Que font les mathématiciens ?

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

C’est Aristote qui fixa la norme en matière de démonstration, distinguant trois familles de discours selon le statut de leurs prémisses pour ce qui touche à la vérité. La plus rigoureuse des trois est l’analytique dont les prémisses doivent être reconnues comme indiscutablement vraies, suivie de la dialectique dont les prémisses sont seulement « probables » : vraisemblables plutôt que vraies, et enfin de la rhétorique qui ne connaît pas de contraintes quant à la qualité des prémisses : le discours de fiction, par exemple, en relève. À l’intérieur même de chacune de ces trois familles, le Stagirite distingua les types d’argumentation utilisés en fonction de leur valeur probante.

Seule l’analytique relève de la science et c’est donc elle qui devrait seule présider à la démonstration mathématique. Or, durant les Temps Modernes d’abord et durant les Temps Contemporains ensuite, les mathématiciens recoururent toujours davantage dans la démonstration aux types d’argumentation les plus faibles quant à la valeur probante. On pourrait lire là sans doute le signe d’une simple décadence dans la manière dont les mathématiciens démontrent leurs théorèmes. Cette lecture n’est pas fausse mais demeure insuffisante parce qu’elle ignore le glissement « idéologique » qui rend compte du comment et du pourquoi de cette évolution. Ce glissement reflète en fait la conviction croissante des mathématiciens que leur tâche ne s’assimile pas à un processus d’invention mais à une authentique découverte, autrement dit, que leur tâche n’est pas de contribuer à la mise au point d’un outil mais de participer à l’exploration d’un monde. Si l’on souscrit à ce point de vue, la distinction se brouille entre la science, dont l’ambition est de décrire le monde de la Réalité-objective, et les mathématiques qui lui offrent le moyen de réaliser cette ambition. Et cette absence de distinction suppose à son tour, non seulement que la Réalité-objective est constituée des nombres et des relations que les objets mathématiques entretiennent entre eux, mais encore que la réalité ultime inconnaissable, l’Être-donné de la philosophie, est la source d’un tel codage. Or une telle conviction est avérée historiquement et, comme on le sait, caractérisa les disciples de Pythagore, au rang desquels se comptait Platon.

Si le mathématicien est un découvreur et non un inventeur, alors la manière dont il inculque la preuve importe peu puisqu’il décrit en réalité un monde spécifique, celui des nombres et de leurs relations, et peut se contenter d’en faire ressortir les qualités par une méthode apparentée à la méthode expérimentale : circonscrire une réalité et utiliser tous les moyens dont on dispose pour faire émerger une appréhension intuitive de ce qu’elle est ; dans cette perspective, seul compte le résultat, quelle que soit la manière dont on s’y est pris. Dans la démonstration du « second théorème » de Gödel, à l’aide duquel il prouve l’incomplétude de l’arithmétique, la faible valeur probante de certaines parties de sa démonstration n’est pas pertinente à ses yeux puisque sa tâche consiste selon lui à décrire un objet existant en soi. Ne se concevant nullement comme l’inventeur de mathématiques nouvelles mais comme un explorateur de l’univers des nombres et de leurs proportions singulières, il n’a que faire d’une méthodologie dont la rigueur seule garantirait le résultat auquel il aboutit.

Les points de vue des mathématiciens réalistes qui se conçoivent comme découvreurs et des mathématiciens antiréalistes qui s’imaginent inventeurs, peuvent être réconciliés si l’on offre de leur activité à tous une définition opérationnelle qui y voit la génération d’un produit culturel, c’est–à–dire relevant de la manière propre dont notre espèce offre une extension aux processus naturels. Ce produit culturel que les mathématiciens génèrent est une « physique virtuelle » permettant la modélisation du monde sensible de l’Existence-empirique en vue de sa prévisibilité à nos yeux. Cette physique virtuelle n’est ni contrainte de s’astreindre à la rigueur irréprochable des modes de preuve les plus exigeants aux yeux de la logique, ni ne doit s’imaginer décrire une Réalité-objective constituée d’essences mathématiques. La mise au point du calcul différentiel en offrit une illustration lumineuse.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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54 réponses à “Que font les mathématiciens ?”

  1. Avatar de fnur
    fnur

    Dixit Lacan : le vrai est un moment du faux.

