Un scandale financier ordinaire

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Le 15 juillet avait été une très mauvaise journée boursière pour les banques américaines, le 12 août en a été une autre. Voici le résultat des courses.

Zions Bancorp, banque régionale, appartenant à l’église mormone : – 14,33 %
Wachovia, No 4 des banques commerciales : – 12,14 %
Lehman Brothers, No 4 des banques d’investissement : – 12,09 %
J.P. Morgan Chase, No 3 des banques commerciales : – 9,48 %
Washington Mutual, No 1 des caisses d’épargne : – 9,28 %
Bank of America, No 1 des banques commerciales : – 6,74 %
Citigroup, No 2 des banques commerciales : – 6,46 %
Goldman Sachs, No 1 des banques d’investissement : – 6,01 %

Avec une dépréciation sur la séance entre 4 et 5 %, Fannie Mae et Freddie Mac, les Government–Sponsored Entities, et Merrill Lynch, le No 2 des banques d’investissement, s’en sortent elles à bon compte ou presque.

Chacune de ces banques a bien sûr ses raisons propres pour sa pâleur personnelle mais le motif du climat dépressif d’aujourd’hui est la série d’accords qui interviennent ces jours-ci entre le Procureur Général de l’Etat de New York, Andrew Cuomo, et les banques qui étaient présentes – jusqu’au 13 février dernier – sur le marché des auction-rates bonds, constitué de « municipals » : des obligations émises par des collectivités locales (par exemple, la New York Port Authority) ou au niveau de l’état (par exemple, la Michigan Higher Education Student Loan Authority), des écoles, des hôpitaux, mais aussi par des SICAV qui y trouvaient un financement bon marché leur permettant de bénéficier de l’effet de levier dans leurs paris sur les cours boursiers. Ce marché représentait avant que ne débute la crise, entre 325 et 360 milliards de dollars.

En deux mots, les auction-rate bonds sont des obligations à long terme pouvant être remises en vente et dont les taux sont mis aux enchères tous les 7, 28 ou 35 jours. Ceci leur permet de bénéficier dans les faits d’un taux correspondant à ces maturités, c’est-à-dire à court ou à très court terme, taux en général plus faibles que ceux à long terme, ce qui réduit d’autant les frais de l’émetteur de ces titres, c’est-à-dire de l’emprunteur.

Lorsqu’intervint au début août de l’année dernière, le tarissement du crédit, et la perte de confiance vis-à-vis des « monolines », les rehausseurs de crédit, qui garantissaient les dettes des « municipals », les banques émettrices qui jusque-là intervenaient occasionnellement pour soutenir ce marché, durent désormais le porter à bout de bras. C’en fut rapidement trop pour elles. Elles prirent alors la décision d’abandonner ce marché, sachant sciemment que si elles le faisaient, il s’écroulerait rapidement. Mais avant de le faire, elles s’efforcèrent de vendre les titres qui leur restaient sur les bras et en particulier ceux que leurs dirigeants détenaient personnellement. Pour aider à la manœuvre, ces banques publièrent des rapports rassurants quant à la bonne santé du marché tandis que les commissions de leurs commerciaux étaient bonifiées (0,25 % contre 0,05 % pour les Bons du Trésor). Certains de ces commerciaux (Crédit Suisse) furent pris la main dans le sac à mentir sur la nature du produit. D’autres (UBS) s’affirmèrent de bonne foi, ce qui fut confirmé par leur employeur qui témoigna devant le Procureur de New York que ces commerciaux ne bénéficiaient d’aucune formation et pouvaient très bien tout ignorer des titres qu’ils vendaient.

Un tel scandale est d’une facture tout à fait traditionnelle : il tombe dans la catégorie dite du toxic waste ou « déchet toxique ». La stratégie consiste pour les organismes financiers à séparer dans un ensemble de produits financiers ceux qui sont sains et ceux qui ne le sont pas, à conserver pour eux les premiers, et à refourguer à leurs clients, les seconds.

L’Union de Banques Suisses et Citigroup sont déjà tombés d’accord sur les termes. J.P. Morgan Chase, Wachovia et Morgan Stanley ont été sommées hier de contacter d’urgence le bureau du Procureur de l’Etat de New York. Dix-huit firmes en tout sont sur la sellette. Les termes de l’arrangement sont sévères : 150 millions de dollars d’amende pour UBS et 100 millions pour Citigroup. Ces sommes sont toutefois de la roupie de sansonnet par rapport à celles que les banques s’engagent à consacrer à racheter ces titres auprès de leurs clients grugés, à charge pour elles de tenter par la suite de les revendre. Merrill Lynch a pris les devants en annonçant qu’elle rembourserait ses clients à concurrence de 10 milliards de dollars. Morgan Stanley a déjà racheté des « auction-rate bonds » à deux collectivités locales du Massachusetts pour un montant d’1,5 milliards de dollars. UBS s’est engagée à racheter ces titres à ses clients pour un montant de 8,3 milliards de dollars et à les aider à en vendre pour un montant de 10,3 milliards. De même, Citigroup en rachètera pour 7,3 milliards et aidera à en vendre à hauteur de 12 milliards. Fin mars, lors de l’écroulement du marché, Citigroup s’était retrouvée avec des invendus s’élevant à 6,5 milliards de dollars.

On ne sera pas surpris outre mesure que des scandales de facture classique puissent réapparaître à l’arrière-plan des événements dramatiques et de nature beaucoup plus inédite qui caractérisent la crise financière actuelle. Différence significative cependant dans ce cas-ci, le fait que les amendes et les restitutions énormes auxquelles ces scandales donnent lieu affectent cette fois des établissements financiers extrêmement affaiblis, et pourraient même constituer pour eux le coup de grâce.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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5 réponses à “Un scandale financier ordinaire”

  1. Avatar de Armand

    J’aurais titré « un scandale ordinaire du système financier ».

    Une amende et, hop ! plus de problème, personne en taule.

    Comment, donc, faire confiance à ces gens-là ? ils noyautent tout le système. D’où mon insistance sur le fait qu’une monnaie saine ne doit dépendre qu’au minimum des hommes, tant ceux qui en abusent que ceux qui pourraient en être abusé.

    Comme quasiment toutes ces pauvres banques ont du augmenter leur capital pour faire face à leurs derniers trous et qu’elles sont même « à sec », d’où tirent-elles cette menue monnaie qu’elles vont rembourser à leurs clients ?

    A propos de trous béants à boucher, les « Alt-A » commencent à faire parler d’eux et prendre la relève des « sub-prime » …

  2. […] « Un scandale financier ordinaire 14 08 2008 […]

  3. Avatar de jean-patrick
    jean-patrick

    les coupons de ces obligations étaient-ils suspendus ? Le remboursement final était-il en question ? A défaut la baisse de prix aurait dû attirer de nouveaux investisseurs. Il manque un élément d’information, pour pouvoir comprendre exactement le scandale.

  4. Avatar de Paul Jorion

    @ jean-patrick

    Oui, vous avez raison, je m’étais promis de compléter ce billet par une explication technique du fonctionnement des auction-rate bonds et je ne l’ai pas encore fait. Je m’en occupe.

  5. […] évoqué dans Un scandale financier ordinaire les “auction-rate bonds “. On m’a reproché de ne pas avoir expliqué […]

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  1. AGI et ses magouilles c’est l’adolescence de l’humanité. Parents: accrochez vous. Ça va secouer.

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