Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Malgré sa faible notoriété auprès du grand public, Olivier Blanchard a été choisi pour devenir, le 1er septembre, chef économiste du Fonds monétaire international (FMI). Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du Fonds, l’a distingué « parce qu’il est l’un des meilleurs économistes » du monde, et même l’un des rares Français « nobélisables ». Il attend de lui qu’il explique comment la crise née des prêts hypothécaires à risque américains a pu, en un an, déboucher sur un ralentissement mondial. Avant de dispenser ses conseils au monde entier, le FMI doit comprendre le phénomène et, soupire Dominique Strauss-Kahn, « nous avons très peu de matériaux théoriques sur cette crise ». Le Monde
Olivier Blanchard est donc devenu chef économiste au Fonds Monétaire International pour « qu’il explique comment la crise née des prêts hypothécaires à risque américains a pu, en un an, déboucher sur un ralentissement mondial ». Honnêtement, je ne connaissais son nom que de l’avoir un jour vu dans une liste de néo-keynésiens. Ceci dit, cela ne veut rien dire : je lis très peu ce type de contributions à la « science » économique. Lisant sa biographie, je vois qu’il est un homme du sérail, étant passé d’une position prestigieuse à une autre. La seule chose que je puisse y lire est qu’il ne s’agit sans doute pas du représentant d’un courant très révolutionnaire : quand vous travaillez à un nouveau paradigme, vous remettez en cause la validité de ce que font tous vos confrères et vous êtes rapidement expulsé par eux de la communauté de votre discipline. Cela m’est arrivé en anthropologie en 1986, avec un article intitulé Reprendre à zéro (L’Homme, 97-98: 299-308). Le titre de l’article était très clair quant à mes intentions et personne ne s’y est trompé parmi mes confrères. Vous êtes aussitôt promu au statut de « chercheur indépendant », c’est-à-dire de chômeur intermittent professionnel.
La renommée qu’on acquiert quand on l’acquiert, on l’obtient alors du public, avec l’aide des journalistes, qui ne sont pas aussi chiches eux à vous reconnaître comme l’un des leurs. Et cela, c’est une leçon très importante, qui n’est pas passée inaperçue des historiens des sciences : les changements de paradigmes ont lieu à partir de l’extérieur des disciplines, et c’est le public qui les notent. Celles-ci se retranchent alors sur leurs positions et c’est le nouveau paradigme qui fonde un nouveau « champ scientifique » centré sur lui. Comme l’avait fait remarquer Max Planck : les nouvelles théories ne triomphent pas parce qu’elles convainquent leurs adversaires mais parce que ceux-ci meurent de vieillesse.
Le cas de Paul Krugman est intéressant de ce point de vue là : doit-il son prix « à la mémoire d’Alfred » Nobel à ses travaux sur les économies d’échelle plutôt qu’à ses chroniques dans le New York Times ?
A propos de l’entretien d’Immanuel Wallerstein, un sociologue, avec Antoine Reverchon dans Le Monde Le capitalisme touche à sa fin, je crois personnellement que les cycles de Kondratieff qu’il évoque sont des artefacts : les systèmes économiques et financiers sont complexes et donc nécessairement exposés aux accidents (et cette fragilité ne cesse de grandir avec leur complexité croissante). Quand un accident a lieu, on mobilise les moyens du bord et on finit par sortir de la crise – d’une manière qui est chaque fois différente. Si l’on se retourne alors pour porter son regard sur le passé, on pourra toujours – comme avec le marc de café – y lire quelques configurations : des « cycles » faits de stabilité, de catastrophe, puis de récupération. A mon sens, cela ne prouve rien, sinon qu’on est toujours parvenu à replâtrer – jusqu’ici ! La durée de la prochaine plage de stabilité dépendra de la qualité du plâtre. Pour faire mieux que la fois précédente, il vaudrait mieux faire un saut qualitatif : passer du plâtre au béton, par exemple. Pour prendre le présent comme illustration : la finance va tenter de se recomposer a partir d’un secteur bancaire essentiellement nationalisé et tout dépendra de la qualité des réformes internes à la finance qui seront faites : si elles sont superficielles, il ne faudra pas longtemps avant qu’on ne voie apparaître de nouvelles fissures. Il faudrait que les réformes soient au contraire en profondeur : mais eh ! cela sera très difficile : « nous avons très peu de matériaux théoriques sur cette crise » ! Vous voyez ce que je veux dire : il vaudrait mieux confier les réformes aux économistes qui doivent leur notoriété au public plutôt qu’à leurs confrères.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
19 réponses à “Krugman, Wallerstein et Blanchard”
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Votre idée de nouveau paradigme me plait. Evidemment c’est ce que je préconise. A mon avis il ne viendra pas des sciences dites humaines dont fait parti l’économie politique. D’où alors? La finance moderne hyper mathématisée nous donne à mon sens la direction à suivre et aussi l’embranchement à ne pas prendre.