    Sinon Einstein doit aussi à Elie Cartan( théorie Einstein-Cartan ).

  2. Avatar de Mary
    Mary

    Bonjour,

    J’ai trois questions concernant ce sujet sur les mathématiques et les mathématiciens.

    La première était de savoir quels étaient les théoriciens de la création de tous ces produits financiers qui ont permis le fort développement de la finance internationale ? J’ai trouvé une réponse en lisant La finance est anormale de Jean-Marc Vittori dans les Echos, un lien mis en ligne par Paul dans Les modèles financiers entre Charybde et Scylla.

    La deuxième est une question qui me trotte depuis longtemps dans la tête mais sans que je me sois donné les moyens de retrousser mes manches comme l’a fait Paul Jorion pour comprendre le fonctionnement des choses compliquées.
    A savoir, l’algèbre a été inventée par les arabes, on parle des chiffres arabes. J’ai entendu dire que dans les universités françaises beaucoup d’étudiants en mathématiques au niveau supérieur sont arabes. Pourquoi avec des sujets brillants en mathématiques les pays musulmans n’ont que fort peu développés des techniques appliquées ? Alors que les pays occidentaux ont presque oublié leurs religions d’origine pour devenir matérialistes et n’avoir plus comme dieu à adorer que l’argent ? Exceptions faites des bouffées d’intégrismes qui ont ressurgis un peu partout.

    Enfin la troisième c’était un grand étonnement pour moi d’entendre un physicien à la radio il y a plusieurs années dire qu’il avait trouvé des formules mathématiques qui fonctionnaient parfaitement, mais il n’avait aucune idée de ce à quoi ça s’appliquait ou à quoi ça pouvait servir. Comme il arrivait à l’âge de la retraite il comptait bien faire de cette recherche l’objet ou l’un des objets de ses journées. Mais l’un des intervenants de ce blog a fait état de découvertes qui n’avaient trouvées d’explications que bien plus tard. En fait la question était : existe-t-il de nombreuses fonctions mathématiques qui sur le papier ou sur le tableau sont orphelines de réalités ?

  3. Avatar de Rumbo
    Rumbo

    Merci infiniment Paul pour cette – réactualisation – d’Aristote sous votre plume si féconde et un – ordre – aristotelicien supplémentaire mis en reflef chez ce philosophe déjà capital. Prodigieux ! Il faut décanter cela. Mais alors ! Je m’aperçois que le « tapis roulant » sur lequel je cours va plus vite dans son sens que je le peux du mien… Ma crainte : qui trop embrasse mal étreint, ma capacité de traitement, ou ma « bande passante », n’est pas très large. Mais ça ne fait rien j’y reviendrai.

  4. Avatar de fincaparaiso

    bonjour,
    les commentaires des uns et des autres ne manquent ni d’interet ni de piquant…………..pendant que le monde réel s’écroule: chacun veut absolument démontrer que sa curiosité intellectuelle l’emporte sur le desespoir de n’être qu’un spectateur impuissant du marasme financier, économique, social ,qu’il vit et qu’il subit, généré par une petite minorité de personnes (2000 pour le monde entier, c’est peu !) connues ,évoluant à tour de rôle au sein de conseils d’administrations ou d’institutions privées qui se sont arrogés le pouvoir de dicter les conditions dans lesquelles le reste de la planète doit vivre ou survivre.

  5. Avatar de tigue
    tigue

    cher Paul,

    la proposition d’ Epimenide  » les crétois sont des menteurs » se traduit par : « quelque soit le crétois, il est menteur ».
    La negation de cette proposition n’ est pas « les crétois disent la vérité », mais bien : « il existe un crétois qui n’est pas menteur » ( la négation du quantificateur  » quelque soit » est : « il existe »).
    D’ ou la conclusion que Epimenide a menti en généralisant.
    Paul arrive une conclusion moins précise :  » il est possible que Epimenide soit un menteur », et par un autre chemin, celui de la modulation de l ‘ adhesion.
    Dans votre propos, je ne comprends pas ce que signifie la conclusion du faux raisonnement ( le paradoxe) « les crétois mentent en tant que catégorie universelle et disent la vérité en tant qu’ individus », en effet, la propriété de « mentir » appartient a l’ individu et n’a pas de sens, n’existe plus, pour l’ autre entité : »le groupe d’ individus ».

