Affaire Madoff : la malhonnêteté ordinaire

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

La version officielle de l’affaire Madoff, est que l’ancien patron du NASDAQ avoua à ses fils que son entreprise n’était qu’une gigantesque pyramide, une cavalerie où l’on verse aux clients plus anciens les fonds qu’apportent les plus récents, et que ceux-ci – probablement subjugués par l’indignation – allèrent vendre la mèche à la police.

Il y a de nombreuses raisons de remettre en cause cette version officielle. D’abord le fait que ce soient ses fils qui aient contacté la police. Vous feriez ça à votre père, homme d’affaires à la stature colossale, parce qu’il a été malhonnête ? Ensuite, les fils Madoff sont non seulement financiers eux-mêmes, mais travaillant aussi dans l’affaire du papa (même si ce n’est pas dans le même département) : pas des enfants de chœur non plus donc et peu susceptibles de tomber à la renverse en apprenant qu’une affaire rentable l’est essentiellement parce qu’elle est une pyramide. Le chiffre de 50 milliards de dollars manquant dans la caisse a éventuellement pu les surprendre.

Je lis les journaux et je vois que ce que l’on essaie de nous vendre, c’est de la consternation : « Comment est-ce Dieu possible ? » C’est possible parce que la pyramide est le meilleur business plan que l’on puisse imaginer : la formule par défaut qu’ignorent seulement les gagne-petit qui – par manque de relations – sont obligés de vraiment vendre quelque chose.

Passons alors aux vraies questions. La première : combien de hedge funds, de fonds d’investissement spéculatifs, fonctionnent-ils sur un autre schéma que la cavalerie, que la fuite en avant ? Étendons la question : combien d’établissements financiers (1) ? Deuxième question : combien de clients de Mr. Madoff ignoraient-ils que son fonds était une pyramide ?

Ma réponse, à vue de nez, pour chacune de ces deux questions, est qu’on peut les compter sur les doigts d’une seule main.

Les lecteurs de mon blog – et apparemment de blogs apparentés – succombent souvent à la théorie du complot pour expliquer ce qui se passe en finance et je leur répète inlassablement : « Vous ne comprenez pas : en finance, les complots ne sont pas nécessaires ! »

Bien sûr, ceux des clients grugés de Mr. Bernard Madoff, dont la participation à son fonds était passée par l’intermédiaire d’une banque, vont se tourner vers celle-ci et glapir pour réclamer l’argent qu’ils ont perdu. C’est de bonne guerre : malheur aux vaincus ! Mais ignoraient-ils vraiment ce qui se tramait ? Un fonds qui fonctionnait comme un mouvement d’horlogerie et rapporta pendant vingt ans 1 % par mois, qu’il pleuve ou qu’il vente ? Un fonds dont les journaux rapportaient depuis 1999 qu’il était une pyramide, après qu’un certain Mr. Markopoulos avait alerté sans effet la SEC (Securities & Exchange Commission), le régulateur des marchés financiers ? Non : pour participer au fonds, il fallait être parrainé, et ce que votre parrain devait vous glisser dans le tuyau de l’oreille, c’était ceci : « C’est l’ancien patron du NASDAQ, personne n’ira jamais voir ! Et s’ils devaient jamais aller regarder : il siège dans tous les comités de surveillance ! »

Alors, pourquoi les fils ont-ils vendu la mèche ? Un commentateur sur mon blog avance l’hypothèse suivante : « Quelqu’un a dû lui dire qu’il allait lui faire la peau et les fils ont pensé qu’il valait mieux pour leur père d’être sous les verrous ». C’est bien possible mais – comme vous le savez – la maison ici ne fait pas dans la supputation.

––––––––––––
(1) Franco Modigliani, Prix Nobel d’économie, écrivait en 1992 : « … une banque dans une position délicate ne doit pas automatiquement déposer son bilan tant qu’elle est à même de verser à ses épargnants intérêt et principal, faisant pour cela appel à ses réserves, ou liquidant certains de ses actifs, mais surtout, en utilisant la technique dite ‘de Ponzi’ : en attirant de nouveaux clients. » in Frank J. Fabozzi, Franco Modigliani, Mortgage and Mortgage-backed Securities Markets, Boston (Mass.) : Harvard Business School Press 1992, p. 100.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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42 réponses à “Affaire Madoff : la malhonnêteté ordinaire”

