Ce texte est un « article presslib’ » (*)
On nous pose de très bonnes questions à Jean-Luc Gréau et à moi-même pour un entretien en face-à-face à paraître dans Marianne. Les questions sont nombreuses et la place, très limitée, et il faut donc répondre de manière lapidaire. J’ai le loisir ici d’offrir une réponse plus détaillée.
A propos des réformes que nous préconisons, assimilées à se débarrasser d’une vulgate néo-libérale, il nous est demandé ceci :
Quelles sont les forces politiques selon vous capables de mettre en œuvre ce projet en France et au sein de l’Union Européenne ?
En fait, ces forces politiques n’existent pas aujourd’hui. Commençons par la droite : elle s’est engagée tout entière aux côtés du système qui s’écroule sous nos yeux par pans entiers. La gauche, de son côté, est tétanisée depuis la chute du mur de Berlin. Le centre-gauche s’est lui rallié au néo-libéralisme. La gauche-gauche s’est montrée incapable en vingt ans de proposer le moindre projet de société alternatif. L’extrême-gauche a toujours été une pépinière d’idées neuves mais les applications et tentatives d’applications de celles-ci couvrent un éventail qui va du peu convaincant au catastrophique. Les verts nous ont appris que la richesse se mesure à la santé de la planète mais là aussi je ne vois pas émerger de réels projets : des utopies très indigestes oui, souvent très anciennes d’ailleurs.
Le mouvement « décroissant » est sans doute le plus cohérent mais j’ai déjà fait état de mes objections à son égard. En deux mots : la décroissance ne peut être un projet, elle est un symptôme. Elle a lieu sous nos yeux en ce moment-même où elle accompagne une crise financière et économique sans précédent. Lorsque les effets du « peak oil » se feront sentir – ce qui n’est pas encore le cas mais ne saurait tarder – la décroissance aura lieu si le solaire n’a pas été pleinement maîtrisé d’ici-là. Mais un symptôme n’est pas un projet et celui-ci reste à définir.
Les seules forces politiques susceptibles de forcer le pouvoir dans la voie d’un changement de paradigme émaneront donc de la base, et pour pouvoir constituer une majorité, devront ignorer les clivages politiques traditionnels. Cette base est constituée de tous ceux qui partagent le sentiment que l’espèce est menacée dans son existence, dans l’immédiat par la crise et dans dix ans par l’épuisement des ressources non-renouvelables. Un tel sentiment est par nécessité planétaire, mais non centré sur l’environnement conçu comme la planète sans nous : la justice sociale fait partie de son horizon. Planétaire au sens de Gaia : le système dans son entier, et une solution des problèmes fondée sur l’éthique. Deux soucis à première vue divergents ont empêché jusqu’ici la coalition nécessaire d’émerger et il faut rappeler aux deux bords : pas de redistribution sans survie, mais pas non plus de survie sans redistribution.
Un projet de cette nature peut produire de l’absolument neuf mais est également exposé à toutes les dérives. Il faut que les politiques se réveillent, se rallient à ce mouvement de la base et mettent leur expérience de la chose politique au service d’une canalisation de cette colère dans un cadre qui doit demeurer à tout prix démocratique parce que les ennemis de la démocratie sont prêts et s’agitent déjà dans les marges où la crise est évoquée dans une perspective critique.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
69 réponses à “Les forces politiques face à la crise”
à propos de Amartya Sen, où en sont les travaux du groupe de réflexion lancé en grandes pompes par Sarkozy l’année dernière, pour définir de nouveaux critères de « croissance » intégrant le développement humain ? On n’en entend plus trop parler…
Ce blog est en effet des plus roboratif, nous ne pouvons que remercier Paul de ses analyses et réflexions.
Comme je l’ai indiqué dans un commentaire précédent sur un autre sujet j’invite tous les lecteurs et commentateurs à aller faire un tour sur le site de JM Jancovici http://www.manicore.com , en complément de ce blog.
Je me permettrais de conseiller particulièrement ses conférences et surtout ses cours donnés au printemps dernier à l’école des Mines à Paris : 16 h de cours enregistrés ainsi que les PowerPoints « qui vont bien », téléchargeables ici : http://www.ensmp.fr/ingenieurcivil/SitesIC/Balado/Climat_som.html.
