Le VIX et la confusion des marchés

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

On parle beaucoup du VIX, (Chicago Board Options Exchange Volatility Index) ces jours derniers et je l’ai évoqué moi aussi. On l’appelle le plus souvent l’« indice de la peur », je l’ai appelé moi l’« indice de la confusion ». C’est un indice « de la volatilité du prix des options sur les 500 titres de société cotées aux États–Unis qui composent l’indice Standard & Poor’s 500 ». J’ai mis des guillemets dans la définition parce que ce n’est pas exact. Mais il aurait été beaucoup trop compliqué d’en donner une définition exacte d’emblée et il valait donc mieux commencer comme ça.

Le VIX a atteint vendredi son niveau le plus élevé jamais atteint. Le premier graphique le montre. Le niveau a déjà été très élevé dans le passé, comme lors de la bulle des start-ups, mais n’a jamais été aussi haut qu’avant-hier : 79,13, un gain de 16,7 % par rapport à jeudi.


© Bloomberg

Le deuxième graphique montre le pic précédent des années 1998-2003.


© Wikipedia

La volatilité, cela pourrait être aussi bien des mouvements essentiellement à la hausse, et cela ne suscite pas la peur mais la bonne humeur. Ceux-ci sont évidemment devenus assez rares.

Ensuite, il faut comprendre ce à quoi cette « volatilité » renvoie précisément. Il est question ici d’options, c’est–à–dire d’une transaction où le vendeur vend à l’acheteur le droit de lui acheter un produit – le « sous-jacent » – à une date convenue (ou à partir de maintenant : le cas des options européennes) et à un prix dont on convient maintenant. L’acheteur verse en échange une prime – comme une prime d’assurance. Les options qui sont gagnantes quand le prix s’apprécie sont appelées « call », celle qui sont gagnantes si le prix baisse sont appelées « put ».

Quand on parle de « volatilité » à propos d’options, il ne s’agit pas de mouvements à la hausse suivis de mouvements à la baisse et inversement : il s’agit de la valeur prise pas la variable « volatilité implicite » de la formule de Black-Scholes utilisée pour calculer le prix d’une option. J’ai déjà évoqué cette formule et ses problèmes dans Les modèles financiers entre Charybde et Scylla. Je rappelle brièvement que la formule est très inexacte : il lui manque une variable qui représenterait le profit du vendeur de l’option, elle repose aussi sur la supposition fantaisiste que le prix du produit évolue de manière telle que la distribution de ses variations est « normale » au sens statistique du terme.

On calcule cette « volatilité implicite » à partir du montant de la prime constaté : celui que le vendeur réclame. Et on retrouve dans la valeur « volatilité », en plus de la réelle volatilité du prix du produit sous-jacent (sa « vibration » : l’écart-type de sa variabilité), tout ce que la formule de Black-Scholes échoue à capturer : marge de profit et différence entre la distribution réelle de l’évolution du prix du produit et une distribution « normale ».

C’est dire qu’il n’est pas très clair ce que cette « volatilité » représente réellement. Elle reflète en tout cas l’augmentation du prix de la prime réclamée par le vendeur de l’option, c’est–à–dire, son interprétation subjective du risque croissant qu’il prend en la vendant, d’où la justification de lire dans le VIX – en simplifiant radicalement les choses et si vous me pardonnez l’expression – un « trouillomètre ».

Est-ce à dire que le risque de krach augmente quand le VIX grimpe ? Pas nécessairement, cela signifie simplement que la confusion est grande parmi ceux qui sont présents sur le marché quant à l’évolution du prix. Mais il ne s’agit pas d’une confusion « confiante » due à la présence d’une moitié d’intervenants qui pensent arrogamment que le prix va monter et d’une autre qui sont sûrs qu’il va baisser, non : il s’agit d’une confusion due au fait que les intervenants sont prêts à croire n’importe quoi et changent d’avis au moindre bruit de couloir. D’où les grands mouvements à la baisse, suivis de grands mouvements à la hausse, qu’on a constatés au cours des dernières semaines.

