Les anthropologues et la monnaie

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Bon sang ne peut mentir : je suis allé me rafraîchir les idées sur ce que disent mes collègues anthropologues sur l’origine de la monnaie.

Pas de gentils orfèvres ici, prêtant plus qu’on ne leur a prêté, non, une réalité plus dure : la dot, la compensation d’une famille à une autre pour avoir pu se débarrasser d’une fille ou, à l’inverse, pour avoir acquis une femme, la rançon à verser pour le roi capturé durant la bataille, ou le tribut versé pour le sang qui a d’abord été versé.

Mais surtout, et comme mécanisme qui nous donnera le système monétaire moderne : l’impôt. Voici : l’Etat dépense pour la sécurité publique. Il paie ses dépenses avec des jetons. Pour rentrer dans ses fonds, il réclame l’impôt : il faut que les jetons lui fassent retour pour qu’il puisse les redistribuer. Aucune importance que ces jetons représentent en eux-mêmes une richesse ou non, mais il est important que l’on ne puisse les falsifier, d’où le fait crucial que l’on puisse les peser, et en vérifier la composition : les métaux joueront ici un rôle privilégié.

Les banques commerciales apparaissent comme la machinerie qui facilitera au citoyen ordinaire l’accès aux jetons qui lui permettront de payer l’impôt. « Je dois payer l’impôt aujourd’hui », dira-t-il, « mais ma moisson ne sera là que demain ! » La banque lui dispense les jetons contre une promesse sur la moisson encore à venir. Pour lui avoir évité la prison, elle lui réclame un petit cadeau : les intérêts.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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13 réponses à “Les anthropologues et la monnaie”

  1. Avatar de Sophie
    Sophie

    Aspect intéressant (et méconnu) sur l’origine de la monnaie. Moi qui pensait que c’était particulièrement les marchands qui avaient eu besoin de monnaie pour éviter les difficultés du troc, et ensuite de « papier monnaie » pour faire la nique aux bandits de grands chemins.
    Il n’empêche que ce jour la part du seigneur (l’Etat) ne représente plus que, peut être, 20% du PIB et certainement guère plus (en%) de la monnaie en circulation… mais l’Etat, pauvre fou, accepte même maintenant de la monnaie des banques commerciales !

  2. Avatar de gilles Bonafi
    gilles Bonafi

    Et la dernière étape, celle d’aujourd’hui est la fin de la définition classique de la monnaie qui est désormais une « liquidité » car, aujourd’hui, le crédit est créé en grande partie en dehors du système bancaire.
    La « liquidité » peut être définie comme une extraction de valeur à partir d’actif, valeur qui ne l’oublions pas dépend des circonstances du moment.
    « La valeur n’est pas intrinsèque, elle n’est pas dans des choses. Elle est en nous ; elle est la façon dont l’homme réagit aux conditions de son environnement. »Ludwig von Mises.

  3. Avatar de GM
    GM

    Je viens de lire l’article d’Eric Le Boucher sur la mort de GM et je ne suis pas d’accord.
    (http://www.lesechos.fr/info/analyses/4808156-gm-la-crise-et-le-xxie-siecle.htm)

    TWA, Pam Am, Eastern, n’existent plus. Mais Delta et American sont devenus des monstres. Ils seront encore plus gros avec les prochaines fusions avec United, Continental et US airways. Le célèbre terminal de TWA à JFK est vide depuis longtemps, l’emplacement à été racheté par Jet Blue qui achève actuellement un nouveau terminal dix fois plus grand. Qui en Europe connait Jet Blue ou encore Southwest? Personne.