C’est à dire une approche scientifique mais sans les excés de mathématisation. Comme à mon sens les sciences naturelles ne sont qu’un cas particulier des sciences de l’homme, je propose d’utiliser la méthode scientifique dans les sciences dites humaines. A mon avis l’humanité en traitant les sciences dites naturelles à fait le plus facile. L’humain dans ces différents aspects est d’une autre compléxité.
Qui plus est devenant objet d’étude il perdra d’emblée cet anthropocentrisme qui lui à fait considérer la planète comme un consommable. La base de départ est que l’humain est bien un être biologique, un animal, mais qu’il y a un saut entre les capacités de l’ homme et celles de l’animal. Capacités s’exprimant dans les cultures humaine, domaine inaccessible aux animaux. Ce qui ne donne aucune supériorité à l’homme. Mais une différence. Animal oui mais pas seulement.
Il me semble que les cultures humaines sont le résultat de l’expression de la rationnalité inhérente à l’humain. Cette rationnalité dépendante du cortex, est développée tout au long du développement du petit d’homme. Je dis bien les capacités sont la mais il faut les développer pour les actualiser dans la vie de tous les jours.
Cette rationalité on la retrouve dans la logique, mais aussi dans l’art, la politique, la loi. Ce sont les relations contradictoires (dialectiques) entre par exemple, la personne et la collectivité qui me paraissent les relations fondamentale organisant notre vie intime tout autant que notre vie sociale.
L’analyse des termes et des relations dans les différents plans de la rationalité doit pouvoir fournir des modèles fiables qu’il faudra valider par l’expérimentation puis qui seront utilisables. Par exemple l’étude citoyen/état, pourrait permettre de mieux modéliser la vie politique. Ce modèle pourrait etre testé dans les partis politiques qui y gagneraient une vrai légitimité. Les résultats seraient tangible avant de passer aux urnes, et pas cinq ans après. On y gagnerait en humanité car actuellement et historiquement les gouvernements ont toujours prouvé leur illégitimité.
Voila une ébauche d’un nouveau paradigme qui pourrait vraiment renouveler nos communautés tout autant que nos personnes.
Bernard.
Pour le coup, on parlait de Sraffa la dernière fois, eh bien même si je pense que Krugman est l’un des meilleurs économistes du moment, il faut quand même reconnaître qu’au lieu de lire Marshall pour transposer les concepts d’économies d’échelle internes et externes au commerce international, eût-il lu Sraffa [1926] il serait en plus arrivé à se rendre compte que ces phénomènes ne se présentent pas sous une forme aussi caricaturale : ce n’est pas parce que deux entreprises produisent le même bien que leurs coûts s’amélioreront simultanément, mais parce qu’elles utilisent les mêmes facteurs de production. Si maintenant deux entreprises produisant le même bien n’utilisent pas les mêmes techniques (par exemple un producteur d’électricité issue du solaire, et un autre qui brûle du charbon pour en fabriquer), pourquoi diable devrait-il y avoir des économies d’échelle sectorielles ?
