » humaine. Le capital humain prendrait alors tout son (mauvais) sens et on assisterait à la naissance d’un capitalisme néo-féodal. Une autre hypothèse serait inverse : le filon du loisir et du divertissement serait exploité selon les possibilités offertes par la technologie numérique, et bientôt bio-numérique. Pendant que la masse de la population serait anesthésiée intellectuellement et sensiblement par ces technologies addictives, une élite prendrait du bon temps.

    Dans tous les cas de figure les salariés et/ou chômeurs, vont pousser les capitalistes dans leurs retranchements, le système va donc dévier de sa trajectoire — néo-libérale — initiale, puisque le système néo-libéral est maintenant caduc et qu’il ne pourra être rescucité. Et tout cela aura des implications sur la façon dont s’articulent sciences, technique, social, économique, et connaissances.

    Le système actuel ne fonctionne que parce qu’il existe un potentiel d’exploitation de différences quantifiées : hauts salaires – bas salaires, prix élevés – prix modiques. En perturbant la logique inégalitaire du système on le fait dévier de son centre de gravité.

  19. Avatar de leduc
    leduc

    Je rappelle qu’on est dans un monde CAPITALISTE. La seule chose qui motive les entrepreneurs sont les profits, l’accumulation de richesse, un patrimoine toujours plus grand. L’homme exploite l’homme pour son propre profit tout personnel.
    Dans un monde non capitaliste, les salaires et les prix seraient ajustés équitablement pour tout le monde, tout le monde travaillerait et apporterait sa pierre à l’édifice de la société. Mais non ce n’est pas comme ca que ca marche dans un monde capitaliste, s’il y a du progrès technique, s’il y a de la concurrence, ce n’est pas en premier lieu pour satisfaire les consommateurs, pour leur apporter les meilleurs produits au prix le plus abordable, c’est avant tout pour que chaque compagnie génère un maximum de profit pour ses actionnaires, et que ces profits n’aillent surtout pas enrichir les actionnaires d’autres compagnies concurrentes sur le même segment économique. Dans un monde non capitaliste, la recherche serait unifiée, non redondante et concurrente, on chercherait à innover non pas pour dépasser la concurrence mais simplement pour proposer le meilleur produit, le plus économique et le plus écologique tout simplement, on ne presserait pas les employés comme des citrons pour faire mieux que la concurrence et empocher le maximum de benefs.
    A la télévision quelqu’un disait une chose peut-être pas dénuée de tout fondement, il disait qu’il y a quelques décennies les patrons étaient des salariés, des employés au même titres que les ouvriers dans une entreprises, ils étaient mieux payé évidemment, bien mieux payé, mais ils défendaient effectivement l’avenir de l’entreprise, les salariés et leurs droits. Maintenant les patrons sont de plus en plus des « investisseurs », des « entrepreneurs », en tout cas des personnes qui ont rapport avec le capital car leur salaires ont été démultipliés, ils touchent des bonus énormes, des primes, des stock options, des participations, brefs maintenant ils sont bien plus du côté de l’actionnaire que des employés sous leurs ordre. Il ne faut guère compter sur les patrons pour un rapport de force vis à vis des investisseurs, à l’heure actuelle ils sont du côté des investisseurs. Tant que cela ne changera pas, ce sera hausse du rendement, de la productivité, des cadences, travail plus dur pour les employés, ca sera délocalisation et autres et tout le toutim. Le rapport de force est faussé.
    La question de la répartition des bénéfices (les fruits du travail ?) est essentielle. Dans notre monde capitaliste cette répartition très inégale amène de grave dysfonctionnement, j’en reste convaincu. Tant que certains ne travailleront pas ou peu et récolteront le fruit du travail de personnes qui auront travaillé dur ca ne pourra pas fonctionner. Et tant que certains travailleurs auront le sentiment qu’ils travaillent pour rien, pour donner le fruit de leur travail à des personnes qui ne travaillent pas ou peu, ca ne pourra pas fonctionner non plus.