@TL Croissance financière et matérielle découplées… est-ce un vœux pieux ou une réalité ?
bonjour
« Cette base est constituée de tous ceux qui partagent le sentiment que l’espèce est menacée dans son existence, dans l’immédiat par la crise et dans dix ans par l’épuisement des ressources non-renouvelables. »
L’espèce ? Je ne sais pas. Il y a une expression très courante en Russie (un peuple habitué aux crises s’il en est) : kak nibud’ vyzhiviom (d’une manière ou d’une autre, nous survivrons). Je pense aussi que « d’une manière ou d’une autre » l’espèce survivra. Quant au mode de vie occidental, sous sa forme actuelle, c’est autre chose… ! Sachant qu’en ce qui concerne la « planète » – qu’on nous appelle un peu trop souvent à sauver, la question ne se pose même pas : quoi qu’il arrive, elle continuera à tourner, imperturbable.
Mais justement, ce qui est intéressant c’est le « d’une manière ou d’une autre nous survivrons ». Il y a un article dans le Figaro sur la façon dont les expulsés américains organisent leur survie, y compris en tant qu’électeurs :
http://www.lefigaro.fr/elections-americaines-2008/2008/10/31/01017-20081031ARTFIG00019-expropries-ils-craignent-de-ne-pas-pouvoir-voter-.php
C’est cela qu’il faut observer : comment les gens luttent, résistent, s’organisent pour survivre. I’ll be there ! :
En France, mais aussi ailleurs, il est désolant que quasi personne n’explique l’évidence suivante : une palette de mesures simples suffirait à dissuader définitivement les entreprises d’utiliser les licenciements comme seule variable d’ajustement. Donc l’explosion du chômage en 2009. Cette palette aurait pour objectif principal de rendre le coût des heures supplémentaires (HS) beaucoup plus cher que celui des heures normales. Les mesures consisteraient en gros à : définir une durée légale du travail (DL) ayant une signification pédagogique. Cette nouvelle DL serait calculée en divisant le nombre total d’heures travaillées en France en 2008 par le nombre de personnes en âge de travailler (chômeurs compris) et par le nombre de semaines travaillées. La nouvelle DL, par exemple de 32 heures, entrerait en application dès le 1er janvier 2009… Annuler bien sûr les exonérations d’impôts et de cotisations sociales sur les HS, décidées en 2007 …Baisser fortement le taux des cotisations chômage sur les 32 premières heures. Compenser cette perte de cotisations en augmentant d’autant les cotisations chômage sur les HS. Augmenter un peu les cotisations maladie et retraite sur les HS. L’ensemble du calibrage devant rendre les HS 50% plus chères que les heures normales… Cette dernière mesure devant impérativement être complétée par l’interdiction pure et simple du scandaleux contrat de travail appelé Forfait Jours qui s’applique désormais à des millions de salariés, cadres et non cadres. Grâce à ce type de contrat de travail, des dizaines de milliers d’emplois ont été supprimés. Puisqu’il permet de faire travailler les salariés 50, 60 ou 70 heures par semaine, sans que l’employeur ne paie le quart de la moitié des HS effectuées. D’où des centaines de millions d’euros de cotisations sociales qui ne sont pas versées …. etc … etc …
Comment ça « quasi personne n’explique l’évidence suivante : une palette de mesures simples suffirait à dissuader définitivement les entreprises d’utiliser les licenciements comme seule variable d’ajustement. » ?
Mais tout le monde en connaît la raison : les solutions aux problèmes actuels (et celui que vous citez n’est qu’un exemple parmi d’autres) ne manquent pas ; c’est la volonté de la classe dirigeante et possédante, accrochée à ses biens, à ses profits astronomiques et à ses privilèges, qui fait barrage !
« Il faut que les politiques se réveillent, se rallient à ce mouvement de la base et mettent leur expérience de la chose politique au service d’une canalisation de cette colère dans un cadre qui doit demeurer à tout prix démocratique parce que les ennemis de la démocratie sont prêts et s’agitent déjà dans les marges où la crise est évoquée dans une perspective critique. » ( Jorion)
Evangile selon MARC – « Et personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement, le vin fait rompre les outres, et le vin et les outres sont perdus ; mais il faut mettre le vin nouveau dans des outres neuves.
Qu’entendez-vous précisément » par ennemis qui s’agitent dans les marges… ». Ne sont-ce pas justement ceux qui ne souhaitent que cette crise leur offre les places qu’ils n’ont pas réussit à obtenir de façon « démocratique ». Pour parler clair, pensez vous sérieusement que Hollande ou Besancenigaud soient plus crédibles que Sarkozy. Celui-ci a fait tout ce qu’il est possible traditionnellement possible de faire.
