L’actualité de la crise : La tête dans les épaules, par François Leclerc

Billet invité.

LA TETE DANS LES EPAULES

La crise s’approfondit en son cœur, au rythme de plus en plus soutenu de plans de relance financière aux résultats jusqu’à maintenant décevants. Les plus grandes banques continuent de faire les titres de la presse, souvent les mêmes. Laissant à penser que tout n’est pas nécessairement avoué chez les autres. Permettant de constater, sans qu’il soit besoin cette fois-ci de spéculer, que ces puits sont sans fond, car à peine fait, il faut les combler à nouveau.

L’espoir d’un retour à meilleure fortune, en application de cette clause qui figure souvent à la fin des contrats d’affaire, dernière ressource déjà lointaine dans le cas présent, ne semble même plus être une option pour le monde bancaire, au chevet duquel tout le monde se penche.

De plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer que soient mises en place des solutions radicales, et non plus des demi-mesures, afin d’en extirper une fois pour toutes le mal qui les ronge. Sans que le remède permettant d’éviter, en soignant le malade, de le tuer par la même occasion, ait été découvert. Sans que soit trouvée la méthode qui permettra de démêler l’inextricable paquet de nœuds qui a envahi les livres des établissements financiers.

L’heure reste pour l’instant au cocktail de mesures cherchant une issue dans l’innovation. L’administration Obama devrait rapidement annoncer son propre cocktail, après que les britanniques s’y sont lancés les premiers. Une manière de mettre toutes les chances de son côté, disais-je précédemment, une façon de ne pas encore mettre les points sur les « i », devrais-je dorénavant ajouter.

En attendant, le temps passe, les déficits publics enflent, la situation de l’économie chinoise empire, et l’on se demande si elle va continuer de générer les excédents nécessaires au financement, avec la japonaise, du déficit américain. Il est devenu par ailleurs presque banal de s’interroger sur le nom du premier État qui fera défaut, tandis que les notations à la baisse tombent, dont celle de la Grande-Bretagne. Sauf exception, on n’ose plus évoquer la charge future de remboursement – ou d’effacement par la création monétaire – de la dette publique. Et surtout on n’aborde pas encore ouvertement ce délicat dilemme qu’il faudra bien un jour trancher : que préconiser demain, entre le remboursement et l’effacement de la dette, ces deux variantes de la peste et du choléra ?

Le marché des devises, moins sous les feux des projecteurs, lance de son côté des signaux alarmants et lourds de conséquence. La descente infernale des places boursières se poursuit ainsi que le redoutable « credit crunch », nié malgré l’évidence par les banques, redouté par les entreprises et reconnu par les politiques, qui n’en peuvent mais. Le flot montant des liquidités que les banques centrales continuent de déverser sans limites sur le marché devrait être contemplé avec inquiétude. Il suffira de les récupérer, disent les experts avertis, comme s’il s’agissait d’un de ces simples « réglages fins » de la BCE. Les mêmes qui laissent croire qu’il sera aussi simple de détricoter ce qui, dans tous les domaines, est en train d’être bâti dans la précipitation, dans le reniement le plus radical de toutes les valeurs hier adulées.

Quand Jean-Claude Trichet, président de la BCE, juge « infondées » les craintes d’un éclatement de l’euro et de l’Union monétaire en raison de la crise financière, comme aujourd’hui mercredi lors de son audition régulière devant la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen, quand il y déclare aussi « nous n’avons actuellement aucun risque de déflation», il faut se demander quelles anguilles il masque sous quelles roches. Pourquoi dément-il les risques d’éclatement de la zone euro et réfute-t-il les risque de déflation ? Parce que les tensions sont bien réelles et ne peuvent que s’accentuer, dans le premier cas, et que la BCE ne veut pas s’engager dans la politique « d’assouplissement quantitatif » de la BoE, qui suit fidèlement les traces de la Fed, dans le second. Entendez par cette dernière formule énigmatique et qui va faire fureur, une augmentation inflationniste de la masse monétaire. La BCE, largement sous influence allemande, est comme on le sait farouchement opposée à cette politique. « Suivre la Fed ne peut pas sauver le monde » titrait un de ses articles du Financial Times, le 21 décembre dernier, le chroniqueur Wolfgang Munchau.