Franchement, Blanchard n’a pas révolutionné la science économique. Bon, sa théorie des bulles rationnelles est intéressante, elle lui vaudra sans doute le prix de la banque de suède en effet, mais on n’a pas été au bout des implications: l’élasticité de la demande aux prix est nulle voire perverse pendant la formation des bulles (la demande ne diminue pas voire augmente quand les prix augmentent, alors que tous nos équilibres généraux sont bâtis sur une demande décroissante en fonction du prix), et en allant plus loin, on se serait peut-être rendu compte que l’inflation elle-même ne peut survenir durablement qu’avec l’approbation passive de la demande, des consommateurs.
L’usage parfois fait des cycles de Kondratieff relève de la superstition. Ceci dit, l’idée de Wallerstein selon laquelle la véritable crise vient de la lutte interne pour décider par quoi remplacer un système qui dévie trop souvent de son orbite souhaitée est intéressante.
Il faut sans doute comprendre, d’une part, qu’ils n’ignorent pas, tout de même !, qu’il existe des « matériaux théoriques » mais, d’autre part, qu’ils ne sauraient les recevoir puisqu’ils ne sont pas économiquement orthodoxes. En d’autres termes – c’est, je crois, ce que l’on appelle un « double-bind » -, d’un côté, première contrainte, bien réelle : le système ne marche manifestement pas ; de l’autre côté, seconde contrainte, socio-psychologique celle-là : il faut essayer de sauver le maximum possible avec les outils et les recettes qui ont pourtant mené là.
Mr Blanchard, quant à lui, a l’air de croire que c’est bien la faute aux pauvres s’ils sont pauvres, et d’abord parce qu’ils sont fainéants et trop « protégés » ; il veut faire l’original mais d’autres imaginatifs ont déjà prétendu que c’était parce qu’ils étaient fraudeurs, sans valeurs (depuis que l’ignoble Mai 68 est passé par là), ou noirs et « donc » polygames et autres absurdités dans ce goût-là ; et comme on essayait encore ces temps-ci de la bailler belle aux Italiens en leur faisant croire cette fois que c’était à cause des voleurs de poules et d’enfants. C’est encore bien cette même fine école qui clamait partout, il y a peu, que seuls les riches créaient de la richesse et que les pauvres ne servaient à rien.
Acta est fabula, on commence à voir qui s’est enrichi, sur le dos de qui, et avec quels moyens.
Que bâtiront-ils avec des « matériaux théoriques », s’ils en trouvent ? Leurs richesses sont faites de vent, leurs châteaux de sable… Prochaine métastase : les peuples?
Pour l’instant le plâtre consiste à boucher le trou des banques mais celles-ci prêtent moins. N’aurait on pas mieux fait de créer des crédits pour les entreprises avec ces fonds de façon directe que de réutiliser ces banques avec leurs travers ?
Le problème de tous ces économistes est simple. Cela est valable pour beaucoup d’écoles dans l’économie comme ailleurs. Le problème du moment est de créer quelque chose de nouveau et non pas d’appliquer des solutions connues. On ne peut pas trouver parmi des gens qui n’ont fait qu’appliquer des théorèmes depuis 10, 20, 30 ans ou plus des gens qui soient capables de les inventer. Un brillant interprète ne devient pas forcément un compositeur et quand il s’y risque il est souvent assez médiocre !
Je suis assez d’accord avec Jean-Baptiste, ils n’ont pas d’hypothèse(s) à théoriser (ils ne foute rien depuis 30 ans) et à experimenter. Par contre les relais de croissance sont là, les economies d’énergie, l’écologisme, nourrir les milliards d’humains, entre autre.
