Deux d’entre vous m’ont contacté – indépendamment l’un de l’autre – pour me signaler ce qui leur semble, sinon une erreur dans le film de Paul Grignon Money as Debt (en français, L’argent Dette), du moins un raisonnement en contradiction avec les vues qui se sont dégagées de notre discussion dans Tout notre débat sur la monnaie.
Le film présente une banque commerciale hypothétique, avant-même qu’aucun client n’ait déposé d’argent sur un compte et montre qu’avec un dépôt de 1.111,12 $ qu’elle consent auprès de sa banque centrale, en tant que réserve en monnaie centrale, elle pourra bientôt avoir en dépôt sur des comptes clients – et donc comptabilisés – 100.000 $, soit un effet multiplicateur de 90 par rapport à la somme déposée par elle auprès de sa banque centrale. Les 1.111,12 $ ont été avancés par les investisseurs de la banque commerciale, et font donc partie de son capital.
Le raisonnement en question débute à la 13ème minute et 36ème seconde de la version en anglais et à la 6ème minute et 30ème seconde de la version en français (IIème partie) accessible ci-dessous.
Voici la traduction du texte en français.
Le raisonnement est le suivant : la banque centrale exige un « taux de réserve » (« reserve ratio ») de 1 pour 9, soit 11,11… %. Ceci permet à la banque commerciale d’émettre du crédit pour un montant de 10.000 $. Ensuite, le mécanisme des « réserves fractionnaires », dont on nous dit qu’il est par définition l’inverse du « taux de réserve », soit dans ce cas-ci de 9 pour 1, permet – si chacun de ceux qui bénéficient de la circulation du crédit initial de 10.000 $ déposent la somme reçue par eux sur un compte – qu’une somme (très proche) de 100.000 $ se retrouve sur les comptes. La bénéficiaire de la première opération dépose 10.000 $ sur son compte dont 90 %, soit 9.000 $, peuvent être re-prêtés par la banque, etc. La version française appelle « taux de réserve » : « ratio de réserve » et « réserves fractionnaires » : « réserves fractionnelles ».
La question de la validité du raisonnement ne porte évidemment pas sur des questions pratiques, comme de savoir s’il est réaliste par exemple que chacun redépose la somme qu’il reçoit sur un compte de la même banque, etc. L’exemple est idéalisé et cela chacun le comprend. La question porte sur le coefficient de 90 : 1.111,12 $ x 9 x 10 = 100.000 $.
61 réponses à “Création monétaire, l’illustration de Paul Grignon”
Petite précision sur l’Argent-Dette de Paul Grignon : ce film dure 52 minutes dans sa version intégrale ; la version proposée sur YouTube est divisé en 7 parties ; l’extrait que nous propose Paul est la 2ème partie.
L’Argent-Dette, d’accord, mais il y a aussi l’Argent-Bête…
http://www.lesmotsontunsens.com/video-l-argent-bete-argent-dette-la-vraie-histoire-de-la-crise-financiere-2508
A voir…
Si je comprends bien l’explication du film, il y a deux ratio de réserves sont en fait égaux à 9 pour 1 mais pourraient être différents :
celui de la banque centrale r1 et celui de la banque de dépôts r2 avec r1 = r2 = 9/1.
Le ratio de réserve de la banque auprès de la banque centrale r1= 9/1. Avec x=1111.111 = 10/9*1000 déposés à la banque
centrale, la banque de dépôt à le droit d’émettre un crédit de y de sorte que y/x = r1, donc y=10000.
Ces y=10000 sont ensuite donnés à l’emprunter qui les cèdent en échange d’un bien au vendeur qui lui-même les
redépose à la banque de dépôts.
La banque de dépôts possède alors y=10000 en plus et est alors autorisée à émettre un nouveau
crédit de valeur z de sorte que z/(y-z) = 9/1 = r2, donc z = 9000. Elle émet un crédit de 9000 avec 1000 en réserve.
Puis ces 9000 retourne dans le cycle économique et reviennent à la banque qui peut de nouveau
prêter k de sorte que k/(z-k) = 9/1 = r2 …
Ce qui donne une asymptote pour le total de
10000*(1+(r2/(1+r2))+(r2/(1+r2))²+….) = 10000*1/(1-r2/(1+r2)) = 10000*(1+r2) = 10000*10
Le calcul est donc 1111,12*r1*(1+r2) …
Une question … la banque de dépôts n’aurait elle pas plutôt intérêt à redéposer les 10000 du vendeur auprès de la
banque central pour émettre un nouveau prêt de 90000 ? La législation doit l’en empêcher j’imagine … sinon on
pourrait multiplier l’argent à l’infini comme ça. Le collatéral déposable en banque central ne doit pas être de n’importe
quelle nature …
Bonjour,
Une question toute simple : qu’est-ce qui empêche un état de récupérer le droit de création monétaire et de limiter le rôle des banques à la gestion de l’argent ?