  1. Avatar de fpignon
    fpignon

    Félicitations Mr Jorion pour avoir réussi à attirer sur votre blog certaines personnes aux avis très pertinents … parfois plus que le vôtre ! Il esr évidemment absurde de croire que les investisseurs ne pouvaient ignorer ce qui se passait dans le fonds Madoff . Statistiquement il existe toujours une faible probabilité qu’on fonds délivre année après année des returns réguliers quelles que soient les circonstances de marché . Vouloir y croire quand de plus le fonds a pignon sur rue et est contrôlé par la SEC ne me paraît pas « fou » . Il faut arrêter de surestimer la capacité de prise de recul de l’être humain lorsque l’argent est en jeu , il suffit de voir comme on se bouscule au casino .
    J’apprécie par contre les deux posts de TonvieuxcopainMichel qui met en cause la subtile structure de rétribution de commission mise en place par Madoff pour attirer les fonds de fonds . C’est aussi de ce côté là qu’il faut creuser . Ce qui pouvait échapper à l’investisseur moyen n’aurait jamais dû échapper à ces professionnels . Le conflit d’intérêts dans les décisions des gestionnaires de fonds : voilà encore une branche pourrie du système à côté des primes liées à la performance qui poussent à des prises de risques absurdes .

  2. Avatar de claude
    claude

    50 milliards ! ! ! voila de quoi faciner le bon peuple de veaux……………
    depuis 3 mois, il pleut des milliards sur la planette (c’est pas un titre de chanson ! ) .donc le blé, arrive de nulle part et s’évapore ici ou la…
    qui a les couilles de dire que cet argent n’existe pas ? que ce ne sont que des annonces pour rassurer les veaux….que aujourd’hui les memes qui ont soufflés sur le chateau de carte sont en train de se gaver …de l’argent des contribuables du monde entier ? ( ils ont remplacés le fictif par du vrais fric, c’est la toute l’escroquerie de cette crise).
    en réalité, le bon BERNARD a tout compris avant les autres : si je plume pour une fois ces putains de gros, pas un seul va perdre le moindre centimes . a méditer !

  3. […] communiqué par Paul Jorion (1) Franco Modigliani, Prix Nobel d’économie, écrivait en 1992 : « … une banque […]

  4. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    L’hypothèse selon laquelle Bernard L. Madoff n’était pas à l’origine un escroc, mais qu’il l’est devenu à son corps défendant, dépassé par les évènements qu’il avait involontairement contribué à créer, prend petit à petit corps. Au fur et à mesure que le champ des responsabilités s’élargit, que les interrogations comme les enquêtes se multiplient.

    Car le chapeau est trop grand pour lui seul. C’est ainsi, aussi, que peut seulement se comprendre qu’il ait été dénonçé par l’un de ses fils. Non pas parce que la prison est devenue son seul refuge face à de dangereux créanciers, car il est pour l’instant du moins en liberté sous caution.

    Difficile que son procès ne soit pas aussi celui du monde dans lequel il naviguait. De ce qu’il permettait et, pour sauter le pas, de ce qu’il a induit.

  5. Avatar de claude
    claude

    Bernard L.Madoff est un répugnant personnage qui a permis a un groupuscule (teroristes financiers ! )
    d’écraser les travailleurs du monde entier, certe il y a plein de Madoff dans ce monde fou, et le seul moyen d’arreter la crise financiere mondiale un jour c’est de fixer la limite d’enrichissement individuelle pour chacun de ces fous .
    de cette façon , et a terme , tous les etre humain pourons vivre dignement du fruit de leurs travail.

  6. Avatar de alain
    alain

    …Ma réponse, à vue de nez, pour chacune de ces deux questions, est qu’on peut les compter sur les doigts d’une seule main.

    Comme vous, je pense qu’effectivement, peu nombreux sont ceux qui ignoraient la vraie nature du « génie » de Madoff.
    Cette assertion implique une évidence : Nous pensons vous et moi que la finance n’est pas honnête. D’ailleurs ne s’agit-il pas d’une impossibilité congénitale?
    Nous lisons à longtemps de journée, des informations « économiques » faisant état de sommes que quelques personnes au monde peuvent réellement estimer. Des milliards de Dollars ou d’Euros, c’est déjà trés vague alors imaginez lorsque ces sommes sont exprimées dans des monnaies exotiques somme le Dong Vietnamien ou le Riel Cambodgien. D’ailleurs encore un petit effort, un de vos lecteurs faisait le calcul suivant :

    b(r)ankignole dit :
    16 décembre 2008 à 19:26
    Je voudrais quand même rappeler que 1 milliard = 55.000 années de travail a 1500e mensuel (18.000 annuel)
    55.000 années !!!

    et bien avec un salaire moyen au vietnam de 120 Dollars ça fait, à la louche :
    550.000 années,
    et pour le salarié cambodgien cela représent à 50 dollars par mois,
    1 650 000 années.

    Voilà pourquoi des gens, certes pas si nombreux que ça, à l’échelle de la planète mais encore trop quand même, peuvent rouler en Ferrari, en Rolls, s’acheter des appartements de plusieur dixaines de millions d’Euros ou de Dollars, et autres symboles de leur richesse si durement gagner à la sueur de leur front.