Je suis peut-être dans un domaine « d’expertise » différent (la physique) mais l’idée d’une sélection par la notoriété me fait froid dans le dos. Chacun son domaine de compétence, et ne risque t on pas de passer d’une sélection sur les idées à la sélection sur la médiatisation ? (Comme pour la politique, avec les effets que l’on sait…) Ne va t on pas passer d’un extrême à l’autre, de l’orthodoxie sclérosante à l’hétérodoxie spectaculaire ?
Scaringella: C’est tout de même un peu exagérer de prétendre qu’aucun développement n’a eu lieu dans la science économique ces 30 dernières années ! Pour preuve, la théorie des jeux, l’asymétrie d’information, et plus généralement l’économie de l’information et l’économie comportementale…
Quand à prêter directement de l’argent aux entreprises, à mon sens il y a un problème de montant global aussi bien que de diagnostic.
Oui Reiichido toutes mes excuses. Ces théories existent, mais ont elles étaient testée, experimentées au moins dans un labo ? Si on compare aux tests cliniques de l’industrie du medicament qui durent des années, les théories eco et/ou financières peuvent elles nous donner autanr de garantie AVANT de venir sur les marchés financiers, qui comme un médicament touche à notre quotidien??? Si qqun à des liens vers des expérimentations je suis preneur. C’est un peu celà que je voulais dire, mais j’ai fait trop court, mea culpa
Bernard
Les banquiers viennent de réussir un coup de maître !
Imaginez. Paulson appelle le président de Goldman Sachs fin août. La situation est devenue critique; Goldman est gagnant sur les CDS comme BNP ou JP Morgan, mais si la crise continue. On est allé trop loin. General Motors vient de frôler la faillite. La prochaine échéance lui sera fatale mais les banques ne peuvent plus le soutenir. Et si le géant de l’industrie défaille, les banquiers coulent avec et plus personne ne pourra lui payer ses gains à Goldman.
Il faut donc tenter l’impossible pour sauver le système. Lloyd Blankfein échaffaude un plan. Il faut faire peur aux marchés et surtout aux gouvernements. On désigne deux cibles : G. Bush aux Etat-Unis et N. Sarkozy en Europe, deux personnalités particulièrement receptives qui achèteront le scenario sans trop se poser de questions.
. Il faut une victime, ce sera Lehman à qui il est facile de couper les vivres. Une faillite propre qui ne doit pas en principe faire d’éclaboussure chez les petits épargnants. Paulson joue le jeu, l’Etat ne viendra pas à sa rescousse de Lehman qui doit se mettre sous la protection de la loi des faillites. Paulson et Bernanke pensent régler le problème très vite. Il en est persuadé, les Etats auront tellement peur qu’ils accepteront l’innaceptable : garantir toutes les dettes de la planête. Transférer au contribuable tous les risques de crédit que portent les banques. En un mot sauver le système bancaire et faire porter le poids des erreurs passées par les Etats, sans contreparties …. Fiction ?
La décision m’inspire ces réflexions:
1 Tout comme la guerre est trop sérieuse pour la laisser conduire par des militaires, l’économie est trop sérieuse pour la laisser aux mains des économistes.
2 S’il faut expliquer ce qui se passe au FMI, celui-ci ferait mieux de se dispenser de ses conseils. Et d’abord, de quel ralentissement parle-t-on? La terre tourne-t-elle moins vite? On ne nous dit pas tout…
3 Etre « Nobélisable » en économie ne veut rien dire, ce comité s’est largement ridiculisé en donnant son prix à des économistes dont les doctrines, quand ils en avaient, étaient aux antipodes les unes des autres, ou qui lorsqu’ils n’en avaient pas, s’étaient limités à construire des algorithmes financiers permettant à des joueurs en temps réel (ce que sont devenus les financiers) d’avoir une petite avance sur les autres joueurs.
Tant qu’à faire, l’expert comptable requis par SARKOZY me parait avoir un meilleur profil.