Nous sommes en France habitués à ces déclarations qui signifient généralement le contraire de ce qu’elles prétendent énoncer. Un autre grand spécialiste de la chose, la fonction doit le vouloir, c’est le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer. Ne vient-il pas de déclarer, dans un discours prononcé dans le cadre d’une conférence Paris-Europlace aux Emirats arabes unis, alors que le gouvernement annonçait un deuxième enveloppe d’aide financière des banques françaises de 10,5 milliards d’euros, que celles-ci n’en avaient pas vraiment besoin, à part Dexia, concédait-il. « Leur recapitalisation publique n’est pas destinée à compenser des faiblesses ou des failles. Il s’agit plutôt d’anticiper des problèmes éventuels », précisait-il. Puis on enregistrait quand même un sursaut de sincérité de sa part : « Bien sûr, (les banques françaises) ne sont pas immunisées contre la crise. Leur exposition directe ou indirecte aux actifs toxiques les a contraintes à passer des dépréciations record ».

De fait, la situation française, qui semblait bien singulière dans un monde bancaire en crise, se normalise en quelque sorte, avec ce deuxième volet de leur sauvetage. Le titre BNP Paribas chutait mercredi matin, le cours revenant à ses niveaux de fin 1998. La Société Générale annonçait quant à elle des résultats équilibrés mais inquiétants, si l’on considère les pertes de son activité de marché. Heureusement, le feuilleton français de la semaine, l’affaire des bonus des dirigeants des banques, a occupé pendant ce temps-là les esprits, c’était bien l’objectif poursuivi. Les conseils d’administration des banques ont voté l’abandon de ces bonus, après quelques atermoiements, en toute indépendance mais à la suite de recommandations gouvernementales très appuyées. L’honneur était sauf de part et d’autre.

La situation en République Fédérale est plus ouvertement préoccupante. La banque Hypo Real Estate (HRE), déjà sauvée de la faillite par l’État, a annoncé hier mardi qu’elle allait recevoir une nouvelle garantie publique de 12 milliards d’euros, soit un total 42 milliards d’euros d’aide de l’Etat avec ce qu’elle a déjà reçu. La semaine dernière, la Deutsche Bank, première banque du pays, avait déjà annoncé avoir essuyé en 2008 la première perte annuelle de son histoire : près de 4 milliards d’euros. D’après le Süddeutsche Zeitung, elle a depuis essuyé des pertes massives à cause de deux de ses fonds spéculatifs aux Etats-Unis. Deutsche Bank CQ Capital a perdu 47,2% en 2008. Deutsche Bank Distressed Opportunities a lui enregistré une perte de 42,4% pour la même période.

La presse britannique de mardi dernier soulignait, quant à elle, le coût du nouveau plan de sauvetage des banques, tout en reconnaissant sa nécessité et en prédisant que des nationalisations devraient logiquement suivre. Notamment celle de RBS. Selon The Guardian, ce plan « est intelligent, mais on se retrouve très loin de ce qui ressemblerait à un service bancaire normal.(…) Si cette stratégie ne marche pas, les ministres pourraient avoir besoin de procéder à des nationalisations », ajoute le quotidien. Le détail des mesures n’étant pas connu, par ailleurs, il est difficile pour les commentateurs financiers, qui le soulignent, de se faire une opinion. C’est le cas de George Hay, de breakingnews.com. Mais le sentiment qui se dégage de leurs avis, presque un « consensus » pour employer un terme de la finance, est que le plan ne sera pas suffisant alors que son encre n’est pas encore sèche.

La Belgique envisage également d’octroyer de nouvelles aides à son secteur bancaire, toujours dans la tourmente, à l’image du bancassureur KBC en chute libre à la Bourse. Le ministre belge des Finances, Didier Reynders, envisage selon l’agence Belga un « deuxième tour bancaire », en référence aux renflouements successifs en septembre et octobre dernier de Fortis, Dexia et déjà de KBC.