    Peut on quantifier l’ adhésion ? Associer une probabilité a une prémisse ?
    disent la vérité en tant qu’ individus »

  6. Avatar de tigue
    tigue

    rectification : peut on quantifier l’ adhésion, associer une probabilité d’ adhésion a une prémisse ?

    Au total, si l’ assertion « le groupe d’ individus crétois est menteur », n’ a pas de sens telle quelle (indécidable en vrai /faux),
    l’ assertion: « le groupe d’ individus crétois adhère a X% a la proposition p », a du sens.
    Si X tend vers 0, cette limite donne peut être le sens qui manque a la La premiere assertion.
    Il semble intéressant de chercher a quantifier l’ adhésion, et j’ ai l’ intuition que s’ y cachent des Cygnes Noirs
    (lire le livre du scientifique philosophe, Nicolas Taleb, « le Cygne Noir », qui traite des propriétés surprenantes du hasard particulier dont dépendent les sciences humaines)

  7. Avatar de tigue
    tigue

    a fincaparaiso

    Tout le problème est de savoir ce qu’ il faut faire pour changer cela, pour ne pas retomber dans les erreurs du passé.
    Il ne faut jamais oublier que ces gens ne sont pas des extra terrestres, ils existent parce que notre individualisme, nôtre cupidité individuelle, nôtre égoïsme , est valorisé, et amène les plus forts aux meilleures places, quand des grands hommes comme Paul Jorion cherchent du travail pour payer le loyer…
    Changer ces 2000, ne fera pas disparaître que chacun veut ce qu’ il y a de mieux pour lui et ses proches, c est un long travail de changer les mentalités.
    Les mathématiques et une certaine science ne sont que des outils pour construire la connaissance et le monde. Is peuvent être mal utilisés, et servir a construire une fausse connaissance économique au service de nos plus bas instincts.
    Nous vivons des moments historiques, les négociations autour de la monnaie et des echanges financiers ont débuté ( le G20), celle ci est porteuse d’ espoir, mais il y a fort a parier que la bête malade va essayer de se refaire…
    Vous avez raison de leur faire entendre vôtre souffrance, quoi qu’ il en soit, tant qu’ on aura pas avancé sur une meilleure connaissance de ce qu’ est la monnaie, de ce qu’ est la richesse, on ne saura pas comment la partager, on sera Exposé aux aléas des rapports de force entre opressés et oppresseurs avec tout ce qu’ ils peuvent générer comme dingueries…

  8. Avatar de all
    all

    Au passage rappelons que E=MC2 a été trouvé par Henri Poincarré, qui n’en a pas mesuré la portée scientifique : c’est cela, un mathématicien.

  9. Avatar de Jean-François
    Jean-François

    Bonjour,

    @ Scaringella

    Juste une précision : en parlant de « contrôle », je n’y mettais aucune connotation politique (ça m’arrive). Je pensais seulement aux applications concrètes scientifiques qui ont permis de contrôler les forces mécaniques, les forces électro-magnétiques, de contrôler la fusion nucléaire, un jour la fission, de contrôler également le vivant. Tous ces « contrôles » fonctionnent dans la limite des connaissances théoriques, abstraites, que l’on a du réel. Il sont de fait partiels, imparfaits, mais suffisent pour changer effectivement le réel, ou modifier le cours du réel. Mais c’est encore de l’enfoncement de portes ouvertes…

    Quant à l’enseignement de El Karoui en probas financières, il est reconnu mondialement, et les étudiants qui sortent de ce cursus sont recherchés comme des perles rares. Ces derniers temps, elle a pas mal été interviewée, et bien sûr se défend d’être responsable des dégâts commis par ses élèves ou leurs équivalents. Elles est peut-être sincère, mais sa défense ne colle pas vraiment avec le texte que j’ai cité, qui est assez péremptoire et ne met aucun bémol quant à l’application des modèles enseignés.

  10. Avatar de Rumbo
    Rumbo

    Après l’intervention de Paul pour faire retour à Aristote, et en plus, revisité par Paul dans sa Linguistique d’Aristote (1996) (lien ci-dessus), ce qui évite sûrement des dispersions toujours risquées, je propose pour que ce débat relatif au « paradoxe du menteur » soit davantage didacique, de lire: financiers, à la place du mot: crétois.