Merci.
Loi Pompidou-Giscard de 1973.
Transposée en droit européen par l’article 104 du traité de Maastricht.
Confirmé par l’article 123 du traité de Lisbonne.
Pour récupérer ce droit il faudrait sortir de la zone euro, et même de l’UE tout court.
C’est pas gagné!
Dans l’UE, l’article 104 du Traité de Maastricht, notamment…
Merci pour la précision, mais posée différement : comment les banques ont-elles obtenu ce privilège et un état, hors UE par exemple,pour faire simple, ne pourrait-il pas le supprimer ?
La meilleure explication que j’ai trouvée sur cette question, celle qui m’a personnellement convaincu, se trouve dans un texte assez long et détaillé de Attac 78 Nord – France, « Incursion dans un domaine trop réservé ». Je me permets de copier ci-dessous les § correspondant à la vidéo. Mais allez lire d’autres passages du doc de 53 pages, déjà ancien, publié sur : http://www.attac78nord.org/IMG/pdf/monnaie_attac_au_19_10_04_.pdf et vous verrez qu’on n’est pas tous seuls, bande de Jeff…
La réponse à cette dernière question a été donnée depuis la parution de cette excellente synthèse sur la monnaie…
D’après wikipédia :
Monnaie Banque Centrale : « les espèces (pièces et billets) plus les soldes des comptes des banques dans les livres de la banque centrale, aussi appelés « réserves » »
Donc dans l’exemple 10000 est le solde du compte de la banque de dépôts.
Autre citation de Wikipédia « Création monétaire » :
« Il est de ce fait tout à fait évident que cette monnaie créée par une première banque peut se retrouver dans une ou plusieurs autres banques, augmentant de ce fait la capacité des autres banques à créer à leur tour de la monnaie ; c’est l’effet multiplicateur du crédit, et qui fait dire que « l’ensemble du système bancaire privé est créateur de monnaie ex-nihilo ». De fait, la monnaie de crédit, représente en France plus de six fois la monnaie banque centrale. »
6 fois pour la France et non 10 fois comme dans l’exemple mais bien-sûr ça dépend de la valeur du ratio r2 …
Donc ce que raconte Wikipédia semble cohérent avec l’exemple de Grignon. Manque peut-être à ce film une explication sur la nature du collatéral de 1111.12 que la banque central accepte afin de provisionner un solde de 10000 sur le compte de la banque de dépôts. Il est évident que cela ne peut être de la monnaie de crédit … Peut-être que la définition du collatéral accepté évolue dans le temps … Le système ne me semble viable que si la BC exige que ce collatéral soit de l’OR afin de garder un contrôle sur la masse monétaire globale, qui serait un multiple de la valeur de l’OR qu’elle possède dans ses coffres … Si ça se trouve, la Fed accepte maintenant du subprime comme collatéral …
Merci, et on peut ajouter à cela, sauf erreur de compréhension de ma part, l’argent que l’état emprunte aux banques et qu’il doit rembourser avec intérêts ! La dette publique est acceptable, voire vitale pour l’économie. Mais pas les intérêts de cette dette.
Alors comment expliquer que des voix politiques ne s’élèvent pas contre ces faits ?
C’est une question et pas un appel à la révolution ! Restant pour l’instant persuadé qu’un état oeuvre pour le bien-être de la population, même si les moyens employés peuvent rester obscures pour le citoyen…
l’argent bête: « qui est semblable à la bête? qui peut combattre contre elle? » la bible, livre de saint jean (l’apocalypse) en parlant de révolution ne vous inquiétez pas elle a commencé et comme le dit bien milan kundera dans l’art du roman, une révolution n’est jamais perçue en temps réel par ceux dont elle change la vie. Ils ne peuvent que se rendre compte qu’une révolution est passée. les gens commencent à refuser le service minimum pendant les grèves, bientôt le travail le dimanche, et le travail à soixante ans… il y a plein de nouvelles frontières à conquérir. L’une d’elle c’est la transformation de l’argent dette en argent autre chose de plus réel comme peut être l’argent énergie (idée en l’air qui me vient juste comme exemple, il y a sûrement des corruptions possibles du système de l’argent énergie). Le compte en banque des gens qui passent leur vie à faire des choses pour les autres sera alors celui d’un millionaire en argent dette qui a pris la facheuse habitude de s’évaporer à la bourse!
C’est peut être aussi simple de passer de l’argent dette à l’argent autre chose, que de passer du franc à l’euro mais ça ne passera sans doute pas de mon vivant. On verra
@ fab
Parce que les politiques ne sont pas, pour la plupart ou depuis peu, au courant de ces faits !