4 Le monde me semble avoir besoin d’un petit stage d’économie à Condé sur Gartempe. Je crois que toute la planète financière a eu peur, comme l’a bien vu sounion, que la dame ne puisse empêcher le pompier incendiaire Paulson de brûler le billet, ce qui aurait fait d’elle la seule victime (bof, une touriste, quasiment une fainéante…) dans une économie réelle inchangée.
Et tous nos crânes d’oeuf n’ont pas pu imaginer de solution à ce risque, par exemple que cette dame vienne habiter le village et tienne les livres de compte des villageois contre une juste rémunération.
Mais expliquer l’économie par cette simple histoire, c’est révolutionnaire car 100% des auditeurs comprendraient l’arnaque actuelle.
Du rétroviseur
La quête prétendument révolutionnaire du changement de paradigme n’est pas moins rétroactive que la foi en l’amplitude du cycle Kondratiev. Kuhn, pour lequel la révolution consiste en un changement de paradigme, autant dire purement ou préalablement théorique, prétend qu’un ensemble de croyances ou de convictions communes est un socle agissant comme un point de vue. Mais, d’une part, il ne peut le voir que rétrospectivement, Newton ne se savait pas du tout mécaniste, il était même, aussi, mystique. Donc la même critique adressée à Wallerstein lui est attribuable. Et d’autre part, sans la contradiction entre l’ondulatoire et le corpusculaire, paradigmes concurrents, la relativité générale n’aurait pas eue lieu. Que l’extériorité au système rende plus clairvoyant à son endroit, certes. Déjà chez Socrate, l’étranger, personnage de maints dialogues a presque toujours raison. Mais ce n’est pas là une condition suffisante. Le même système vu autrement ne le change pas. S’agit-il d’ailleurs de ne changer que son aspect ou de le changer pour un autre composé des mêmes éléments dont, principalement, l’exploitation salariale ? On peut bien ironiser sur le fait que Wallerstein reprenne ce bon vieux cycle, le long, dans l’espoir du terme radical du capitalisme, entendu comme mode de production, et non seulement comme système. Mais le seul fracas de sa chute, en 2010 ou en 2020 (quand la spéculation historique se substitue à celle des valeurs), ne générera pas une tout autre manière de vivre. Encore faudra-t-il refaire tout autrement indéfectiblement le monde par nous-mêmes.
Je suis tous les jours le blog de Krugman, c’est un des points de vue qui me permettent de me forger une opinion. Il polémique mais il argumente. Je ne comprend pas tout mais même les grandes lignes de ses réflexions sont intéressantes. http://krugman.blogs.nytimes.com/ en ANGLAIS (américain en fait, il y a pas mal de différence et ça n’aide pas.) Je ne sais quel est son degré d’isolement par rapport à la communauté des économiste, ni son degré de liberté. J’aurais tendance à me méfier de Blanchard parce qu’il traine dans les bonnes maisons depuis toujours, ça sent le moisi.
@ schizosophie
Effectivement, l’extériorité au domaine ne peut pas être totale, sans quoi il n’y a pas de dialogue possible. Le changement de paradigme est nécessité par l’envahissement de l’anomalie au sein de ce que Kuhn appelle la « science normale » : le paradigme en vigueur. Ainsi, la rétrocession de Mercure est difficile à intégrer dans le système de Ptolémée et il devient beaucoup plus simple d’imaginer des planètes en orbite elliptique autour du soleil que d’ajouter des épicycles supplémentaires pour des planètes (plus le soleil) en orbite autour de la Terre. C’est donc l’anomalie au sein de la « science normale » qui pousse au changement de paradigme. Comme Feyerabend l’a fait remarquer, le changement de paradigme s’opère souvent par un retour à la bifurcation : là où le paradigme en vigueur s’est créé en se séparant des alternatives possibles. C’est pourquoi, j’appelle personnellement à des retours à la bifurcation bien précis : à la théorie du prix d’Aristote pour la micro-économie, et à l’économie politique du XVIIIe siècle pour la macro-économie.