Vous avez raison d’en appeller aux » mouvements de base » mais tort de leur assigner pour seule tache de s’en remettre aux bons soins de ceux qui onr participé activement à l’état actuel des choses . Delanoé ne se proclamait-il pas récemment « Libéral »
@Di Girolamo
Il est très difficile d’organiser des actions entre les élus locaux et les citoyens, au niveau d’une commune quelle écoute peut-on avoir lorsque le conseil municipal siège depuis 30 ans, ils sont inamovibles et uniquement à l’écoute de ce qui permettra une ré-élection ! il faudrait limiter les mandats des élus locaux à 2 mandats pour pouvoir impliquer les citoyens et faire passer de nouvelles idées, pour que la base puisse avoir une écoute.
Non pas que rien ne doive changer mais attention de ne pas dire n’importe quoi .
Autour de vous, combien de vos proches sont employés dans des métiers réellement productifs de richesses et non dans des services vendus à ceux qui produisent les richesses ? Allez, je dirais 30 % en moyenne.
Connaissez-vous aussi cette statistique ? Les 20 % de salariés ( ou professions libérales ou dirigeants) les mieux payés consomment +/- 50 % des biens et services. A votre avis, en supprimant les hauts salaires, quelle proportion d’emplois vont être supprimés à leur tour ?
La plupart des préconisations d’égalitarisme que je lis ici, conduisent tout droit à la décroissance non maîtrisée et probablement à la fin de la démocratie.
@Sounion
Donc produisons plus, de préférence n’importe quoi, juste pour créer de l’emploi .. c’est ça ?
Je rajouterais peut être : augmentons les hauts salaires (20% des salariés), ainsi ils consommeront peut être 70% des biens et services, permettant du même coup de créer plus d’emplois … c’est ça ?
Ton Vieux copain Michel @ 31 octobre 2008 12h43
Voilà une réponse appropriée de Lanza del Vasto, prise dans un commentaire que j’avais fait sur le billet de paul « Je réfléchis tout haut »
– Même si la nature fournissait tout les besoins de tous, la crainte-de-manquer qui est vague et sans limites, poussant chacun à l’accumulation illimitée, finirait toujours par instaurer le manque et justifier la crainte, par un cercle vicieux.
C’est par un tour de notre Connaissance-du-Bien-et-du-Mal que l’excessive pridence crée le danger et l’excessive avidité, la pénurie.
Il suffit que quelques-uns veuillent posséder pour que tous se voient forcé de gagner pour ne pas mourir. C’est ainsi que l’abus fait de l’abus un besoin et un droit.
Mais le manque que la richesse crée autour d’elle est nécessaire à son maintien. Il est évident que la valeur du sou que j’ai dans ma poche dépend entièrement de son manque dans la poche d’un autre. S’il ne manquait à personne, personne n’en voudrait et il ne serait pas même bon pour le fumier.
Or, l’homme qui est seul riche au milieu d’un peuple de pauvres se trouve de ce fait considérablement plus riche que s’il était entouré de voisins riches, et dispose de plus de moyen de s’enrichir.
Il possède aussi une conscience plus claire et une jouissance plus pleine de ses possessions.
La jouissance d’un bien est un fait bêtement naturel; mais la jouissance d’une richesse est proprement une connaissance-du-bien-et-du-mal et du bien par le mal, une jouissance rehaussée de calcul et redoublée par le contraste. La jouissance spécifique de la richesse c’est: jouir de jouir de ce dont un autre ne peut jouir.
Il n’est d’ailleurs pas du tout nécessaire de jouir de ce qu’on a pour se réjouir de la considération que les autres n’ont pas.(…)
(….)Dès que nous avons accepté de risquer notre vie à la défense de nos biens, nous nous sentons autorisés, en bonne morale serpentine, à tuer celui qui les attaques.
Qui pourrait reprocher de préferer nos biens au sang d’autrui, puisque nous les avons déjà préférés à notre propre sang?
Plus on est logicien et moraliste,et mieux on on sait tirer, d’un principe spécieux, une séquence de propositions irréfutables et monstrueuses.
Mais l’enchaînement de tous les théorèmes de la Science-du-Bien-et-du-Mal conclut à la mort. Car “celui qui tire l’épée périt par l’épée” et celui qui combat pour garder ses biens tombe dans le combat et perd ses biens avec sa vie.
Au simple commandement de Dieu: “Tu ne tueras pas”, viennent se superposer en piles les codes d’honneur, les codes de la Loi, les codes moraux, pour nous enseigner les mille et une manières de tuer en toute tranquilité de conscience.
