L’actualité de la crise : « Diplomatie du ping pong » newlook, par François Leclerc

Billet invité

« Diplomatie du ping pong » newlook

Il y a encore l’embarras du choix pour traiter de l’actualité de la crise. En piochant dans celle des USA, qui domine aujourd’hui après qu’hier a été un jour faste pour l’Europe, du point de vue de l’information faut-il préciser. Toute l’attention converge vers ce que prépare l’administration Obama, méga plan de relance d’un côté et utilisation du second volet du TARP de l’autre, chacun supputant les chances de succès des mesures qui, dans le premier cas, sont maintenant annoncées dans leurs grandes lignes et, dans le second, restent encore très floues.

La crise, elle, n’attend pas ces échéances, et, après Citigroup, c’est Bank of America qui se rappelle au bon souvenir de l’opinion américaine, ajoutant aux interrogations de celle-ci à propos des mesures à venir, d’autres qui portent sur les effets réels des précédentes, déjà appliquées. Une chose était de se demander où était passé l’argent des contribuables généreusement distribué aux institutions financières, ou de regretter que rien ou si peu n’ait été fait en faveur de ceux dont les maisons ont été saisies ; une autre est de constater, dans le cas de Bank of America, que c’est l’absorption récente de Merrill Lynch qui la met aujourd’hui en difficulté, comme un cadeau empoisonné qui n’avait pas été estimé à sa juste valeur, ou plutôt selon sa réelle capacité à détruire de la valeur, comme disent les financiers qui savent désormais de quoi ils parlent, dans un sens comme dans l’autre.

On détruit tout dorénavant, la valeur, les emplois, la nature. Peut-être faudrait-il d’ailleurs faire cette énumération à l’envers, pour respecter le réel ordre d’importance.

Les nominations au sein de son équipe par le « président élu » Obama, qui a beaucoup recruté au sein de l’administration Clinton, qui avaient donc les mains dans le cambouis dont on mesure aujourd’hui la saleté, contribuent à un léger malaise perceptible dans la presse dite de référence. Qu’attendre d’une équipe dont les responsabilités passées dans la situation actuelle sont si grandes ?

Pourtant, malgré cette actualité américaine chargée, l’information importante du jour est peut-être à chercher ailleurs. L’économie chinoise va mal et le gouvernement de Pékin pourrait envisager une dévaluation du yuan. C’est en tout cas ce qu’estime, dans une note parue jeudi à Londres, Albert Edwards, le stratège de la Société Générale, qui ne parle généralement pas en l’air.

Albert Edwards constate le fort déclin de la production d’électricité en Chine, estimant « qu’à ce degré, il pourrait montrer que la Chine est en train de glisser dans la récession, quoi qu’en disent les données officielles sur le PIB ». Pour lui, la situation économique et sociale peut très bien se détériorer en Chine au point de « menacer le régime lui-même ». Et, ajoute-t-il, « avant d’accepter de se faire balayer par une vague de désordre social, le parti communiste a un instrument-clé dans son arsenal économique, qu’il a déjà utilisé auparavant et qui est une méga-dévaluation » (du yuan). Pour mémoire, une telle dévaluation de 33% du yuan était déjà intervenue en 1993, dans un autre contexte.

On mesure le coup de fouet qui pourrait en résulter pour l’économie chinoise, si tournée vers l’exportation, et son contre-coup négatif sur le marché intérieur pour l’économie américaine. Le couple américano-chinois, que certains appellent dorénavant la « Chinamérique » pour mieux en souligner l’étroitesse des relations, n’a pas fini de se déchirer, même s’il est à priori condamné à s’entendre. Et le reste du monde à en subir les conséquences, au rythme des esclandres et des retrouvailles.

Il va falloir, dans les années qui viennent, s’habituer au fait que la Chine est devenue la 3éme économie mondiale, derrière les USA et le Japon, devançant l’Allemagne. C’est la Banque Mondiale qui le considère, s’appuyant sur les chiffres définitifs pour 2007 du Bureau national des statistique (BNS) chinois. Sur la base du taux de change prévalant fin 2007, la Chine pèserait 3.500 milliards de dollars, contre 3.300 à l’Allemagne. Les USA pèseraient, eux, 13.800 milliards de dollars et le Japon 4.400 milliards de dollars. Tous ces chiffres exprimant le PIB, agrégat communément admis pour les comparaisons, bien que comme on le sait des plus discutables si l’on considère les modalités de son calcul.