Quelles en sont les conséquences ? Le nombre des intervenants se réduit, et les fortunes se concentrent dans les mêmes mains. Ceci du moins sur les marchés à somme nulle comme les marchés à terme. A la bourse, le marché peut baisser tellement que les pertes globales compensent l’effet de cette concentration. Pourquoi le nombres des intervenants se réduit-il ? Parce que ces grands mouvements dans tous les sens balaient ceux qui se trompent et qui se trouvent éliminés. C’est une chose qui était très bien apparue dans les résultats d’ une simulation que j’avais écrite : si on ne trouve pas de nouvelles recrues, le nombre de participants diminue régulièrement, à mesure que ceux qui ont épuisé leurs fonds disparaissent.

Le VIX ne porte que sur les marchés boursiers mais pensons un moment à l’effet de la volatilité sur la crise en général. Je prends l’exemple du pétrole, la bulle spéculative qui a crevé en juillet.


© Digital Look

La bulle gonfle, gonfle, les compagnies aériennes sont dans leurs derniers retranchements, les constructeurs automobiles américains ne parviennent plus à vendre ni leurs pick-up trucks, ni leurs 4×4 : ils sont au bord de la faillite. En juillet, le prix du brut dégringole, entraînant la bourse à sa suite – sans que cela donne pour autant la moindre envie à quiconque de racheter une 4×4 parce que chacun sait que les prix jouent désormais au yo-yo, dévastant tout sur leur passage, à la baisse aussi bien qu’à la hausse ! Il y a engendrement du négatif par le négatif et c’est ça que le VIX révèle. Le fait qu’il ait battu un record vendredi ne présage rien de bon pour la semaine qui s’ouvre.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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5 réponses à “Le VIX et la confusion des marchés”

  1. Avatar de AAT

    Buh…

    La volatilité sur les marchés optionnels c’est le prix réel de l’option.
    Qu’est ce qu’une option ? C’est juste une assurance contre un risque.

    Un contrat d’assurance avec ses caractéristiques : un sens (assureur, assuré), une définition du risque (suis je assuré contre le vol, le feu, une hausse, une baisse ?), un sous-jacent (qu’est ce qui est assuré), une échéance (jusque quand suis-je assuré), un niveau de risque (valeur de ce qui est assuré).. et une prime.

    Prenons une option sur actions : Si l’on achète (Je m’assure) un call (option d’achat – je suis assuré contre la hausse) sur la valeur xyz (sous-jacent), échéance décembre, prix d’exercice 100 (Le niveau au dessus duquel je veux être assuré) à $5 (La prime), ou prix d’exercice 110 (autre niveau de risque) à $2, on s’attendra (modulo de petits ajustements de calculs) à ce qu’ils représentent la même estimation du risque, c’est à dire le même potentiel de variation de l’action xyz d’ici décembre, mettons 30% annualisés (La volatilité est calculée en annualisé.)

    La prime dépend donc du risque., si le risque xyz monte à 40%, les options auront une prime de $8 et $3 sur les prix d’exercices respectifs.

    La prime, donc, est fonction directe comme démontré par Black&Scholes de l’expression mathématique de ce risque, cette expression est la volatilité, c’est à dire le potentiel d’écart par rappot à la moyenne.

    Le VIX représente la volatilité « implicite » (volatilité ou risque anticipé par le marché).

    Fus je clair ?

    Ps, que le VIX soit à un record implique que le marché s’attend à une marche de plus en plus brutale des cours.
    Par contre pas du sens qu’ils prendrons. C’est malgré tout un indice d’incertitude, donc pas bon.

  2. Avatar de AAT

    Oups, j’avais oublié une précision : le vendeur de l’option est l’assureur, la prime représente donc, non son profit, mais ce qu’il encaisse pour se protéger du risque.

    Les assureurs professionnels sérieux se réassurent afin de préserver leur marge (pas si grosse..)

    La crise est d’ailleurs due au fait que sur d’autres produits (Subprime, CDO, CDS, CFD…) d’ »apprentis assureurs se sont engagés et pas réassurés.. ( Voir notre tout nouveau blog : http://blog.asatys-consulting.com )

    Quand aux caractéristiques de l’option, il y a plein d’autres variables (par exemple le temps : le risque lointain est plus inconnu que le risque proche ..en principe).

