Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Je me souviens avoir lu à propos de Kepler, l’astronome du XVIIe siècle, qu’il poursuivait imperturbablement ses calculs sur l’orbite de mars dans les étages alors qu’on s’entretuait au rez-de-chaussée dans le cadre de la guerre civile qui déchirait alors l’Autriche. Si vous vous demandez ce que l’on ressent au milieu d’une crise, regardez autour de vous : pas grand-chose. Une vague inquiétude, une certaine irritation peut–être, mais l’espèce est ainsi faite qu’elle présente cette capacité infinie à interpréter ce qui se passe autour d’elle comme business as usual. On consacre à ce genre d’insensibilité des romans et des films mémorables. Mes parents m’ont raconté l’histoire du cousin recherché, caché pendant plusieurs années de la Guerre de Quarante dans le placard de l’appartement où j’ai ensuite grandi, et qui sort quelquefois la nuit pour prendre un peu l’air, au bras de ma mère et déguisé en mon père, malgré les barrages aux deux bouts de la rue abritant un énorme dépôt de munitions. Et moi-même d’ailleurs, caché sous un escalier à Monrovia au Libéria, alors que les soldats se précipitent au premier étage à ma recherche, et que je me contente de me dire pendant tout le temps que je suis là : « Allons bon ! »
À l’heure du déjeuner je suis allé jusqu’à l’estacade, le Santa Monica Pier, m’offrir un petit luxe : un bol de crevettes au Café de la Plage. Qui aurait pu deviner en nous découvrant les autres mangeurs et moi que le pays est au coeur d’une catastrophe qui fera sans doute pâlir en comparaison la Grande Crise des années trente, que Wall Street a été engloutie cette année sans espoir de retour, que les P-DG de General Motors, Ford et Chrysler sont en ce moment en train de mendier à Washington pour que la faillite de leur compagnie ait lieu sans trop de déshonneur.
Ça ne m’a même pas coupé l’appétit : l’espèce est très résistante. Comment les gens vivaient durant la crise ? Les pessimistes pensaient qu’elle se terminerait le lendemain et les optimistes, qu’elle n’avait jamais eu lieu.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
48 réponses à “Comment les gens vivaient durant la crise”
Si la crise est aussi terrible qu’on le pense ordinairement, alors j’espère que je sentirai venir le vent de la tempête lorsqu’elle sera en passe de devenir un ouragan de force 5, juste assez tôt pour gaspiller, consommer, dilapider, profiter à outrance des quelques milliers d’euros que j’ai et qui seront sans doute englouti dans la tourmente autrement, englouti par une hyperinflation peut-être. Si j’ai de la chance et que je suis malin, j’arriverai même à avoir un crédit à la consommation assez important avec mon salaire, espérant tout dépenser avant une hyperinflation qui effacera toute ces vilaines dettes.
J’exagère bien sur 😉 Quoique….
Au mieux, j’aurais bien profité avant que tout s’écroule. Au pire si rien ne s’écroule et que ce n’était qu’un petit avis de tempête et non une sévère dépression tropicale sur l’échelle économique, et bien, je n’aurais plus qu’à recommencer à partir de zéro, et ma foi j’aurais contribué à ma façon à faire circuler l’argent et à favoriser la croissance, aussi minime soit cette contribution
Comme disait le sociologue, ca ne sera même plus de la consommation mais de la « consumation ». Ca fait longtemps, je crois que c’était Baudrillard dans la « société de consommation ».
Si la maison brûle, on va faire flamber la carte de crédit tant qu’elle pourra cracher. Lorsque la majorité des personnes auront perdu espoir et déserteront Las Vegas, j’en profiterai pour y faire un baroud d’honneur 😉
Bon j’arrête de délirer.
La vérité c’est que même si la fin du monde est prévue pour après-demain, et bien les gens continueront tranquilement à vivre comme tous les jours demain.
Il y a une position fortement inconfortable :
C’est celle de celui qui révèle ce qui était caché (dans la famille, la société, le monde).
Cet homme est indispensable à la société, et la société le sait bien, mais elle le déteste.
Elle déteste qu’on lui tende un miroir.
L’homme en question révèle que les tabous ont été transgressés à large échelle, que certaines personnes ont théorisé cette transgression afin de la justifier, d’en permettre son extension, d’assurer l’impunité de ceux qui en bénéficient.
Il rappelle que les tabous sont nécessaires à la vie collective / familiale (tabou de l’inceste, etc.).