Dans tous les délits et les crimes, l’Esprit de Lucre est pour plus de moitié. –
Lanza del Vasto
@ sounion
Ah ! ça faisait longtemps, le principe du ruissellement… ou comment essayer de faire croire que les inégalités les plus abjectes sont en fait morales car productives, et se racheter une conscience quand on est riche au milieu de la pauvreté.
Cela fait combien de siècles, voire de millénaires, que ce principe est appliqué par les possédants ?
Immanuel Wallerstein, chercheur au département de sociologie de l’université de Yale et ex-président de l’Association internationale de sociologie, a publié dans Le Monde du 12 10 2008
“Le capitalisme touche à sa fin”, un article de très haut niveau à lire sur … http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2008/10/11/le-capitalisme-touche-a-sa-fin_1105714_1101386.html
@sounion
L’égalitarisme serait donc une menace pour la démocratie !
Revenons à nos moutons, les inégalités sont CATASTROPHIQUES en 2008 à tous les niveaux
la démocratie se porte mal évidemment % d’abstention, dépolitisation, etc.
On continue comme ça ?
@ A-J Holbecq
Je ne dis pas cela, je dis simplement attention, ce n’est pas en supprimant le problème qu’on trouve la solution. Autrement dit, si vous avez mal au pied, avant de couper la jambe, assurez-vous qu’il n’y a pas d’autre solution.
@ Emmanuel
Je pense que la démocratie ça se mérite, ce n’est pas un dû. Or nous avons tous failli :
Pourquoi les dirigeants sont payés si chers ? Parce qu »il se sont cooptés. Ensuite, ils se sont serrés les coudes et ont fait grimper leurs salaires régulièrement ( la fameuse échelle de perroquet), ils ont ensuite renforcé leurs pouvoirs sur les conseils en nommant des administrateurs de leur caste ou ignards, en tout cas soit disant indépendants, puis ils se sont fait voter en comités de rémunération ( c’était mieux il parait) , des parachutes dorés et des retraites chapeau.
Où est le problème ? Le problème est qu’il y a une grande majorité de journalistes « inexpérimentés », « crédule » et « très mal payés » pour croire à leurs sornettes de « corporate governance » et parce qu’il y avait aussi de très mauvais politiques élus, pas suffisamment à l’affut des dérives, endormis par les lobbys patronaux quand ce n’est pas payés par eux.
Face à cette masse d’incompétents, on en veut à peine aux supertechnocrates dont l’intelligence nous dépasse d’une tête ( c’est une réalité) de se considèrer comme fondés ( et c’est là qu’on voit que finalement ce ne sont que des hommes) à se tailler une fortune personnelle sur le dos de la société … Puisqu’ils le valent bien !
Le problème est donc de faire les bons choix de personnes pour faire vivre une vraie démocratie et de ne pas se tourner les pouces en attendant que ça se passe. En faisant croire que l’Etat va résoudre tous les problèmes et ceci quelquesoit le parti au pouvoir.
Si nous laissons le manche aux politiques sans surveillance, les dérives vont continuer, c’est humain. La crise a du bon puisqu’elle éveille les consciences ! Et les blogs comme celui-ci aussi.
Encore faut-il que les politiques sentent bien que cette fois-ci nous allons leur mettre la pression !
@sounion
Et pendant que nous nous essayons à sauver en pensée notre chère démocratie même si ça nous coûte quelques entorses à nos principes d’égalité
je tombe sur cette info incroyable !!!! :
http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2298
Barroso a entrepris une offensive pro OGM et sachant qu’elle a de fortes chances de capoter parce que les opinions (les peuples) sont contre, il fait ça en secret.
Ses « clients » sont Monsanto, le grand capital, etc., tout cela passe à merveille dans nos institutions lobbyisées, 27 pays quand même sont complices, les partis aussi !
Ce n’est pas de la démocratie, c’est la destruction méthodique de la démocratie.
Et pour en revenir au début tout ça à cause des (hyper)inégalités, de l’oligarchie.
@ Andre69, Vous ecrivez : « En France, mais aussi ailleurs, il est désolant que quasi personne n’explique l’évidence suivante : une palette de mesures simples suffirait à dissuader définitivement les entreprises d’utiliser les licenciements comme seule variable d’ajustement. Donc l’explosion du chômage en 2009. Cette palette aurait pour objectif principal de rendre le coût des heures supplémentaires (HS) beaucoup plus cher que celui des heures normales »
Les causes de ce problème sont multiples et requièrent une analyse approfondie faisant intervenir des champs très différents de la connaissance : histoire, economie politique, géopolitique, mathematiques appliquées à l’ ingénierie financiere ou la physique, anthropologie, psychologie (des foules), sociologie, et que sais-je encore…
Ceci n’ implique pas que seuls les spécialistes pourraient apporter une contribution pertinente a la résolution ou a la comprehension du probleme. Surtout pas !.