Quoi qu’il en soit exactement, Wang Chen, chef de la propagande chinoise à l’étranger, a expliqué dans le quotidien hongkongais « South China Morning Post » que la Chine préparait l’avenir et voulait « accroître sa capacité à diffuser, à influencer de manière positive l’opinion publique internationale et à établir une bonne image de la Nation ». Pékin serait, d’après le même journal, prêt à mettre 45 milliards de yuans (près de 5 milliards d’euros) dans le développement de ses médias, notamment sa télévision multilingue CCTV.

Li Changchun, haut responsable chargé de l’idéologie, a de son côté expliqué, dans un discours prononcé lundi dernier et cité par l’agence Chine Nouvelle que « nous voulons que notre peuple bombe le torse et dise que le grand peuple chinois s’est levé parmi les Nations du monde et que a Chine n’est pas pauvre, attardée ni stupide ».

Réponse du berger à la bergère, après le retrait brutal du capital des grandes banques chinoises de nombreux investisseurs étrangers – UBS, Bank of America et Royal Bank of Scotland, pour les principales et pour l’instant – qui avaient besoin d’urgence de leurs fonds ? L’un des vice-présidents de la Bank of China, Zhu Min, vient en tout cas d’expliquer dans le quotidien « China Securities Journal » que le monde pourrait voir arriver une deuxième vague dans la crise financière actuelle et que les efforts consentis par les gouvernements dans le monde entier pour rassurer les marchés n’ont pas réussi à résoudre les problèmes de fond à l’origine de la crise.

L’ampleur et la nature réelles de la crise n’ont pas été correctement appréciées et le manque de structure et de vision des efforts consentis par les gouvernements pour stabiliser les marchés risque d’entraîner des problèmes inattendus, avertit-il. Pour le responsable de la Bank of China, de grands organismes bancaires qui viennent d’être sauvés par des plans gouvernementaux pourraient, dans un an ou deux, être de nouveau en grande difficulté.

Petit rappel, il a fallu que les autorités chinoises interviennent, discrètement mais fermement, pour que l’administration Bush décide de sauver Fannie et Freddie, dans lesquels le gouvernement chinois avait de très importants intérêts. Nous n’avons pas fini d’assister à une nouvelle version de la « diplomatie du ping pong », la balle étant dorénavant les Bons du Trésor américain.

L’actualité américaine pourra donc attendre un peu. Les Européens, eux, attendent de la solution de la crise financière américaine le dénouement de leur propre crise, car ils pointent le doigt là où elle a commencé. En se faisant peu d’illusion. Les Américains sont, quant à eux, entrés dans une situation de grande interdépendance, si ce n’est de dépendance, avec les Chinois. La guerre froide opposait en son temps URSS et USA, la guerre économique qui s’engage va en faire de même entre les USA et la Chine. Le téléphone rouge va à nouveau sonner, mais le bouton rouge ne va pas davantage être actionné.

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10 réponses à “L’actualité de la crise : « Diplomatie du ping pong » newlook, par François Leclerc”

  1. Avatar de Paul Jorion

    La « diplomatie du ping pong » est, comme on le sait, l’un des thèmes récurrents de ce blog.

  2. Avatar de madar michael

    Jusqu’a présent le chef d’orchestre était américain.
    Depuis peu tous les pupitres ont perdu le tempo, erreur de battue du chef et/ou grave inattention instrumentale, chacun joue alors fièrement sa propre partition, au son du clairon dans une belle cacophonie mortifère.
    Suggestion : Se mettre d’urgence au free jazz

  3. Avatar de leduc
    leduc

    Battre les Chinois au ping pong, mmmmm, c’est pas gagné 🙂

    Les Chinois sont trop malin, des siècles, des millénaires de sagesse, des traités de guerre, de vénérables sages. Ils l’ont joué fine, ils ont compris que le seul et véritable moyen d’empêcher les puissances occidentales de leur imposer de nouvelles fois les humiliations de l’époque des traités inégaux du 19è siècle était de frapper là où cela fait le plus mal : l’économie.

