Casamance : Des coquillages dans le béton

Sur un sujet qui m’est cher, mon invité d’aujourd’hui : Laurent Piolanti, ses photos vous sont familières, elles parlent de la condition humaine et en disent long sur les progrès qui nous restent à faire pour émerger enfin de la préhistoire.

La Casamance a gardé son naturel mélancolique bercé par le grand fleuve et l’abondance d’une nature encore préservée. Les Diolas et les autres ethnies animistes, Mandjacs, Mancagnes, premiers occupants de la région cohabitent avec les Wolofs majoritairement musulmans venus du nord.

Et puis vient la guerre avec son cortège de misères et de souffrances. Des hôtels vides et des touristes en fuite … une région enclavée, minée, presque oubliée de tous… et la catastrophe du « Joola » qui l’endeuille irrémédiablement et l’isole encore plus du nord du pays.

Puis le calme revient, les « rebelles » les plus va-t-en guerre se fatiguent. La paix donne la force d’y croire à nouveau et se transforme peu à peu en un véritable fond de commerce avec ses dérives : villages réhabilités qui n’existent pas, promesses politiques sans lendemain …

Bientôt s’organisent de véritables expéditions de pirogues bondées qui essayent désespérément de rejoindre les Canaries et l’Europe. Les prétendants au départ affluent de toute la sous-région. Les Diolas moins crédules et bon marin observent cette catastrophe et tentent de dissuader leurs enfants d’y participer. Seuls les plus chanceux arriveront à destination, les autres font naufrage prés des côtes ou sont recueillis sur les routes de navigation internationales. Pour nombre d’entre eux, le miroir aux alouettes de nos sociétés riches n’apportera que la mort. Mais qui n’a pas le droit de tenter sa chance ?

Le maillage ethnique complexe caractéristique de cette région enclavée fait perdre ses repères au plus stable d’entre nous. Fruit d’une longue maturation et entachée de fractures historiques et sanglantes, notre modèle démocratique ne se décrète pas, il doit se construire avec les spécificités, la culture et les traditions locales. Bien sur, l’échelle des besoins n’est pas comparable entre cette région en devenir et l’opulence de notre société de consommation. Deux mondes si différents avec ses liens de solidarités qui nous rassemblent et tant d’incompréhensions qui nous rassurent sur nos différences.

Il y a encore peu de temps la monnaie n’était que coquillages. Aujourd’hui le riz rose des Diolas qu’ils conservent précieusement dans les greniers, s’apparente à nos lingots d’or placés dans les banques. Mais ce riz, symbole de la richesse du village ne peut être vendu. Bien caché, même les coordinateurs du World Food Program ne peuvent l’évaluer pour en tirer des statistiques …

Et puis il y a la dette, le troc et les échanges qui régissent la vie de tous les jours. Les échanges de dettes sont d’ailleurs premiers au troc. L’argent quant à lui prend une toute autre signification puisque l’on ne se pose pas la question de savoir de quoi demain sera fait. L’idée même d’accumuler en prévision des jours difficiles, ne se pratique pas, ne s’imagine pas et dérange les croyances. Vivre comme le toubab, le blanc, c’est se faire rejeter de la communauté, être mis à l’écart et voir sa maison vidée des nombreuses visites qui rythme la journée.

Pourtant l’argent est là et bien la. En petite quantité certes, mais sa vitesse de circulation peut donner l’illusion qu’il en existe plus. Le constat est simple : puisque l’argent manque faisons le circuler rapidement pour que chacun le touche et le possède même 5 minutes dans une journée.

« Toubab denew nit », c’est-à-dire « le blanc n’est pas humain » reste l’expression positive consacrée pour représenter notre ingéniosité, notre savoir faire et notre développement, mais également notre non humanité. La crise économique que subissent les pays riches a déjà des conséquences en Casamance et au delà dans toute l’Afrique. Une chose est sûre toutefois, l’idée que les grands acteurs de l’économie mondiale s’appauvrissent et seraient au bord du gouffre est un fait totalement nouveau et incompréhensible pour l’Africain. Il ne la comprend pas et ne peut y croire. Comprendre c’est « se mettre à la place de », mais de qui, de quoi, comment comprendre que nous, pays riches, en soyons arrivés là ? Notre non-humanité aurait elle pris le dessus ?

L’occident tente d’apporter ses remèdes à une situation explicable, compréhensible. Certes, le comportement des acteurs économiques s’explique. Les intérêts seraient-ils devenus trop contradictoires entre les différentes logiques d’enrichissement et la valeur réelle du travail ?

Une seule certitude demeure aujourd’hui, « quand le riche maigrit, le pauvre meurt » (proverbe Africain) et la probabilité pour que l’Afrique se retrouve seule face à ses problèmes existe bel et bien. L’action du FMI et de la Banque Mondiale, souvent décriée à tort ou à raison, risque de se focaliser sur nos économies agonisantes. Le règne du « chacun pour soi » n’est pas forcement un handicap pour l’Afrique, peut être l’occasion de déterminer son propre destin en cohérence avec ses valeurs, même si cela se fera sans doute dans la douleur. Mais les atouts existent pour ce continent : richesses, générations jeunes en devenir, optimisme à tout épreuve et conscience bien réelle de notre condition d’être humain que l’on se doit de supporter et si possible, dans la joie.

