Après quelques péripéties, mon entretien avec Lauryn Ortiz devrait se trouver dans la version imprimée du journal, sous la forme suivante, quelque peu raccourcie.
Le secteur privé a fait la preuve de son inefficacité
Comment qualifiez-vous la réaction des autorités américaines face à la crise ?
On assiste à un retour en force de la puissance publique. L’Etat a déjà subventionné des banques en difficulté (Bear Stearns notamment). La Securities & Exchange Commission (SEC) protège la banque Lehman Brothers contre tout risque de déstabilisation. Elle a ainsi interdit aux investisseurs de parier sur la baisse de son cours et de répandre des rumeurs à son sujet. Et on peut parier qu’il va se passer quelque chose de similaire avec Fannie Mae et Freddie Mac, les deux agences qui contrôlent le marché des prêts immobiliers. Pour éviter qu’elles fassent faillite, le gouvernement envisage de créer des « actions privilégiées » (« preferred shares») qu’il détiendra. De fait, il en deviendra l’actionnaire majoritaire et seule subsistera l’illusion qu’elles appartiennent au secteur privé.
Pourquoi l’Etat revient-il en force ?
Le secteur privé a fait la preuve de son inefficacité pour redresser la situation, contrairement à ce que pensait à l’origine Henry Paulson, le secrétaire d’Etat au trésor. Partant de l’immobilier, la crise a eu le temps de se propager à de nombreux secteurs, comme une métastase. La bourse a chuté, les investisseurs sont aller spéculer sur les matières premières, contribuant à la flambée des prix de l’alimentaire et du pétrole. La consommation des ménages a baissé, la croissance a ralenti et la crise s’installe.
Ce renouveau de l’Etat est-il durable ?
Je pense que les Etats-Unis vont reproduire ce qu’ils ont fait avec le « New Deal » (le plan de Roosevelt lancé en 1933 pour sortir de la Grande Crise, ndlr). Exemple, avec la marge de manoeuvre accordée aux banques. Pour l’instant, on les laisse agir de manière volontaire vis-à-vis de leurs clients insolvables. On leur propose d’apurer les prêts au niveau de la valeur actuelle de la maison hypothéquée. Mais les prix de l’immobilier sont toujours en chute libre. D’ici à quelques mois, il faudra passer à une solution plus drastique.
On ne s’en rend peut-être pas compte en France, mais avec la crise, on est passé outre-Atlantique d’un régime ultra-libéral, façon Alain Madelin, à ce qui pourrait être du Jean-Pierre Chevènement, soit une gauche étatiste. Et les prochaines élections ne devraient pas remettre en cause cette évolution.
5 réponses à “Libé, mardi 26 août”
Voici un extrait d’un article récent extrait du site Solidarité & Progrès
« La Banque centrale européenne ne s’est pas montrée plus raisonnable, en décidant notamment de renflouer la bulle immobilière espagnole à hauteur de quelque 50 milliards d’euros par mois – soit 11% des injections mensuelles totales de la BCE sur les marchés européens. Cette décision a suscité bien des inquiétudes, exprimées en particulier par le gouverneur de la Banque centrale néerlandaise, Nout Wellink, dans des propos cités par le quotidien financier Het Financieele Dagblad du 21 août. « Nous voyons s’accroître la dépendance des banques vis-à-vis des banques centrales, dit-il. Cette pratique a des limites. Il arrive un moment où l’on prend le contrôle des marchés. » Certaines banques espagnoles émettent des titres à la seule fin de s’en servir comme nantissement pour emprunter auprès de la BCE, comme l’écrivait le même jour le Daily Telegraph, confirmant ainsi une pratique dénoncée depuis plusieurs mois par EIR. »
Tout commentaire est le bienvenu 😉
Bonjour, c’est complétement incoyable de dire des stupidités comme cela. L’état est omniprésent en ingérence dans le privé.
C’est l’état qui fixe les règles (les lois, impôts etc.).
Arrêtez de dire que le privé ne peut gérer la crise. Fannie et Freddie devaient obligatoirement reprendre les prêts consentis par les banques.