Un « appel à mobilisation citoyenne », par voie postale ou par pétition électronique, existe depuis peu sur « le site de la dette publique » (public-debt.org), pour tenter de faire prendre conscience à nos élus de tout cela !
Pourquoi la création monétaire est-elle aussi obscure pour le citoyen, comme pour un certain nombre d’étudiants en économie ? Si c’est pour le bien-être de la population, on devrait trouver l’explication quelque part mais j’ai pas encore trouvé.
Ce qui est sûr, c’est que la création monétaire a des impacts énormes sur notre économie et devrait être l’attention de tous en cette période de crise.
Merci @ everybody !
Mais ma question concernant les politiques reste en suspens…
La notion d’argent est floue pour nombre d’entre nous, c’est une évidence, et on peut même s’interroger sur une volonté politique de maintenir ce flou. Cependant, il me semble raisonnable de supposer que les politiques ont a leur disposition de nombreux spécialistes es économie…
Alors pourquoi cette absence de réaction ? Quel serait la conséquence dangereuse pour la société de la réattribution à l’état du pouvoir de créer la monnaie ?
@ fab
On craint notamment que l’État n’en fasse mauvais usage, c’est-à-dire plus précisément un usage abusif, et ne relance ainsi l’inflation.
En partant de l’analyse d’Etienne Chouard sur l’élection de nos dirigeants : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Tirage_au_sort.pdf
Ils doivent leurs victoires à des appuis financiers et ne reconnaissent pas leurs erreurs. La réponse est peut être là.
Quand on regarde le cas Obama, ça éclaire aussi : http://www.bakchich.info:8080/article5867.html
petite devinette
un crypto-marxiste célèbre à écrit:
« Plus que jamais, des réformes, très profondes et radicales, sont nécessaires :
– réforme du système du crédit ;
– stabilisation de la valeur réelle de l’unité de compte ;
– réforme des marchés boursiers ;
– réforme du système monétaire international. »
…….
Cette réforme doit s’appuyer sur deux principes tout à fait fondamentaux :
– La création monétaire doit relever de l’État et de l’État seul. Toute création monétaire autre que
la monnaie de base par la Banque centrale doit être rendue impossible, de manière que disparaissent
les « faux droits » résultant actuellement de la création de monnaie bancaire.
– Tout financement d’investissement à un terme donné doit être assuré par des emprunts à
des termes plus longs, ou tout au moins de même terme. »
…..
« Une telle réforme aurait l’avantage de la clarté et de la transparence. Aujourd’hui, les revenus provenant de la création
monétaire sont distribués de façon anonyme entre une foule de parties prenantes, sans que personne ne puisse
réellement identifier qui en profite. Ces revenus ne font que susciter iniquité et instabilité et, en favorisant les
investissements non réellement rentables pour la collectivité, ils ne font que susciter un gaspillage de capital. Dans son
essence, la création de monnaie ex nihilo actuelle par le système bancaire est identique, je n’hésite pas à le dire pour
bien faire comprendre ce qui est réellement en cause, à la création de monnaie par les faux monnayeurs, si justement
condamnée par la loi. Concrètement, elle aboutit aux mêmes résultats. La différence est que ceux qui en profitent sont
différents. »
Maurice Allais 1998 « Prix Nobel » d’économie 1988
Re !
Pour soutenir Sir Stamp :
« Je considère que les institutions bancaires sont plus dangereuses qu’une armée…
Si jamais le peuple américain autorise les institutions financières à contrôler leur masse monétaire…
Les banques et les corporations qui se développeront autour d’elles vont dépouiller les gens de leurs possessions jusqu’au jour où leurs enfants se réveilleront sans domicile sur le continent que leurs pères avaient conquis. »
Thomas Jefferson, 1743-1826, 3ème président des USA.
Pour ce qui est de l’inflation, en France en tous cas, je ne suis pas sûr que sa « relance » soit néfaste à l’économie…Mais c’est un autre vaste sujet.
Quant aux appuis financiers aux politiques, ils existent, c’est une certitude. Et sauf preuve du contraire le pouvoir financier dirige le politique.
Mais la question reste posée : qu’est-ce qui empêche des formations politiques nouvelles, « extrêmes », et donc a priori dégagée de l’emprise du pouvoir financier, de mettre en avant les mécanismes monétaires ???
Hola ! Même pas le temps de répondre et déjà le soutien d’un prix Nobel, français qui plus est, et d’un congresman !
Et on ne les a pas entendus ces grands hommes ?
Bon, et bien la question est plus que jamais posée !
La nuit porte conseil…
@LeSurHumain : J’aimerais quand même bien savoir si ce sont de vraies citations, ie si on peut sourcer jusqu’au livre, au discours ou à la coupure de presse d’origine.
Le fait que la monnaie soit aujourd’hui une dette et repose sur la confiance n’est pas en soi un problème (et pourrait être un avantage, puisque cela pourrait permettre à la collectivité de se projeter dans le futur).