Chaque citoyen peut apporter son point de vue qui contient toujours un fragment de vérité, ne serais ce que quand il décrit sa propre perception locale de la crise.
Chacun doit prendre la mesure de cette complexité et faire preuve d’ une grande humilité, par rapport a ce qu’ il croit avoir compris et ce qu ‘il croit utile de proposer. Car en effet, nous ne pouvons qu ‘approcher « la vérité ».
Aussi je trouve que face a cette incroyable complexité que le cerveau collectif a tant de mal a appréhender, il est présomptueux d’ être si certain que votre proposition produirait les effets que vous recherchez (impossibilité de licencier a terme) , il est présomptueux de prétendre que la mise en place de cette palette de mesures serait « simple » .
Dans cette proposition, vous faites l’ économie de prendre en compte tout ce qui a été dit dans ce blog
Le genre de mesures que vous proposez, renchérira a coup sûr le coût du travail en France, et ne résoudra pas les autres défis dont nous avons parlé. Par ailleurs, on ne comprend pas très bien pourquoi dans ce cas, ne pas tout simplement interdire les licenciements, et pourquoi ne pas non plus imposer 30% de salariés en plus dans chaque entreprise, payés chacun 50% plus cher.
Le problème financier mondial mérite autre chose que des mesurettes franco-françaises visant a compliquer un peu plus la vie des entrepreneurs pas encore délocalisés.
Je me permets de vous copier/coller ci-dessous un passage d’un texte que je viens d’envoyer ce jour à 200 de mes corréligionnaires en politique. Cela fait référence à André Gorz car je crois vraiment que son mot de «suffisance» est meilleur que «frugalité» ou «sobriété» (de fait, PYD, très connotés sacrifice) ou décroissance, mot «obus» de Latouche qui a fait des dégâts là où il fallait mais ne se prête guère à la reconstruction… Mais cela me plait peut-être pour des raisons subjectives car cela fait référence aux ouvriers et pas aux moines. 😉
Je vous dirai aussi que les décroissants hurlent pour le moment « Leur récession n’est pas notre décroissance !». Et il est vrai que loin du « soft landing » où l’on abandonne le superflu et le nocif maius on va de fait vers le crash (aérien et pas boursier) où l’essentiel est perdu pour les démunis et le superflu à peine touché pour les obèses.
Voici donc une partie de ce que j’ai écrivais ce jour à mes amis de l’écologie politique :
« La Décroissance est éminemment politique »
Bonjour,
Vendredi matin, une amie m’alerte qu’une discussion évoquait la décroissance sur ce blog. Elle m’invite à intervenir. Après-midi ensoleillé, soirée au cinéma, pas d’internet ; j’ai cumulé les difficultés pour vous rédiger ma contribution et pour vous rejoindre. Malgré les quarante nouvelles contributions depuis ma dernière visite, je vous la propose quand même. J’espère ne pas trop tomber à plat.
La Décroissance est éminemment politique
Je voudrais d’abord définir ce qu’est la Décroissance, celle qui a été portée par quelques « fous » lors des législatives 2007 puis cantonales & municipales 2008, celle qui est portée par un journal bien connu ainsi que par les livres de Latouche, Ariès, Cheynet et compagnie.
Il sera toujours possible de mettre d’autres concepts au mot Décroissance, mais il ne faudra pas avoir la mauvaise foi de les attribuer à ceux qui ont fait le travail de le proposer au grand-public.
De la même manière, quand il s’agira d’évoquer la Croissance, il ne sera question que de la Croissance économique (PIB – augmentation exponentielle) et du culte de développement économique qui tourne autour. Il sera toujours possible de glisser vers la croissance du bonheur, du confort, ou du bien-être, mais ce n’est pas de celle-ci qu’il s’agit pour nous. Il serait bien ambitieux de prétendre augmenter le bonheur, à la limite de l’imposture.
« Décroissance » est un nom propre. C’est le mot qui a été choisi, et bien choisi, pour nommer un modèle de pensée, un paradigme.
Distinguons bien les nécessités qui sont à l’origine de la Décroissance (le nom, le Paradigme), sa mise en œuvre, et ses effets principaux et secondaires.
Je n’ai pas la place d’illustrer mes propos. Pour une argumentation approfondie, il faudra se pencher sur la littérature de la Décroissance.