    Dans tous les pays industrialisés les parts de marché des constructeurs nationaux sont passées ou passent sous la barre des 50%. Le public achète du rêve et l’américain moyen rêve aux voitures allemandes ou japonaises, pas aux voitures locales. Le territoire français s’est bien recouvert de Mac Donald’s en vingt cinq ans. Ce n’est pas la fin du fordisme, au contraire, Mac Do c’est le fordisme exacerbé à l’échelle mondiale. Et n’oublions pas qu’aujourd’hui Ford et GM tiennent 20% du marché européen. Les constructeurs automobiles vont devenir comme les chaînes d’hôtels qui ne possèdent pas leurs hôtels: des franchises.

    Les pays ne sont pas plus débiles que les grands groupes. S’ils veulent survivre ils doivent eux aussi franchiser leur image. L’Amérique tient le monde entier avec ses logiciels, ses télévisions, ses cinémas, ses industries du divertissement, ses industries de la publicité, ses industries de la santé, ses industries de la distribution, de l’hotellerie et des mutiples services industrialisés à l’infini mais aussi avec ses armées. En Europe seule l’Allemagne arrive assez bien à franchiser son image avec des produits de haute qualité, des infrastructures fignolées et surtout une solidarité entre allemands qui fait défaut à tous les autres peuples européens. Le pays des morts vivants d’après 1945 est devenu le premier exportateur mondial aux finances stabilisées. On les déteste? Pourquoi n’avons nous pas fait la même chose? Regardez l’image de la France dans le monde. C’est encore béret et fromage qui pue. Avec émeutes à la clef….

  4. Avatar de Patrick Barret
    Patrick Barret

    Sur l’impôt :

    L’impôt est un prélèvement d’argent fait sur les choses ou sur les personnes sous des déguisements plus ou moins spécieux; ces déguisements, bons quand il fallait extorquer l’argent, ne sont-ils pas ridicules dans une époque où la classe sur laquelle pèsent les impôts sait pourquoi l’État les prend et par quel mécanisme il les lui rend. En effet, le budget n’est pas un coffre-fort, mais un arrosoir; plus il puise et répand d’eau, plus un pays prospère.

    Rabourdin imposait la consommation par le mode des contributions directes, en supprimant tout l’attirail des contributions indirectes. La recette de l’impôt se résolvait par un rôle unique composé de divers articles (…) Diminuer la lourdeur de l’impôt n’est pas en matière de finance diminuer l’impôt, c’est le mieux répartir; l’alléger, c’est augmenter la masse des transactions en leur laissant plus de jeu; l’individu paye moins et l’État reçoit davantage.
    Honoré De Balzac, les Employés, tome VI, p. 880 et 879.

    La conception romaine de l’impôt considéré comme un devoir, a fini par s’imposer en France après la période féodale de contributions volontaires (aides) soit aux seigneurs soit au roi. Le partage entre la préoccupation de justice et le souci de productivité a fait varier à partir du xixe et du début du xxe siècle, la place respective de l’impôt personnel et de l’impôt réel, des contributions sur la fortune et le revenu, d’une part, sur les transactions et la consommation, d’autre part. Mais à partir de 1920, surtout, l’impôt, considéré par les classiques comme un instrument purement financier appelé à fournir des ressources au budget, présente (…) un nouvel aspect. Politique, il est mis au service soit des changements de structure économique ou sociale, soit de la direction de la production, de la circulation ou de la répartition.
    Henry Laufenburger, Histoire de l’impôt, p. 7.

    Tous les impôts sont personnels parce qu’ils sont toujours destinés à grever un contribuable, c’est-à-dire une personne. En un autre sens, tous les impôts sont réels car ils ne frappent pas une personne pour le fait de son existence, mais pour les revenus dont elle jouit, les biens qu’elle possède (…)
    André Allix, Science des finances, p. 527.

    (…) l’impôt direct consiste à prélever au profit du fisc une fraction de ce revenu à intervalles réguliers, la plupart du temps annuellement. Dans l’impôt indirect, au contraire, on frappe le revenu à l’occasion des divers emplois qu’en fait le contribuable : lorsqu’il achète un objet ou un service (…) il y a dans la somme qu’il débourse (…) une part qui est versée au fisc à titre d’impôt.