    Enfin en ce qui concerne la loi normale, effectivement, elle est idiote sur les marchés : elle suppose des queues de distribution plates, or les queues de distribution sont épaisses (L’évènement improbable A LIEU).

    Pour les pros qui souhaiteraient en discuter, Asatys Consulting a développé un modèle tenant compte de cela !!!
    (pub, hi!hi!)

  3. Avatar de maquis29
    maquis29

    Bonsoir,
    comme on dit chez les d’jeuns « votre site y déchire ». Ce style c’est pour vous détendre, vous et tous les contributeurs…
    Je ne sais comment vous féliciter pour la qualité de votre blog.

    Par rapport à tous les sujets évoqués, je soumets les quelques remarques suivantes:

    Black and Scholes: est-ce encore pertinent? De mémoire, l’une des variables est le taux d’intérêt sans risque, comme des bons du trésor, mais ces derniers ne battent-ils pas la campagne? Pourriez-vous nous dire quels sont les fondamentaux sur lesquels l’économie peut actuellement reposer?

    La hausse du dollar: j’admets l’explication que de nombreux acteurs US vendent leurs actifs libellés en devises étrangères pour avoir des dollars. Est-ce uniquement pour régler leurs dettes? Que va-t-il advenir du marché des changes? Est-il encore le reflex de la réalité économique du pays ou le jouet du chaos actuel? Voir point ci-dessus.

    Pour offrir une tribune à vos idées, envoyez une lettre ouverte à tous les grands médias (europe, US, japan, china, russia, brazil…). Si le taux de retour n’est que de 5% (ce qui est la norme), vous allez déjà touché pas mal de monde. Be american, go for it. Do it. Be daring.

    L’économie, ce n’est pas du dur. Nous ne parlons pas de torsion de métaux ou de dilatation de gaz. Il s’agit d’êtres humains. D’affects, dégoïsme, de grandeur et de bassesses. Il est donc normal que l’estomac réagisse. Voilà pour mon côté stroumpf à lunettes.

    A lire un papier intéressant sur le monde. On peut espérer qu’il soit lu…
    http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/10/27/il-faut-sauver-l-economie-reelle-par-juan-somavia_1111482_3232.html

    A propos du flux de commentaires/liens/infos.
    Si nécessaire, stoppez les posts. Un filtre par des personnes habilités, pourquoi pas. Mais n’oubliez pas votre but premier. Communiquer vos analyses/propositions. Donc laissez « tomber » les commantaires de ce blog. AAT peut très bien me répondre à propos de Black & Scholes.

    Cordialement

  4. Avatar de Alexis
    Alexis

    Une question : l’augmentation du prix du pétrole n’est-elle vraiment qu’une spéculation de plus ou bien… le début du « peak oil » ? C’est un gros mot, je sais, et les membres de l’ASPO ne sont qu’une bande d’imbéciles pessimistes, de fieffés Cassandre en d’autres termes.
    A lire la presse du mois de juillet (production maximale journalière atteinte ? 85 millions de barils/jour ?), mais surtout à prendre conscience de la finitude de nos ressources naturelles, on douterait à moins de la version purement spéculative et boursière de l’augmentation du prix du pétrole (constante depuis 1998).
    Ne peut-on lire la crise actuelle comme la conséquence de ce pic de production atteint ? Le pic de production d’une matière première
    ne signifie pas bien sûr la fin du pétrole (ou du charbon, ou du gaz ou des minerais de ceci ou de cela), mais « simplement » l’impossibilité à extraire PLUS, ou plus trivialement dit, la fin de la croissance de leur « production » (extraction serait plus judicieux !).
    Or… plus de croissance matérielle possible… plus de croissance financière possible non plus !
    Le site de JM Jancovici http://www.manicore.com est à visiter de toute urgence. Je me permettrais de conseiller particulièrement ses conférences et surtout ses cours donnés au printemps dernier à l’école des Mines à Paris : 16 h de cours enregistrés ainsis que les power points qui vont bien sont téléchargeables ici : http://www.ensmp.fr/ingenieurcivil/SitesIC/Balado/Climat_som.html