# Nécessités :
– l’humanité est arrivée à une période où les apports de la Croissance sont en deçà du prix à payer pour la maintenir (« prix » au sens non monétaire). Nous devenons les instruments de la machine au point de muter en de simples agents économiques. Ce qui devient insupportables à plusieurs niveaux.
– La croissance ne tient pas ses promesses de réduction des inégalités, bien au contraire.
– L’humanité n’est pas la seule à être épuisée par la croissance. La planète aussi s’épuise. Une croissance infinie est impossible dans un monde fini. Il faut une décroissance de notre empreinte environnementale.
Conclusion, si on continu sur cette logique ; il y aura les plus forts, de moins en moins nombreux, qui devront faire la guerre aux autres, pour continuer à disposer du reste des ressources. Ainsi ils pourront confortablement jouir du droit à être des agents économiques ; Et il y aura les plus faibles, qui survivrons, s’ils survivent, dans la misère.
# La mise en oeuvre politique
Il s’agit de remettre en cause les mécanismes façonnés exclusivement au service la croissance, et pour lesquels l’homme s’est totalement mis à disposition. J’insiste sur le « exclusivement ». Il s’agit de la publicité, de l’obsolescence provoquée, d’un certain usage des médias de masse, du culte de la compétition (sport professionnel), et des mécanismes financiers qui poussent aux gaspillages (certains crédits, pratiques de tarifs régressifs). Pour percevoir le lien avec les « nécessité », voir la littérature.
C’est ici qu’il s’agit de faire de la politique démocratiquement. Car la remise en cause de ces mécanismes va nécessiter de repenser le fonctionnement de notre société – donc de débattre -, et de trancher sur un bon nombre de transformations concrètes – donc, de décider démocratiquement.
Je pense notamment aux façons de localiser les échanges, au rôle du travail dans le partage des richesses (revenus maxi & universel ?), aux notions de valeurs et d’usages (la limite entre bon usage et mésusage ?). Tout est à inventer, mais pêle-mêle, il n’y a pas qu’une voie possible : on s’inspirera des expériences individuelles (simplicité volontaire), de petits collectifs ou de grandes municipalités. On s’inspirera des travaux universitaires ou de ceux des forces parallèles (Attac, les amis de la terre, les Verts, etc…). Et pour ce qui est du fonctionnement démocratique, je crois qu’il faut associer les modes représentatifs, participatifs et directs, aux échelles locales, nationales et internationales.
C’est un débat éminemment politique, totalement ouvert, qui est nettement plus mobilisateur que de voter pour une personne ou des mécanismes économiques. Les économistes et les énarques n’ont rien à faire au premier plan de la politique. Ce ne sont que des techniciens aux services des citoyens.
# Les effets principaux et secondaires.
Les effets principaux sont évidemment ceux correspondants aux nécessités évoquées ci-desssus : préserver les ressources humaines et planétaires.
Les effets secondaires seront nécessairement une décroissance économique de nombreux secteurs. Même s’il est hors de question de viser une baisse du PIB de l’industrie du soin, le modèle de pensé que nous promouvons engendrera nécessairement une baisse d’activité de ce secteur. Pour le plus grand bien de tous, car ça répondra aux nécessités évoquées ci-dessus. Ce n’est pas une décroissance nécessaire comme l’est celle de l’empreinte environnementale, mais elle sera quand même. Il en est de même pour les secteurs agro-alimentaire, énergétique, du transport, de l’habitat, médiatique, de l’équipement ménager, etc… Et on ne peut que s’en réjouir.
Et pour ce qui est de la question du « chômage », que je vois venir, elle trouvera une réponse à travers le débat sur le « rôle du travail dans le partage des ressources » qui devra être engagé simultanément aux autres Peut-être même qu’on pourra envisager le décroissance d’une certaine forme de travail.
Certes, il est vrai que ce paradigme de la Décroissance est inachevé. Le chantier est immense.
Et aujourd’hui, il est un peu bloqué. Pour avancer encore, il doit investir le grand public. C’est là que la Décroissance est confrontée à la … frilosité (pour être correct) complaisante des médias
On nous laisse nous exprimer, toujours en déconnection de l’actualité chaude, juste assez pour mieux nous fagoter dans notre ghetto, par des (re)présentations caricaturales et des amalgames, car toujours présentée comme « Alter », « à coté », n’engageant que ceux qui s’y engagent. D’ailleurs, « c’est vrai qu’ils sont biens sympathiques et dévoués ces adeptes de la simplicité volontaire. Biens inoffensifs ».
