Comment fonctionnent les « auction-rate bonds »

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

J’ai évoqué dans Un scandale financier ordinaire les « auction-rate bonds « . On m’a reproché de ne pas avoir expliqué suffisamment le fonctionnement de ces instruments de dette. J’écrivais ceci :

En deux mots, les auction-rate bonds sont des obligations à long terme pouvant être remises en vente et dont les taux sont mis aux enchères tous les 7, 28 ou 35 jours. Ceci leur permet de bénéficier dans les faits d’un taux correspondant à ces maturités, c’est-à-dire à court ou à très court terme, taux en général plus faibles que ceux à long terme, ce qui réduit d’autant les frais de l’émetteur de ces titres, c’est-à-dire de l’emprunteur.

J’explique maintenant cela de manière plus détaillée. On a donc affaire, d’un côté, aux émetteurs d’un instrument financier à long terme (de dix à trente ans), qui empruntent sur le long terme mais qui sont disposés à ce que les obligations qu’ils émettent soient remises sur le marché à très court intervalle (tous les 7, 28 ou 35 jours) et, de l’autre côté, à des prêteurs : les investisseurs qui achètent ces titres.

Le taux de ces obligations est donc réactualisé tous les 7, 28 ou 35 jours dans une enchère « descendante », dite « adjudication à la hollandaise ». Le terme d’enchère « descendante » prête quelque peu à confusion dans ce cas précis, du fait qu’il s’agit de taux et que l’avantage de l’émetteur (emprunteur) est bien évidemment que le « coupon », le taux d’intérêt dont il aura à s’acquitter, soit le plus bas possible, tandis que celui du prêteur est à l’inverse que ce taux soit le plus élevé possible.

Se présentent sur ce marché – par l’intermédiaire de sociétés de courtage (Citigroup, Union de Banques Suisses, Morgan Stanley, Merrill Lynch et Goldman Sachs) – des acheteurs : de nouveaux entrants, qui veulent acquérir des titres, et des vendeurs de deux types : des détenteurs de titres déterminés à vendre et des détenteurs de titres insatisfaits du taux dont ils bénéficient actuellement ; si le taux résultant des enchères devait être encore moins favorable, ces derniers vendraient.

Les enchères sont silencieuses : chaque acheteur précise avant la vente combien de titres il se propose d’acheter et quel est le taux minimum qu’il est prêt à percevoir, autrement dit, quel est le rendement minimal qu’il est prêt à accepter. On confronte alors l’offre de vente et la demande d’achat et l’on détermine quel est le niveau de taux minimum qui assure un « clearing » : qui permet que soient vendues toutes les obligations offertes à la vente, « au pair », c’est–à–dire pour leur valeur nominale, pour leur prix plein – par opposition à un prix qui serait escompté ; ce taux sera d’application pour l’émission tout entière et ce jusqu’à la prochaine enchère. Ce niveau de taux, ce « clearing rate » (taux de compensation), celui qui dispose entièrement de l’offre, définit donc deux populations parmi les acheteurs potentiels : ceux qui repartiront avec des titres parce que le taux qu’ils étaient disposés à accepter était soit au niveau du « clearing rate », soit lui était inférieur (et ils bénéficieront dans ce dernier cas d’un taux supérieur à celui qu’ils escomptaient) et ceux dont le taux offert était supérieur à ce « clearing rate » et qui repartiront eux les mains vides.

Si le volume de la demande est inférieur à celui de l’offre, la vente est remise et le nouveau taux est fixé selon les termes réglementaires du marché, par exemple à 10 % ou à 20 % (ce qui explique pourquoi le 13 février 2008, quand 80 % des enchères échouèrent, la New York Port Authority se vit obligée d’acquitter un taux de 20 % aux détenteurs de sa dette jusqu’à la prochaine vente aux enchères) ou deux fois le niveau du LIBOR (London Inter-Bank Offered Rate – ce qui explique pourquoi le même jour, le New York State Dormitory Authority se vit obligé de verser 6,26 % aux détenteurs de sa dette). La logique qui sous-tend la fixation du taux à ces niveaux élevés est que les vendeurs potentiels qui n’ont pas trouvé preneur lors de la vente doivent être dédommagés pour leur manque-à-gagner.