    Le pétrole baisse ? Normal, sa consommation a elle aussi chutée ! Relançons l’économie en jouant au New Deal et sa consommation repartira en flèche, suivie de son cours ! C’est la loi du marché, non ? Et l’économie replongera ! Il faut se rendre à l’évidence : la croissance, c’est fini ! Rien d’idéologique dans cette remarque, c’est bêtement mathématique, donc bassement matériel. Il est temps de prendre conscience de l’horreur de cette notion destructive « La Croissance « .
    Petit exercice pour conclure : prenez une cuve de 1024 litres,
    1 – ponctionnez un litre par jour : en combien de jours est-elle vide ?
    2 – ponctionnez 10% de plus par jour : en combien de jours doublez vous (deux litres/jours) votre consommation, et… en combien de jours videz vous la cuve ? (10% annuels c’est la croissance rêvée de nos économistes, celle de la Chine).

    Allez, tous à vos calculettes !

    Et l’on parle des conséquences de la chute des places boursières sur notre quotidien trivialement matériel ? Et s’il s’agissait plutôt de l’inverse ?

  5. Avatar de AAT

    @ Maquis29
    B&S, ça marche …Quand les marchés ne bougent pas beaucoup… ou sont tranquillement sur une tendance stable.
    La composante taux ne marche pas trop bien quand ceux-ci deviennent fort chers (Et ont une volatilité de folie.)
    Ma boite a travaillé sur un modèle à base de lois levy-stables qui tient compte de la tendance & des queues de distributions épaisses, mais dans ce cas le modèle finit par prévoir un mouvement sans fin….
    Tout cela explique d’ailleurs une partie du VIX : les modèles n’aident plus trop, voire plus du tout, donc mieux vaux prévoir le pire, à la louche !
    On en arrive bientôt à des options plus chères que le sous-jacent !!!

    Petite remarque intéressante « techniquement » : les marchés évoluent historiquement dans des couples volatilité/tendance, un changement de l’un accompagne un changement de l’autre, ce qui invalide les théories de marche au hasard.

    Oups, sorti de cette petite parenthèse « académique », je vous rejoint tout à fait sur « L’économie, ce n’est pas du dur. Nous ne parlons pas de torsion de métaux ou de dilatation de gaz. Il s’agit d’êtres humains. D’affects, dégoïsme, de grandeur et de bassesses. Il est donc normal que l’estomac réagisse. »

    En tant l’opérationnel sur les marchés, j’ai vu au cours des 10 dernières années des ingénieurs stratomathématiciens sortis du berceau modéliser à fond. Ancien trader options, je ne comprenais pas le moindre mot de leurs explications…

    Ils faisaient partie d’une évolution qui remplaçait les sciences humaines par les sciences mathématiques.
    Et les opérateurs qui s’intéressaient à la finance comportementale étaient pris pour des rigolos.

    Les fondamentaux ? ce sont simplement les règles d’organisation et de management qui font qu’un process doit être préparé et testé de bout en bout, qu’un opérateur doit être formé.
    Bref qu’il faut du temps pour opérer en sécurité. (La Nasa l’avait oublié, ça a donné Challenger..)

    Pour les marchés, les fondamentaux, c’est l’organisation et la structure : les échanges doivent être centralisés, normalisés et connus de tous… Rien qu’avec cela, on peut voir ou sont les risques.
    (La crise actuelle c’est aussi tout simplement des risques de gré à gré enregistrés hors bilan : donc personne ne sait ou ils sont ni leur taille, ce qui suffit à faire se méfier de tout le monde !)

    Voili, voilà

    PS Je discutais il y a 3 semaines avec un cadre senior de Fortis qui me disait que quand il avait commencé, un rédacteur de crédits devait faire 3 ans d’ »écolage » avant que de commencer à être opérationnel. Récemment on confiait à de jeunes ingénieurs sortis d’école un PC et on leur demandait de créer un « modèle » pour la moitié des crédits d’une banque…

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