  11. Avatar de Ton vieux copain Michel
    Ton vieux copain Michel

    J’ai retrouvé le passage du livre de Steven Weinberg où lui même trouve étrange (uncanny) que les mathématiciens trouvent « en interne » des objets et des structures dont les physiciens se serviront bien plus tard pour expliquer les phénomènes. L’extrait vaut d’autant plus le détour qu’il ne s’agit pas d’un zozo mais d’une grosse pointure de la physique contemporaine:

    « Yet this group theory that turned out to be so relevant to physics had been invented by mathematicians for reasons that were strictly internal to mathematics. Group theory was initiated in the early nineteenth century by Evariste Galois, in his proof that there are no general formulas for the solution of certain algebraic equations (equations that involve fifth or higher powers of the unknown quantity). Neither Galois nor Lie nor Cartan had any idea of the sort of application that group theory would have in physics.

    It is very strange that mathematicians are led by their sense of mathematical beauty to develop formal structures that physicists only find later useful, even where the mathematicians had no such goal in mind. A well-known essay by the physicist Eugene Wigner refers to this phenomenon as « The Unreasonable Effectiveness of Mathematics ». Physicists generally find the ability of mathematicians to anticipate the mathematics needed in the theory of physicists quite uncanny. It is as if Neil Armstrong in 1969 when he first set foot on the surface of the moon had found in the lunar dust the footsteps of Jules Verne » (Steven Weinberg, « Dreams of a final theory »)

  12. Avatar de Ton vieux copain Michel
    Ton vieux copain Michel

    Cela dit, je trouve plus intéressant de se poser la question de l’influence des mathématiques sur la théorie économique et au delà, sur la compréhension générale du rôle de la science économique. Je ne suis pas très versé dans ce domaine mais je me rappelle avoir lu l’un ou l’autre article critiquant le rôle exorbitant de la théorie de l’équilibre général. Cette théorie néo-classique s’est imposée dans les esprits (et apparemment, elle s’impose toujours) en partie parce qu’elle est formellement élégante. La puissance du traitement mathématique a été ici déterminante et a elle façonné pour ne pas dire formaté les esprits. Dans leur ouvrage « La nouvelle alliance », la philosophe Isabelle Stengers et le prix Nobel Ilya Prigogine ont remarquablement montré que la plupart des phénomènes, et surtout les phénomènes créateurs d’ordre et de complexité, ont lieu loin de l’équilibre et que l’équilibre en quelque sorte est une fiction. Une fiction utile mais néanmoins une fiction.

    Je suis en train de lire un petit livre sur l’économiste Amartya Sen. C’est tout à fait intéressant. Sen est Indien et bien sûr, il a observé la misère et la famine qui régnaient et règnent encore dans son pays. Il a gardé de cette expérience, une sorte de réalisme qui l’a empêché de se satisfaire entièrement des théories formelles. Par exemple, il existe un résulalt célèbre de John Kenneth Arrow qui stipule l’impossibilité de réconcilier les décisions individuelles et le choix collectif optimal qui est l’agrégation de ces décisions individuelles sauf dans un cas, celui d’une dictature qui impose sa conception du choix collectif. Eh bien, au lieu de se saitisfaire de ce résultat assez désespérant ou de changer l’un ou l’autre postulat de base, Sen a décidé de remettre fodamentalement en question la notion d’utilité et surtout le rôle que cette notion joue dans la définition d’un état social optimal censé satisfaire un maximum d’individus. Autrement dit, Sen ne s’est pas laissé enfermer par l’axiomatique d’un système formel.

  13. Avatar de Boris
    Boris

    Que font les mathématiciens ? Si vous voulez mon avis, ils nous embrouillent l’esprit avec leurs équivalences. Ils font rien qu’à nous « enduire d’erreur » comme disait Coluche.

    Permettez-moi en prémice, d’affirmer cette prémisse :
    « Le pape est le souverain du Vatican dont la superficie est 440 000 m² »

    Or mathématiquement, il y a alors au Vatican 2,27 papes/km² !

