Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Comme je l’ai déjà fait à plusieurs reprises, je donne aujourd’hui la parole à un invité : à Jean-Paul Vignal – déjà invité précédemment d’ailleurs, dans Développement durable et dure réalité.
Il est question de l’associationnisme de tradition française. Bien sûr, il existe à l’associationnisme, d’autres traditions : il faudrait parler de Robert Owen en Angleterre, et le mouvement a connu une résurgence importante au XXe siècle avec la mouvance hippie, tout particulièrement en Californie où le projet le mieux articulé fut celui des Diggers à San Francisco et Berkeley et dont on trouve un excellent compte-rendu dans Ringolevio, le livre écrit par le fondateur des Diggers : Emmett Grogan.
Jean-Paul Vignal
A propos de La mémoire vive du socialisme associationniste
Philippe Chanial vient de remettre en ligne sur le site du Mauss un article (La mémoire vive du socialisme associationniste) initialement publié dans le n°67 de la revue Transversales Science Culture, en février 2001, qui vient opportunément nous rappeler que la voie associative est reconnue depuis longtemps comme une alternative possible au capitalisme, qu’il soit privé ou public. Etant par nature dérangeante pour tous les pouvoirs en place, elle a fait l’objet de multiples attaques, mais elle a bravement survécu à toutes les tentatives de ringardisation de droite comme de gauche, et c’est une bonne chose.
Philippe Chanial pose dans sa conclusion une question intéressante, celle du rapport avec l’Etat, car elle devrait être au cœur de toute réflexion sur les conditions d’un passage rapide et réussi à des modèles plus durables que ceux qui prévalent actuellement: la sélection des priorités sur des bases strictement économiques et financières étant de toute évidence sous-optimale au niveau global, puisqu’elle conduit à la destruction ou à la pollution de ressources aussi indispensables que non-renouvelables, il faut en effet trouver autre chose. Mettre un « prix » sur ces ressources comme le recommande Amory Lovins et les tenants du « natural capitalism » est sans doute un moindre mal, mais certainement pas une solution, car, même si on peut s’entendre de façon immorale sur le « prix » d’une vie humaine, personne n’a la moindre idée de ce que serait le « prix » de devoir « extraire » et réinstaller 8 ou 10 milliards de personnes sur une autre planète….
Seule une nouvelle forme de planification, « from bottom to top » par opposition aux modèles classiques qui ont fait la preuve de leur inefficacité, peut apporter une réponse satisfaisante. Il ne s’agit pas de construire une mégamachine au service d’une ambition collective qui ne reflète en fait le plus souvent que les convictions et les attentes d’une élite restreinte, mais de concilier les aspirations de tous de façon à ce que la légitime liberté d’initiative et d’action laissée à chacun compromette le moins possible celle des autres.
La complexité d’un tel système condamne toute forme de système hiérarchisé, qui finit vite par consommer la totalité des ressources disponibles pour la satisfaction de ses seuls besoins, privant les « producteurs » des moyens dont ils ont besoin pour produire, et condamnant donc globalement le système à disparaître, une hiérarchie bien dodue finissant par épuiser une population productive famélique. Elle impose à l’inverse des modèles de fonctionnement associant de façon souple l’auto-organisation pour la décision et la vie au quotidien, d’une part, et une certaine forme de hiérarchisation démocratique dès qu’il y a besoin d’arbitrage, de l’autre. Il n’y a rien de bien nouveau dans ce genre de concept. La nouveauté c’est la disponibilité de moyens de traitement, de collecte et de diffusion de l’information qui permettent d’envisager de façon réaliste de pouvoir gérer cette complexité, comme on pouvait le faire en place publique avec un nombre limité d’acteurs au temps des Grecs ou des Romains, et comme la légende veut qu’on le fasse encore dans certaines îles du Pacifique.
Il est sans doute temps d’explorer la validité de ce genre de piste, ou lieu de dépenser une énergie considérable à tenter de ravauder le vieux mythe de la main magique du marché que les capitalismes à vocation oligopolistiques voire monopolistiques ont irrémédiablement amputé il y a maintenant bien longtemps.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
3 réponses à “Actualité de l’associationnisme”
Expérimenter autre chose, pourquoi pas. Intellectuellement, scientifiquement, c’est intéressant. D’autant que dans de nombreux domaines le système de marché « simple » montre ses limites.
Mais, faut-il changer le système ou juste l’amender ? Ou plus précisément : que changer du système ?
Les matériaux demeurent les mêmes, humains et environnement, quel que soit l’architecture du système, et leurs faiblesses intrinsèques également. L’associationnisme n’est pas en soi un antidote à la tendance humaine à vouloir truander son prochain, il peut certes s’agir d’une réponse face à certains défis, environnemental notamment, mais il n’est pas certain que l’ablation du capitalisme éradique les comportements sous-tendant les vocations mono/oligopolistiques.
Ci-dessous ces quatre liens (il y en a d’autres) qui devraient encourager ici Jean Paul Vignal (de même son très intéressant article sur ce blog-ci, sauf erreur le 14 juillet dernier) tout comme Paul. Le premier lien est en français, c’est la traduction faite par votre serviteur de l’intervention de mon grand ami l’architecte mexicain Luis Lopezllera dans le cadre de la FONAES en décembre 2004 à México-ciudad où il réside.
(en fançais) http://www.societal.org/docs/Finargent.htm
(en anglais) http://www.vidadigna.info/community.htm
(en anglais) http://www.appropriate/mexithai.htm
(en espagnol) http://www.appropriate-economics.org/materiales/dinero.html
Merci beaucoup pour vos judicieux et utiles commentaires. Le plus important dans la transition vers des modèles durables me semble être la primauté du local: on ne travaille plus sur des gisements ponctuels massifs de minerai ou d’énergie, mais sur des flux d’énergie solaire sous diverses formes, qu’elles soient directes (valorisation directe de l’énergie solaire sous forme thermique, électrique, optique ou chimique), ou indirectes (vent, marées, biomasse….) qui sont par nature modestes et repartis sur l’ensemble de la surface du globe. Cette primauté du local entraîne une multiplication des lieux de récolte et de transformation, qui implique entre autres des économies d’échelle par le nombre, plutôt que par la taille.
Cette prolifération des lieux d’activité est en pratique incompatible avec les systèmes de commande/contrôle hiérarchisés qui prévalant encore largement actuellement. Les éléments humains et environnementaux restent les mêmes, mais la structure de gestion doit être différente pour être capable de gérer la complexité croissante de ces systèmes géographiquement très repartis.
Ce changement de méthode est d’autant plus nécessaire que, sur le plan financier, on oublie trop souvent que fonctionner de façon durable c’est remplacer des charges d’exploitation par des investissements (par exemple, on n’achète plus de l’électricité, mais un capteur solaire). Le durable est donc avant tout un problème de financement qui ne peut que très difficilement être géré de façon centralisée parce que chaque projet est spécifique de sa « niche » écologique, sociale, économique technique….. Un système centralisé qui voudrait gérer cette diversité aurait le choix entre standardiser et perdre en route une bonne part des performances possibles, ou essayer de gérer au cas par cas pour optimiser, mais au risque de finir par consommer l’essentiel des ressources disponible du système pour alimenter son propre fonctionnement, comme finissent toujours par le faire toutes les bureaucraties publiques ou privées. Dans les deux cas, le rendement global n’est pas optimisé. L’auto-organisation permet d’éviter ces deux obstacles, mais elle ne peut être fondée que sur un consensus altruiste difficilement compatible avec nos modes de fonctionnement actuels