    (…) pour qu’il y ait véritablement impôt sur le capital, il faut non seulement que la somme à verser au fisc par le contribuable soit calculée d’après le capital, mais encore que son montant soit tel qu’il faille amputer le capital lui-même pour l’atteindre.

    La progressivité de l’impôt est (…) une des conséquences directes de sa personnalisation. À l’ancien impôt proportionnel, dont le taux restait invariable (…) on a substitué un système dans lequel le taux augmente en même temps qu’augmente la quantité de matière imposable détenue par les contribuables (…) On estime en effet que les titulaires de petits revenus affectent aux dépenses de première nécessité une proportion de leurs ressources plus grande que celle dépensée pour le même objet par les titulaires de gros revenus (…)
    Maurice Duverger, les Finances publiques, p. 42, 43 et 47.

  5. Avatar de Scaringella
    Scaringella

    @Paul
    et les autres

    Il y a quelques temps j’avais exprimé le désir de pondre une théorie de la monnaie
    Et bien quelqu’un l’a fait pour moi…. Nous ….

    A lire de toute urgence pour arrêter de mélanger les chous et les chèvres.
    http://www.anthropiques.org/?p=573#more-573

  6. Avatar de fab
    fab

    http://www.anthropiques.org/?p=573#more-573

    Et moi qui croyait qu’on avait atteint le sommet dans l’art du coupage de cheveux en 4 !!!

  7. Avatar de Steve
    Steve

    Bonjour
    A l’origine de ce qui deviendra la monnaie: le kauri par exemple: coquillage rare et petit comme médium atemporel, de valeur reconnue par tous(indispensable); on oublie la dimension pratique: être plus petit et plus léger que les biens à échanger. Il y a la aussi de l’ordre symbolique qui se scindera en moyen de paiement d’une part et en unité de compte d’autre part: ce qui aboutira quelques millier d’années plus tard aux gaietés de l’escadron banquier et boursier que nous apprécions tous si tant tellement en ce moment!
    Avoir une valeur durable dans le temps pour faire la liaison entre les « désirs » ou nécessités: si je veux avoir des poteries et que je paye en menhirs, c’est physiquement compliqué et mon pourvoyeur de poteries n’a pas nécessairement immédiatement besoin de menhirs!
    Ensuite vient la constitution d’un pouvoir centralisé qui, par nécessité de pouvoir, s’approprie la définition du moyen de paiement, sa fabrication et les règles d’échange…. cependant les termes fondamentaux:dimensions physiques pratiques, valeur atemporelle (théoriquement!) et reconnue par tous doivent être respectées: comme au théâtre il faut une unité de lieu d’action et de temps pour faire une bonne pièce!

    Bonne journée à tous.

  8. Avatar de antoine
    antoine

    Merci Steve.
    Après avoir lu l’article sus-cité, cela fait du bien de lire quelque chose de sensé.

    Nan mais franchement c’est un bel exemple du pire de ce qu’a produit la « pensée » occidentale, si on peut encore appeler ça « pensée ». Psychanalyse + Médiologie: au secours! Le papier n’a aucun intérêt. Vous pouvez encore développer une théorie de la monnaie.

  9. Avatar de le passant

    C’est- ce qu’on appelle de la lecture rapide…mais sans grand argument. Tellement rapide que vous avez lu « médiologie » à la place de « médiation ». Les enfants font pareil qui rappportent un mot qu’ils ne connaissent pas à un mot déjà connu : le lion, le lion, caché dans la salade.
    Plus sérieusement, je ne vois pas une grande contradiction entre le commentaire de Steve et l’analyse plus générale parue dans Anthropiques.org. L’un étant seulement disons historico-descriptif, alors que l’autre tente une analyse plus générale des processus en jeu. Je me méfierais quand même à votre place de cet adjectif : « sensé ». On sait depuis Bachelard que le sens commun est un obstacle épistémologique des plus difficiles à franchir.