Il met à jour la nécessité de revivifier le tabou en le réinscrivant solennellement dans la parole officielle, dans le texte, pour lui assurer toute la publicité nécessaire.
L’exil peut etre le prix de son audace.
« Comment LES GENS vivaient pendant la crise » ? Question assez incompréhensible venant d’un anthropologue… à suivre ?!..
Pour contrer cette catastrophique crise et nous éviter d’en arriver à se cacher sous un escalier, la FED aurait-elle des armes secrètes non conventionnelles comme je viens de le lire dans l’article suivant http://www.boursorama.com/forum/message.phtml?file=380794480&pageForum=1
Avec toutes mes excuses si ces propos prêtés à Robert Blumen ont été déjà analysés et commentés dans ce blog.
Cher « et alors »
Votre cynisme tranquille (conforme a votre pseudo bien choisi) doit être une sorte d eructation, un bug, du cerveau collectif, il en faut peut etre quelques uns pour que la machine demarre et se réveille.
Il y en a combien ici qui ne comprennent pas, ou ne sentent pas de quoi Paul parle ?
Merci pour ce petit rototo.
Montez dans un ballon, en l’air vous ne sentirez pas le vent.
Les gens n’auront pas tous 18 ans dimanche, comme Fanny… ( de rien cher Tigue).
…. de la belle écriture, un vrai plaisir à lire vos deux derniers billets, Monsieur Jorion …. et quelle matière à réflexion et au retour sur soi-même ….
Merci beaucoup !
Respectueusement ….
Dimezzano.
PS/ je sais que vous aimez les chansons et les chanteuses … que pensez vous de cela …
trés senti et trés bien écrit …. trés trés intéressant, merci Monsieur Jorion
ce matin les commentaires fleurent bon le romantisme désespéré!
Jorion a raison :les phases d’écroulement ne sont jamais précédées de manifestations violentes de la part de ceux qui commencent à les subir comme d’ailleurs de ceux qui savent devoir les subir à leur tour, à la manière des personnes qui viennent d’être victimes d’un très grave traumatisme et qui, l’espace de quelques secondes, ne ressentent encore rien.
Si on sait depuis plusieurs années, que tout ce qui s’écroule aujourd’hui était en fait déjà mort depuis longtemps, cela fait certainement moins mal….
A la mi-octobre, quand les bourses s’effondraient, je réalisais de la gravité de la crise et de ses possibles conséquences… je marchais dans la rue dans le centre ville très animée. J’étais le seul à être soucieux, en apparence, et je regardais les gens insoucients, affairés à consommer… je me disais ah ben c’est complètement irréel, il y a une météorite qui va tomber sur nous et personne ne réagit.
Piqué sur le net (je ne sais plus où !)
Le pessimiste est un optimiste qui s’est renseigné…..
Bonne journée.
Le plus probable est que les gens se regarderont différemment.
Je me place dans l’hypothèse optimiste où les grands manitous militaro industriels qui nous gouvernent auront échoué à provoquer un cataclysme militaire.
A mon sens, la plus grande différence se fera dans la nouvelle hiérarchisation des métiers et des entreprises, et de la considération portée à leurs acteurs.
Toutes les activités actuellement portées au pinacle, celles qui font de l’argent avec du vent, se trouveront remises à leur vraie place, et on redécouvrira les mérites du cousin (l’ex benêt) qui a refusé les « opportunités » d’y recourir, l’accession aux business schools les plus prestigieuses, les ipods et téléphones xème génération, qui aura conservé ses activités stupidement peu rémunératrices mais qui se moquent de la nouvelle situation.
Peut-être faudra-t-il d’ailleurs envisager un « service civil » de longue durée comme formation pour les vrais métiers à remettre en avant.
Et bien sûr, les taux de suicide vont chûter spectaculairement…
Je crois qu’on est déjà mort depuis longtemps…ce « malaise de la culture », cette crise de civilisation se révèle aujourd’hui à travers la crise économique…cependant quiconque a un tant soit peu étudié l’histoire, le politique, la géopolitique ne peut que ressentir confusément ce malaise…
Personnellement, dès l’âge de 20 ans j’ai pressenti intuitivement que j’assisterai à la fin de la civilisation occidentale.
J’aime observer les gens dans la rue, mon constat : ils sont malheureux, ils ne sourient pas, ils sont comme des zombies (je trouve que le dernier film de Roméro est assez parlant de ce point de vue).