Pour ce que je me rappelle d’Aristote c’est le père de la logique, et du tiers-exclu. Sa force me semble-t-il est de poser un système de pensée à partir d’hypothèses simples pour nous mais révolutionnaires à l’époque. Ce système de signes nous à mené jusqu’à Descartes et sa méthode. Les logiques actuelles ont refondues complètement ce paradigme. La relativité esst un autre paradigme dont toutes les conséquences ne sont pas encore entrées dans notre quotidien, très peu de gens pensent actuellement avec ce paradigme comme très peu de gens pensent avec une logique à quatre états. Ces paradigmes sont comme dit Paul advenus à cause d’anomalies trop nombreuses. Il va en être de même dans les sciences dites humaines. C’est à mon avis ce changement de civilisation qui est amorcé depuis les années 80. Depuis ces années là tout le monde parle de remettre l ‘humain au centre des préocupations. C’est à mon avis le paradigme de demain. L’humain devient objet d’étude en soi et non plus saucisonné en sciences séparées (voir étanches) alors que la vie des humains combine et recombine incessament les objets de ces sciences. Par exemple le domaine de Paul est l’économie mais y sont mélés la politique, la sociologie, anthropologie etc … Pour moi toutes ces sciences font partie d’une même science, la science sociale car toute reposent sur la contradiction entre le un et le mutiple. Exemple la politique repose sur la contradiction entre le dirigeant et la masse d’une part, le citoyen et l’état d’autre part, double contradiction indépassable car inérente à l’humain et caractéristique de l’humain seul, et quelque soit la culture. Le principe un versus multiple ne fait que se décliner dans des particularité tenant au domaine restreint de la politique dans l’exemple que j’ai donné. Je ne connais pas assez l’economie politique ( XVIIIeme c’est Hobbes, Smith, Ricardo etc … ??) mais si Paul à un peu de temps, pourrait-il essayer de voir comment la contradiction que j’évoquais était-elle présentée au XVIIIeme et comment elle l’est de nos jours neo-libéraux?? Un grand merci d’avance si vous avez le temps de faire celà, ça me parait (évidemment) intéressant.
Dans mon domaine (informatique) il s’agit pour moi clairement d’une science rattachée à la linguistique, la théorie des langages, les mathématiques voir la psychanalyse de Lacan. Celà peut paraitre curieux et pourtant les indices prouvant la parenté existe, Lacan ayant utilisé les théorie de Saussure. Ce serait un deuxieme axe avec celui du social.
Troisième axe, la technique, l’art, la praxis. Domaine imergé dans toutes nos activités. 4ème l’axe de la morale, la normalité, la liberté.
Mais sans jamais oublier que ce découpage est artificiel car ces axes se projètent, s’influencent les uns les autres. Ainsi des sous-domaines par croisement peuvent être identifiés. Si on me demandait un principe unificateur (comme pour nommer un ensemble d’objets , une taxonomie, pas une réification) je dirais la raison, la rationnalité.
Bernard.
Je trouve que le Nobel d’économie est une très bonne chose. Krugman, qui a peut-être reçu son Nobel pour cause d’opposition à la politique désastreuse de Bush et consorts, est l’homme qui, pour ce qui me concerne, a systématiquement combattu les « chicago boys » sur leur terrain. Il est un fanatique défenseur du libre-échange entre les nations mais aussi d’une croissance efficace. A savoir une croissance qui optimise les ressources et ne fait pas que les accumuler. C’est en parlant de l’Asie qu’ila le plus clairement défendu ce point de vue qd il disait que la croissance des pays du Sud-Est asiatique état plus de sueur que de l’inspiration (more perspiration than inspiration). C’est aussi en défendant une véritable politique monétaire en Amérique latine plutôt que les currency boards comme de sinistre mémoire en Argentine. Il a défendu l’idée de la nécessaire régulation par l’état des échanges économiques.