    À ce niveau de ma réflexion (ou « reflection » en anglais dans le miroir) je me dis qu’il y a soit scandale de la création de papes ex nihilo avec effet multiplicateur, soit complot pontifical… au choix.
    D’ailleurs, « autres temps, autres moeurs », avec Jean-Paul II l’erreur était après la virgule, il suffisait d’arrondir. Mais depuis Benoit XVI… j’en perds mon latin.

    :))

  14. Avatar de wangxi
    wangxi

    Je n’aime pas beaucoup cet Aristote, qui fut la figure de Judas pour la Grèce classique et le précepteur d’un conquérant sanguinaire et tyrannique (même jeune et brillant). Certes, ce sont hélàs, les vainqueurs qui écrivent l’histoire, mais quel dommage que ce soit lui et point un autre qui fut considéré comme « le philosophe » de référence pendant le moyen âge européen!

    Polémique mise à part, et pour en revenir au mathème, il me semble intéressant de pointer plusieurs axes afin d’alimenter la réflexion :
    -primo, l’histoire de la logique mathématique, en tous cas telle qu’on me l’a apprise en taupe (ce qui suggère tout de même une scholastique particulière et non une découverte didactique), a tout de même bien évolué depuis Aristote. Prenons pour exemple les démonstrations par récurrence (logique inductive) ou le raisonnement par l’absurde (synthèse entre logique dialectique et analytique) qui ont longtemps été considérées comme invalides voire impures (ie inspirées du démon); et tout ceci au nom d’une lecture sans doute galvaudée d’Aristote. Les mathématiques ont besoin d’erreurs, de postulatts, d’indécidables ou d’indémontrables pour progresser. Considèrons par exemple la démonstration du dernier théorème de Fermat par A. Wiles à la fin du XXème siècle : avant même qu’il n’ait été démontré, de nombreux mathématiciens se sont engoufrés dans cette brèche, considérant comme postulat valide (même non démontré) l’assertion laconique de Pierre de Fermat au XVIIème siècle. Ainsi plusieurs branches de la recherche, découvreurs ou inventeurs, n’ont eu que faire de la logique analytique et ils avaient vu juste.
    -secundo, la maintien d’un lien permanent entre les outils mathématique et les réels qu’ils décrivent repéresenteraient un formidable appauvrissement de la pensée.. Pour que Galilée ou Newton décrivent le mouvement des corps avec précisions, les mathéamtiques ont du progresser en analyse et en algèbre par rapport à la Grèce antique. C’est le même Aristote qui décrivait le mouvement d’un corps en chute libre comme chutant à vitesse constantesi je ne m’abuse ; et tout ceci en adéquation avec l’empirisme (lobservation) si tant est que l’objet soumis à la seule attra ne soit pas trop dense et possède une légère portance à l’air. Et pourtant c’était faux…
    -tercio, je pense comme vous (du moins c’est ce que me portent à penser vos trois derniers livres)que cette crise est celle de plusieurs acteurs économiques (et pas seulement celle des élèves du master de Mme El Karoui), notamment financier mais également politique aux deux sens du terme: au sens faible, celui du monde des politiques en général (libéralisme à outrance ou au moins laissez-faire); puis au sens fort, celui de la « bonne » marche des affaires de la cité (taux d’endettement des ménages, système monétaire mondial). Chercher la faute, même partielle, des mathématiciens n’explique pas ni ne résout la situation actuelle.

    Bien à vous.

  15. Avatar de Ton vieux copain Michel
    Ton vieux copain Michel

    Hier, je suis tombé par hasard sur un livre technique d’un certain Yann Braouézec, ingénieur financier qui donne un cours sur les produits dérivés de crédit aux étudiants en Master de mathématiques appliquées à la finance. Le manuel est intitulé « Dérivés de crédit vanille et exotiques. Produits, modèles et gestion des risques ». C’est un livre de maths appliquées : on y apprend comment fabriquer un produit structuré en tenant compte de modèles stochastiques etc.

    Autrement dit, ce spécialiste a formé et forme les « quants » qui fabriquent et traitent ces produits sophistiqués que presque personne ne comprend et qui sont au cœur de la crise actuelle.