C’est aussi pour cela que la Décroissance est politique : elle doit utiliser le système politique, tel qu’il est actuellement, et sans scrupule, pour se tourner vers le grand public. Pour réellement investir le débat public, ailleurs qu’entres déjà-initiés.
Un premier pas important serait qu’il y ait des listes de la Décroissance qui se présentent aux prochaines élections Européennes. L’occasion rêvée pour affirmer que la Décroissance se pense globalement, qu’elle est loin de correspondre à un repli sur soit, même si elle prône la localisation de certains échanges.
Oui, il faudrait des listes de la Décroissance aux prochaines élections Européennes !
Stéphane MADELAINE
Candidat aux élections législatives 2007 et cantonales 2008 au Havre
http://decroissance.lehavre.free.fr/elections.htm
http://decroissance.lehavre.free.fr/accueil.htm
Nous sommes trop nombreux et trop gourmands , comme le pense Claude Levi-Strauss .A défaut d’une conquete spatiale, il faut prendre conscience des limites de notre planète et s’y adapter si nous ne voulons pas connaitre le syndrome de l’ile de Paques.L’idéologie de la décroissance tient dans la limitation de l’empreinte écologique individuelle pour permettre à un grand nombre de personnes de vivre dignement avec une quantité de ressources limitées.Cette voie ne peut se réaliser que sous la contrainte des réalités.
@ Alain A
Vous dites :
« des activités de leur choix » : comme je le disais plus haut, il me semble qu’une grande partie du problème se trouve là. Quelles activités ?
Quand on discute de réduction du temps de travail avec un opposant à cette idée (et qu’est-ce qu’ils sont nombreux !), les résistances portent toujours dans un premier temps sur la faisabilité économique. Lorsqu’on arrive à convaincre que c’est techniquement faisable et même nécessaire, le blocage persiste, non argumenté explicitement. Nous avons un rapport au travail assez curieux. Les vacances sont acceptées, voulues, a priori parce qu’elles sont perçues comme la contrepartie des efforts fournis au travail. Mais l’idée de travailler moins de façon globale, en général ça ne passe pas. Je ne sais pas si des sociologues ont planché là dessus ; est-ce la peur de se retrouver « autonome » ? est-ce une question de morale ? Est-ce le même problème que les retraités qui dépriment car se sentant inutiles et ne sachant que faire de leur temps libre ?
Merci pour votre texte très intéressant.
Bonjour à tous,
Je vous retrouve avec plaisir, après avoir été victime de la mise à jour des pages du blog (je le croyais fermé).
Les derniers échanges que nous avions eu sur la difficulté à changer l’organisation de la société et la répartition de la richesse en stock (inflation ou déflation) et en flux (rémunération élevée des fonds propres, au détriment de la part dévolue aux actifs) me semblait aboutir à la nécessité de disposer d’un parti (progamme, cadres, ressources financières, relais d’opinions) pour aboutir.
En prolongeant la réflexion, il m’aaparaît:
1- Toute crise majeure marque la rupture d’équilibres et ne se résoud qu’en trouvant un nouveau barycentre des intérêts (politiques/économiques) et des attentes (demande politique/sociale);
2- Selon que la demande politique, exprimée au travers de mouvements sociaux, sera plus ou moins forte le nouvel équilibre sera proche du système actuel (solutions rustines avec la réapparition d’un état provisoirement fort permettant de remettre en selle, cahin caha, le modèle actuel) ou d’un système marquant une rupture plus nette (que nous ne pouvons imaginer à ce stade) qui dépendra de la suite des évènements (cf. 3).
3- L’organisatiopn finale dans le cas d’un changement de système ne peut être anticipée car elle dépend d’accidents dont l’enchainement et la chronologie déetrmine leur priorisation et, in fine, l’équilibre final qui en émergera. Or la nature et la chronologie de ces évènements sera fonction de comportements humains, avc tout le charme aléatoire de l’apparition de leaders charismatiques et de mouvements violents qui voudront faire pencher le système vers telle ou telle pente. En période de crise, plus qu’en tout autre, ce sont les extrêmes qui emportent le mouvement. Aussi, le cercle socratique ici réuni ne sera pas l’acteur, mais le spectateur, du nouvel équilibre qui sera trouvé.
Au total, le nouvel équilibre du système qui résultera de la crise, ne peut être anticipé par le raisonnement puisqu’il sera le résultat aléatoire de comportements humains extrêmes.
Néanmoins, au climax de ectte crise, l’existence d’un corpus de pensée, constitutif d’un programme politique acceptable sera le pivot d’une refondation à laquelle nous pouvons tous trvailler dores et déjà.