Le problème, c’est que sous l’influence du monétarisme, on a retiré le privilège de la création monétaire aux états pour le transférer aux banques centrales. L’argument était que les gouvernements avaient tendance à en abuser, profitant de l’effet de relance kéynésienne (à court terme) et laissant à leurs successeurs le soin de réguler l’inflation qui en résultait (à long terme) : ce sont les cycles politicoéconomiques. S’ajoute à cela que pour aller vers une monnaie commune (l’euro) en l’absence d’état européen, il n’y semblait pas y avoir d’autre solution.
Cela dit, le monétarisme était aveugle à d’autres arguments allant en sens contraire: les états payent des intérêts sur la monnaie qu’ils empruntent, d’où la dette publique croissante; la banque centrale a un conflit d’intérêt elle aussi, puisqu’elle est l’agent des banques privées qu’elle est censée réguler, d’où la prise d’otage actuelle; sans parler du fait que cela diminue encore le pouvoir du politique, si tant est qu’il existe encore aujourd’hui, du fait de la mondialisation.
Quant à la création monétaire ex nihilo, encore une fois c’est qu’enseigne tout cours de théorie monétaire et cela n’a rien de secret. Ce qui est problématique – et impensé par la théorie économique – c’est que le taux d’intérêt perd ses justification libérale : il ne peut plus être la rémunération de l’abstinence que représentait l’épargne, préalable nécessaire dans un système de monnaie marchandise.
@ Yogi
références pour les agnostiques:
Maurice Allais « Nouveaux combats pour l’Europe : 1995-2002 », aux pages 227 à 258.
éditions Clément-Juglar, 62, avenue de Suffren, 75015 Paris.
Ce fut d’abord un article publié dans Le Figaro des 12, 19 et 26 octobre 1998, dans la rubrique Opinions ; puis il fut repris et annoté dans le livre publié aux éditions Clément Juglar.
Merci à Étienne Chouard
L’ensemble des interrogations, des commentaires et messages ci-dessus, au moins, sont des témoignages de gens qui ont été, outre ce blog, aux autres bonnes sources. Leurs questionnements et réflexions sont autant de reflets et traces de ces sources indispensables.
Aussi voici un rappel d’importance pour un changement de paradigme, qui en réalité, est un changement vers le bon sens naturel et premier, base des conditons et du statut de la monnaie qui est cet élément central, véritable « homéostat » socio-économique et clé de voute de l’équilibre économique et social. Voir sur ce blog, l’avant dernier des 18 messages de ce billet du 26 juin 2008 à 15h05:
http://www.pauljorion.com/blog/?p=634
@ Fred,
Bonjour ! Sans vouloir aborder un sujet trop technique qui a déjà dû être traité sur ce blog, je ne suis pas persuadé que la réelle création monétaire soit aux mains des banques centrales. Sauf à considérer que celles-ci sont aux mains des banques privées, à l’instar de la Fed…
D’autre part, il semblerait que la mainmise du pouvoir financier sur l’économie soit antérieure à l’euro.
Encore une fois, sachant que la création monétaire ex nihilo et ses méfaits sont connus depuis longtemps par les économistes, mais ignorés du grand public, comment expliquer qu’aucun de ces économistes n’interpelle ouvertement les politiques à ce sujet ???
@ Yogi
revolution-lente.com
bankster.tv
…
Pour conclure, j’en rajouterais juste une petite dernière (déjà citée mais émanant d’un « Nobel » français) que Gibus m’a soufflé de la plume :
C’est un élément un peu hors sujet (la création de la monnaie) mais il faut préciser que les idées d’Allais ont été exploitées par l’extrême-droite politique. La question est donc de savoir ce que l’extrême-droite y trouvait de si séduisant.
@Fab
Tout à fait d’accord sur le premier point.
Le monétarisme pensait que la création de monnaie était entre les mains des banques centrales, via le contrôle des réserves obligatoires et le multiplicateur de crédit (expliqué dans la vidéo). Sauf que c’est faux : il est entre les mains de tout le système économique : les banques qui prêtent, les entreprises qui empruntent, l’Etat qui gère sa dette, les ménages qui s’endettent, les actions de la banque centrale, etc.
La grande nouveauté depuis les années 70 c’est que les banques ont trouvé de multiples moyens de se libérer de la contrainte des réserves obligatoires, via la titrisation, le hors bilan, l’effet de levier, etc. ce qui leur a permis de n’en faire qu’à leur tête, avec la bénédiction des banques centrales.
Quant aux méfaits de la création monétaire ex nihilo, j’attends qu’on m’explique de quoi il s’agit. Cela pourrait aussi bien avoir des effets bénéfiques, c’est comme pour tout, on peut en faire un usage malfaisant… ou non.