    Tout d’abord, je pense qu’il est bien d’ouvrir ses pages à un certain nombre de philosophes bling-bling (Badiou, Zizek, Bruckner, Fukuyama, Virilio etc) comme l’a fait récemment Le Monde, mais qu’il est plus intéressant d’interviewer ce monsieur Braouézec lequel a au moins le mérite de comprendre un peu ce qui se passe.

    Questions : Monsieur Braouézec, qui lui sait de quoi il parle, a-t-il vu venir la crise ? Sans doute que non? Pourquoi n’a-t-il pas vu venir la crise ? Ses modèles de gestion des risques ont-ils failli ? Où ont-ils failli? N’a-t-il pas fait une confiance un peu aveugle dans ses modèles mathématiques? Où le bât blesse-t-il ? Comment se fait-il que des produits censés protéger du risque ont fini par amplifier le risque ? A-t-il réfléchi au risque systémique ? Le postulat qui est au fondement de la titrisation, selon lequel on diminue le risque en le dispersant, ce qui en langage vulgaire s’appelle refiler la patate chaude, n’est-il pas un peu foireux ?

    N’étant pas mathématicien, je ne comprends pas grand-chose à cet ouvrage mais je suis tombé sur un passage où M. Braouézec suggère que la titrisation n’est qu’une forme d’assurance comme une autre. De la même manière qu’un propriétaire d’une automobile transfère le risque (d’un accident) sur sa compagnie d’assurance, une banque transfère le risque lié à un prêt qu’elle a consenti, sur un investisseur qui veut bien l’assumer (contre rémunération).

    Questions: est-ce qu’on peut faire ce parallèle ? Peut-être que mathématiquement les deux situations sont comparables et peuvent être calculées en faisant appel à des méthodes identiques. Mais dans la vie réelle, si je puis dire, est-ce que les deux situations sont comparables ? Je me pose la question. Naïvement, je vois déjà deux différences. 1. Lorsqu’on a un accident, l’assureur paie et en général ça s’arrête là. Les conséquences ne vont pas plus loin. Mais dans le cas d’un produit titrisé, le risque lié à un événement de crédit se propage ailleurs, d’autant plus qu’il peut y avoir un effet domino, une défaillance entraînant une autre. 2. Dans une police d’assurance ordinaire, il y a information symétrique. En général l’assuré connaît les clauses du contrat.. Mais dans le cas d’un produit titrisé, l’information est clairement asymétrique. C’est la banque ayant fabriqué le produit qui en sait le plus. Comme on s’en est aperçu, l’investisseur moyen, que ce soit le particulier ou l’institutionnel, ne savait pas du tout à quel risque il s’exposait en achetant le produit.

    En d’autres termes, la mathématique financière n’a-t-elle pas tendance à comparer des pommes et des poires et à comparer des situations totalement différentes ?

  16. Avatar de Paul Jorion

    @ Ton vieux copain Michel

    Différence avec les assurances : les « assureurs » sont éparpillés et n’ont en général pas la taille critique. J’ai expliqué cela dans Crise du « subprime » et titrisation.

    Pas d’asymétrie de l’information : le « prospectus » d’une obligation titrisée fait plusieurs centaines de pages : si on veut bien la lire, tout est là, et c’est clairement expliqué, même pour un profane.

  17. Avatar de Ton vieux copain Michel
    Ton vieux copain Michel

    Paul, le prospectus de plusieurs centaines de pages à se farcir me fait quand même penser à l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » dont Lacan disait que c’était de l’humour noir. Et plus sérieusement, si j’ai bien compris, n’était-ce pas précisément le problème des CDO d’être adossés à des prêts appartenant à plusieurs classes de risque tout ça pour noyer le poisson et inciter les agences de notation à les aligner sur les prêts de meilleur qualité? Comment un investisseur moyen était-il censé s’y retrouver et évaluer son risque?

  18. Avatar de jean-pierre brissaud
    jean-pierre brissaud

    Il est exacte que Gödel était néo-platonicien, mais également anti aristotélicien. Il a démontré l’erreur du principe du tiers exclus.
    Je vois mal à quoi vous faites allusion en parlant d’eereurs dans la démonstration de Gödel. J’apprécie que vous connaissiez Guilbaud, mais ce n’est pas suffisant pour lancer une critique à la légère de la démonstration de Gödel.