C’est pour cela que j’ai commençé mon post en disant que nous sommes peut-être déjà morts…Paul , vous parlez dans votre livre la crise, de la nécessité d’une constitution pour l’économie, sur le modèle du contrat social qui nous jetta hors de « l’état de nature ».
J’ai vu qu’un jeune intérimaire bossant pour wal-mart était mort piétiné lors des supers soldes du vendredi de thanksgiving…Cela en dit long sur l’état du contrat social. Je ne veux pas être pessimiste, mais je crois que les néo-con ont déjà gagné.
Résister à 30 années de brainwashing ultra-libéral déjà lorsque l’on est éduqué c’est difficile…alors…Je dis cela d’un point de vue sociologique sachant que 29% des français détiennent le bac…
Business as usual…ouais, la majorité n’est absolument pas consciente des enjeux, les autres, comme vos lecteurs et commentateurs malgré « cette connaissance » continuent aussi parce qu’ il n’ya pas d’autres alternatives…
Je ne veux pas être grandiloquente, mais pour moi c’est une question de tèlos, de sens, trouver le chemin de la vie bonne, atteindre une finalité qui fait sens, qui est direction.
Rien dans notre système ne prête à cette réflexion, rien ne prépare à cet exercice « spirituel » …au contraire tout n’est qu’entertainement, illusion, fuite…
Je crois en un travail sur soi individuel pour pouvoir construire une réponse collective…la réponse ne peut-être QUE COLLECTIVE.
Actuellement les effets sont invisibles au quotidien, on en reparle fin 2009 ?
Perso, je ne crains pas tant mes contemporains que la réponse de l’ETAT….Quand je vois que des gars qui ont « peut-être » débranché des catenaires de trains se retrouvent en prison pour terrorisme…alors je me dis que la lutte est déjà criminalisée et je m’attends à me réveiller dans V for Vendetta ou Fahrenheit 451 (1966). Si ce n’est pas déjà le cas…
Je tiens quand même à préciser que je garde espoir, que je crois à ce que vous appellez « le cerveau collectif », informer, éduquer, échanger, s’enrichir, inter-agir…
une petite brève pour finir, lu cette semaine : comment est-ce que les anglais supportent la crise ? La majorité reste sous la couette et fait l’amour !
Bon w.e à tous !
« Si vous vous demandez ce que l’on ressent au milieu d’une crise, regardez autour de vous : pas grand-chose. »
Il faut dire qu’il n’y a pas encore eu d’effets spectaculaires à cette crise. La vie quotidienne des gens n’a pas été du tout bouleversée. Et même avec l’augmentation du chômage, cet effet est compensé par la protection sociale qui n’existait pas dans les années trente. Toute la charge de la crise est donc replacée sur les épaules de l’Etat. Reste à voir s’il tiendra et pendant combien de temps.
Mauvais esprit…
Pendant la crise on fait des braquages !!! 80 millions d’euros de bijoux dérobés avenue Montaigne…tss,tss,tsss
@ghostdog
Mauvais esprit 2…
Pendant la crise on fait des braquages!!! 26 milliards d’euros dérobés à Bercy….
La nouvelle vient de tomber. 533.000 jobs ont été détruits en novembre aux USA. A mon humble avis, ces 533.000 salariés doivent ressentir les effets de la crise, d’autant plus qu’ils ne bénéficient pas de la protection sociale dont nous disposons en Europe.
La première chose qui me vienne en tête:
En français Les Rois Vagabonds , publié chez Vertige Graphic
En anglais Kings in Disguise , publié chez Kitchen Sink Press
http://www.du9.org/article.php3?id_article=606
Je ne sais pas quoi dire pour vous persuader que cette lecture n’est pas une perte de temps, je ne peux même pas vous le prêter….
Ah si, le format est pratique, solide et pas moche vous pourrez le lire n’importe ou 😉
Salut BDphile !
Ici en Belgique il est impossible d’avoir accès aux BD édités par vertige graphic…je suis à la recherche d’une BD de Cruse « un monde de différence » je crois, si tu as un tuyau pour moi…prends contact avec Paul pour avoir mon mail….
(pardon Paul pour ce commentaire…merci de transmettre mon mail, si vous le pouvez…)
Je n’arrive même plus à regarder ma femme en face quand elle me parle de futur enfant, de la joie de les voir grandir, et puis la retraite quand on y arrivera tous les deux ensemble, un joli petit couple de petit vieux profitant d’une dure vie de labeur. Sachant pertinemment que de toute façon au rythme où vont les choses il ne faudra pas attendre 30 ans de travail avant que tout le système s’effondre.