  20. Avatar de Fab
    Fab

    @ Pierre-Yves D.,

    Bonjour et merci pour votre message qui explique et justifie la démarche de P. Jorion.
    Au regard des différents messages de la nuit je préfère tout de même attendre ses réponses…avant de m’engager trop en avant dans la voie socratique de l’économie, les autres voies socratiques se refermant naturellement si elles ne sont pas entretenues par le maître ! Qui mieux que le maître peut expliquer l’importance du changement de référentiel à ses élèves ? Les premières fois, le changement de référentiel s’effectue par un saut : il faut absolument provoquer ce saut si l’on veut qu’un jour l’exercice devienne naturel.

  21. Avatar de béber
    béber

    A machouiller quelques miettes de votre savoir ,et après dégustation, j’trouve que « l’éthique de l’oisiveté » ressemble terriblement au bonheur de rien foutre.

    DING DING !
    C’est l’heure d’une de ces questions fatales , de celles qui font mousser le bain culturel dans lequel nous barbotons inconsciemment, nous autres humains des années 2OOO.
    Quel bonheur trouver dans l’apparente « paresse » ?

    Pour explorer cette question, il faudrait le point de vue du paysan d’autrefois , celui qui était doux avec la terre,et qui savait que l’abscence de repos signe l’avénement du désert.
    Il faudrait le point de vue de l’artiste et du rêveur.Sans le refus de la soumission productive , pas de méditation ni d’inspiration.Et pour finir, plus de cette forme d’action qu’est la création.
    Il faudrait peut être aussi le point de vue du sage ti bête hein , de la marmotte, et peut même celui du jour et de la nuit.

    A la vérité, notre monde éveillé n’est rien d’autre qu’un monde « surexcité ».
    Appât du gain, fuit en avant ? Possible.

    Il y a un moment donné où tout un chacun se rend compte que travailler toujours plus (et pour finir dépasser les limites du raisonnable) revient seulement à consentir à l’esclavage.
    Rien à voir avec le bonheur.

    Pour se déplacer de façon « durable » sur le fil de la vie, mieux vaut un bon équilibre.

  22. Avatar de sébastien
    sébastien

    une petite phrase qui explique bien la problématique:

    « Les pauvres ont été longtemps utiles à la société parce qu’ils travaillaient pour pas cher : la question sociale était aussi une question économique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : les pauvres sont ceux qui sont exclus de l’emploi convenable, voire de l’emploi tout court. Ils ne sont plus « utiles au monde ».  »

    Denis Clerc, économiste

  23. Avatar de Bertrand
    Bertrand

    @ Paul
    « Pourquoi le progrès technologique et l’accroissement global de la richesse des nations qu’il implique condamnent-ils pourtant tout un chacun à travailler toujours davantage ? Sera-ce toujours le cas ? »

    Qu’est ce qui prouve au législateur que les sauts technologiques seront autant d’el dorado pour l’emploi et pour le « travailler plus » ?

    N’y a-t-il pas là une vulgate un peu simpliste qui voudrait que chaque secteur ou l’on supprime méthodiquement l’intervention humaine par les machines, pourra déverser son lot de chômeurs dans un secteur innovant promu par le « progrès technologique » ?

    Il y’a derrière ce mythe une théorie proche de la « percolation », théorie mathématiques que les économistes n’ont pas manqué de s’approprier, ainsi le progrès érigé en religion a ses corollaires : La suppression des emplois dû à l’automatisation des tâches et à la nouvelle division du travail dans les secteurs présents (primaire, secondaire, et services) doit être compensé par la création d’autant d’emplois dans le secteur des nouvelles technologies, comme si ce jeu était à somme nulle, ce qui ne peut être pas le cas.

    Le progrès est promulgué comme un procédé qui agit par induction sur l’emploi, en dehors des biens et services réellement bénéfiques à l’être humain qu’il peut apporter. Le progrès signifie « nouveaux gisements d’emplois » pour le législateur. Ce dogme est construit sur un raisonnement par « induction » à partir du comportements des « agents économiques » détachés de tout territoire et de toute humanité. Les perdants du tout technologique n’auront qu’à chercher du travail dans les secteurs de la biotech et de la communication ! Comme si l’on pouvait faire des expériences sur les êtres humains, ramenés à des petits lapins de laboratoire. Quand le calcul économique se plait à décrire la probabilité d’employabilité des gens face au rouleau compresseur que sont les nouvelles technologies, l’être humain a du souci à se faire sur sa propre « humanité » ! Le « travailler plus » est alors un non sense de plus face à l’objet que créé une société technicienne : Un leurre pour amadouer les foules.