Les collectivités locales, « municipalities », les états, écoles, hôpitaux, musées, SICAV qui se retrouvèrent dans cette situation de devoir acquitter des intérêts au taux monstrueux, quittèrent en masse le marché des auction-rate bonds dès qu’il devint clair que les ventes remises seraient désormais la règle plutôt que l’exception, et reconvertirent leur dette dans des instruments moins hasardeux.

Les détenteurs privés des auction-rate bonds dont le marché était désormais en pleine déconfiture, cherchèrent à les revendre sur le marché secondaire actif entre deux dates d’enchères, mais ne purent le faire qu’en les bradant (50 cents du dollar pour les obligations sur des prêts étudiants, 90 cents du dollar pour les obligations d’hôpitaux). Les banques – on l’a vu – cherchèrent à s’en débarrasser en essayant de convaincre leurs clients qu’il s’agissait d’un excellent placement. Ainsi, dans le cas de Merrill Lynch, Mme Frances Constable avait réprimandé un analyste de sa firme pour avoir suggéré que le marché secondaire des auction-rate bonds s’était évaporé et que leurs détenteurs devraient désormais s’adresser « ailleurs », s’ils désiraient les vendre. Cette information « saperait à elle toute seule le marché des auction-rate bonds« , avait-elle écrit dans un e-mail. Le rapport avait alors été modifié, insistant désormais sur le fait que ces obligations constituaient « une bonne opportunité d’achat ».

On se rend compte a posteriori à quel point un marché conçu sur de telles bases était fragile, fragilité confirmée par le fait qui transparaît aujourd’hui que les ventes aux enchères d’auction-rate bonds auraient bien souvent échoué si les firmes de Wall Street qui les organisaient ne les avaient pas soutenues en sous-main. Ainsi UBS reconnut devant une commission d’enquête qu’elle avait dû intervenir lors de 69 % des 57 436 enchères auxquelles elle participa entre janvier 2006 et février 2008.

Si la fraude qui entacha les auction-rate bonds est donc de type classique en finance : conserver pour soi les produits de bon aloi et vendre la camelote comme une occasion à ne pas rater, le marché financier qu’elles constituaient est lui représentatif de la finance qui se trouve au cœur-même de la crise actuelle : un produit dont la rentabilité réside en réalité dans une bande extrêmement étroite et qui ne peut fonctionner du coup dans de bonnes conditions que lorsque la conjoncture financière est exceptionnellement favorable. Lorsque ce contexte se détériore, ce marché s’évanouit aussitôt et les conséquences s’en répercutent sur d’autres secteurs voisins présentant le même type de vulnérabilité, favorisant ainsi la progression inéluctable d’une crise à proprement parler systémique.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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2 réponses à “Comment fonctionnent les « auction-rate bonds »”

  1. Avatar de vladimir
    vladimir

    bonjour,

    Goldman Sachs dessine un scénario désastreux pour 5 grosses banques US

    NEW YORK, 19 août 2008

    La banque d’affaires Goldman Sachs a revu considérablement à la baisse mardi ses estimations de résultats pour 5 grosses banques américaines au 3e trimestre, jugeant que celles-ci devraient faire état de dépréciations d’actifs supplémentaires en raison de la crise financière.

  2. Avatar de Whisper
    Whisper

    Bonsoir,
    je vous remercie pour cette explication détaillée concernant ce scandal. Je vous avoue que j’ai eu du mal à comprendre tous les termes technique et financier utilisés dans « La crise » car je l’ai lu pour faire un exposé en cours sans avoir commencé par l’ »Implosion ». Mais après plusieurs relecture et décortication de passage dans le livre, j’apprécie la manière dont vous expliquez le mécanisme, même si certain points restent encore obscures pour moi.

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