  7. Avatar de jlm

    @Alexis

    Je crois être resté aussi naïf que vous ! Sur « mon archéologie » de votre interrogation, je me souviens, par exemple, de La Cybernetique Et L’Humain , Gallimard – 1965 –, par David Aurel. Les propriétés de l’exponentielle sont semblables à celles d‘une boucle de rétroaction positive ; l’hubris évoquée par Paul à propos de Madoff n’est pas seulement produite par le rêve de quelques-uns, mais, pour parler comme un électricien, inscrite dans le schéma de câblage de nos sociétés. C’est clair, du moins il me semble, que notre civilisation fonctionne massivement selon ce mode, y compris la monnaie. En effet, si les banques ne créent pas de monnaie au sens comptable, elles ne prospèrent que par le fonctionnement du « toujours plus » d’échanges monétaires. Étant donné l’importance du système financier, nous sommes globalement réglés et asservis selon cette structuration, avec comme conséquences les « crises » : financière, économique, sociale, pétrolière, écologique, climatique … mais, justement, il n’y a pas de crise ! la « Krisis » c’est, le moment d’un changement radical, nous ne faisons que nous accommoder. Sauf 2casa , lui n‘a connu que la crise, et pourtant ne s’accommode pas, il rompt, il se « recâble » et reste entier ! Paul supposait que l’écœurement viendrait ? Avant que la porte du four ne se referme, perdrons-nous l’habitude de survivre, encore un peu, en poussant le voisin pour qu’il monte en premier dans le wagon ?

    Il faut donc, je crois, tenter de réunir les conditions politiques (au sens large) d’un autre mode de câblage, et aborder de ce point de vue les questions « de la décroissance », de « la monnaie », de la « démocratie ». Une fois compris que la recherche d’un équilibre par un « toujours plus » n’est pas durable, tout comme serait illusoire de se rabattre sur une société informationnelle structurée par un « toujours mieux » en oxymore permanent où « le mieux, c’est toujours, déjà moins bien »: une « hauteur béante » de plus. Il ne suffit pas d’inverser le mouvement par « la décroissante » assaisonnée d’une dose de « morale de la sobriété », mais de permettre une multiplicité de régulations.

    Comprenons bien Attali lorsqu’il rappelle qu’un monde répétitif est le rêve de toutes les dictatures, mais faut-il remplacer les potentats assis par une élite du changement, de la vitesse et de l’innovation ? Serons-nous condamnés à courir sans cesse parce que le pouvoir se veut toujours déjà réglant la crise à venir? Nous pouvons choisir de construire un monde qui prend son temps, qui n’exige pas de nous des temps de réaction trop rapides (c’est très très mal parti, voyez la chronologie de la Peste Rouge – Jack London -).

    Mais pour l’immédiat, le peuple doit réagir vite, non seulement parce que les experts sont incapables d’une solution sur le fond, mais parce que nous devons cesser d’entretenir illusion de la possibilité d’accommodement. Comme Jorion, comme le faisait son père, comme 2casa, il faut garder le « cœur conscient », l’internet nous donne les moyens d’accomplir ensemble cette « krisis », c’est une évidence ici. Comment rassembler les énergies du Web, et le faire savoir au 20h et dans la rue ?

  8. […] Times : “les résultats étaient trop beaux pour être vrais et depuis longtemps“. Paul Jorion nous apprend aussi que Franco Modigliani, Prix Nobel d’économie, écrivait en 1992 : […]

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  10. Avatar de H.F.D
    H.F.D

    On parle beaucoup de l’affaire Madoff actuellement, et je ne vois pas précisément la différence entre ce qu’il a fait, et ce que fait le trésor américain à bien plus grande échelle. Les Etats-Unis ont budgétisé un peu plus de 1000 milliards de déficit pour 2009, et n’ayant pas d’argent pour payer ce déficit, ils vendent des bons du trésor sachant pertinemment qu’ils ne pourront honorer leurs engagements qu’en émettant de nouveau bons du trésor (ils cherchent de nouveaux client pour utiliser leur argent afin de payer leur dette ce qui les obligera à trouver de nouveaux clients pour payer cette nouvelle dette, et ainsi de suite.). Ils ont même prévu, sachant qu’ils n’arrivent plus à les vendre en totalité de les acheter eux même en faisant marcher la planche à billets. Pour ma part, il me semble que le procédé est encore bien pire que celui de Madoff qui n’avait lui pas la possibilité d’imprimer de la monnaie pour payer les intérêts promis à ses clients. Je ne suis pas économiste, et il y a sans doute quelque chose qui m’échappe. Pourriez-vous m’éclairer à ce sujet ?

  11. […] les réseaux, les organisations. Ouh les vilains termes. On n’est pas loin de l’association de malfaiteurs… ou pire ! De bandes […]

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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