  24. Avatar de JeanNimes
    JeanNimes

    M. Peyrelevade dit que la France a un problème de compétitivité… donc qu’il ne faut surtout pas augmenter les salaires…

    Jusqu’à présent, je me faisais l’idée que la compétitivité était la comparaison internationale de la résultante entre salaire et productivité avec l’innovation pour chaque pays.

    Alors, comment se fait-il qu’il y ait un problème de compétitivité en France, quand les salaires sont dans la moyenne inférieure de la zone euro, la productivité parmi les 2 ou 3 pays en tête dans le monde et une innovation qui fait que nous avons des numéros un dans beaucoup de technologies de pointe ou que nous sommes capables de nous y trouver si la volonté politique y est ?

    Si je comprends bien, il faudrait pour que la France soit compétitive (alors que son ratio PIB/population la place parmi les premières nations) que :
    1/ les salaires soient au niveau des salaires chinois, mais ils délocalisent au Bengladesh… alors va pour le salaire bengladesi,
    2/ que la productivité soit plus élevée que celle de n’importe quel pays, avec un coefficient supérieur bien entendu à 1,5 ; 2 ; 3…
    3/ que la recherche soit mobilisée par l’innovation à l’exclusion de toute recherche inutile (sciences humaines, astronomie ou autre science qui ne rapporte rien).

    Comment peut-on se prétendre compétent en économie dans ces conditions ?

  25. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    @ JeanNimes

    Votre démonstration est imparable.

    Le même Jean Peyrelevade avait écrit tout un livre — Le capitalisme total (2005)– pour dénoncer les méfaits du capitalisme financier (actionnarial) en le distinguant d’un capitalisme rhénan (de compromis entre banquiers et entrepreneurs pour des projets à long terme. )

    Dans son livre il disait notamment : « Des normes de rentabilité excessives conduisent les chefs d’entreprise à être les premiers agents d’une mondialisation sans frontière (…). De leur adoption découle un sous-investissement ennemi du plein-emploi », une « nouvelle forme d’économie de rente (…), qui ne pense qu’à baisser ses coûts de production et oublie d’investir pour avoir davantage à distribuer. »

    Mais Peylerevade voit la cause principale de la perte de compétitivité des entreprises françaises, à l’export — ce qui est d’ailleurs contradictoire avec une certaine dénonciation de la mondialisation laquelle est justement axée sur la libre circulation des capitaux et une politique mondiale en ce sens — dans une hausse excessive des salaires dont la cause serait le financement des ménages à crédit, par l’accroissement continu du déficit budgétaire de l’Etat. Et de proposer la suppression des 35 heures, de l’impôt sur la fortune, de la taxe professionnelle pour faire une politique de l’offre. Comme le disait un commentateur sur un autre blog, Peylerevade fait dans le patronalisme. Il défend le patron pour mieux faire oublier le salarié qui doit tout attendre du patron.

    Il est assez douteux également de pointer du doigt l’excès d’endettement de notre pays quand des pays comme les USA et le royaume uni sont dans une situation pire encore et que c’est précisément l’insolvabilité des ménages qui a conduit à la crise actuelle. Notre modèle français nous a préservé en partie de l’endettement massif à la fois public et privé ! Et quand je pense que son mentor politique, François Bayrou, voulait rendre inconstitutionnel le déficit budgétaire ! En temps de crise, où en serions-nous avec un tel monétarisme !

  26. Avatar de Alexis
    Alexis

    Très bon article Paul. Mais au fait c’est quoi, ne pas travailler ?
    Je digresse à peine, mais cela me fait penser à cette « affrontement » entre « amateurs et professionnels ». Il est communément admis que le professionnel fasse un meilleur travail que l’amateur dans quelque domaine que ce soit, des arts plastiques à la comptabilité en passant par les bricolages familiaux (peinture, plomberie, électricité…). Or la différence est plus triviale. Quelque soit le matériel photographique (par exemple) dont vous disposez, le professionnel gagnera sa vie avec, alors que l’amateur dépensera de l’argent pour cette pratique. d’un point de vue sommairement comptable, ça ne va pas plus loin. La qualité de l’œuvre est subjective.