  10. Avatar de Xav
    Xav

    Merci Paul pour cette histoire qui en dit long sur notre liberté.

  11. Avatar de oppossum
    oppossum

    Juste une remarque pour dire que les flux monétaires liés aux formes des unions et aux acquisitions des femmes, aux rançons et aux tributs n’expliquent pas l’émergence de la monnaie.

    En ce qui concerne l’impôt, il a probablement pré-éxisté à la monnaie, sous forme de corvée et effectivement de versements en nature d’une partie de la ‘production’ de chacun. La passage a un impôt plus classique consistant en un prélèvement en monnaie est un changement de modalité.

    Mais l’impôt ne peut-être à l’origine de la monnaie car il est trop ponctuel pour creer une nécéssité. Par contre la monnaie va s’imposer en même temps que la division du travail s’instaure.

    On parle souvent de la monnaie comme la phase suivante du troc. C’est vrai mais il y a logiquement eu des sortes de phases transitoires où le produit le plus courant et le plus indispensable a servi lui-même de monnaie : il semblerait que les céréales aient pu jouer ce rôle.
    On était alors entre le troc et la monnaie.

    L’ acceptation d’un signe conventionnel monétaire, donc un jeton, est une abstraction difficile à réaliser. Aujourd’hui encore la monnaie est un concept à la fois magique et maudit que même les spécialistes théorisent de façons diverses et variées et … obscures. Alors vous vous imaginez que pour un primitif … pardon un ‘premier’ …

    La puissance en terme de pouvoir ou de jouissance contenu dans une accumulation de monnaie occulte complètement la réalité de la monnaie comme instrument d’échange et donc son lien irrémédiable avec la quantité de biens et services sur le marché à un moment donné. (Et probablement que la monnaie a également détruit du lien social en brisant le face à face entre le producteur et le consommateur que suppose le troc)

    Ces obscurantismes atteignent un peu moins les personnes un peu initiées ou vaguement instruites comme moi, mais j’observe que l’aspect magique et surnaturel de la monnaie n’a pas encore disparu puisque les esprit les plus curieux et ouverts (je ne veux vexer personne) blablatent encore sur les mystères de la création monétaires et la supposée puissance incommensurable des banques , et sur la loi des réserves fractionnaires comme s’il s’agissait du hold-up du siècle … (Damned, ils auraient prêté de l’argent qu’ils n’avaient pas !!! … sans réaliser qu’ils ne prêtent , en fait, que l’argent qu’ils vont avoir … lors du futur remoursement -argent qui s’auto-détruira alors ! : Je te prête l’argent que tu vas me rendre et pendant ce laps de temps il te servira à échanger des biens et des services pour réaliser ton projet )

    Quant aux plus éminents spécialistes économiques et politiques, ils s’épuisent à tripoter comme des grands sorciers; les taux d’intérêt et les déficits avec les consternants résultats qu’on observe actuellement.

    Mon idée est que leur échec (celui des ‘spécialistes’ et praticiens) -relatif, eu égard à d’autres catastrophes ou horreurs historiques- n’est pas d’avoir raison ou tort dans leurs observations , mais d’en faire des théories intégristes, donc forcément asséchées et asséchantes, qu’ils appliquent mécaniquement (oubliant parfois des notions comptables basiques de pur bon sens) et de ne pas voir que l’humain contourne , déforme , teste, piège , use , déforme et abuse tout ce qui est de nature sociale.

    Oui Paul Jorion n’a pas tort de se pencher sur la nature essentielle de la monnaie au travers des sociétés ‘premières’

  12. Avatar de le passant
    le passant

    Dans mon dernier commentaire, trop rapide dans ma fureur 😉 , j’avais oublié de préciser qu’il rebondissait sur celui d’Antoine : @ Antoine comme on écrit sur le net et ne concernait donc pas le papier initial.

  13. […] Les anthropologues et la monnaie […]

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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