Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Armel m’a appelé hier, me demandant d’aller lui acheter un exemplaire du « Spider-Man – spécial inauguration » et là, surprise en arrivant devant cette boutique généralement comateuse : une queue devant la porte et des instructions strictes : un seul exemplaire par acheteur.
Ça, c’est la première surprise. La seconde, ce sont les chalands. Ceux que l’on rencontre là d’habitude, ce sont bien sûr des adolescents attardés et des ingénieurs financiers pseudo-hippies (suivez mon regard) mais aujourd’hui, c’est très différent. D’abord, plus de la moitié des clients sont noirs et parmi eux, beaucoup de gens chics, genre professions libérales, très affables quand il s’agit de faire maintenant la queue pour régler 3,99 $ pour l’exemplaire et 15 cents pour le bristol et la pochette qui permettront de conserver le Spécial-Obama en « mint condition ».
Quelque chose a changé et c’était déjà perceptible dans la journée d’hier. Dans l’après-midi j’ai accompagné Adriana dans une administration et dans le vestibule nous croisons deux jeunes filles noires et elles me regardent et je les regarde et je me dis « Tiens ! un air de printemps ! ». Et puis nous découvrons la personne qu’Adriana doit rencontrer, et elle est elle aussi afro-américaine et elle est enjouée, rayonne de bonheur, et l’on rit tous de bon cœur.
J’ai habité l’Afrique et j’ai passé des moments merveilleux en compagnie d’Africains (j’ai évoqué cela il y a une vingtaine d’années dans la chronique que je tenais alors dans la revue L’âne, dans un billet intitulé « Mon ami Gbéhon »). L’Amérique, pour les personnes d’origine africaine, c’était tout autre chose. Jusqu’ici, dans la rue, les administrations, avec les collègues de bureau, c’était un mélange de bonne humeur feinte et de ressentiment, et quand ces conversations tendues et malaisées s’achevaient je pensais tout bas : comment les en blâmer ?
Ces choses-là étaient connues, on les évoquait dans les revues de psychologie et de sociologie comme « dépression chronique de la communauté noire », et Spike Lee évoquait magistralement ce phénomène dans ses films. Le nivellement par le bas dans l’enseignement public aux États–Unis en vue de « donner un coup de fouet à l’amour-propre des étudiants noirs » constituait une tentative à la fois dérisoire et navrante de résoudre un problème de société.
Et hier et aujourd’hui, tout cela a changé. Je touche du bois : j’espère qu’il ne s’agit pas d’un état de grâce éphémère. Si cela pouvait durer, l’Amérique irait déjà beaucoup mieux : une trop longue gueule de bois serait enfin arrivée à son terme.
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© Marvel Comics
2 réponses à “Un petit air de printemps”
Que se passera t il quand l’automne arrivera ?
J’aimerais connaitre votre point de vue de sociologue sur l’impact de la crise.
Aujourd’hui, en France, les médias se font l’écho du meutre d’une conseillere financiere d’une banque pour un probléme d’assurance vie.
De part et d’autre, on lit et on écoute des appels à la vengeance ! La ‘une’ de Fortune fait peur !
« L’Amérique, pour les personnes d’origine africaine, c’était tout autre chose. Jusqu’ici, dans la rue, les administrations, avec les collègues de bureau, c’était un mélange de bonne humeur feinte et de ressentiment, et quand ces conversations tendues et malaisées s’achevaient je pensais tout bas : comment les en blâmer ? »
Un extrait de Bamboozled de Spike Lee