LEGENDES PHOTOS

Casamance_1 : pirogue « Wonderful Jesus » / juin 2008
Village de Diogué à l’embouchure du fleuve Casamance. Vestiges du premier comptoir français et de son phare face à l’île de Carabane. Centre de pêche multi-ethnique, c’est aussi un point de départ pour les pirogues qui tentent de rejoindre les Canaries et l’Europe.

Casamance_2 : Travail des femmes / octobre 2007
Les femmes de Kafountine travaillent le Como. Ce poisson fumé sera expédié dans toute la sous-région. Utiliser en poudre, il apportera le complément en protéines indispensable pour les peuples qui n’ont pas accès à la mer.

Casamance_3 : inspection des impôts / mai 2008
Les bâtiments administratifs et les édifices coloniaux de Ziguinchor (capitale de la basse Casamance), ont conservé leur charme mélancolique, vestige d’une autre époque.

Casamance_4 : « les nécessiteux » / octobre 2007
En période du Ramadan il est de tradition d’aider les nécessiteux et les handicapés qui se pressent devant les demeures des plus riches pour attendre la distributions de sucre, d’huile et parfois même d’un peu d’argent.

Casamance_5 : Ecole coranique / avril 2008
Les confréries musulmanes, Mourides, Tidjane et Laye envoient les enfants suivrent l’étude du Coran. Cet apprentissage inclut une période plus ou moins longue ou les petits « talibés » seront confrontés à la quête et devront apporter le maigre résultat de leurs journée (quelques morceaux de sucre, un peu de farine, etc. …) à leur marabout.

Casamance_6 : Récolte du riz / septembre 2007
La récolte du riz dans le village animiste d’Itou est un évènement festif. Seules les femmes y participent en chantant. Ce riz rose d’une qualité nutritive sans équivalent ne sera jamais vendu.

Casamance_7 : Enfants des rues / mai 2008
La puissance joyeuse et conquérante des enfants des rues de Ziguinchor est une source d’espoir infinie pour l’avenir de la région.

Copyright : Laurent Piolanti – Tous droits réservés

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7 réponses à “Casamance : Des coquillages dans le béton”

  1. Avatar de Dimezzano
    Dimezzano

    Ce texte est trés beau.

    Merci beaucoup.

  2. Avatar de Dimezzano
    Dimezzano

    « « Toubab denew nit », c’est-à-dire « le blanc n’est pas humain » reste l’expression positive consacrée pour représenter notre ingéniosité, notre savoir faire et notre développement, mais également notre non humanité. » ….

    Quelle tristesse et quelle honte pour nous …..

  3. Avatar de emmanuel
    emmanuel

    Ca fait plaisir de savoir que des humanistes (quoique toubab !) sont près d’ici (Dakar) Magnifiques images aussi
    Les grands risques actuels sont davantage en ville qu’en zones rurales, les risques de FAMINE existent en ville et un ami sénégalais m’a raconté comment l’angoisse a envahi les quartiers de DK « on va mourrir »… Il y a aussi une dimension de politique intérieure à souligner considérée lagement ici comme déterminante

