Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Aujourd’hui, les actions des Government–Sponsored Entities ont repris leur plongée : Fannie Mae et Freddie Mac ont perdu plus du quart de leur valeur en une seule séance : –27,34 % pour Fannie Mae et –26,02 % pour Freddie Mac. Le message est clair : le ministre des finances américain, Henry Paulson, et le patron de la Fed, Ben Bernanke, ont beau répéter que tout sera fait pour épauler les GSE, les investisseurs sont convaincus que la nationalisation larvée des derniers jours se concrétisera rapidement en une nationalisation pure et simple – dont ils feront les frais.
J’écrivais hier que le système économique américain a basculé dans la social–démocratie, et j’ajoutais, « que ses dirigeants le sachent ou non ». Les actionnaires montrent eux, en quittant le navire en masse, que leur opinion est faite.
Dans une question qu’il posait ce matin à Bernanke, Jim Bunning, un sénateur républicain du Kentucky, déclarait que :
Quand j’ai ouvert mon journal hier, j’ai cru que je m’étais réveillé en France. Mais non, il s’avère que le socialisme règne en maître en Amérique […] Comparé à ceci, le rachat de Bear Stearns par la Fed était du socialisme d’amateur.
L’information de Bunning en matière de politique étrangère est, comme celle de beaucoup d’Américains, un peu approximative, mais elle est symptomatique du sentiment général.
Comme la glissade se poursuit malgré la mise en place de l’artillerie lourde, l’affolement commence à percer, comme dans deux mesures prises par la Securities and Exchange Commission, le régulateur des marchés boursiers, annoncées, l’une hier, l’autre aujourd’hui – et qui parvinrent en effet à rassurer la bourse pendant une heure ou deux chacune : une interdiction pour trente jours du « naked short selling » et l’enquête, préalable à d’éventuelles poursuites, contre cinquante « hedge funds », cinquante fonds spéculatifs, pour avoir répandu des nouvelles alarmistes à propos de Bear Stearns en son temps et de Lehman Brothers ces jours derniers.
« Short selling » : vendre à découvert, consiste à parier non pas sur la hausse d’un prix mais sur sa baisse. Pour parier à la hausse, on commence bien sûr par acheter et on revend plus tard après que le prix a monté et on empoche la différence des deux prix. Pour parier à la baisse, il faut faire l’inverse : d’abord vendre et ensuite acheter. C’est plus facile à réaliser qu’on ne pourrait l’imaginer : on commence par emprunter des actions de la firme dont on suppose que son cours va baisser et on les vend aussitôt, après quoi on attend que le prix baisse, puis on rachète le même nombre d’actions que l’on retourne à celui à qui on avait emprunté : le prix à la vente était plus élevé que celui à l’achat, et le tour est joué.
La vente à découvert « nue », joue sur le fait que les autorités boursières américaines accordent une période de grâce de trois jours entre le moment où l’on donne l’ordre de vente des actions que l’on a empruntées et celui où il faut effectivement les livrer. Certains en profitent pour donner des ordres de vente qu’ils annuleront ensuite, n’ayant en réalité jamais eu l’intention de livrer les titres – et ne le ayant du coup jamais empruntés – afin de jouer simplement sur la pression à la baisse que leur ordre vendeur exerce sur le prix.
Depuis des années, les autorités avaient fait la sourde oreille quand certaines entreprises en difficulté réclamaient l’interdiction du « naked short selling », jugeant son influence sur les marchés négligeable. Mais désormais tout ce qui peut faire une différence – aussi minime soit-elle – compte et l’interdiction est tombée ce matin. Elle s’appliquera en particulier, a expliqué la SEC, à Fannie Mae, Freddie Mac, Goldman Sachs, Merrill Lynch, Morgan Stanley et Lehman Brothers. Les firmes visées ont dû se réjouir d’une protection aussi précisément ciblée : en mentionnant explicitement leur nom, les autorités ont pointé du doigt les prochaines victimes de la catastrophe en cours de déroulement : on aurait pu tout aussi bien sans doute leur peindre une cible sur la poitrine !
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
7 réponses à “Leur peindre une cible sur la poitrine”
Apparemment, les financiers et actionnaires n’ont pas trop de soucis à se faire :
http://www.humanite.fr/Crise-financiere-Privatisation-des-benefices-socialisation-des-pertes
Paul, es-tu sûr du délai de 3 jours, c’est à dire celui du réglement / livraison ? je pense que le délai réellement utilisé est celui de la déclaration de « commercial failure » (si l’on ne trouve pas de titres à emprunter), donc 13 jours.
De plus il est facile de contourner cela, il suffit d’un autre broker ami (complice) qui fournira des titres au premier, tout en bénéficiant, lui, d’un nouveau délai. A l’échéance de ce délai, les deux brokers joueront au ping-pong.