    D’autre part, Gödel a mis à bas les espoirs des scientistes du XIXème siècle de construire une Science complète et cohérente. Son point de vue est resté extrèmement novateur, mais fort peu compris.

    Enfin, il est mentionné si rarement que je vous remercie de l’avoir fait, fut-ce pour dire une inexactitude : personne n’a jamais trouvé la moindre erreur dans son raisonnement, alors que tant de gens l’aurait désiré, pour des raisons idéologiques (scientisme).

    1. Avatar de vbs
      vbs

      Jean-Pierre, je t’ai reconnu !!!
      Merci mon grand Professeur de Maths

  19. Avatar de Dav

    Ah… j’ai enfin retrouvé ce billet.

    Au petit jeu du quoi et quoi, voici mon interprétation.

    Une découverte est son propre sujet, et elle répond à ses propres règles
    Une invention est notre sujet, et elle répond aux règles qu’on veut bien fixer pour elle

    Le feu est une découverte.
    La maîtrise du feu est une invention.

    La physique est une découverte.
    Les mathématiques sont une invention.

    La poudre à canon est une découverte.
    L’artillerie ou les feux d’artifice sont des inventions.

    L’échange est une découverte.
    La monnaie est une invention.

  20. Avatar de Christophe
    Christophe

    {Si le mathématicien est un découvreur et non un inventeur, alors la manière dont il inculque la preuve importe peu puisqu’il décrit en réalité un monde spécifique, celui des nombres et de leurs relations, et peut se contenter d’en faire ressortir les qualités par une méthode apparentée à la méthode expérimentale : circonscrire une réalité et utiliser tous les moyens dont on dispose pour faire émerger une appréhension intuitive de ce qu’elle est ; dans cette perspective, seul compte le résultat, quelle que soit la manière dont on s’y est pris}

    Si je comprends bien le propos, le mathématicien en tant qu’entité humaine raisonne avant tout par intention et utilise l’outil extensionnel mathématique pour démontrer la véracité de sa projection. Quoique la notion de véracité ne se vérifie que dans l’intervalle expressif de la symbolique mathématique.

    Lors de travaux sur le traitement des langues, les travaux de Richard Montagu m’avaient quelque peu mis sur la voie de ce type de raisonnement. Quelle relation pouvons élaborer dès lors qu’il y a opposition entre outils déductifs et les raisonnement inductifs humains ; posant l’hypothèse qu’une situation du monde (dans l’étude des comportements humains) est le résultat d’une convergence d’intentions. Les mathématiques n’ont-elles pas une capacité descriptive limitée qui aujourd’hui est largement dépassée par des applications dans des mondes où leur force expressive est contestable ?

    {Ce produit culturel que les mathématiciens génèrent est une « physique virtuelle » permettant la modélisation du monde sensible de l’Existence-empirique en vue de sa prévisibilité à nos yeux. Cette physique virtuelle n’est ni contrainte de s’astreindre à la rigueur irréprochable des modes de preuve les plus exigeants aux yeux de la logique, ni ne doit s’imaginer décrire une Réalité-objective constituée d’essences mathématiques.}

    Partageant votre conclusion, il reste à lever une ambiguité. La notion de probable se rapproche par trop de la notion mathématique de probabilité, comme la notion de possible peut être vue sous l’angle des logiques modales ou de la théorie des possibilités. Le terme qui m’a paru le plus pertinent pour s’éloigner des approches mathématiques est donc le terme plausible. Mais ce ne sont là que des arguties.

  21. Avatar de BasicRabbit
    BasicRabbit

    @Paul Jorion
    Il me semble que vous ne considérez ici que les mathématiciens que je qualifierai d’interprètes, c’est à dire des virtuoses du calcul et de la démonstration. Beaucoup moins nombreux mais au moins aussi importants sont ceux que je qualifierai de compositeurs, c’est à dire ceux qui inventent/découvrent de nouveaux concepts et de nouvelles procédures. Ainsi la topologie a émergé seulement à partir de la fin du XIXème siècle. Tout près de nous René Thom est de ces derniers. Médaille Fields en 1958, il aurait dit juste après: « Enfin! je vais pouvoir faire des mathématiques sans avoir à faire de démonstrations! »

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