  4. Avatar de Jean-Baptiste

    J’en reviens à l’ »Egalité » telle que la voie beaucoup de gens. Personnellement je crois en l’égalité des droits et des devoir sachant que dans l’égalité de droit il y aurait celle de disposer de revenus correspondant aux compétences et à leur transformation en richesse. Aujourd’hui le Français se sent souvent l’égal des autres français dans un sens qui n’a plus grand chose à voir avec la devise qui se voulait applicable à l’Humanité dans son entier et notre regard sur l’Afrique reste globalement paternel et donc déplacé. Comme le disait Coluche d’une certaine manière on est tous égaux mais il vaut mieux être le plus « normal » possible au sens tant du comportement (ce que l’on fait) que de ce que l’on est. On finit par avoir une vision égalitariste niant les différences. Aujourd’hui près de 7% de l’humanité ayant existé est vivante (près de 7 milliards d’humain sur 100 milliards au total ayant vécu) et dans l’histoire connue on approche plutôt des 20%. Mais où sont les Mozart, Beethoven, Einstein, Curie, Edison, Michel Ange ? Léonard de Vinci aujourd’hui ??? Ils devraient être représentés à peu près dans la même proportion soit environ 20% de ceux ayant existés ! Non, ceux que l’on nous montre aujourd’hui c’est « Monsieur tout le monde » qui chante, qui peint… mais surtout pas quelqu’un de vraiment brillant puisqu’il est forcément différent et donc hors norme ! On préfère abrutir la masse en lui faisant croire que tout le monde est pareil et aujourd’hui on massacre les meilleurs que l’on cache, ou que l’on empêche de gagner leur vie. Tout le monde dans ce système croit qu’il est pareil à Léonard de Vinci alors qu’il ne créera rien ou peu. L’utilisateur de la voiture « croit » qu’il l’a inventé de même que l’ampoule électrique ! On finit aussi par élire des gens qui nous « ressemble » et non pas non plus les meilleurs puisque par définition ils sont hors norme. Personnellement je souhaiterais que les gens qui s’occupent de la politique aient des capacités supérieures à la mienne dans le domaine qui les concerne pour gérer un pays ! Egalité oui mais surtout pas l’égalitarisme qui commence sérieusement à miner nos société et qui fait croire à « Monsieur tout le monde » que la seule différence entre lui et quelqu’un de riche c’est le hasard ! Mais hélas aujourd’hui de plus en plus c’est en effet le hasard de vos relations et de votre famille qui vous donne plus de revenus. Sans vouloir dénoncer, une maîtrise de Psychologie vaut sur le marché le SMIG ou le chômage mais quand on est dans les relations d’un président de la république cela vaut plus de 3000 euros NET par mois. Alors on peut soit dire que la personne est compétente mais alors pourquoi nous ressasse t-on tout le temps qu’il faut des formations puisqu’ apparemment la personne était apte à occuper la place, soit qu’en effet c’est bien par relations voire par pistons que l’on peut avoir accès à certain poste malgré le discours parlant de mérite ! Attention cela se retrouve aussi bien à gauche qu’à droite, dans les entreprises ou même dans la fonction publique. La majorité à admis que le statut social vient de la loterie et non du mérite par le simple fait que cette même majorité croit que tout le monde se vaut quoiqu’il fasse. Cela pose des questions sur l’évolution d’une telle société qui « croit » bêtement non plus en Dieu mais dans des croyances consensuellement admises mais qui sont le plus souvent purement fausses mais rassurantes au niveau de l’individu qui se sent l’égal d’un génie en n’en ayant jamais fais le travail et d’autres que l’on nous fait passer pour des génies en nous collant l’étiquette dessus à coup de publicité en nous montrant non pas ce que la personne à d’exceptionnel mais bien ce qu’elle fait comme tout le monde ! Oui le génie allait au toilettes mais ce n’est pas parce que vous allez aux toilettes que vous êtes un génie c’est bien par la quantité de travail et de création réellement visible (quand on regarde) et non pas cachée comme on nous le fais aujourd’hui croire parfois devant certaines œuvres d’art contemporaines où l’on demande au visiteur ou à l’auditeur de faire le travail à la place de l’artiste alors que celui ci devrait ressortir de l’œuvre grâce justement au travail et à la créativité de l’artiste.

    Espérons en tout cas que nos sociétés ne soient pas normatives et acceptent les différences quel qu’elles soient et que l’on valorise la différence de ceux qui FONT plus ou mieux sans mépriser les autres, car en effet rien n’empêche de juger les gens sur ce qu’ils font et surtout que l’on ne juge pas les gens sur ce que l’on suppose qu’ils sont ou qu’ils sont.

  5. Avatar de brazza
    brazza

    Très beau texte pour commencer la semaine. Ayant moi-même vécu pas mal d’année dans ce que l’on appelle le tiers monde, en fait parmi des gens pour qui la monnaie est rare et jamais thésaurisée, des gens qui ne sont pas donc dans la société de consommation à l’occidentale; mon retour parmi les « miens » fut l’occasion d’être stupéfait de la morosité ambiante dans nos sociétés. a tel point qu’une maladie dont j’avais oublié jusqu’à l’existence, semble îci le sort de toute personne qui ne se surveille pas, je veux parler de la dépression .

    Quelle force et quel bonheur de cotoyer ceux qui n’ayant rien à perdre, profite de ce qu’ils ont !!!

  6. Avatar de emmanuel
    emmanuel

    @brazza
    Quelle force et quel bonheur de cotoyer ceux qui n’ayant rien à perdre, profite de ce qu’ils ont !!!
    jusqu’à un certain point… la consommation, l’ostentation, le matraquage télé, la répression, la domination,
    etc. se sont également bien répandus aussi… Mais je suis d’accord qu’il reste encore beaucoup de ressort et
    d’humanité surtout en dehors des villes. La Casamance est un paradis, au moins à certaines heures et en certains lieux…

  7. Avatar de spartel
    spartel

    Ce texte est magnifique, terriblement humain, d’une grande tristesse et d’un espoir fou.
    Parfois, dans ces moments là, je me dis avec Ph Murray ( 1946-2006),
     » la perspective de pouvoir me désolidariser encore de quelques-unes des valeurs qui prétendent unir tant bien que mal cette humanité en déroute est un des plaisirs qui me tiennent en vie. Aucun monde n’a jamais été plus détestable que le monde présent. Mais ce monde a quelque chose de bon : il suffit de le considérer pour être aussitôt guéri de l’antique peur de le perdre.(…)
    Cette planète reformatée a au moins réussi un exploit, celui de vous ôter toute peine d’en être un jour séparé. »
    Alors il reste à comprendre. Merci à Paul J qui y participe grandement, donc à la vie.

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