Un vrai privé n’aurait jamais accepté cet état de fait. Finalement vous avez lu beaucoup de livres, mais ne semblez pas avoir un grand sens pratique.
bien à vous
@ jean-pierre
Fannie Mae et Freddie Mac reprennent les prêts consentis par les banques en échange d’une prime d’assurance versée par ces mêmes banques : le guaranty fee. C’est une transaction commerciale de type classique : le fait que les GSE soient semi-publiques / semi-privées n’a rien à voir là-dedans.
La performance du cours de leur titre au cours de l’année écoulée ne détonne pas particulièrement parmi les compagnies financières américaines.
Bank of America : -42.95%
Citigroup : -63.02%
Wachovia : -71.73%
Lehman Brothers : -76.71%
Washington Mutual : -90.20%
Fannie Mae : -91.55%
Freddie Mac : -93.66%
Bear Stearns : -100%
Countrywide : -100%
IndyMac : -100%
Bear Stearns et Countrywide ont été rachetées mais elles étaient insolvables. IndyMac est à proprement parler nationalisée du fait de son insolvabilité.
Je pense que personne ne niera que les deux administrations Bush ont constitué un environnement favorable pour l’initiative privée, je dis simplement « beaucoup trop favorable » : le risque a cessé d’être évalué correctement.
Un vrai privé, sans état qui fixe des règles ou qui intervient, investirait massivement sur des trackers baissiers sur toutes les classes d’actifs et ruinerait beaucoup de monde en s’enrichissant. Imaginez jouer la baisse sur Fannie et Freddie, Lehman, Societé Genérale… sans intervention de l’état. On se retrouve dans la queue devant sa banque pour essayer de récuperer du cash. Mr Jorion est plus pragmatique que vous ne pensez.
Bonjour Paul,
C’est avec grand intérêt que je vous lis depuis longtemps et je ne peux que saluer votre initiative de vouloir se forger sa propre opinion sur un évènement : la finance pour ce qui nous concerne.
Je suis agent immobilier et trader indépendant. Passionné par le monde économique, j’en suis un acteur à mon petit niveau. Socio-libéral, je déplore l’individualisme forcené qui caractérise de plus en plus notre société. Force est de constater que le 100% privé échoue lamentablement pour le plus grand nombre. Capté et multiplié par le milieu monétaire (banques centrales, banques d’affaires…), l’argent du travail échappe à la majorité qui doit s’endetter pour courir après une croissance qu’ils ont pourtant contribuer à créer. Les premiers individus qui prennent le mouvement gagnent, les suivants gagnent de moins en moins et finissent par perdre. Je le vois au quotidien dans mon métier immobilier, et c’est encore bien pire aux Etats-Unis. C’est sur que la perte des uns devient le gains des autres. Mais cela ne marche pas en période extrême. C’est le concept de destruction-créatrice cher à Mr Greenspan. Finalement, comme le marché du crédit et ses dérivés : cela ne marche que lorsque tout va bien. Lorsque tout va mal, c’est une réaction en chaine incontrôlable. Vous l’avez déjà fort bien décrite. Je crains que seule l’épuration totale de l’excès de crédit puis l’émergence d’une classe sociale de taille importante dotée d’une solide épargne sur laquelle pourra s’appuyer une dette saine parce que couverte, pourra nous faire éviter d’embrasser un futur des plus douloureux. La confiance doit être retrouvée, les risques affichés. Peut-on imaginer une telle purge sans une grande panique (la correction actuelle des marchés n’a pas encore connu de réelle capitulation) ? Justement, est-ce possible de dévoiler clairement tous les risques sans déclencher une capitulation pouvant mettre littéralement à genoux l’économie dans son ensemble ? Comment didactiquement réussir à faire comprendre la nécessité d’intervention collective aux marchés ? Pour l’instant, je pense que le monde financier n’est pas prêt de regarder les choses en face et seule la survenue d’un scénario apocalyptique rendrait possible de tels ajustements, qui seraient à ce moment là salués par ces mêmes marchés pourtant normalement plus que libéraux, on l’a vu avec le rebond qui a suivi le sauvetage de Bear Stearns.
Qu’en pensez vous ?
Amicalement,
Julien Filippi.