Enfin, pour terminer ce tour d’horizon sans un seul petit coin de ciel bleu, l ‘action Citigroup est tombée hier mardi sous son plus bas niveau à Wall Street, en dépit des 45 milliards de dollars reçus de l’État, relançant les spéculations sur une possible nationalisation de l’ancien numéro un mondial de la finance. La banque ne vaut plus qu’un quart des apports de fonds dont elle a bénéficié depuis un an, si l’on ajoute à l’aide publique américaine 22 milliards de dollars venus essentiellement de fonds souverains du Moyen-Orient et d’Asie fin 2007 et début 2008. L’une des plus grandes banques américaines, Bank of New York Mellon, est tout juste parvenue à rester bénéficiaire au quatrième trimestre 2008, avec une chute de –88% de son résultat net. Son titre a plongé mardi dernier de 17,25%.

Dans tout le monde occidental, la création d’une bad bank est fiévreusement étudiée. Une mesures radicale difficile à prendre mais incontournable. En Belgique, où le coût de son financement est hors de portée de l’Etat, on envisage de créer une « bad bank virtuelle », un peu sur le modèle britannique de garantie des actifs à risque. La Bundesbank, banque centrale allemande étudierait de son côté un projet « en dur », selon le quotidien Frankfurter Rundschau de mercredi. Mais ce scénario effraierait le gouvernement car, selon Peer Steinbrück, ministre fédéral des Finances, une telle opération coûterait entre 150 et 200 milliards d’euros à l’Etat. C’est, enfin, une des options qui aurait désormais la faveur de la Fed aux USA, mais il faut encore attendre ce qui va être annoncé par la nouvelle administration. L’impression dominante est que les mesures à venir seront, comme celles qui ont déjà été annoncées, très politiques. Ce qui présage du fait qu’elles seront plus facilement adoptées par le Congrès, mais laisse en même temps craindre une source d’inspiration un peu courte.

Le système bancaire va être confronté à une succession de nouvelles difficultés. Il a déjà encaissé, non sans de graves conséquences, les effets de la crise financière des subprimes et l’écroulement qui s’en est suivi, toujours en cours, puis la baisse en bourse des actifs détenus en propre. Il s’attend désormais à ce qu’augmentent les défauts de remboursement, en raison de la crise économique.

Si les banques ont réussi, grâce aux garanties mises en place sans tarder par les gouvernements, à éviter les retraits massifs des épargnants qui leur auraient été fatals, elles vont devoir aussi enregistrer une importante baisse d’activité sur les segments de marché des plus rentables. Celui d’activités de marché en tout genre, désormais trop risquées ou tout simplement totalement gelées. La titrisation par exemple ou bien le carry-trade mis à mal par l’instabilité des changes.

Il est aussi illusoire de faire porter aux seules banques la responsabilité d’une crise qui les dépasse, même si elles ont contribué à son émergence, qu’il est démagogique de faire de la question des bonus une question centrale, même s’il est moralement satisfaisant de les voir supprimés. Les banques ont la tête dans les épaules et sont fermement décidées à ne pas la laisser dépasser, c’est bien une des rares initiatives qu’elles peuvent actuellement prendre.

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2 réponses à “L’actualité de la crise : La tête dans les épaules, par François Leclerc”

  1. Avatar de leduc
    leduc

    Félicitations pour ces billets invités. On n’est pas trop de plusieurs pour saisir et analyser la totalité des développements actuels dans le domaine économique. Comme je le disais il y a peu, les journées de 24h sont trop courtes 🙂
    Pas de commentaires pour l’instant, mais mes encouragements pour cette formule qui me plait

  2. Avatar de TELQUEL
    TELQUEL

    Bonjour a tous ,merci encore a Paul enrichi de Francois,suite a tout cela y a t il une possibilite de renversement total de la situation par un transfert de liquidite de l’economie reelle vers les banques en contre effet des CDO synthetiques voir /La crise pour les Nuls: La crise mondiale des CDO synthétiques.webarchive.
    Amities a tous

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