Paul, vous le savez, le livre auquel je travaille partait de ce que l’on constate aujourd’hui et j’ai déjà beaucoup travaillé aux scénarios de la fin du film (fin du roman).
il faut probablement s’ attendre a la survenue d’ événements extremes a fort impact, imprévisibles, et pour lesquels on cherchera une explication a posteriori. Ces événements rares sont appeles « Cygne Noir » par Nassim Nicolas Taleb.
Je n’ ai pas fini l’ ouvrage, Paul l’ a t’ il lu ?
@ olivier, A-J Holbecq et TL
Avec retard, ayant subi aussi les problèmes techniques du blog…
J’ai sollicité la région Rhône alpes (soutien financier) pour l’action suivante :
Sur 2 communautés de communes lancer l’expérimentation suivante : sur chaque commune réunir les élus locaux et la population en salle des fêtes et s’appuyant sur l’évidente inquiétude des gens (le ciel va t il nous tomber sur la tête ?) et sur l’infini richesse des doc vidéo sur le net , proposer un bilan participatif GLOBAL , chercher à faire apparaître la logique systémique ; Relier diagnostic global au local grâce à des mini vidéo reportages interviews ; Puis : chercher à s’organiser localement .
Bref démarrer une dynamique de réflexion /action participative, en direct, hors cadres, décloisonnée …. hors cadre ? Pas vraiment : le cadre de ces « travaux » est communal, intercommunal, un cadre « public » de démocratie participative permettant aux citoyens et à leurs représentants de réfléchir en direct au bilan et choix de société.Démocratie participative sur le sens et non gestion sectorielle.
Si l’expérimentation « prend » l’idée est d’essaimer.
Je suis preneur d’idées, conseils, participations au pilotage de l’action etc
A-J Holbecq merci pour le lien des “Transition Towns” que je ne connais pas ; mais j’ai un problème avec l’anglais et pas trop le temps de faire des efforts ; il n’existe pas de lien en français ? Ou de vidéos pour mes soirées?
@Alain A
Tu parles « d’autolimitation des besoins » . Il me semble qu’il y a deux chemins pour cela deux visions de la société en fait :
– on limite par la régulation ; les lois , les règlements régulent le marché ; c’est le libéralisme « moralisé ».
– On fait un choix global qui concrètement passe par une organisation relocalisée , c’est à dire géographiquement et donc physiquement contrainte. Marché , recherche scientique et technique , gouvernance etc s’inscrivent dans ce cadre nouveau, dans ce paradigme nouveau . Ce qui n’exclut pas au contraire l’échelon national , les échanges européens et internationaux mais inscrits eux aussi dans cette nouvelle visée d’une mondialisation relocalisée.
@Di Girolamo
Un petit dossier en français téléchargeable sur http://www.societal.org/docs/transitiontowns.doc (pas de piège viral, c’est mon site)
Sur « oléocène » plusieurs fils en parlent … faire une recherche dans le forum avec le groupe » transition towns » , et un fil en particulier ici: http://forums.oleocene.org/viewtopic.php?f=6&t=7011
@A-J Holbecq
Merci beaucoup ! Cela recoupe pas mal ma manière de voir les choses. C’est mystérieux comme fonctionne « l’esprit collectif » le fait que sur la planète sans se connaître et sans s’être consultés des individus ou groupes d’individus pensent la même chose.
Je me sentais un peu isolé sur ce projet et ces informations vont m’aider. Je pense que cette méthodologie (qui reste encore largement à mettre au point) inaugure une nouvelle gouvernance qui de fait s’inscrit dans et fonde un nouveau paradigme. On passe (d’un coup) d’une société libérale plus ou moins régulée en aval par des « représentants » et des experts afin de limiter la casse d’une économie mondialisée à une société pensée collectivement en amont par les citoyens et leurs représentants dans un cadre de relocalisations mondialisées.
Cela dit l’échelon et la nature du territoire a son importance : par exemple appliquer ces principes en simple milieu urbain se heurte à ce fait que les villes telles qu’on les connaît sont la résultante de l’industrialisation de masse reposant sur le pétrole ; de l’agriculture industrielle, de la grande distribution, de la centralisation de la production énergétique…. On peut penser qu’il va falloir revoir de fond en comble ces notions de villes/campagnes et inventer du neuf sous peine d’en rester à la déco verte.
Di Girolamo
Un autre document en français sur les « transition towns » …
http://transitionnetwork.org/Primer/Guide%20des%20Initiatives%20de%20Transition%2025-02.pdf
A-J Holbecq
Encore merci