    Peut-être qu’un jour la stabilité du régime chinois vacillera sous les coups de la colère populaire, des rébellions aux quatre coins du pays.
    Il m’est avis que la stabilité de nos société occidentales aura au moins largement autant volé en éclat et que la paix sociale est une bien belle illusion lorsque la sécurité économique d’un pays s’écroule.

    Si il y a 30 ans quelqu’un avait prédit que dans 30 ans, la Chine ne serait plus un pays du tiers monde mais allait rivaliser économiquement avec les plus grandes puissances mondiales en devenant la 3è ou 4è puissance économique, devenir le nouveau rival des USA après la chute de l’URSS, relancer la conquête de l’espace en envoyant des chinois dans l’espace et détruisant un satellite en orbite et en aveuglant des satellites avec des laser au sol, organiser une des olympiades les plus prestigieuses, bref si quelqu’un avait prédit cela à la fin de l’ère Mao, je pense qu’on se serait sans doute bien moqué de lui.

    Les USA et la Chine se tiennent par la barbichette alors, le premier qui rira aura une tapette ? 🙂

    Moralité : y en a pas, enfin…, si !, ne jouez ni au ping pong ni au jeu de Go avec les Chinois, ils sont trop forts d’une part et puis parfois ils trichent en plus 🙂

  4. Avatar de Eugène
    Eugène

    François Leclerc,

    « On détruit tout dorénavant, la valeur, les emplois, la nature. Peut-être faudrait-il d’ailleurs faire cette énumération à l’envers, pour respecter le réel ordre d’importance ».

    Pourquoi le « peut-être »? La fonction ds valorisation en nous, humains, est partagée avec les vertébrés supérieurs, nous faisant échapper, comme eux, à l’indifférence! Il n’y a donc aucune raison de se prendre la tête avec ce concept auquel certains rajoutent la majuscule « Valeur », mais au contraire de s’interroger sur ce qui, en nous, rend humaine cette fonction de valorisation naturelle.

    Moi, c’est donc dès que j’entends le mot valeur que je sors mon revolver, je veux dire lorsque celui qui m’en cause est sur le point de m’embarquer ds son sac d’embrouilles, duquel il veut ressortir gagnant. Mon instinct me met alors instantanément sur le qui-vive parce qu’il est sur le point de me pomper jusqu’à l’air que je respire!

  5. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    @ Eugène

    Je partage votre avis. « Peut-être » n’était qu’une formule, signifiant dans le contexte « sans aucun doute » ! Introduire le terme « valeur » dans cette énumération, c’était faire référence au vocabulaire de la pensée économique dogmatique.

  6. Avatar de scaringella
    scaringella

    De même qu’Al-Qaida à été fabriqué par l’occident, la chine actuelle a étée fabriquée par l’occident. La crise actuelle ne serait-elle pas une guerre pour faire exploser en plusieurs pays ce monstre chinois qui devient gênant après avoir enrichi ceux que vous savez? L’arme économique est la principale pour tous les états du monde actuellement. C’est le politique qui utilise l’économique pas l’inverse, pour preuve la russie ces jours ci. Après la religion puis l’idéologie. C’est le politique qui prime toujours. Même si les éxécutants économiques nommés par les politiques prennent bcp d’argent.

  7. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    @ leduc

    dire les « chinois sont trop malins etc… » cela ne nous avance pas beaucoup. Ce sont les situations et les potentiels qu’offrent les situations qui donnent l’illusion
    de cette supériorité stratégique, psychologique chinoises intrinsèque. En expliquant la géopolitique à partir de considérations purement psychologiques on aboutit à des théories fumeuses du genre de celles de Hutington, qui parlait de choc des civilisations.