Comme Paul Jorion je suis assez opposé à l’idée de décroissance. Je parlerait plutôt de croissance efficace. D’autres parlent de croissance raisonnée. Dans tous les cas, il me semble que le travail de Krugman a consisté en une analyse de l’impact du commerce sur la croissance et c’est une question centrale, notamment pour les pays en développement. Après les économistes latino-américains de l’école qui a posteriori a été qualifiée « d’école de la dépendance » (Prebish, Furtado, Ahumada, CArdoso aussi avant qu’il ne se renie en devenant Président du Brésil), rares sont les économistes qui abordent cette question autrement que par l’idéalisation des attentes rationnelles, de l’hyper-économicité, de l’homo oeconomicus pur et parfait, que Alain Caillé nous a aidé à comprendre et critiquer. Parmi les quelques stars du moment, je ne connais que Alice Amsden qui se soit posé de manière centrale la question entre développement, croissance économique et relations internationales (en France évidemment on peut citer Daniel Cohen bien qu’il soit fort critique vis-à.vis de l’analyse des latino-américains que ). Avant elle, feu Susan Strange (qui parlait de Capitalisme de casino). J’en dis un peu plus sur mon petit site.
@scaringella: « je propose d’utiliser la méthode scientifique dans les sciences dites humaines. »
l’erreur habituelle, considérer que les sciences humaines, ce n’est pas scientifique! Bien qu’on y porte pas de blouse blanche, la sociologie, l’anthropologie, la psychologie ou encore l’économie ne sont pas (censées être) des divagations proches de la sorcellerie, mais bel et bien des disciplines scientifiques, construites avec méthodes, analyses et rationalité. Si la démarche, les apports théoriques et les contraintes méthodologique diffèrent des sciences dites « exactes », il s’agit pourtant de science, n’en déplaise aux positivistes. Je m’étonne d’ailleurs que Paul Jorion, anthropologue de formation, n’ait pas tiqué à ce traditionnel procès d’intention fait aux sciences humaines.
Pour en revenir à l’économie (science humaine), il est amusant de voir que plus elle cherche à atteindre un haut degré de prédiction (le propre des sciences « dures »), plus elle se mathématise, et plus elle s’éloigne de son champ d’étude, à savoir les comportements économiques des humains. L’éco, ce n’est pas la discipline du chiffre, ni celle des ressources (financières ou autres) mais de l’utilisation de celles-ci. Avec ses causes, ses conséquences, les variations d’un cas à l’autre.
Probablement la complexification des marchés financiers a-t-elle contaminé l’économie « d’étude » (après l’éco « réelle »), et on a ainsi perdu de vue l’objectif initial.
Qui est Olivier Blanchard
Olivier Blanchard, l’éminent professeur français enseignant aux États-Unis au prestigieux MIT, avait été l’un des auteurs de l’ensemble de recettes qui constitua la base de la « thérapie de choc » appliquée dans les pays en transition. Il fut aussi un pourfendeur du mouvement de contestation contre une pensée économique justement qualifiée d’autiste par des étudiants et certains enseignants[1]. Il était donc parfaitement qualifié pour défendre l’ordre en place. Dans un quotidien du matin, il publia une tribune pour critiquer les tentatives de rendre plus difficiles des licenciements que la santé de l’entreprise n’exigerait pas[2]. Penser que ces licenciements ne sauraient être empêchés est son droit le plus strict. Pour lui, la globalisation rend impossible une législation coercitive. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne soit pas sensible aux drames humains. Diable, même un économiste standard a le droit d’avoir du coeur.
l. O. Blanchard, « Défense de la science économique », Libération, rubrique « Rebonds », 16 octobre 2000.
2. O. Blanchard, « Lutte des classes et globalisation », Libération, rubrique « Rebonds », 11 juin 2001.
(Jacques Sapir, Les économistes contre la démocratie, Albin Michel, 2002, page 54)
Qui est Olivier Blanchard (suite : références – liens)
Défense de la science économique
Lutte des classes et globalisation