Si les gens « normaux » pouvaient voir comment je pressens les choses, je crois qu’ils seraient horrifiés, où alors ils me feraient interner d’office en me déclarant dangereux pour moi même et les autres.
Comme disait Einstein. Soit le monde est fou, soit c’est moi. Mais là j’ai un doute….
« la misère et la crise servent de brutal révélateur à la réalité sordide que tente, tant bien que mal, de masquer le pacte social »
Brr…
ça fait froid dans le dos votre BD » les rois vagabonds ».
Y en a-t-y a la FNAC ?
Si on sort du monde de Steinbeck, et qu’ on entre au pays merveilleux de nos Banlieues: les cages d’ escalier, les seringues, les hordes de filles qui parlent aussi mal que les mecs, les enfants qui se lattent dans les ecoles en jouant au petit pont massacreur…
on préférerait presque les années 30…Mais c’ est vite oublier ce qui s’ est passé après.
Il faut que l’ état s’ endette massivement pour aider directement les plus fragiles, c’ est très important.
@ Leduc,
Ami Leduc, tu me fous les boules !
Mais sache que t’ es pas seul. Le traitement que j’ ai trouvé, ce n’ est pas de prendre la pilule du Bonheur ( Non merci comme dirait Ghostdog), mais de profiter du temps que tu as, sans le gâcher avec de la « prise de tête » non contributive.
Si tu vois que cela n’ avance a rien de refléchir, alors fais autre chose (piano, guitare, ciné , balade pour sortir le clébard…) et il sera bien temps de t ‘y remettre ( a refléchir), tu verras que tu réfléchiras mieux. Normalement, c’ est ta chère et tendre qui va te tirer les oreilles pour te ramener a la vie…
Il faut l’ écouter, même si elle ne comprend rien à tout ça, elle a de l’ intuition.
un peu de musique pour nos compagnes
California dreamin/Rue89/Rubrique monde/Armelle Vincent
Excellentissime billet ( sur les américains appauvris qui abandonnent et affament les chevaux …) qui laisse à penser comme l’édifiant billet de Paul .Un ange passe. (P.S. Redondo n’est pas loin de Santa-Monica ).
@Ton vieux copain Michel:
Oui, c’est clair que les chiffres du chômage sont très mauvais et qu’aux USA la protection sociale n’est pas la même, mais bon on n’en est encore qu’au niveau du début des années 80, pas de quoi provoquer des troubles sociaux sérieux. Pas encore. Une fois atteints les 15% de chômeurs aux USA, là il risque d’y avoir des émeutes sporadiques. Le gouvernement US a déjà prévu le coup en renforçant les forces de sécurité intérieures. A 30% de chômeurs (niveau des années 30, je crois), les américains seront passés dans un autre mode de vie qu’à mon avis ils auront beaucoup plus de mal à accepter que dans les années 30, au vu des habitudes prises ces dernières décennies.
@ leduc
Surtout ne pas se miner le moral car cela ne sert à rien, au contraire Carpe Diem.
Que faire ce week-end :
1 / Avec un VTT et une bonne descente pleine de cailloux, sensations garanties, on se sent vraiment vivant après cela (si on l’ai encore 🙂 )
2 / Pour les non sportif, un bon livre ou une bonne BD (pour se remonter le moral préférer « Joe bar team » ou « Soeur Marie Thérèse des Batignoles » plutôt que « Les rois vagabonds » qui à l’air d’être une bonne BD mais pas pour se changer les idées)
3 / Pour les personnes en couple un week-end sous la couette peut remonter le moral (forcez vous à regarder votre femme en face, elle est probablement ravissante et n’oubliez pas de lui offrir un bouquet de fleurs pendant que c’est encore abordable 🙂 )
4 / Concernant les enfants, c’est justement le moment d’en faire pour que dans 20 ans ils puissent vous payer votre retraite 🙂
enfin pour conclure, oui vous êtes complêtement fou….vous lisez le blog de Paul Jorion au lieu d’écouter ce que disent nos politiques…la folie est ces derniers temps une preuve d’intelligence.
Ghostdog,
Vertige graphique pas en belgique !?!
Changez de libraire chère samourai 😉
(le Cruse est sur ebay sinon, il y a même un vendeur belge).
Tique,
le site de la fnac en a en tous cas, donc leurs magasins devraient l’avoir également.