    Non ce ne sont pas des civilisations, des psychologies antagonistes qui s’affrontent, mais des politiques, des économies. Les facteurs culturels jouent évidemment un rôle mais ils sont subordonnés au politique et à l’économie. Qui plus est, comme beaucoup d’analystes l’ont déjà remarqué, la Chine est elle-même confrontée à des difficultés intérieures immenses qui sont dûes principalement au fait qu’elle a connu un développement très rapide mais dont la rapidité tenait d’abord à son insertion dans une économie monde néo-libérale. Or aujourd’hui l’économie néo-libérale s’effondre. Ipso facto la Chine perd alors son rythme de croissance vertigineux qui lui était nécessaire pour faire accepter de très grandes inégalités. Les travailleurs migrants quittent les chantiers et ateliers des grandes villes et retournent dans leurs provinces, où sévissait un chômage endémique. Le pouvoir central a conscience du danger mais il est débordé par les pouvoir locaux qui n’en font qu’à leur guise, et pour cause, ils sont la base du régime. Tout peut maintenant arriver en Chine, aussi bien un renforcement de l’autoritarisme, déjà grand, qu’une révolte populaire massive ou même un éclatement de l’Empire du milieu en plusieurs zones. Un recentrage sur une économie plus perenne et sur des bases plus sociales est aussi envisageable, dans le meilleur des cas. Bref, la Chine n’est pas un bloc uniforme. La société chinoise est sous contrôle mais elle est très réactive. La Chine est un pays autoritaire, mais ce n’est plus un régime totalitaire à proprement parler, ou alors il faudrait inclure aussi nos démocraties dans un système global assez totalitaire, dans le sens, où l’humain n’y est plus la valeur centrale.

    J’ai visionné l’émission de France 3 « Ce soir ou jamais », où comme la noté Paul, y furent proférées quelques énormités à propos de la Chine pas des intellectuels pour le coup un peu désinvoltes (mis à part Stiegler, qui lui revenait de Chine et a me semble-t-il, une analyse très cohérente — même si on est pas obligé de la partager — du monde contemporain).

    Pour Michel Onfray, qui passe pourtant pour un intellectuel très marqué à gauche, l’Occident est menacé de disparition et avec eux les droits de l’homme, par opposition, sous entendu, à un despotisme oriental. Il oublie qu’en Chine même l’idée démocratique a progressé, que de jeunes chinois risquent la prison — et y vont — pour avoir simplement diffusé des informations sur le net. Des milliers d’intellectuels chinois (avocats, professeurs d’université ) viennent aussi de présenter une pétition au gouvernement chinois demandant l’intauration d’un régime plus démocratique. AU sein même du PCC (Parti communiste chinois), qui dirige toujours le pays, des factions rivales s’opposent, et pas seulement sur de simples enjeux de pouvoir, mais aussi sur des questions relatives au développement de la Chine, des meilleurs moyens d’y assurer un dévelopement plus harmonieux, y compris en passant par l’introduction d’une dose de démocratie.

    En 1989, déjà, le problème s’était posé, hélas la ligne dure l’avait emporté. L’idée selon laquelle les droits de l’homme serait l’apanage de l’occident exposé par certains intellectuels médiatiques est d’ailleurs assez contradictoire, car les droits de l’homme se posent comme universels, ils ne sont donc la propriété d’aucune civilisation. Rosavallon a cru bon lui de remarquer que les conditions de travail qu’offre le capitalisme chinois sont pires que celles qui existaient lors que la révolution industrielle en Angleterre. Il faudrait qu’il ouvre un livre d’histoire !! Ou qu’il relise Zola.

  8. Avatar de Eugène
    Eugène

    @ François Leclerc,

    Excusez moi de vous avoir effectivement pris un peu trop rapidement pour Paul… et d’accord aussi avec votre réponse, c’est pour moi le point sensible sur lequel il faut se concentrer.

    Idéologie, pensée dogmatique … il faut leur opposer une « pensée » en mouvement donc ‘épistémologique’ment construite, à la hauteur des enjeux humains, donc avec des sciences humaines qui ne soient plus des singeries physicalistes ou biologisantes, ni transcendantes non plus. La ligne de crête étroite de Paul.

  9. Avatar de MICHAUD
    MICHAUD

    Il y a trente ans?
    Alain Peyrefitte écrivait « le jour où la CHINE s’éveillera »… Visionnaire non?

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