Ainsi on se retrouve avec *davantage* de titres que la société n’en a réellement émis (car les vendus à découvert « nus » on bien été achetés) : à certaines AG de sociétés se retrouvent davantage de droits de vote qu’il n’y a d’actions !
Enfin, peux-tu vérifier que la SEC a interdit les naked short « en particulier » sur ces titres-là ou sur *tous* ? c’est important car ce changement de règles du jeu ne profiterait alors qu’à ces sociétés, celles-là même d’ailleurs qui jouent à ce jeu via leurs hedges funds ; ceux-ci pouvant de plus bénéficier de fuites sur une future dégradation et spéculer à la baisse. Bref la SEC se ferait complice des mafieux de la finance.
En tout cas ce système étant basé sur la confiance, ou plutôt la crédulité, et que celle-ci s’est enfui au galop …
@ Armand :
Je confirme que la règle ne s’applique qu’à une liste de 19 sociétés. C’est effectivement assez hallucinant. Et la SCE ne doit d’ailleurs pas en être bien fière puisque cette mesure est « transitoire » (du 21 au 30 juillet, pouvant être étendue à 30 jours).
Plus d’infos là : http://www.cnbc.com/id/25698166
avec notamment la liste des « bénéficaires » , que voici :
BNP Paribas Securities, Bank of America, Barclays, Citigroup, Credit Suisse Group, Daiwa Securities Group, Deutsche Bank Group, Allianz, Goldman Sachs Group, Royal Bank ADS, HSBC Holdings, JPMorgan Chase, Lehman Brothers, Merrill Lynch, Mizuho Financial Group, Morgan Stanley, UBS, Freddie Mac and Fannie Mae.
et merci pour l’info à « harry potter », commentateur de mon blog 😉
Eh eh, que des banques ! comme c’est étrange ! 😉
Dans son article du 14 juillet, intitulé: « L’Amérique a changé… même si elle ne le sait pas encore », Paul écrit ceci:
Question, à mon avis, de la plus grande portée : – hier soir, les États–Unis ont basculé du libéralisme dans la social-démocratie. – alors, il doit bien y avoir quelqu’un, quelques-uns, ou quelque « chose », qui, dans la direction étatsunienne « sait » qu’il joue (ou qu’il jouait) double jeu. Le tango américano-chinois, qui durait depuis un bon moment, au moins depuis la présidence de Bill Clinton inclue, vient donc de changer de rythme (on serait curieux de savoir qui, vraiment, bat la mesure), ainsi la Chine a du faire « una cuelga » (c’est lorsque la partenaire enroule sa jambe autour de son partenaire) et voici les États-Unis et la Chine dans la même « vallée » même si les deux partenaires sont encore chacun en haut des deux versants opposés de la dite vallée. Ils finiront bien par se retrouver ensemble en bas, c’est ce que font les billes qui s’agitent dans le même bol.
Mais dans cette « opposition » (?) des « contraires », contraires qui viennent de réagir sous la pression des événements ? Ou en toute connaisance de cause ? Et ceci au sein même de la direction étatsunienne, peut-on traduire que c’est le libéralisme qui s’est transformé en sociale-démocratie, ou bien si, dans le fond c’est une même force qui maintenant va utiliser l’habit social démocrate pour arriver à ses fins.
Dit d’une autre façon, c’est l’absence d’attaque contre l’Iran, ou bien l’attaque qui aurait lieu qui donnera clairement cette réponse ?
C’est aller peut-être un peu vite en besogne et au pas de charge, mais enfin j’envoie quand-même
Le site de la Securities and Exchange Commission (SEC) précise que la liste des institutions visées par la mesure d’interdiction de la vente à découvert nue est constituée de Fannie Mae, Freddie Mac et des primary dealers : les organismes bancaires habilités à traiter directement avec la Fed et qui bénéficient en retour du droit de mettre des titres en pension auprès de le Fed par l’intermédiaire du Primary Dealers Credit Facility (PDCF).
La liste ne correspond cependant pas exactement avec celle des « primary dealers », telle qu’on la trouve sur le site de la Federal Bank de New York.
Sont sur la liste de la SEC mais manquent sur celle de la Fed de New York : Allianz SE et Royal Bank ADS ; à l’inverse, manquent de la liste de la SEC : Cantor Fitzgerald & Co., Dresdner Kleinwort Securities LLC et Greenwich Capital Markets, Inc.
Le fait est que la liste est donc moins « stigmatisante » que je ne l’ai laissé entendre.
Merci à Philippe Barbrel pour avoir attiré mon attention sur ces deux listes.
Bonjour
Je vous signale une conférence internet de L. LaRouche qui sera traduite en français par « Solidarité et Progrès » de jacques Cheminade (avec le programme duquel je ne suis pas en accord sur tout, mais au moins en accord sur les propositions monétaires)
Le 22 juillet à 19 heures, heure française (13 heures, heure américaine de la côte Est)
LaRouche propose trois ordres de mesures fondamentales :