    La discussion rejoint là celle entamée il y a qq jours sur la monnaie officielle, locale, les SEL, les échanges, le troc et le PIB pour finir.

    Autre question, quelle est la durée effective du travail ramené à sa durée de vie, hors sommeil (8/24 heures) ?
    On peut affiner les calculs, mais c’est la démarche qui importe : 1/4 d’enfance et d’études, 1/4 de retraite, 1/2 journée en transport, nourriture, soins…, 2/7 jours de week end, 5/52 semaines de vacances, 10/365 jours fériés, 8% de chômage, 8% de maladie…
    Certes on peut à titre individuel bomber le torse en se disant bête de travail, jamais malade, méprisant les vacances et sa petite famille et j’en oublie, mais globalement on ne passe que 14% de sa vie à bosser les 86% restant ne sont pas pour autant du farniente les doigts de pieds en éventail dans l’herbe d’un val fleuri !

  27. Avatar de Eugène
    Eugène

    hum hum, il faudrait effectivement distinguer travail emploi métier

  28. Avatar de olivier
    olivier

    Il manque des distinctions dans ce qui a été dit.
    Le salariat et le travail, par exemple, ce n’est pas la même chose.
    La salariat ramène l’homme a sa seule dimension économique.Il fait de lui une force de travail à côté d’autres forces de travail, comme les machines. Il est alors une variable d’ajustement comme d’autres. Le salariat c’est le travail sous sa forme aliéné. Si on poussait très loin (comme Godard) on dirait que le salariat fait de vous une prostitué puisque dans le fond être un salarié, c’est vendre sa force de travail sur un marché.
    Le travail, celui que j’aime vraiment, renvoie à ce qui « me travaille » et me pousse à la création, à l’action et qui me rend libre. Le travail c’est ce qui rend libre parce qu’il est un prolongement naturel de la vie. C’est le travail des artistes disait Nieszstche.
    Pour ma part, les deux arrivent parfois à se confondre. C’est une chance. Je n’ai donc jamais eu besoin de Sarkozy pour que mon travail ait une valeur à mes yeux. Mais il ne lui a jamais été demandé de revaloriser le travail. Les gens attendaient de lui qu’il revalorise les salaires, c’est-à-dire le fruit du salariat, qui n’est qu’une forme du travail.

    Cette distinction est à mon avis essentielle et pas seulement dans un sens anthropologique: on remarquera que l’aliénation (le fameux « calvaire ») née du salariat a un coût pour les comptes sociaux. Sapir l’estime à 3% du PIB. Quant à ce travail librement consenti hors de la contractualisation salariée, elle est peu à peu mise en valeur par les entreprises. Peut-être y a-t-il un avenir dans cette démarche, on verra.

  29. Avatar de Moi
    Moi

    « Le salariat c’est le travail sous sa forme aliéné. »

    Oui, en fait c’est un contrat de subordination. C’est un progrès par rapport à l’esclavage car cette subordination est volontaire (ou supposée telle) et se fait sous certaines conditions plus ou moins restrictives suivant le rapport de force salarié-patron (durée, salaire, etc). Le salarié s’engage à obéir au patron et non pas simplement à accepter de faire un certain travail.

    « Le travail, celui que j’aime vraiment, renvoie à ce qui “me travaille” et me pousse à la création, à l’action et qui me rend libre. »

    Les loisirs, quoi. 🙂

  30. Avatar de olivier
    olivier

    oui mais pas le loisir au sens hédoniste de notre civilisation. La notion de vacances uniquement dédiées au farniente me dépasse. Je m’ennuie tout de suite. Je me sens racorni au rang de consommateur de produits et d’espaces touristiques.
    Le loisir, c’est un temps libre où j’ai aussi le loisir de travailler à ce qui me tient à coeur de travailler. Personnellement, même en vacances, je travaille tout le temps, sans doute parce que je ne le vie pas comme une aliénation. C’est au bureau que je me repose…

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